03/10/2010
ALTIANI , avec le village, visite de la Santa Nunziata
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J'étais venue rencontrer ce village en février 2010, un coup de coeur! Une fois enjambé le Tavignano sur le beau "Ponte à u Larice", la route grimpe par lacets jusqu'à Altiani qui domine ainsi la vallée du haut de ses 600 m: lumière et vents assurés. J'avais en février évoqué la chapelle romane San Michele qui fait l'objet d'un solide projet de restauration, mais aujourd'hui, place à la peinture baroque de Corse! Lors de ma première visite j'avais été émerveillée de la richesse iconographique de cette église, voyez plutôt ... et n'oublions jamais que le but premier de ces peintures était d'éduquer les gens par l'image ...
I° L' ANNONCIATION ( Francescu CARLI)
Tout d'abord, cette toile de l'Annonciation, qui domine le maître autel: c'est le patronnage de l'église. Peinture de Francescu CARLI . Né en 1735, originaire de l'état de Lucca, en Toscane, il devient l'un des peintres les plus productifs (plusieurs centaines d'oeuvres) de l'Ecole corse du XVIIIème siécle, puisque c'est en Corse qu'il a choisi de vivre, de se marier (avec une jeune fille Franceschi de San Lorenzu) et de travailler jusqu'à sa mort, en 1826 ...
Ici, L'Annonciation met en scène les trois personnages requis: traversant la nuée peuplée d'angelots, la Colombe de l'Esprit Saint est déjà à l'oeuvre, dardant le divin rayon sur la Vierge agenouillée sur son prie-Dieu à droite, une main ouverte pour l'acceptation, l'autre retournée vers le sol pour la frayeur. On peut la comprendre! Robe rose de son humanité, manteau bleu de son appartenance céleste ...
A gauche, l'archange Gabriel, le beau Messager chatoyant, d'une main tend le lys de la pureté à Marie et de l'autre brandit son index droit vers le ciel, annonçant fermement le message d'en Haut:
" Réjouis-toi, pleine de grâce. Le Seigneur est avec toi. Tu es bénie parmi les femmes. (...) Et voici u'un ange debout devant elle disait: " " Ne crains pas, Marie, tu as trouvé grâce devant le maître de toute chose. Tu concevras de son Verbe " (Protoévangile de Jacques)
Remarquez qu'au même instant le Verbe sort bien du bec de la Colombe...
Notez aussi ce nuage lenticulaire en forme de gâteau roulé aérodynamique sur lequel surfe Gabriel avec beaucoup d'aisance: on retrouvera cette même représentation des nuages célestes chez Giacomo Grandi, un autre peintre fort proche de Carli et présent également dans cette église. En écho, le décor végétal du prie-Dieu.
Le style de Carli est immédiatement reconnaissable: un univers pastel et rococo où les personnages mis en scène se meuvent avec grâce et délicatesse, des visages enfantins, des mains élégantes aux longs doigts graciles ...
sans oublier les humbles outils du quotidien ...
Marie, surprise dans sa prière, son ouvrage à ses pieds, le couvercle du panier entrouvert: filer, inlassablement le voile du Temple, le fil du Destin, mêler sur la trame des jours le bon et le mauvais, l'âpre et le doux, la prière et l'imprécation, racommoder la déchirure, broder l'enfance ... bref, incessant travail de femme.
II° LA VIERGE DU ROSAIRE ET LES ÂMES DU PURGATOIRE ( Francescu CARLI)
Une représentation habituelle - on en trouve dans un très grand nombre d'églises - de cette dévotion du Rosaire ... mais pour autant savons-nous encore la lire?
La Vierge et l'Enfant, bien installés sur leur drôle de nuage, remettent le Rosaire à St Dominique, à gauche et Ste Catherine de Sienne, à droite: Dominique, le fondateur de l'ordre des dominicains est reconnaissable à sa robe blanche, son manteau noir, et à la petite étoile qui brille au-dessus de sa tête; il est accompagné de son chien fidèle portant le brandon allumé de l'ardeur de la foi ("Domini canes": en un temps sombre de l'Eglise, les dominicains furent les grands inquisiteurs et firent allumer des bûchers de sinistre mémoire. Paix à la mémoire des uns et des autres.) . Et de l'autre côté, la dominicaine Catherine de Sienne, reconnaissable aux stigmates qui percent ses mains ...
Regards tendres et gestes raffinés de gens bien éduqués, phalanges musiciennes et petits doigts en l'air de buveurs de thé ...
Venons-en aux 15 Mystères du Rosaire qui encadrent et justifient la scène:
Autour du visage enfantin et paisible de la Vierge et de l'Enfant, 15 tableautins pour réviser son cathéchisme en récitant le Rosaire, 10 Ave Maria pour chaque Mystère: 5 Mystères Joyeux, 5 Mystères Douloureux, 5 Mystères Glorieux, bref, en tout 150 Ave Maria (aujourd'hui il faudrait rajouter à cette iconographie les 5 Mystères Lumineux ...)
Un investissement de temps précieux en ces temps difficiles où la survie du plus grand nombre dépendait d'une lutte acharnée avec la nature: terrains souvent en terrasses, pierreux, pentus, dont il fallait inlassablement entretenir, remonter les murs, avec ces risques imprévisibles d'une météo capricieuse, voir d"une guerre fratricide où brûlent les moissons, mais un vrai livre ouvert de cathéchisme en images doublé d'un vrai acte de charité envers ...
... ces pauvres Âmes du Purgatoire qui grillent (pendant quelques centaines de milliers d'années, parait-il: 800.000 ans pour une peccadille!) leurs imperfections en attendant de pouvoir enfin sortir de la fournaise, nettoyées et légères. Réciter un Rosaire fait avancer le compte à rebours de façon notoire (moins 200.000 ans, m'a-t-on dit!) et témoigne d'une réelle solidarité des vivants pour les morts ...
Je rappelle ici le rôle de l'église du Purgatoire : il s'agit de cette "scession de rattrapage" qui permet de débarrasser - par le feu, par l'absence - l'âme de ses scories (les péchés) pour ne garder que le métal pur de la spiritualité. C'est aussi une forme d'assurance sur l'Au-delà . Ainsi va notre pauvre humanité, toujours inquiète , édifiant inlassablement des systèmes pour se rassurer contre l'inéluctable ... En ce qui concerne notre monde occidental, je vous renvoie aux excellents ouvrages de Jean DELUMEAU: La Peur en Occident, Le Péché et la Peur, Rassurer et protéger, l'Aveu et le Pardon" etc ... (éditions Fayard) . Cette pastorale de la Peur n'est plus guère de mise aujourd'hui: nous prenons des assurances multirisques pour la vie, la maladie, la mort, la voiture, le vol, le bris de glace, bref, nous essayons de prévoir sur un laps de temps somme toute plutôt court (une vie d'homme, bien peu de chose au regard de l'éternité) ...
Avons-nous vraiment changé ou sommes-nous simplement devenus myopes? Je ne prendrai pas partie mais dirai seulement ceci: les bons Pères de l'Eglise qui ont développé cette pastorale par l'image étaient de fabuleux publicistes!
(à suivre pour les autres toiles d'Altiani)
18:08 Publié dans corse, découverte du patrimoine en Corse, patrimoine de la solidarité humaine, patrimoine populaire de Corse | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : corse, altiani, francescu carli, giacomo grandi, âmes du purgatoire, annonciation, jean delumeau | Facebook |
02/10/2010
A propos de la confrérie des femmes de Nessa: sorelle, pinzocole, pisochje ...
A propos des "Pisochje" , représentées ici sur la petite fresque en péril de la chapelle saint Pierre de Nessa : confrérie de femmes, revêtues d'une robe et d'un voile blanc :
- photo prise ce matin -
voici deux rares exemples de représentations de ces confréries féminines dédiées à la Vierge:
à l'église de l'Assomption de Pino (Cap Corse), ce beau tryptique ( 1520) :
la Vierge à l'Enfant entre saint Pierre et saint François.
Sous ses pieds, la confrérie des femmes :
(merci Michel Edouard!)
E Pinzocole, les dames dévotes, le chef couvert d'un voile caractéristique (ça me rappelle quelque chose!), dans une attitude de prière à la Vierge Marie, le plus grand intercesseur parmi les saints...
A propos de ce voile, il semble jouer là encore un rôle communautaire, atténuant, dans sa modestie uniformisante les différences sociales exprimées par les robes de ces dames.
Et, à Belgodère (village proche de Nessa), église saint Thomas, cette peinture sur bois (1595) , "ancona" qui faisait sans doute partie d'un retable, oeuvre d'Aicardo et Castellini. Cette oeuvre a été mise en lumière dans un ouvrage que je ne saurais trop vous recommander: "Deux tableaux avec portraits de donateurs, Belgodère et Palasca vers 1600", oeuvre collective de Louis Belgodère de Bagnaja, Eric Beretti, Antoine Franzini, Michel-Edouard Nigaglioni, éditée chez Albiana.
La Vierge à l'Enfant, entre saint Thomas et saint Pierre, avec les donateurs: neuf hommes et neuf femmes. Sous cet ensemble, une représentation de la Cène.
Les sorelle de la "Cumpagnia del Corpo Cristo" et de la " Compagnia delle Donne pinzocole" ( sans doute des soeurs dans la mouvance des tertiaires franciscaines ) et leurs prieures ... Ces confréries féminines se sont en particulier développées , à l'instar des confréries masculines, autour de la dévotion à la Vierge Marie après le Concile de Trente (1545/1563) et quelques années plus tard après la victoire des chrétiens sur le monde ottoman , lors de la bataille de Lépante (1571) .
Ce sont des associations pieuses de femmes dévotes (ici, à Belgodère, leur costume indique qu'il s'agit, pour certaines d'entre elles, de femmes de notables), placées sous le contrôle des curés, obéissant à des statuts stricts ("Regole delle donne") édictés par les évêques et où les exercices spirituels, la pratique du jeûne, des saints sacrements tenaient une grande place ... avec, à la clef, l'espoir de gagner ces précieuses indulgences dont dépend le sort des Âmes du Purgatoire ...
Je vous renvoie au très intéressant ouvrage collectif qui vient de sortir pour accompagner l'exposition temporaire de Corte:
"Les CONFRERIES de CORSE, une société idéale en Méditerranée"
Publié par la Collectivité Territoriale de Corse, Musée de la Corse, chez ALBIANA
Il serait cependant intéressant de connaître leur éventuelle (et souhaitable!) implication dans la vie sociale et idéale de leur communauté: oeuvres de charité, soins aux malades, accompagnement des agonisants ...
(à suivre)
17:17 Publié dans patrimoine de la solidarité humaine, patrimoine des chapelles à fresques en Corse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nessa, pino, belgodere, confréries féminines | Facebook |
29/09/2010
la confrérie féminine de San Petru di Nesce/Nessa
San Petru di Nesce, Pieve di Sant'Andrea
(Je reprends et complète, avec les informations les plus récentes, ma dernière note sur ce sujet)
E PISOCHJE (fresque du XV° siècle), dans le reste de l'abside du reste de la chapelle dans le cimetière...
Notre ami Joseph Orsolini , dans son ouvrage de référence: " L'Art de la Fresque en Corse de 1450 à 1520" (édité par le Parc Naturel Régional de la Corse) avait déjà tiré en 1989 la sonnette d'alarme pour signaler l'état désespéré et désespérant de ce petit joyau unique dans l'histoire des fresques de Corse.
La petite abside de cette chapelle dévorée par les sépultures anarchiques, massacrée par le ciment ...
Je cite Joseph Orsolini (p. 42):
" Heureusement pour notre connaissance du programme iconographique des fresques de l'Ile de Corse, le choeur de cette chapelle conserve encore, comme le bien le plus précieux de son ancienne grandeur, un tout petit détail pictural d'une première importance. Il s'agit de la représentation d'une confrérie de femmes toutes de blanc vêtues adoptant une attitude de prière (E Pisochje).
(...) Cette représentation de confrérie de femmes est un cas unique , une originalité dans l'ensemble des peintures murales existant aujourd'hui en Corse."
J'ai déjà par le passé écrit une "Brève de Purgatoire" (note du 11/07/2007) sur ce témoignage de Nessa. Je passe souvent dans ce lieu, avec tristesse et révolte. En cette année où l'on célèbre avec tant de faste et d'esthétique le monde des Confréries en Corse au Musée de Corte, je demande: ne fera-t-on rien pour sauver ce fragile témoignage d'une confrérie féminine? La Vierge en Majesté avec l'Enfant Jésus sur ses genoux qui occupait une partie importante de l'abside, Vierge de Miséricorde protégeant sous son manteau, me semble-t-il, cette confrérie de femmes , a quasiment disparu.
( visage de l'Enfant ? )
(le pied de l'Enfant Jésus)
(Ce qui reste de Saint Pierre tenant la clef du Paradis et le Livre saint)
Cette chapelle est inscrite au titre des Monuments Historiques depuis le 7 mars 1990. Je viens d'apprendre que la commune de Nessa a exprimé ( précisément le 29 janvier 2010) sa volonté de sauver ce patrimoine et le désir d' obtenir une subvention qui lui permettrait, pour un coût dérisoire, de transmettre aux générations futures ce témoignage unique en Corse.
Il faudrait enfin comprendre qu'on ne mesure pas toujours l'importance d'un patrimoine pictural communautaire à sa surface pas plus qu'on ne mesure l'importance d'un patrimoine chanté à ses décibels: ici ces quelques centimètres carrés peints en disent plus que bien des gloses.
(dossier à suivre)
19:33 Publié dans brèves du purgatoire, corse, patrimoine de la solidarité humaine, patrimoine des chapelles à fresques en Corse | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : fresques de corse, confrérie féminine de nessa | Facebook |
27/09/2010
Sur le plateau de Cauria
CAURIA, avec Philippe JACCOTTET
Coriaces, drues, dressées au matin d'automne, les chardonneuses sentinelles du plateau de Cauria.
Veille:
Et puis en silence tournés vers le soleil levant, i stantari. Contemplation.
"Poids des pierres, des pensées
Songes et montagnes
n'ont pas la même balance
Nous habitons encore un autre monde
Peut-être l'intervalle"
(...) En fait, de toutes mes incertitudes, la moindre (la moins éloignée d'un commencement de foi) est celle que m'a donnée l'expérience poétique; c'est la pensée qu'il y a de l'inconnu, de l'insaisissable, à la source, au foyer même de notre être. Mais je ne puis attribuer à cet inconnu, à cela, aucun des noms dont l'histoire l'a nommé tour à tour. Ne peut-il me donner aucune leçon, hors de la poésie où il parle -, aucune directive, dans la conduite de ma vie ?
Réfléchissant à cela, j'en arrive à constater que néanmoins, en tous cas, il m'oriente, du moins dans le sens de la hauteur (...)
(La plus haute espérance, ce serait que tout le ciel fût vraiment un regard)
Philippe JACCOTTET: Eclaircies, dans Paysages avec figures absentes. NRF Gallimard.
19:12 Publié dans balades en Corse, les pierres qui signent, préhistoire corse | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : plateau de cauria, préhistoire corse, philippe jaccottet | Facebook |
26/09/2010
Visiteurs du Pagliaghju ...
Mardi 21 septembre, en visite sur le site des Stantari du Pagliaghju ...
... ces deux touristes à quatre pattes, au moins, n'inscrivent pas leur passage sur papier toilette ... contrairement aux innombrables deux pattes de toutes nations qui jonchent le chemin de leurs doux -mots culiers triple épaisseur et vont même jusqu'à poser culotte sur quelque vénérable menhir à terre. Si, si, nous l'avons vu.
Le sacré souffle où il peut.
18:45 Publié dans balades en Corse, préhistoire corse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : menhirs de pagliaghju, mégalithisme corse | Facebook |