17/11/2010
Speloncato: Paul Giuliani nous a quittés
Paul Giuliani, le président de l'Association Saladini de Speloncato, nous a quittés.
Cette nuit, brutalement. Nous lui rendrons hommage un peu plus tard: pour le moment , c'est le chagrin et le silence. Ce soir les confrères de Speloncato chanteront pour lui l'Office des Morts et demain tous ses amis l'accompagneront pour sa messe d'enterrement, à la Collégiale de Speloncato, à 15h30.
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16/11/2010
Les confréries de Corse: l'exposition de Corte, suite
Les confréries de Corse
2°/ petite suite: survivre aux mutations du monde contemporain ...
" Le déclin des anciennes certitudes n’a pas signifié la disparition des besoins psychiques qu’elles satisfaisaient." (Octavio PAZ)
Sant' Andreu di Boziu: la Crucifixion avec deux confrères
Lu ce beau texte, écrit par Octavio PAZ : il s'agit d'une conférence donnée à Séville en 1991 et dont le titre était:
"Démocratie: l'absolu et le relatif"
( Itinéraire, chez Arcades/ Gallimard)
En voici quelques lignes significatives:
(…) Chaque homme est soif de totalité, faim de communion. C’est pourquoi il cherche le sens de son existence, autrement dit ce chaînon qui le relie au monde, qui le fait participer au temps et à son mouvement. C’est pourquoi encore il aspire à renouer avec cette intime réalité dont la naissance l’a brutalement séparé. Nous sommes suspendus entre solitude et fraternité. Chacun de nos actes vise à rompre notre isolement – notre condition d’orphelin – et à restaurer, fût-ce de façon précaire, notre union avec le monde et avec autrui. La démocratie moderne nous épargne les exigences exorbitantes et cruelles de l’Etat sous sa forme antique, à mi-chemin de la Providence et de Moloch. Elle nous offre la liberté, donc la responsabilité. Mais cette liberté, à défaut de se traduire par une reconnaissance des autres et de les inclure, est une liberté négative : elle nous enferme en nous-mêmes. Cruel dilemme : sans fraternité, la liberté se pétrifie ; sans liberté, la démocratie cède le pas à la tyrannie. Une contradiction fatale, au double sens du terme : nécessaire et funeste. Sans elle, nous ne serions pas libres, nous ne pourrions aspirer à notre seule dignité : être responsables de nos actes. Mais avec elle, simultanément, nous tombons dans un abîme sans fond : notre propre personne. C’est à cela que nous assistons dans les sociétés libérales modernes : la communauté se fracture, la totalité se disperse. A son tour, la scission de la société se répète en chaque individu : chacun est divisé, chacun est un fragment et chaque fragment tourne sans boussole, et heurte les autres fragments. En se multipliant, la scission engendre l’uniformité : l’individualisme moderne est grégaire. Etrange unanimité, faite de l’exaspération du moi et de la négation des autres."
***
Les confréries d'autrefois semblent avoir développé une certaine éthique que nous aurions aimé voir mise davantage en exergue dans cette exposition de Corte : le contraire de "l'exaspération du moi et de la négation des autres " ...
Elles marchaient sous leurs bannières, rappelant ainsi sous la trame de la vie l'humaine destinée: en voici deux choisies parmi tant d'autres, peintes pour une confrérie du Ghjunsani
Regardez bien, par transparence sous cette crucifixion veillée par nos confrères ...
... la méditation mélancolique de A FALCINA (la faucheuse)
Et sur cette autre bannière:
d'un côté la Mort à grandes enjambées
...tenant d'une main sa grande faux sanglante aux dents acérées
et de l'autre le sablier ailé ...
... tandis qu'au revers, l'aspiration à la rédemption, à la transcendance. Sur cette bannière le Christ couve du regard les deux confrères, dont l'un tient son flambeau allumé et l'autre, l'air épouvanté, regarde son flambeau éteint:
"Veillez: vous ne savez ni le jour ni l'heure " ...
Ces bannières populaires portent avec évidence leur message. D'un côté la Mort n'est pas, comme aujourd'hui, escamotée: elle s'inscrit dans le paysage quotidien des vivants, semblant lier à jamais l'humanité à son mortel destin - " la Mort pour tous et la Mort pour soi" - en paraphrasant le titre de l'excellent ouvrage de Marie-Hélène Froeschlé-Chopard: "Dieu pour tous et Dieu pour soi" (éditions de l'Harmattan). Mais de l'autre côté ces bannières anciennes sont avant tout une invitation à répondre communautairement à la dure loi de cette mort individuelle: un engagement éthique qui, par cette réponse confraternelle, défait les liens de la mort et ouvre les portes de la liberté...
***
"Nos aïeules récitaient d'interminables rosaires; nos filles répètent des slogans publicitaires." ( Octavio Paz, idem)
Parmi les plus beaux objets présentés à l'exposition de Corte, la magnifique série des bâtons de procession de la confrérie du Rosaire de Bonifacio m'a particulièrement impressionnée: c'est le seul cas que je connaisse en Corse du Rosaire ainsi conçue pour être "déambulée" ... En revanche cette dévotion reste l'une des plus populaires dans nos églises, moulinant dans un interminable et doux murmure la dévote prière : son iconographie récurrente, délivrant avec efficacité le cathéchisme pour tous, se retrouve illustrée au long des siècles dans les moindres chapelles de nos villages:
Ici l'autel du Rosaire dans l'église de l'Annonciation de Muro (anonyme, XVII°s): la Vierge et l'Enfant entre Saint Dominique et Sainte Catherine de Sienne
Sainte Catherine de Sienne et détail de la Résurrection, de l'Ascension, de la Pentecôte (Mystères glorieux) ...
... et un détail de la Nativité (Mystère joyeux): la paysanne en robe noire apporte le double réconfort d'un panier rempli d'oeufs et d'une corbeille, sur sa tête, pleine de linge, me semble-t-il...
Ou ici, cette représentation plus populaire des Mystères du Rosaire peints par le peintre de Nessa , Antonio Orsini (milieu XIX°s) pour Nessa ...
Mais toujours ces liens affectifs, fraternels, tissés entre les gens d'une communauté villageoise sur fonds de dogmes de l'Eglise ...
Que reste-t-il de l'esprit de ces époques? Le monde a changé. La survie, du moins pour une majorité des gens de notre époque est "assurée" - du moins l'on serait heureux de pouvoir l'affirmer! - par l'Etat "démocratique", cet Etat centralisé qui pense et agit à notre place pour "le bien du peuple", cet Etat dont nous voyons les visages successifs à la sacro sainte Télé à grand renfort de suspens médiatisé ... La précarité n'est plus prise en charge par des gens reconnaissables, la charité s'exerce à distance : les confréries n'ont plus réellement cette mission première d'entraide au sein de la communauté sans laquelle autrefois l'on ne pouvait survivre ... Or cette nécessité de jadis cimentait plus sûrement le groupe (la confrérie du village faisant office de famille élargie) que la satiété de nos jours ...
[Mais gardons-nous du passéisme: les gens d'autrefois n'étaient pas meilleurs que ceux d'aujourd'hui et nous assistons chaque jour à la création d'associations caritatives très actives avec des gens formidables de tous bords qui luttent - par les banques alimentaires, les restaus du coeur, les aides au logement, à l'éducation , à la recherche médicale ... - pour soulager la misère des innombrables laissés pour compte de notre société ... En Corse comme ailleurs.]
En revanche, ces confréries d'aujourd'hui, en dehors de leur fonction purement religieuse ( si l'on peut dire, le religieux et l'humain se pénétrant sans relâche: il n'y a, pour s'en convaincre, qu'à assister par exemple à un Office des Morts fraternellement célébré pour un membre de la communauté ) et de la dynamique propre au travail du chant ( prenant en charge le riche patrimoine du chant local, dans sa recherche et dans toute sa diversité, dans sa transmission mais aussi dans sa créativité), nos confréries, donc, ont clairement un rôle à jouer dans le maintien et l'enrichissement du lien social et dans une reconnaissance identitaire positive. Tel jeune en mal d'être, échappé des cadres structurants habituels de la société, peut retrouver là un espace de communication, de parole, de respect. La place faite naturellement aux plus humbles, aux plus fragiles, aux plus simples, serait une raison largement suffisante pour justifier la vie de ces nouvelles confréries et exprime alors le meilleur de la spiritualité humaine.
Enfin soulignons que ce besoin de confraternité a toujours existé , il est inhérent à la nature humaine, partout dans le monde, qu'il s'exprime ou non au sein de structures religieuses, chez les chrétiens, chez les musulmans , chez les franc-maçons, etc ... et prenant souvent le relais de structures étatiques centralisées et défaillantes , avec ses aspects positifs mais aussi parfois dangereux ... Ceci est un autre problème!
(à suivre)
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12/11/2010
Corte: l'exposition sur les Confréries de Corse
Corte, le 9 novembre dernier (enfin!),
visite au Musée de la Corse de l'exposition
" Les CONFRERIES de CORSE,
Une société idéale en Méditerranée"
1°/ les "objets"
Une exposition qui présente dans une scénographie recherchée un ensemble bien représentatif d'oeuvres et d'objets liés au monde des confréries - encore si présent dans la Corse d' aujourd'hui . Parole d'épouse de confrère!
le maître-autel de la Confrérie Santa Croce de Corte
M'étaient familières un grand nombre de ces oeuvres présentées, pour les avoir visitées, admirées, reconnues dans les églises ou les chapelles de confrérie de notre région, chacune ayant une histoire, un rôle à jouer, exprimant dans une grande diversité une même communauté d'esprit.
Visite d'autant plus utile qu'elle avait été préparée par la lecture du très intéressant "catalogue" conçu pour accompagner l'exposition.
On ne préserve bien que ce que l'on a appris à connaitre.
Lorsque ces "objets" regagneront leur pénates, on aimerait être sûrs que, grâce à cette exposition, leur signification soit désormais à nouveau lisible, re-connaissable pour tous ceux qui les rencontreront à nouveau, touristes de passage ou villageois dans leur communauté où ces objets sont nés d'une certaine nécessité et pour un certain usage.
L'un des tableaux de présence de confrérie rencontrés "in situ" dans une petite église, objet remarquable qui dit beaucoup: ce système de "pointage" indiquant l'emplacement de quatre réunions mensuelles , portant des listes successives collées les unes sur les autres de noms (de générations) , implique une contrainte librement consentie, l'acceptation de la règle et l'effacement de l'individu au profit de la solidarité de la communauté (microrégionale!) des vivants. Probablement l'un des "objets" les plus parlants lorsque l'on veut évoquer le monde des confréries. Je reviendrai là-dessus plus longuement: il s'agira alors d'évoquer le rôle politique - au sens premier du mot - de la confrérie au sein de sa communauté. Autrefois.
Mais aussi solidarité avec les morts: voyez ces petites âmes du Purgatoire, en particulier celle-ci qui s'exerce à la corde à noeuds - le cordon de la robe de bure du bon Saint Antoine de Padoue - pour s'extraire des flammes ...
La bannière de confrérie (Francescu Carli, actif en Corse pendant le dernier tiers du 18°s et mort en 1821) peinte pour la confrérie de Stoppia Nova: faire pénitence, contempler, adorer et imiter , enfin ... tenter! , et se conduire au mieux des intérêts profonds de la communauté. L'on sait que Pasquale Paoli et son frère Clemente furent confrères dans cette confrérie, mais ont- ils connu cette bannière?
***
Qu'il soit occasionnellement visible pour certains objets, comme les claquoirs, heurtoirs, crécelles du Vendredi Saint, palmes, tableaux de présence, chandeliers,
(en Castagniccia, ce chandelier des Ténèbres, le petit frère de celui que vous verrez à l'exposition)
à l'arrière des ailes de notre ange, un document collé, écrit en français et en italien daté de 1790 ...
... lanternes, bannières de procession, installations des sepolcri ...
"A sera,dopu cena, si falava in chjesa à veghnà u sepolcru canatndu "U Perdono".
A matina di u Venneri Santu, si aspettava cruciani chi falanu per "visità" u nostru belli sepolcru; facianu e so ppreghere è si ne cullavanu.
Tandu, nisunu manghava carne, ove, casgiu è mancu si biia latte; si facia Quaresimu severu."
(Petru Vachet-Natali: Monografia , Tupunumia di Ficaghja, éditions Anima Corsa)
Ici le sepolcru de Ficaghja, peint par Francescu Carli installé pour la Semaine Sainte 2010 (vous verrez à Corte celui de San Damianu) : à l'origine, le prêtre officiait à l'intérieur de cette chapelle constituée par ces grands panneaux peints amovibles, sur un petit autel dressé aufond de l'ensemble, derrière le panneau/antependium de la Déploration du Christ. Un bel exemple de ce patrimoine fragile et éphémère comme peut l'être un décor de théâtre démontable et à usage ponctuel : trois jours par an ... Nous qui sommes gavés d'images et de sons, nous n'avons pas même idée de l'émotion que pouvait provoquer chez les gens de Ficaghja cette mise en scène de la Passion :
Imaginez-vous un instant à cette époque - sans ce matracage audiovisuel continu qui nous pétrit les neurones aujourd'hui à longueur de journée, ( je sais, presque impossible d'y échapper sauf dans une cellule monacale ) , pénétrant lors de la Semaine Sainte dans la pénombre de l'église seulement éclairée, au fond, par la lueur crépitante des bougies et des lampes à huile, accueillis par ces deux redoutables personnages moustachus gardiens du sepolcru. Dans l'odeur âcre des cierges , horreur, délices et compassion font leur oeuvre, d'autant que tout cela se vit ensemble ...
Conditionnement redoutable, me direz-vous. Certes. Mais faut-il préférer le nôtre?
Autre patrimoine éphémère: celui tressé pour les processions de la Cerca (ici à l'oeuvre une jeune femme travaille au grand palme de Brandu le Jeudi Saint 2010). Le rôle, alors de la transmission...
La transmission par le geste: attention! ces vieilles mains sont très agiles et cela va très vite! Brando, Jeudi Saint 2010.
ou que ce patrimoine soit plus quotidien, plus "habituel" - je veux dire que l'on ne le regarde même plus tant on a l'habitude de le voir - comme ces autels de dévotion, leurs décors peints ou leurs toiles, souvent emberlificotés de fleurs artificielles dans des pseudo-vases chinois, de guirlandes électriques et de statues saint-sulpiciennes emplâtrées d'amour, ce patrimoine est en danger dès lors qu'on n'en possède plus le sens. Mais il est bien aussi en danger lorsqu'il devient uniquement esthétique et qu'il cesse de s'inscrire dans une trame humaine où l'on sent que l'on a encore sa place, que l'on soit pieux ou non. Quelque part je préfère un patrimoine qu'on tripote avec amour qu'un patrimoine mis sous cloche.
même ripolinée (!) la Vierge de Miséricorde (Santa Croce) protège les confères de Corte . Un univers symbolique qui s'adresse à tous ... Un désir de protection universellement partagé et immédiatement lisible mais aussi un ripolinage hautement symbolique: rénover n'est pas restaurer!
Le rôle d'une telle exposition ne serait-il pas avant tout de nous apprendre à re- connaître notre patrimoine matériel et immatériel pour le préserver et le transmettre aux générations qui nous suivent: pas de transmission sans connaissance, pas de connaissance sans émotion, pas d'émotion sans récepteurs désencrassés.
Encore faudrait-il s'entendre sur le sens profond de ce monde des confréries. Un monde multi-pistes, plus facile à appréhender avec les yeux, les oreilles, l'analyse historique ou ethnographique qu'avec les outils de l'affect. Aujourd'hui, entre débâcle et nostalgie, déliquescence et reconstruction ... Un monde comme moribond qui se refuse à mourir par tous les moyens, et qui sait qu'il doit transmettre parce qu'il ressent sa légitimité mais transmettre quoi, au juste?.
Je n'ai pas encore trouvé une analyse satisfaisante du rôle des confréries d'autrefois, en particulier par leur implication dans la vie sociale et politique de leur temps, ni de cette résistance inventive des confréries d'aujourd'hui, avec leurs failles et leurs forces, oscillant entre la forme et l'esprit ... Il faut peut-être essayer de faire sortir ces confréries de la naphtaline où on les entrepose parfois sans en être conscient au risque d'en donner une image identitaire passéiste, celle dont sont friands nos amis touristes de passage ...
L'article de Marie-Eugénie Poli-Mordiconi consacré à ce sujet dans le catalogue de l'exposition sous le titre:" Confréries et société contemporaine, ou l'histoire d'un dialogue ininterrompu", apporte des éléments de réflexion très intéressants. Cela dit, il me semble que l'inventaire des confréries de Corse d'aujourd'hui reste à faire, chacune étant porteuse de ses particularités et de son histoire, et ne pouvant rentrer dans un simple questionnaire administratif: les personnalités qui composent ces confréries ne forment pas un matériau stable ni homogène. L'usure des bonnes volontés parfois se fera ici sentir très tôt, ailleurs au contraire, l'énergie résistante et créatrice d'un seul dynamisera un ensemble plus vaste dans une région, ou encore un certain esprit de compétition amènera à des rebondissements inattendus, à de nouvelles créations. Pourtant de plus en plus il m'apparait qu'en absence d'une réflexion communautaire sur le véritable enjeu de la confrérie, le ciment du chant retrouvé et des gestes renoués ne suffira plus à consolider l'édifice: l'enjeu se passe ailleurs, et c'est bien cela qu'il faudrait arriver à analyser.
Parmi d'autres, une question demeure en suspens: quelle relation possible entre démocratie contemporaine et confraternité ? Le sous-titre de l'exposition: "UNE SOCIETE IDEALE EN MEDITERRANEE" devrait nous ouvrir les portes d'une certaine réflexion ... à condition d'accepter de s'engager sur un terrain dépourvu de garde-fous.
A propos des confréries d'aujourd'hui, je vous invite à découvrir, car c'était une découverte pour moi, le beau blog des Bonifaciens et Amis de Bonifacio, de CANONICI: à propos des confréries, voir sa note des cérémonies au cimetière San Franzè de Bonifacio, 2 novembre 2010 ...
(à suivre)
13:56 Publié dans patrimoine de la solidarité humaine, patrimoine populaire de Corse | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook |
06/11/2010
Cimetière: Bonifaziu
Le cimetière marin de Bonifacio,
( quelques pas avec Jean Tardieu, Philippe Jaccottet, Jean-Baptiste Stachino et Paul Valéry)
le 20 septembre dernier, la ville des morts, vue sur la mer
" Choeur d'enfants
(à tue-tête et très scandé)
Tout ça qui a commencé
il faut bien que ça finisse:
la maison zou l'orage
le bateau dans le naufrage
le voyageur chez les sauvages.
ce qui s'est manifesté
il faut que ça disparaisse:
feuilles vertes de l'été
espoir jeunesse et beauté
an-ci-en-nes vérités.
Moralité.
Si vous ne voulez rien finir
évitez de rien commencer.
Si vous ne voulez pas mourir,
quelques mois avant de naître
faites-vous décommander"
( Jean TARDIEU dans"Chansons avec ou sans musique",
Le fleuve caché , édition Poésie Gallimard)
petite tombe sous sa couette fleurie:
"S'il se pouvait (qui saura jamais rien?)
qu'il ait encore une espèce d'être aujourd'hui,
de conscience même que l'on croirait proche,
serait-ce donc ici qu'il se tiendrait,
dans cet enclos, non pas dans la prairie?
Se pourrait-il qu'il attendît ici
comme à un rendez-vous donné "près de la pierre"
qu'il eût l'emploi de nos pas muets, de nos larmes?
Comment savoir? Un jour ou l'autre, on voit
ces pierres s'enfoncer dans les herbes éternelles,
tôt ou tard il n'y a plus d'hôte à convier
au repère à son tour enfoui,
plus même d'ombres dans nulle ombre."
(Philippe Jaccottet: "A la lumière d'hiver"
édition nrf, Poésie Gallimard)
et celle là, dans un coeur:
"LIBRE"
En fait dans notre errance au cimetière, je cherchais un nom, celui de l'ancien organiste de Sainte Marie Majeure, J.B. STACHINO, rencontré chez lui vers 1988 à Bonifacio. Alors très âgé - plus de quatre vingt dix ans - il nous avait reçus très gentiment, nous montrant le Cahier d'orgue manuscrit de son père, à qui il avait succédé dans sa charge d'organiste à Ste Marie. Témoignage précieux d'un répertoire joué au XIX° siècle à Bonifacio : entre deux messes, entre deux hymnes, des transcriptions d'airs d'opéras à la mode mises à la sauce liturgique, pour des entrées et des sorties tonitruantes, des offertoires musclés, des élévations sentimentales, des communions guillerettes, bref, un univers musical bien éloigné de l'esprit de nos concerts actuels mais certainement moins fade que la soupe insipide que l'on doit trop souvent servir aux messes d'aujourd'hui ...
Puis il s'était mis à son vieil harmonium asthmatique, pédalant avec la dernière énergie pour plaquer de ses mains immenses quelques grands accords fièvreux : tout ce qui lui restait de ce monde ancien où la vie musicale des gens de Bonifacio passait par l'église ... Je rappellerai seulement que Bonifacio était riche au début du XX°s. de ses quatre orgues de facture italienne, hélas tous hors d'usage actuellement :
- Saint Dominique (orgue classé aujourd'hui): L.De Ferrari 1843. Cet orgue comporte des éléments du XVIII° s et l'on nourrit des espoirs de le voir restauré dans les années à venir.
- Saint Erasme : A. De Ferrari ?
- Saint François: L. et G. De Ferrari 1852
- Sainte Marie Majeure: L. et G. De Ferrari 1842.
Cet orgue que jouaient les Stachino père (Lazare) et fils (Jean-Baptiste) avait été remanié à plusieurs reprises: actuellement il git dans un état alarmant, démonté et entreposé dans l'église saint Dominique ... de quoi se retourner dans sa tombe!
faux sommier, étiquettes de registre ...
abrégé ...
le clavier (refait) de 54 notes (pas d'octave courte),
et les grandes mains fantômes de Lazare et Jean Baptiste dessus ...
... tuyaux ... misère de misère!
Est-ce une tombe de la famille de "notre" Stacchino? Toujours est-il que cette rencontre reste accrochée dans ma mémoire comme une présence douce-amère et tisse des liens avec ce cimetière de Bonifacio ...
un forum des morts
fragile pertpétuité
(...) "Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change!
Après tant d'orgueil, après tant d'étrange
Oisiveté, mais pleine de pouvoir,
Je m'abandonne à ce brillant espace,
Sur les maisons des morts mon ombre passe
Qui m'apprivoise à son frêle mouvoir (...)
éternité sanglée
(...) Les morts cachés sont bien dans cette terre
Qui les réchauffe et sèche leur mystère.
Midi là-haut, Midi sans mouvement
En soi se pense et convient à soi-même ...
Tête complète et parfait diadème,
Je suis en toi le secret changement. (...)
(...) Le vent se lève! ... Il faut tenter de vivre!
L'air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs!
Envolez-vous, pages tout éblouies!
Rompez, vagues! Rompez d'eaux réjouies
ce toit tranquille où picoraient des focs!"
(Paul VALERY: LE CIMETIERE MARIN)
17:38 Publié dans corse, la mort, poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bonifacio, cimetière, lazare stachino organiste, orgue sainte marie de bonifacio, jean tardieu, philippe jaccottet, paul valéry | Facebook |
22/10/2010
Petite séquence autour d'Eve
Eve, San Quilicu di Cambia
A la nostalgie
Tombée du paradis en deuil et pour ces crimes
Navrée ton oeil profond sous le poids des cheveux
Vêtue ou dévêtue de ces malheurs affreux
Tu es femme d'un grand silence et d'un poil pur
Aime ou sois éloignée d'aimer
(...)
(Pierre-Jean JOUVE: Matière céleste, édition Poésie Gallimard)
14:11 Publié dans poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |