Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

14/10/2020

Sur le territoire de Pratu di Ghjuvellina, ce lumineux 13 octobre 2020, visite de A Tribuna et E Line

A Tribuna companie.jpg

Hier , en très bonne compagnie (merci à l'ami Stéphane Orsini d'avoir pu se libérer pour nous accompagner! ), nous avons pu partager cette journée miraculeusement lumineuse autour du patrimoine de A Tribuna (voir la note précédente) et du village abandonné de E Line (voir la note http://elizabethpardon.hautetfort.com/archive/2014/03/16/pieve-di-ghuvellina-l-occupation-medievale-d-e-line-5323684.htm)

 

 

 

A Tribuna côté est.jpg

A Tribuna , église piévane dédiée à Saint Gervais et Saint Protais, à Canavaghjolu, toujours un peu difficile à trouver ...

A Tribuna le linteau.jpg

le linteau de la porte ouest de A Tribuna

E Line san Cervone.jpg

les restes du mur sud de San Cervone au village de E Line: depuis le site d  A Tribuna un sentier nous fait grimper vers cet extraordinaire village abandonné

E Line porte ouest San Cervone.jpg

Les restes du mur occidental de San Cervone

E Line le four à pain.jpg

Dans le village, le four à pain

e Line détail maison forte.jpg

Détail d'une maison forte

E line détail pilier d'angle.jpg

et son impressionnant pilier d'angle

E Line le réservoir.jpg

E Line domine de puis sa colline arrondie un vaste paysage, ce jour là, habité par la tranquille migration d'un blanc troupeau de nuages. Ici le petit bâtiment d'un réservoir.

la tour de Monte Albano.jpg

Et là-haut, veillant sur E Line, la tour de Monte Albano ...

( voir la note sur Monte Albano: http://elizabethpardon.hautetfort.com/archive/2009/04/index.html )

12/10/2020

La piévanie SS. Gervasio et Protasio de Giovellina à Prato, dite a Tribuna-

Je m'apprête à retourner visiter demain en bonne compagnie le site de "A Tribuna" et en profite pour rééditer cette note déjà ancienne (2014)

 La Plebania de Ghjuvellina, diocèse d'Aleria

" SS. Gervasio et Protasio"

à  Pratu di Ghjuvellina

dite "a Tribuna"

La grande archéologue Geneviève Moracchini-Mazel, qui vient de nous quitter, avait l'intention de publier un Cahier Corsica sur ce site, mais voulait avant de le faire, encore vérifier certains éléments.

Nous espérons que la FAGEC (longue vie à elle!) pourra mener à bien cette dernière quête et publication posthume ...

En attendant, cette note:

façade ouest.jpg

Nous avions cherché et  visité une première fois ce très beau site  au cours d'une balade mémorable le lundi de Pâques 2009 :

Pieve de Giovellina: Torre di Monte Albano et a ... - elizabeth pardon

elizabethpardon.hautetfort.com/.../pieve-de-giovellina-torre-di-monte-al...
 
et en compagnie de nos amies Michelle, Christiane et Colette, nous  y sommes retournées le 7/3/2014  au cours d'une belle journée impromptue et ensoleillée où nous avons appris, à nos dépens, combien la mémoire peut nous jouer des tours ... Bref, la perception de ce site en 2009 miraculeusement trouvé la première fois au terme d'une longue descente quelque peu erratique depuis la Torre de Monte Albano a passablement perturbé notre souvenir et notre entendement.
Fragilité des témoignages humains, mais cela est une autre histoire !

carte IGN.jpg

la carte IGN et le site "Pieve"  : merci à Michelle Lafay !

Geneviève Moracchini-Mazel s'était longuement interrogée sur la signification du qualificatif de Tribuna, resté dans la mémoire orale des anciens jusqu'à nos jours, les habitants de Prato parlant d'un "Tribunal". Ecoutons-la, dans son ouvrage ancien, Les églises romanes de Corse, publié en 1967:

"Nous étions à priori sceptique; le mot Tribuna pouvait également signifier "sanctuaire", "abside", comme en langue italienne. Puis nous nous sommes aperçue que le cas de la Tribuna de Giovellina n'était pas unique; il se trouve notamment à Figari où l'on voit les ruines d'une part de l'ancienne église piévane San Giovanni et plus loin celles d'un autre édifice appelé également Tribuna qu'on considérait jadis comme un Tribunal si on en croit la tradition orale recueillie à Figari même auprès de personnes fort âgées. En outre comme plusieurs lieux-dits relatifs à une cour de justice subsistent dans plusieurs pieves et presque toujours non loin des églises pievanes - désignant même de simples champs à l'intersection de sentiers muletiers (Corte, arringo, pietra per giurare, pietra all'arringo, voir dans le Vol II, la liste de ces lieux-dits), nous avons voulu être éclairée à ce sujet, d'autant plus que nous ne connaissions pas de cas analogues dans d'autres pays, pas même en Toscane".

 

Plan.jpg

(le plan de la Tribuna dans "les églises romanes", opus cité plus haut , p. 112)

Elle avait procédé à des fouilles en 1961, dégageant le sol de l'abside et émis alors  l'hypothèse que cet édifice, malgré son plan classique à nef unique avec son abside orientée à l'est, était à l'origine un Tribunal et non une église.

Disposition abside.jpg

Dispositions retrouvées dans l'abside de la "Tribuna" (idem, p. 112)

Statuette.jpg

Statuette brisée (idem, p. 113) retrouvée lors de la fouille de la Tribuna, évoquant, pour G.M.Mazel, les personnages ornant les façades des églises piévanes d'Aregno,  de Murato etc ...:

 

u pratu di ghjuvellina,pieve de ghjuvellina,saint gervais et saint protais

comme ici à la Trinità d'Aregno

 

 

"Comme nous avons entendu dire aux paysans et villageois que ces statuettes sont le portrait d'"anciens seigneurs" et que l'expérience nous a enseigné à ne jamais négliger tout à fait en Corse la leçon de la tradition orale, nous nous sommes demandé si la présence de ces sculptures en haut-relief n'avait pas pour but de fixer le souvenir de l'aide morale et de la contribution financière qu'auraient apportées les seigneurs du temps à l'édification de ces divers monuments et plus particulièrement à celle des piévanies; ou bien encore ces personnages jouaient-ils un rôle avec le tribunal de la piévanie?" (idem, p. 113)

 

Mais depuis  elle avait revu cette hypothèse, écrivant dans son ouvrage Corsica Sacra (vol.1, 2004) p.245:

"Le titre de la plebania de Giovellina, selon Mgr AG. Giustiniani et Mgr Nic. Mascardi, était bien S. Gervas et Protas". Une lecture fautive d'un paragraphe du texte de Mgr Mascardi m'avait fait croire que l'église S. Cervone était la plebania, à côté de laquelle avaient vécu jadis les évêques d'Omessa.

Ces deux églises ruinées se trouvent à 15 mn de marche l'une de l'autre. Mais on peut penser que c'est bien au lieu-dit Pieve que se trouvait la plebania et non pas à S. Cervone. ...que nous avons pu visiter depuis, voir la note:

San Cervone : ELIZABETH PARDON

elizabethpardon.hautetfort.com/san-cervone/

L'église en partie ruinée que l'on y voit parait datable de la première moitié du XI°s. environ, et j'ai supposé qu'elle avait eu un rôle judiciaire particulier. En effet, son qualificatif de "Tribuna" permet de croire que l'on s'est souvenu longtemps du rôle d'édifice abritant des sessions de justice en alternance avec les offices religieux".

 

vue de loin.jpg

(vue de loin)

"(...) le site de la Pieve nous a paru celui d'une petite bourgade romaine. C'est une sorte de plateau fertile placé entre deux petits cours d'eau où l'on peut ramasser de nombreuses briques et tuiles à crochets d'époque romaine et corso-romaine. On nous a montré à 150 mètres de la Tribuna l'emplacement aujourd'hui obstrué par la végétation d'un orifice appareillé en briques. Il s'agit peut-être d'une canalisation romaine ."

( les églises romanes de Corse, p. 300- 1967)

 

Prato Tribuna façade ouest.jpg

la façade occidentale

 

P1140923.JPG

le linteau de la porte occidentale, un monolithe de schiste vert: semble-t-il, un menhir  brisé et réutilisé.

Ecoutons à nouveau G.M.Mazel:

 

"Exista-t-il une piévanie paléochrétienne à Giovellina? c'est possible, car le site est celui d'une petite villa romaine (briques et tegule aux environs immédiats").

En tous cas des remplois sculptés se voient dans ses maçonneries; en outre, le linteau de la porte occidentale parait être un menhir retaillé et redécoré d'un entrelacs." (idem, Corsica Sacra  p.246)

linteau décoré entrelacs.JPG

"retaillé et décoré d'un entrelacs" (merci Michelle pour cette photo!) : j

'ignore à quoi pouvaient servir les deux "trous" creusés de part et d'autre.

 

 

façade ouest intérieur.jpg

façade occidentale intérieure

mur nord.jpg

le mur intérieur nord a perdu ses beaux parements de granit, dalles arrachées et certainement récupérées: démembrement ...

éléments  décorés recueillis.jpg

et, récupérés,  des éléments décorés recueillis de la corniche de l'abside

mur sud.jpg

le mur sud,

mur sud et  lierre.jpg

 habité d'un lierre qu'il faudrait sans doute couper avant qu'il n'achève de desceller les belles dalles de granit rose, ocre et vert .

abside.JPG

l'abside (photo M. Lafay), environ haute d'un mètre.

ensemble vu de l'abside.JPG

vue intérieure depuis l'abside:  dans le mur sud s'ouvrait une porte latérale dont il ne reste plus rien.

vue de l'abside  est.jpg

le chevet est

détail muratura.jpg

muratura, détail du mur sud

 

L'énigme de la dédicace de la plebania de Giovellina à SS. Gervasio et Protasio:

St Gervais et St Protais tapisserie du Mans.jpg

(le martyre des  deux saints jumeaux,  Gervais et Protais :

Tapisserie du Mans)

 

écoutons à nouveau G. M. Mazel dans sa Corsica Sacra, p. 246:

"Pourquoi donc ce patronage de ces deux martyrs - unique en Corse dans une piévanie - on ne le sait pas.

On peut seulement rappeler que c'est le 19 juin 386 que l'évêque de Milan Ambrogio, qui avait été avocat avant de devenir évêque, découvrit les tombes de ces martyres du III°s., Gervasio et Protasio. C'est après cet évènement que le culte de ces deux saints, dont onne sait pas grand chose par ailleurs, se développa en Occident, avec fête le 19 juin, jour de l'invention de leur corps."

Invention des reliques des Sts Gervais et Protais par St Ambroise 386 - Philippe de Champaigne.jpg

Philippe de Champaigne (1658) : l'Invention des reliques des deux saints martyrs Gervais  et Protais par Saint Ambroise.

 

u pratu di ghjuvellina,pieve de ghjuvellina,saint gervais et saint protais

S. Ambrogio, détail de la  fresque des quatre Docteurs de l'Eglise à la Trinità d'Aregno

 

 

 la version brève :

(avec Louis Réau, Iconographie de l'art chrétien, p.588):

" Fils jumeaux de saint Vital et sainte Valérie. Après le martyre de leurs parents, ils vendent tous leurs biens dont ils distribuent le prix aux pauvres et se font baptiser.

Appréhendés sur l'ordre de Néron, ils refusent d'abjurer et de sacrifier à Jupiter.

Ils sont alors traînés en prison, où un ange les réconforte, puis flagellés avec des lanières plombées et enfin décapités.

(...) Deux siècles plus tard , à la suite d'une révélation,   saint Ambroise, évêque de Milan, fait exhumer les corps miraculeusement conservés des deux martyrs. L'invention de leurs reliques est suivie d'une translation solennelle au cours de laquelle un aveugle qui touche le cercueil avec un linge recouvre la vue tandis que le diable sort du corps d'un possédé. Les ossements sont déposés dans la basilique où saint Ambroise se fit enterrer à côté d'eux en 397.

A partir de ce moment , les deux saints devinrent les patrons de Milan. (...)" (Louis Réau)

twins.jpg

Philippe de Champaigne (Apparition des saints Gervais et Protais à Saint Ambroise, 1658, Musée du Louvre)

Une hypothèse:

SS Gervasio et Protasio auraient donc subi le martyre en refusant de sacrifier à Jupiter, or nous sommes dans la pieve de Giovellina, et voici ce qu'en dit G. Moracchini-Mazel dans une note bien intéressante de ses Eglises romanes de Corse, parlant toujours de la pieve de Giovellina:

 " C'est dans ces parages, soit au pied des aiguilles de Giovellina, que nous chercherions volontiers les traces d'un sanctuaire païen dédié à Giove (car Giovellina vient, dit-on,  de Giove); en effet ce massif montagneux est si impressionnant qu'il a dû être consacré aux divinités depuis les temps les plus reculés, et, en bonne logique, au maître des dieux, à l'époque romaine."  ( les églises romanes de Corse, p. 300- 1967).

Il n'est donc pas impossible que  ces deux saints aient été spécialement et très anciennement  choisis pour "christianiser" une région fortement marquée par le culte rendu à Giove ...

 

- Et pour les plus courageux, la version longue dans La Légende dorée –        de Jacques de Voragine: 

SAINT GERVAIS ET SAINT PROTAIS

Gervais (Gervasius) vient de gérar, qui veut dire sacré et de vas, vase, ou bien de gena, étranger et syor, petit. Comme si l’on voulait dire qu'il fut sacré par le mérite de sa vie, vase (146) parce qu'il contint toutes les vertus, étranger parce qu'il méprisa le monde et petit parce qu'il se méprisa lui-même.

Protais (Protasius) vient de prothos, premier et syos, Dieu ou divin ; ou bien de pocul et stasis, qui se tient loin. Comme si l’on voulait dire qu'il fut le premier par sa dignité, divin par son amour, et éloigné des affections du monde. Saint Ambroise trouva l’histoire de leur martyre dans un écrit placé auprès de leur tête.

 

Gervais et Protais, frères jumeaux, étaient les enfants de saint Vital et de la bienheureuse Valérie. Après avoir donné tous leurs biens aux pauvres, ils demeurèrent avec saint Nazaire, qui construisait un oratoire à Embrun, et un enfant appelé Celse lui apportait les pierres (c'est anticiper sur les faits de dire que saint Nazaire avait Celse à son service, car d'après l’histoire du premier, ce fut, longtemps après que Celse lui fut offert). Or, comme on les conduisait tous ensemble à l’empereur Néron, le jeune Celse les suivait en poussant des cris lamentables : un des soldats ayant donné des soufflets à l’enfant, Nazaire lui en fit des reproches, mais les soldats irrités frappèrent Nazaire à coups de pied, l’enfermèrent en prison avec les autres et ensuite le précipitèrent dans la mer : ils menèrent à Milan Gervais et Protais. Quant à Nazaire, qui avait été sauvé miraculeusement, il vint aussi dans cette ville. Au même temps, survint Astase, général d'armée qui partait pour faire la guerre aux Marcomans. Les idolâtres allèrent à sa rencontre et lui assurèrent que les dieux se garderaient de rendre leurs oracles si Gervais et Protais ne leur offraient d'abord des sacrifices. On s'empare alors des deux frères et on les invite à sacrifier. Comme Gervais disait à Astase  que toutes les idoles étaient sourdes et muettes, et que le Dieu tout-puissant était seul capable de lui faire remporter la victoire, le comte le fit frapper avec des fouets garnis de plomb jusqu'à ce qu'il eût rendu l’esprit. Ensuite il fit comparaître Protais et lui dit : « Misérable, songe à vivre et ne cours pas, comme ton frère, à une mort violente. » Protais reprit : « Quel est ici le misérable ? Est-ce moi qui ne te crains point, ou bien toi qui donnes des preuves que tu me crains? » Astase lui dit : « Comment, misérable, ce serait moi qui te; craindrais, et comment? » « Tu prouves que tu crains quelque dommage de ma part, reprit Protais, si je ne sacrifie pas à tes dieux, car si tu ne craignais aucun préjudice, jamais tu ne me forcerais à sacrifier aux idoles. » Alors le général le fit suspendre au chevalet. «Je ne  m’irrite pas contre toi, général, lui dit Protais ; je sais que les yeux de ton coeur sont aveuglés ; bien au contraire, j'ai pitié de toi, car tu ne sais ce que tu, fais. » Achève ce que tu as commencé, afin que la bénignité du Sauveur daigne  m’accueillir avec mon frère. Astase ordonna alors de lui trancher la tête. Un serviteur de J.-C. nommé Philippe, avec son fils, s'empara de leurs corps qu'il ensevelit en secret en sa maison, sous une voûte de pierre ; et il plaça à leur tête un écrit contenant le récit de leur naissance, de leur vie et de leur martyre. Ce fut sous Néron qu'ils souffrirent, vers l’an du Seigneur 57. Longtemps leurs corps restèrent cachés, mais ils furent découverts au temps de saint Ambroise de la manière suivante: Saint Ambroise était en oraison dans l’église des saints Nabor et Félix ; il n'était ni tout à fait éveillé, ni entièrement endormi; (148) lorsque lui apparurent deux jeunes gens de la plus grande beauté, couverts de vêtements blancs composés d'une tunique et d'un manteau, chaussés de petites bottines, et priant avec lui les mains étendues. Saint Ambroise pria, afin que si c'était une illusion, elle ne se reproduisît plus, mais que si c'était une réalité, il eût une seconde révélation. Les jeunes gens lui apparurent de la même manière à l’heure du chant du coq, et prièrent encore avec lui ; mais la troisième nuit, saint Ambroise, étant tout éveillé (son corps était fatigué par les jeûnes) fut saisi de voir apparaître une troisième personne qui lui semblait être saint Paul, d'après les portraits qu'il en avait vus. Les deux jeunes gens se turent et l’apôtre dit à saint Ambroise: «Voici ceux qui, suivant mes avis, n'ont désiré rien des choses terrestres; tu trouveras leurs corps dans le lieu où tu es en ce moment ; à douze pieds de profondeur, tu trouveras un coffre de pierre contenant leurs restes, et auprès de leur tête un petit volume contenant le récit de leur naissance et de leur mort. » Saint Ambroise convoqua donc ses frères, les évêques voisins; il se mit le premier à creuser la terre, et trouva le tout comme lui avait dit saint Paul ; et bien que plus de trois cents ans se fussent écoulés, les corps des saints furent découverts dans le même état que s'ils venaient d'être ensevelis à l’heure même. Une odeur merveilleuse et extraordinairement suave émanait du tombeau.

Or, un aveugle, en touchant le cercueil des saints martyrs, recouvra la vue, et beaucoup d'autres furent guéris par leurs mérites. On célébrait cette solennité , en l’honneur des saints Martyrs quand fut rétablie la  paix entre les Lombards et l’empire romain. Et c'est pour cela que le pape saint Grégoire institua de chanter pour introït de la messe ces paroles : Loquetur Dominus pacem in plebem suam *. En outre les différentes parties de l’office en l’honneur de ces saints se rapportent tantôt à eux, tantôt aux événements qui survinrent à cette époque. Saint Augustin raconte, au livre de la Cité de Dieu, qu'un aveugle recouvra à Milan l’usage de la vue auprès des corps des saints martyrs Gervais et Protais, et cela en sa présence, devant l’empereur et une grande foule de peuple. Est-ce l’aveugle dont il a été question plus haut, est-ce un autre, on l’ignore. Le même saint raconte encore, dans le même ouvrage, qu'un jeune homme lavant un cheval dans une rivière près de la villa Victorienne, distante de trente milles d'Hippone, aussitôt le diable le tourmenta et le renversa comme mort dans le fleuve. Or, pendant qu'on chantait les vêpres dans l’église dédiée sous l’invocation des saints Gervais et Protais, église qui était près du fleuve, ce jeune homme, comme frappé par l’éclat des voix qui chantaient, entra dans un grand état d'agitation en l’église où il saisit l’autel, sans pouvoir s'en éloigner; en sorte qu'il paraissait y avoir été lié. Quand on fit des exorcismes pour faire sortir le démon, celui-ci menaça de lui couper les membres, en s'en allant. Après l’exorcisme le démon sortit, mais l’oeil du jeune homme restait suspendu par un petit vaisseau sur la joue. On le remit comme on put en sa place, et peu de jours après 1'œil fut guéri par les mérites de saint Gervais et de saint Protais. Saint Ambroise s'exprime ainsi dans la Préface de ces saints : « Voici ceux qui, envolés sous le drapeau du ciel, ont pris les armes victorieuses dont parle l’apôtre : dégagés des liens qui les attachaient au monde, ils vainquirent l’infernal ennemi avec ses vices, pour suivre libres et tranquilles le Seigneur J.-C. Oh! les heureux frères, qui en s'attachant à la pratique des paroles sacrées, ne purent être souillés par aucune contagion ! Oh! le glorieux motif pour lequel  ils combattirent, ceux que le même sein maternel a mis au monde, reçoivent tous les deux une couronne semblable. »

 

u pratu di ghjuvellina,pieve de ghjuvellina,saint gervais et saint protais

avec les deux amies complices Michelle Lafay et Colette Fernandez

 

... à suivre!

 


 

 

 

31/03/2014

Ghjuvellina, suite toponymique: merci Gabriel Culioli!

Toponyme Ghjuvellina, suite:

avec l'analyse de Gabriel CULIOLI

 

P1140874.JPG

(photo Michelle Lafay)

Je reçois ce message très intéressant de Gabriel Culioli:

"Bonjour quelques réflexions sur a ghjuvellina. Chez nous, dans l'extrême sud, un passage étroit se dit una chjova et un passage très étroit una chjuviddina ou plus au nord una chjuvellina. una chjuvellina. Le c à l'initiale se prononce g donc a ghjuvellina. je pense que c'est la bonne explication. Sinon il existait aussi la piste (à laquelle je ne crois pas) du bijou u ghjuvellu. Mais la plupart du temps les toponymes désignent des reliefs ou des formes. Cordialement Gabriel Culioli "

 

Un grand merci à lui pour son analyse pertinente qui continue d'enrichir la réflexion sur ce toponyme savoureux !

(suite de :

Ghjuvellina : ELIZABETH PARDON

elizabethpardon.hautetfort.com/ghjuvellina/
 

et surtout de l'analyse de Jean CHIORBOLI ! )

24/03/2014

le toponyme Ghjuvellina par Jean Chiorboli

Sur les chemins escarpés du rêve, 

la Pieve de Ghjuvellina:

L'analyse du toponyme Ghjuvellina
par Jean Chiorboli, éminent linguiste oeuvrant à l'Université de Corse, et dont j'avais sollicité les lumières à propos de ce mystérieux toponyme .

 

Castiglione blog.jpg

(les Aiguilles de Rundinaghja et le village de  Castiglione : une région forte et mystérieuse, où il vaut mieux avoir sa tête et ses jambes)

 

les Aiguilles et Popolasca.jpg

(les Aiguilles de Popolasca vues du Castellu di Serravalle)

 

Prato Tribuna façade ouest.jpg

(a Tribuna, église pievane de la Ghjuvellina, dédiée aux saints Gervasio et Protasio - façade ouest)

 

 Les voici,  proposées dans l' excellente rubrique du site  Corse Net infos (à retrouver ci-dessous), où il propose ses recherches et sa réflexion sur la toponymie, les langues régionales, etc ... :

 

http://www.corsenetinfos.fr/Ghjuvellina-toponyme-Corse-De...

 

Je cite :

 

 

" Ghjuvellina (toponyme Corse) :

Des dieux, des hommes et des montagnes. C'est le thème de la nouvelle rubrique de Jean Chiorboli pour Corse Net Infos

Je reçois de Elizabeth Pardon (https://www.facebook.com/messages/elizabeth.pardon) le message suivant :

"Bonjour, je voudrais solliciter vos lumières quant au toponyme Ghjuvellina - la piève de Giovellina- où chacun donne sa version: avec un joyeux mélange de Jupiter, joyaux, jeunesse ... Mme Moracchini-Mazel émettait l'hypothèse de "Giove" (cf la note récente sur la piève de Giovellina http://elizabethpardon.hautetfort.com/prato-di-giovellina/), ce qui est très séduisant, mais la séduction ne tient pas lieu de certitude scientifique... Toute cette région est magnifique, forte, très anciennement travaillée par les hommes, avec présence romaine du côté de Piève. Dans ce même secteur, sur un plateau fertile qui surplombe celui de l'église pievane "a Tribuna",un village abandonné avec chapelle San Cervone et une grande maison forte ruinées porte le nom de : e Line. Là aussi nous nous interrogeons: pas bien loin au-dessus se trouve la Torre de Monte Albano. Et pas très loin non plus à vol d'oiseau, c'est le castellu de Serravalle ... Tout ceci sous le regard imposant des Aiguilles de Rundinaghja. Enfin je signalerai que toute cette micro -région est parsemée de cailloux ronds assez surprenants (dont un jeune historien, Jean-Michel Colombani qui a écrit son mémoire sur "l'occupation de l'espace dans la Corse médiévale: la Giovellina orientale" se demandait s'il ne s'agissait pas d'éléments liés au volcanisme ancien). Merci, si vous pouvez prendre le temps de me répondre ... Cordialement à vous, Elizabeth Pardon".

---

L'auteur me pardonnera de citer ici son message privé. Elizabeth Pardon a bien résumé les données du problème, notamment les "diverses versions" données par ceux qui se sont penchés sur l'origine du toponyme Ghju(v)ellina. Disons d'emblée que du point de vue linguistique aucune des explications citées ne peut être exclue a priori. On a, en schématisant, deux étymons latins possibles: le nom propre JOVIS et le nom commun JUGUM, qui ont pu conduire à Ghjuvellina selon des mécanismes d'évolution phonologique bien connus.

 Nous évoquerons aussi la possibilité d'une racine correspondant au français "joyau" (corse ghjuvellu, ghjuellu, giuellugiuellu) proposé par G. de Zerbi pour le toponyme Giuelli qui s'applique à des jardins situés "dans une zone très irriguée, à la terre fertile" (http://www.worldcat.org/title/noms-de-lieux-de-la-commune... ).

 

Jugum : topographie, géologie

 En latin jugum désigne le "joug", c'est-à-dire un instrument utilisé comme moyen d'atteler des bovins, une pièce de boisqui "joint" (latin jungere) deux bœufs par exemple. Par analogie le mot désigne aussi divers objets dont la forme rappelle un joug, ainsi qu'un sommet arrondi ou une chaîne de montagne. On pense au défilé étroit des "Fourches Caudines" où les Romains se laisssèrent enfermer et furent contraints de passer en signe de capitulation sous le "joug" (ici le mot acquiert un sens figuré).

Nous évoquerons ici des termes corses (pas tous forcément de même origine) qui évoquent des resserrements entre deux parois, des passages entre deux grosses pierres, des endroits exigus, étroits, resserrés. Nous renvoyons notamment au Vocabolario de Falcucci (on a parfois à l'initiale une variation entre GHJ- et CHJ-): ghjova, chjova, chjovu, chjuvelluchjuveddu, chjuvinu…Du point de vue sémantique on a le sens générique de "rigole" (cf. aussi piova qui désigne aussi un canal d'irrigation ou d'amenée d'eau pour les moulins et les jardins); le point commun de tous ces termes est qu'ils peuvent renvoyer à la notion de col, de passage, de défilé…, en somme à une référence topographique dont le point de départ est laforme du joug, jugum. Cela pourrait donc être la base de Ghjuvellina, avec un double suffixe, -ellu (eddu) et –inu.

 

Il Giovello (Lombardie)

 Il existe en Italie un toponyme Giovello dont la base serait jugum, jughellum désignant alors un petit col. Cependant une seconde hypothèse rappelle l'activité minière de la région, et la présence d'un ensemble de mines (Giuel en langue locale)  d'où l'on extrayait des plaques de roche éruptive et schisteuse, de couleur verte, qui servait aussi pour couvrir les habitations. 

On hésite entre les deux origines, qui sont peut être étroitement associées: le col, la gorge (jugum) et/ou les carrières de serpentine (http://www.ecomuseovalmalenco.it/).

 

Jovis: des dieux et des hommes

À propos de Giovellina, Rodié note (prudemment): "peut-être de Giove, Jupiter ; non loin se trouve la pieve de 

Mercurio" (http://books.google.fr/books?id=XUR9ngEACAAJ&hl=fr&am...)

Effectivement les noms de lieux perpétuent parfois des cultes et des traditions locales. Les types (italiens) Giove, GioviIovi, Gioia peuvent être des "théonymes" (cf. Iuppiter/Iovis). Gioia (Italie) peut avoir comme base un Iovia employé comme attribut de lieux consacrés à Jupiter, qui n'appartient pas à la tradition latine mais à renvoie au substrat "italique" (osque), même si on a Iovius en latin tardif. Par ailleurs selon certains auteurs, Gioia (Tauro, Calabre) correspondrait à l'italien (et corse) gioia (issu du provençal joi) au sens "cité de joie", de bonheur (Rohlfs).

Il ne faut pas oublier non plus que certains toponymes font référence à des noms personnels (les "noms d'homme" chers à Dauzat): ainsi le mont Giovi en Toscane peut refléter le nom de personne latin Iovius. Pour de plus amples informations sur ce type de toponymes, nous renvoyons aux divers dictionnaires toponymiques (voir par exemple http://www.utetlibri.it/libri/ dizionario-di-toponomastica/).

 

Nous citons ci-après quelques toponymes corses (graphie IGN) de forme proche des types en question.

2A: Bocca Di Giovo (Pastricciola)

2A: Giovo (Pastricciola)

2A: Giovo (Pastricciola)

2B: Capu Ghiovu (Calenzana)

2B: Costa a I Giuelli (Popolasca)

2B: Gioelli (D'Olmi-Cappella) 

2B: Giovaggio (Altiani) 

2B: Giovaggio (Altiani) 

2B: Giovaggio (Poggio) 

2B: Giovaggio (Poggio) 

2B: Pinzi a I Giuelli (Castiglione) 

2B: Prato-Di-Giovellina 

2B: Punta Di Juva (Serra-Di-Fiumorbo) 

2B: Ruisseau de Gioielli (Rogliano) 

2B: Ruisseau de Giovaccio (Altiani) 

2B: Ruisseau de Giovaccio (Altiani) 

2B: Ruisseau de Giovaggio (Poggio) 

2B: Ruisseau de Giovaggio (Poggio) 

2B: Ruisseau de Juva (Chisa)
2B: Ruisseau de Juva (Serra-Di-Fiumorbo)

 

Conclusion ?

Ghjuvellina : la description et les détails donnés par E.Pardon semblent plaider en faveur de l'explication topographique (jugum), éventuellement géologique. Quand aux autres explications, notamment la référence à un éventuel temple de Jupiter (Jovis), le linguiste ne l'exclut pas, mais passe la main aux historiens, aux archéologues pour confirmer une piste tout aussi séduisante mais qui semble pour l'instant manquer d"éléments concrets.

Ici comme souvent en matière de toponymie, l'approche pluridisciplinaire est indispensable. Faute de travail en équipe (et sur le terrain) les explications les plus brillantes demeurent des hypothèses, plus ou moins vraisemblables.

Jean Chiorboli, Université de Corse, 18-03-2014"

 

Pinzi a i Giuelli.jpg

Derrière Castiglione et Popolasca, et non loin de la Cima a I Mori, ces deux toponymes intéressants : Pinzi a I Giuelli et Costa a I Giuelli (carte IGN). Un cheminement ardu pour chercheurs infatigables ...

détail Giuelli.jpg

(détail)