06/11/2010
Cimetière: Bonifaziu
Le cimetière marin de Bonifacio,
( quelques pas avec Jean Tardieu, Philippe Jaccottet, Jean-Baptiste Stachino et Paul Valéry)
le 20 septembre dernier, la ville des morts, vue sur la mer
" Choeur d'enfants
(à tue-tête et très scandé)
Tout ça qui a commencé
il faut bien que ça finisse:
la maison zou l'orage
le bateau dans le naufrage
le voyageur chez les sauvages.
ce qui s'est manifesté
il faut que ça disparaisse:
feuilles vertes de l'été
espoir jeunesse et beauté
an-ci-en-nes vérités.
Moralité.
Si vous ne voulez rien finir
évitez de rien commencer.
Si vous ne voulez pas mourir,
quelques mois avant de naître
faites-vous décommander"
( Jean TARDIEU dans"Chansons avec ou sans musique",
Le fleuve caché , édition Poésie Gallimard)
petite tombe sous sa couette fleurie:
"S'il se pouvait (qui saura jamais rien?)
qu'il ait encore une espèce d'être aujourd'hui,
de conscience même que l'on croirait proche,
serait-ce donc ici qu'il se tiendrait,
dans cet enclos, non pas dans la prairie?
Se pourrait-il qu'il attendît ici
comme à un rendez-vous donné "près de la pierre"
qu'il eût l'emploi de nos pas muets, de nos larmes?
Comment savoir? Un jour ou l'autre, on voit
ces pierres s'enfoncer dans les herbes éternelles,
tôt ou tard il n'y a plus d'hôte à convier
au repère à son tour enfoui,
plus même d'ombres dans nulle ombre."
(Philippe Jaccottet: "A la lumière d'hiver"
édition nrf, Poésie Gallimard)
et celle là, dans un coeur:
"LIBRE"
En fait dans notre errance au cimetière, je cherchais un nom, celui de l'ancien organiste de Sainte Marie Majeure, J.B. STACHINO, rencontré chez lui vers 1988 à Bonifacio. Alors très âgé - plus de quatre vingt dix ans - il nous avait reçus très gentiment, nous montrant le Cahier d'orgue manuscrit de son père, à qui il avait succédé dans sa charge d'organiste à Ste Marie. Témoignage précieux d'un répertoire joué au XIX° siècle à Bonifacio : entre deux messes, entre deux hymnes, des transcriptions d'airs d'opéras à la mode mises à la sauce liturgique, pour des entrées et des sorties tonitruantes, des offertoires musclés, des élévations sentimentales, des communions guillerettes, bref, un univers musical bien éloigné de l'esprit de nos concerts actuels mais certainement moins fade que la soupe insipide que l'on doit trop souvent servir aux messes d'aujourd'hui ...
Puis il s'était mis à son vieil harmonium asthmatique, pédalant avec la dernière énergie pour plaquer de ses mains immenses quelques grands accords fièvreux : tout ce qui lui restait de ce monde ancien où la vie musicale des gens de Bonifacio passait par l'église ... Je rappellerai seulement que Bonifacio était riche au début du XX°s. de ses quatre orgues de facture italienne, hélas tous hors d'usage actuellement :
- Saint Dominique (orgue classé aujourd'hui): L.De Ferrari 1843. Cet orgue comporte des éléments du XVIII° s et l'on nourrit des espoirs de le voir restauré dans les années à venir.
- Saint Erasme : A. De Ferrari ?
- Saint François: L. et G. De Ferrari 1852
- Sainte Marie Majeure: L. et G. De Ferrari 1842.
Cet orgue que jouaient les Stachino père (Lazare) et fils (Jean-Baptiste) avait été remanié à plusieurs reprises: actuellement il git dans un état alarmant, démonté et entreposé dans l'église saint Dominique ... de quoi se retourner dans sa tombe!
faux sommier, étiquettes de registre ...
abrégé ...
le clavier (refait) de 54 notes (pas d'octave courte),
et les grandes mains fantômes de Lazare et Jean Baptiste dessus ...
... tuyaux ... misère de misère!
Est-ce une tombe de la famille de "notre" Stacchino? Toujours est-il que cette rencontre reste accrochée dans ma mémoire comme une présence douce-amère et tisse des liens avec ce cimetière de Bonifacio ...
un forum des morts
fragile pertpétuité
(...) "Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change!
Après tant d'orgueil, après tant d'étrange
Oisiveté, mais pleine de pouvoir,
Je m'abandonne à ce brillant espace,
Sur les maisons des morts mon ombre passe
Qui m'apprivoise à son frêle mouvoir (...)
éternité sanglée
(...) Les morts cachés sont bien dans cette terre
Qui les réchauffe et sèche leur mystère.
Midi là-haut, Midi sans mouvement
En soi se pense et convient à soi-même ...
Tête complète et parfait diadème,
Je suis en toi le secret changement. (...)
(...) Le vent se lève! ... Il faut tenter de vivre!
L'air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs!
Envolez-vous, pages tout éblouies!
Rompez, vagues! Rompez d'eaux réjouies
ce toit tranquille où picoraient des focs!"
(Paul VALERY: LE CIMETIERE MARIN)
17:38 Publié dans corse, la mort, poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bonifacio, cimetière, lazare stachino organiste, orgue sainte marie de bonifacio, jean tardieu, philippe jaccottet, paul valéry | Facebook |