01/11/2011
En Corse: La Mort transfigurée 1ère partie
(Les plus belles photos qui illustrent cet article sont de mon ami Tomas HEUER . Nous avions, Tomas et moi, réalisé cet article pour le catalogue d'une exposition collective sur le thème de la Mort Transfigurée, le 2 novembre 2006, à la Galerie l'Arche de Morphée, 6 rue Etienne Dolet- 75020 PARIS. S'il leur reste des catalogues, vous pouvez sans doute en acquérir en les contactant: contact@archedemorphee.com)
Le sacré est toujours plus ou moins « ce dont on n’approche pas sans mourir » (Roger Caillois, l’homme et le sacré, 1950)
8 mai 2006.
Ceci sera donc seulement un dialogue intime avec cette île que j’aime, discontinu, peu cohérent, comme peut l’être le parfum de la mort : fluide, il navigue en ondes paresseuses, indisciplinées, tenaces et, passés les miasmes de la putréfaction, s’achève en une fragrance douceâtre de violette, peut-être cette fameuse odeur de sainteté.
Sous le vol royal des grands milans fossoyeurs, la rencontre fortuite des carcasses de vaches, de chèvres, de brebis crevées dans les champs fleuris de mai. Au milieu des trèfles, des hauts chardons violets où s’embusquent de minuscules araignées vert émeraude, des asphodèles dressées comme des candélabres ou entre les murs d’un pailler abandonné, ces charognes m’enseignent, mieux que les rues de la ville, notre commune destinée : « HODIE MIHI, CRAS TIBI » (aujourd’hui, c’est à moi, demain c’est à toi !). Ainsi l’affirme pensivement, peinte sur la bannière de procession des Morts dans une confrérie de Balagne, a Falcina ( la Faucheuse ) accoudée devant son sablier flamboyant où s’égrène le temps.
En Corse comme ailleurs, avant la nôtre, c’est la mort des autres qui nous est donnée à voir : miroir, fidèle miroir de la mort, dis nous la brièveté de ce que nous étions, l’inéluctable de ce que nous serons : puisque, dans cette énigme, il nous faut solitairement traverser la frontière vers l’inconnu, la communauté des vivants, dans cet instant décisif, saura-t-elle encore montrer quelque fraternité? Et la dramaturgie de ce passage aura-t-elle encore la force de transcender le grésillement aléatoire de nos vies ?
photo Tomas Heuer: Bannière de procession
Un rien aguicheuse, souriante et mondaine, "a Falcina" se repose un instant de sa moisson meurtrière. Assise sur une urne brûlante, piétinant les insignes des grands de ce monde, pourpre, tiare, mitre etc, elle brandit d'une main sa faux-étendard indiquant qu'elle n'épargne personne (" NEMINI PARCO") et de l'autre, comme un verre de bon vin, le sablier ailé du temps qui fuit.
Ces bannières de confrérie, portées en procession par les confrères de chaque communauté, délivrent le plus souvent un double message: d'un côté le Christ en Croix au pied duquel veillent et prient deux confrères, de l'autre le personnage redoutable de la Mort ... d'un côté la Peur, de l'autre l'Espoir de la Rédemption par la vie chrétienne...
L’indicible souffrance de la séparation. Qui peut prétendre communiquer l’indicible ? La souffrance d’une mère brutalement, définitivement séparée de son enfant ? Crier l’indicible injustice de cet inversement du sens, la géhenne solitaire et sans fond où l’on est alors jeté ? Reprocher au mort son abandon, injurier le Destin, transformer les spectateurs impuissants du drame en chœur antique ?
Ici, comme dans toute la Méditerranée , la souffrance se crie, se chante : lamenti, voceri, abbadatte en témoignent, expression spontanée, improvisée le plus souvent par les femmes sous l’inspiration de la douleur, à propos d’un mort ou en sa présence. Soit par une femme de la famille : l’épouse, la mère, la fille, soit par une femme reconnue, estimée et rétribuée pour ses dons de voceratrice. Ces chants nous parviennent « du fond des âges », ce qui est une façon de parler car on connaît parfois précisément les circonstances de l’improvisation, mais qui témoigne surtout de la valeur mythique acquise au fil du temps par ces poèmes chantés. Ardemment écoutés, pieusement recueillis par l’assemblée, souvent recomposés par la voceratrice et réacquis par les filles, certains nous sont restitués lors des premiers enregistrements à la fin des années quarante…
Imaginons la scène.
La jeune fille se meurt. Le tintement des cloches accompagne son agonie, l’aide à passer au travers des embuscades tendues par les esprits mauvais. Elle meurt. On voile les miroirs de crainte que son double, u spirdu, ne se retrouve piégé dans les reflets de la glace et reste prisonnier de la maison. Pour la même raison, l’on a ouvert quelques instants en grand portes et fenêtres pour l’inciter à sortir. Puis on a refermé les volets, éteint le foyer. On ne cuisine plus. La vie s’absente. La maison devient sombre et froide comme une tombe.
Elle gît, étendue dans sa raideur cadavérique sur une table, au centre de la salle principale. De quoi est-elle morte : malaria ? tuberculose ? nous ne le savons pas, mais elle a souffert … Les femmes lui ont fait sa toilette funèbre, elles lui ont noué un tissu blanc autour de la mâchoire, serré les chevilles, l’ont parée de son meilleur vêtement : c’est qu’aujourd’hui elle épouse le Christ , sa dot sera de cierges et de chandelles (« Nous allons descendre à la messe/Maintenant que l’autel est décoré/De cierges et de chandelles/Et de noir enveloppé/Car ce matin son père/A fait l’estimation de sa dot « , dit un voceru).
L’assemblée des femmes se presse pour la veiller et réciter le Rosaire, cette longue prière psalmodiée qui soutient les âmes dans leur transhumance et anesthésie la souffrance de ceux qui restent .On ne laisse jamais seul un mort avant sa sépulture, on l’entoure de cercles concentriques d’émotion: comme une matrice, les femmes à l’intérieur, les hommes à l’extérieur, remparts contre l’espace sauvage.
Les femmes demeurent les passeuses de la vie et de la mort. Nourrices, mères ou grand- mères, elles ont chanté dans l’intimité la nanna, la berceuse.
In Palleca di Pumonte A Palneca de Pumonti
Un ziteddu s’addivaia S’élevait un petit garçon
È la so cara mammoni Et sa chère grand-mère
Sempri trinnichendu staia. Toujours restait à le bercer
Fenduli la nannareda Tandis qu’elle l’endormait
È stu fattu li pricaia.(…) Elle lui prédisait ainsi son destin (…)
Aujourd’hui, drapées dans leur vêtement sombre, transformées en prêtresses de la mort, elles improvisent le voceru, la mélopée poétique de la douleur.
D’abord la mise au monde : l’enfant à sa naissance est cueilli comme un fruit mûr par la cuglidora, la « cueilleuse », et l’on enterre son placenta, son double, au pied d’un arbre, fruitier de préférence. Première mort qui ensemence la vie. Au terme de l’existence, encore les femmes pour libérer la douleur, cette fois avec l’aide de la communauté. La douleur est une cage dont il faut écarter les barreaux avec des paroles justes, chantées et piétinées dans une sorte de balancement communicatif : ce lamentu funèbre, voceru, ou ballata, imprime son bercement à l’ensemble de la communauté. Comme un seul corps l’assemblée résonne, vibre à l’unisson, porte son mort dans la nacelle du chant, l’aide à passer vers les rivages inconnus d’où l’on ne revient pas.
La mère, toute à sa peine, exhale ce chant :
Or eccu la moi figliola Zitella di sedeci anni Eccula sopra la tola Dopu cusi longhi affanni Or eccula qui vestuta Cu li so piu belli panni
Cu li so panni più belli Si ne vole parte avà Perchè lu Signore qui, Nun la vole più lascià. Chi nasci pè u Paradisu À stu mondu ùn pò invechjà.
O figliola lu to visu Cusi biancu è rusulatu Fattu pè lu Paradisu Morte cumu l’hà cambiatu ! Quand’eo lu vecu cusì Mi pare un sole oscuratu
Ere tù frà le migliori È le più belle zitelle Cum’è rosa frà le fiori Cum’è luna trà le stelle Tantu eri più bella tù Ancu in mezu à le più bella
I giovani di lu paese Quandu t’eranu in presenza Parianu fiaccule accese Ma pieni di riverenza. Tu cun tutti eri curtese Ma cun nimu in cunfidenza (…)
Chi mi cunsulera mai O speranza di a to mamma ! Ava ch’è tu ti ne vai Duve u Signore t i chjama ? Oh ! Perchè u Signore anchellu Ebbe di tè tanta brama ?(…)
Ma quantu pienu d’affanni Sera lu mundu per mene Un ghjornu solu mill’anni Mi serà pensendu à tene Dumandendu sempre à tutti La moi figliola duvè hè ?(…)
La voici donc ma fille Jeune fille de seize ans, La voilà étendue sur la table, Après de si longues souffrances ,La voilà revêtue De ses plus beaux habits ,
Avec ses plus beaux habits, Elle veut partir maintenant , Car ici le Seigneur ne veut plus la laisser. Celui qui naquit pour le Paradis , Ne peut vieillir en ce monde
O ma fille ton visage , Si blanc et si rose , Fait pour le Paradis , Comme la mort l’a changé ! Quand je te vois ainsi , Je crois voir un soleil obscurci.
Tu étais parmi les meilleures , Et les plus belles jeunes filles, Comme la rose au milieu des fleurs, Comme la lune au milieu des étoiles, Tu étais la plus belle, Même parmi les plus belles !
Les jeunes gens du pays, Lorsqu’ils étaient en ta présence, Paraissaient des brandons ardents, Mais pleins de respect., Avec tous tu restais polie, Mais familière avec aucun(…)
Qui me consolera jamais O l’espérance de ta mère ! Tu t’en vas maintenant Là où t’appelle le Seigneur ? Hélas ! Pourquoi le Seigneur lui-même A-t-il montré un désir si ardent ?
Mais combien ce monde, Va me sembler plein de douleurs ! Un seul jour me semblera mille ans, Sans cesse pensant à toi , Demandant sans répit à tous: Ma fille ! où est ma fille ?
Voceru improvisé par sa mère pour la mort de sa fille, Rumana, et publié en 1843 par le poète corse Salvatore Viale.
Le sacré, dit-on, se définit par rapport au profane. Pourtant ici tant d’attitudes évoquent la perméabilité des mondes religieux et humains : ainsi les cérémonies de la Semaine Sainte , prises en charge en grande partie par les laïcs, les confréries,sans la présence du clergé, fêtent de façon collective le passage de la vie à la mort, des ténèbres à la lumière. Là encore, dans ses déplacements ritualisés, la communauté se reconnaît et se resserre. Sous la conduite de ses confrères, parfois appelés mazzeri ( massiers), parce qu’ils portent le bâton ( a mazza) de confrérie, c’est la granitula, cette procession préchrétienne qui s’enroule et se déroule autour d’un axe : un arbre, une croix, le Monument au Morts (après l’hécatombe de 14/18…) marquant le cycle cosmique de la nature et le mystère de la résurrection du Christ après sa mort sur la Croix. Ce rituel de mort et de renaissance souligne la conviction enfouie au fond des anciens que les morts, après un temps indéterminé aspirent à renaître. Les chants collectifs de contrition, comme celui du Perdonno mio Dio, qui accompagnent Chemins de Croix et processions, la lueur des cierges, la réalisation des sepolcri, ces reposoirs où l’on veille nuit et jour le Christ comme l’un des siens, voire la création de véritables décors peints éphémères, tout tend à transfigurer la mort dans une dramaturgie exacerbée.
photo Elizabeth
Les vieilles personnes qui s’en souviennent encore m’ont dit leur terreur, enfants, de pénétrer dans l’église de nuit, vers l’espace de prière délimité par ces grandes toiles peintes des sepolcri, représentant des moments de la Passion du Christ , et la déploration de la Vierge-Mère : fleurie de blanc et de rouge, agrémentée de coupelles où pousse depuis quarante jours le blé nouveau, surveillée par d’impressionnants gardiens du sépulcre à la moustache hirsute et au regard menaçant à la mode barbaresque, la chapelle ardente s’anime du feu des lampes à huile et des bougies.
On prie avec compassion la Mère devant le corps supplicié de son Fils, exposé gisant et sanglant dans son catalettu, (le banc d’exposition des morts) , les bras articulés ramenés contre le corps, souvent grandeur nature. Comme en d’autres temps on aurait prié devant le corps d’un fils, d’un époux, d’un frère, d’un père assassiné…
Photo Elizabeth: Sepolcri
Dans le nord de la Corse , c’est aussi le rite de la cerca (circà : chercher) qui continue de déplacer en rond les processions des communautés voisines, portant la croix ornée du grand palme tressé, la pullezzula, et visitant les différents sepolcri des uns et des autres, comme en « recherche » du corps du Christ… Dans chaque village on rivalise de créativité pour tresser les palmes en motifs harmonieux, savants et chargés de symbolisme. L’année suivante, on les brûlera le Mercredi des Cendres, et l’on se servira de leurs cendres pour signer le front des fidèles : « Homme, souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière ». Ce même jour, cindarellu, clôt le temps du Carnaval où dans de nombreux villages les jeunes gens se « défoulaient » en jetant sur les passants des sacs de cendres…

Et que dire du paroxysme de la passion exaltée par les voceri lors des situations de vindetta, de la malamorte, la male mort, la mort violente ? L’âme romantique en a fait ses horrifiques délices, Mérimée, comme l’on sait, en a largement exploité la veine dans Colomba, et le touriste en mal d’émotions fortes trouve son compte dans cette imagerie archaïsante qui le comble, le formate dans son appréhension de l’âme corse. Vision différée, tronquée et brutale…
L’insularité, la longue histoire heurtée de la Corse , la nature elle-même de l’île cernée par une mer souvent hostile, avec ses hautes montagnes habitées de rocs nus aux formes fantasmagoriques, de forêts denses et sombres propices à l’embuscade des vivants et des morts, de ravins où grondent torrents, tonnerre, trahisons et tambours incertains, façonnent un peuple fortement identitaire, même si la diversité s’installe d’un vallon à l’autre. Liés au sol et en marge de l’Histoire, les rituels funèbres plongent profondément leurs racines dans l’inconscient collectif ...Depuis la préhistoire, la Corse est à la croisée des chemins et de la mer viennent tous ces « visiteurs » du monde extérieur, casqués, enturbannés, armés de leur savoir guerrier, de leurs cultes initiatiques… Peuples de navigateurs, Phocéens, Grecs, Carthaginois, Etrusques, Romains, Vandales, Ostrogoths, Lombards, Byzantins, Maures et Sarrasins, Barbaresques et Ottomans, Pisans, Génois, Aragonais, Anglais, Français, la litanie s’allonge depuis tant de siècles et elle n’est pas exhaustive…
I panni di u nostru Signore Les habits de notre Seigneur
San Salvatore cacciatemi sta pena Saint Sauveur ôtez-moi la douleur

« Le royaume choisit pour sa protectrice l’Immaculée Conception de la Vierge Marie dont l’image sera peinte sur ses armes et ses étendards. On en célèbrera la fête dans tous les villages avec des salves de mousqueterie et de canon. ».
Catteri, la Vierge magnifique qui provient du Couvent de Marcasso.
Les saints protecteurs et prophylactiques sont à l’honneur dans la moindre chapelle, ils paraissent un rempart plus efficace contre les maladies et les épidémies que le savoir médical ancien… Une mention spéciale pour Saint Joseph, patron de « la Bonne Mort » : mourir dans son lit, entouré de l’amour des siens et muni des saints sacrements… un luxe ! Si la communauté est assez riche, l’acquisition d’une belle relique, somptueusement habillée, fera l’orgueil du village et l’envie des voisins… Les évêques fulminent donc de multiples menaces d’excommunication contre ceux et celles qui, par la vendetta, commettent l’irréparable et pratiquent les rites funéraires les plus violents. J’imagine ce qui, dans les attitudes traditionnelles pouvait heurter la sensibilité du clergé et entraver sérieusement la paix…
On a déposé sur le tréteau funèbre la dépouille sanglante de Matteo, assassiné . Les femmes forment une haie circulaire près du corps déposé sur la tola, les hommes à l’extérieur frappent le sol de la crosse de leur fusil. Les femmes, gémissant, s’arrachant les cheveux, se griffant la poitrine et le visage, commencent à tourner en rond dans un piétinement balancé (la gestuelle d'une véritable danse, de u ballu: ballata, baddata) qui s’enivre et s’enroule autour du corps : c’est la spirale funèbre du caracolu (le colimaçon), le pendant « profane » de la granitula, le mouvement qui lutte contre l'immobilité cadavérique du mort. ( J'ai entendu quelque part ce témoignage troublant d'une compagnie de grands corbeaux tournoyant au ras du sol pour tenterde faire voler à nouveau Dans l’étourdissement de la danse, sa sœur improvise ce voceru (la déploration portée par la voix - vox : voceru, vuciàru, vuceratu, vuciarata ...)
O Mattè di la surella Di u to sangue preziosu N’anu lavatu la piazza N’anu bagnatu lu chjosu Un hè piu tempu di sonnu Un hè tempu di riposu Or chè tardi, o Ceccantò ? Ordili trippa è budelli Di Ricciottu è Mascarone Tendila tutta l’acelli O ! Chi un nuvulu di corbi Li spolpi carne è nudelli.(…)
O Matteo, aimé de ta soeur - De ton sang précieux -Ils ont lavé la place -Ils ont baigné l’enclos- Il n’est plus temps de dormir- Il n’est plus temps de se reposer- Que tardes-tu ô Ceccanton ? Arrache tripes et boyaux -De Ricciotto et de Mascarone- Jette-les aux oiseaux Et puisse une nuée de corbeaux Déchirer leurs chairs,dénuder leurs os ...
09:12 Publié dans corse, la mort, les pierres qui signent, patrimoine, patrimoine de la solidarité humaine, patrimoine du chant corse, poésie, préhistoire corse, racines de pierre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : la mort, rituels de la mort en corse, le miroir de la mort, les vivants et les morts en corse, lamenti | Facebook |
31/10/2011
Gravures rupestres dans le Rustinu avec Toussaint Quilici
E PETRE SRITTE DI RUSTINU
Avec Toussaint Quilici, cheville ouvrière de Castellu di Rustinu, dans la vallée de Riscamone
La semaine dernière, Toussaint Quilici, l'infatigable artisan du patrimoine de la Pieve du Rustinu nous a emmenés à la découverte de l'un des sites de gravures rupestres de la Vallée de Riscamone, au centre de la Pieve du Rustinu. Toussaint Quilici finit de boucler son ouvrage sur la Pieve du Rustinu, fruit de quarante années de passion partagée avec ses amis, de recherches, de hasards heureux et de flair, qui devrait paraître pour la Noël, si tout va bien. Sans vouloir déflorer le sujet, je puis vous affirmer que cette parution va en faire frissonner plus d'un, tant le matériau, accumulé dans la région au fil des années, des balades et des rencontres, est d'une richesse inespérée.
Je vous invite à retrouver cette coupure de presse de 2009 qui évoque l'un des sites vus ce jour:
article Gravures Riscamone 2009.docx
Cette région de vieille culture et de passage au-dessus de la vallée du Golo s'avère assurément l'une des plus intéressantes de Corse. Voici donc quelques images à découvrir avec un peu d'avance, en attendant la parution de la monographie sur le Rustinu.
incisions et petites cupules
motifs scalliformes
une hache
une figure énigmatique ...
difficile à interpréter:
les uns y voient une vulve (les incisions les plus fines sont manifestement largement postérieures ...), les autres y décèlent une silhouette de cheval ... Prudence!
dans le même secteur, une deuxième pierre gravée ...
Toutes ces gravures paraitront , dûment photographiées, dessinées et commentées dans le prochain livre de Toussaint Quilici, en compagnie des autres sites inventoriés par lui et ses amis dans le Rustinu. Je vous tiendrai au courant de cette parution qui fera l'objet d'une présentation par l'auteur à Valle di Rustinu ... si le ciel ne nous tombe pas sur la tête d'ici là!
En attendant vous pouvez retrouver ce monde des gravures rupestres de Corse dans le beau livre du préhistorien Claude Weiss:
Un patrimoine dont on est bien loin de connaître la portée, tant il parait certain que de nombreux sites restent à découvrir, ainsi que l'analyse de leur environnement qui appellerait des fouilles en règle: patrimoine parfois si proche et si familier qu'on ne le reconnait même pas, au risque - sans le vouloir - de le dégrader ou de l'occulter, comme à Grate (hameau de Valle di Rustinu), au coeur du village:
et où l'on a construit anciennement un mur de soutènement qui recouvre en partie ce rocher gravé ...
Une chose est sûre: l'antiquité de l'occupation humaine dans cette région du Rustinu, avec pour fleuron, la présence si forte de l'église pievane et des deux baptistères de santa Maria di Rescamone ...
Merci à Toussaint de ce partage : la suite dans votre livre!
(à suivre, donc)
16:58 Publié dans corse, préhistoire corse, racines de pierre | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : petre scritte, gravures rupestres de corse, rustinu, toussazint quilici, valle di rustinu, grate, santa maria di rescamone | Facebook |
29/10/2011
Un chemin du septième ciel dans le Ghjunsani ...
"La mer, l'inlassable goutte d'eau, le vent, qui peuvent attendre, qui ne sont pas comme l'homme contraints de se hâter, assurent aux corps qu'ils caressent et qu'ils usent, le profil le plus pur, le plus pauvre aussi, mais le seul véritablement nécessaire. Dans ce long acquiescement, dans cette ultime misère, se dissimule assurément une des formes concevables de la perfection."
(Roger Caillois, Pierres, poésie Gallimard)
Dimanche 16 Octobre 2011.
En chemin, donc, avec Hélène, Colette et le bon génie (vous l'aurez remarqué, il doit y en avoir au moins un par pieve) du Ghjunsani, Santu: quelques images de cette lumineuse journée d'automne entre terre, ciel, montagne et mer
L'un des nombreux sentiers soigneusement dallés qui reliaient les communautés entre elles, entre le Ghjunsani et la Balagne: voies de communication dans tous les sens du terme.
Santu nous a concocté un parcours où le paradis se mérite par la crapahute
... tant de choses à raconter à chaque pas! Des bonnes, d'autres moins heureuses: le feu a ravagé plus d'une fois cette région, laissant à nu la terre rocailleuse là où poussaient chênes, châtaigniers, genévriers et les céréales opiniâtrement cultivées sur ces terres pauvres jusqu'au sommet des montagnes dans le système solidaire des prese : chaque communauté villageoise permettant à chaque famille de cultiver et de récolter le fruit d'un sol communautaire.
Vers la Boca à Leccia, pour contenir la divagation nouvelle des bêtes à cornes le fil de fer a remplacé les vieilles clôtures, les têtes de lit en fer forgé et rouillé, l'agencement de piquets liés, et la désertification a bientôt définitivement dévoré la végétation ancienne: la nécessité des anciens de survivre par le travail de la terre jusqu'aux sommets ne se devine plus par endroits que par cette écriture patiente des vieux murs sur le flanc aride des montagnes.
Là-haut, du côté d'Arba Bona (là où l'herbe était parfumée par l'air marin), la vue vers le Cap Corse
Côté Balagne et le barrage de Codole
et au loin, l'Isola Rossa ...
Sur le parcours, le chat-sentinelle veille sur le Ghjunsani et pose ses énigmes à l'imprudent qui s'égare
Côté San Parteu et Piuggiula
Côté San Pedrone et Castagniccia
L'aménagement des abris naturels témoigne de la permanence d'une occupation humaine très ancienne. A l'époque des premiers Corsi : s'abriter, se protéger du froid, des ennemis, et prendre le temps de vénérer les sources, les arbres, les rochers puissants ... On peut les comprendre !
plongeon dans la nuit des temps: abri au pied du sommet de Tornaboie
En leur honneur, libations sur le Monte Bacchus: Santu a sorti la Dive Bouteille! Cela risque de plomber un peu nos jambes après ces agapes, mais la communion avec les esprits du lieu mérite quelques sacrifices.
vers a rocca Speluncata, pour l'instant tout va bien ...
et quelque part près du ciel, on peut rencontrer dans cet univers granitique, proclamant à l'improviste la présence des hommes de la préhistoire, une cupule, aujourd'hui "cabaret des oiseaux" (les jours de pluie ...)
il est temps d'amorcer la descente:
c'est que nous avons rendez-vous à nouveau avec les premiers habitants de cette montagne ...
au passage, cette aire de battage, aghja plantée en plein vent à flanc de rocher
et cette source aménagée qui dit beaucoup sur cette montagne autrefois incessamment parcourue par les gens et les bêtes, hélas aussi sur l'abandon et la sècheresse d'aujourd'hui
Enfin, voici le site de l'Ascita: rencontre avec le "dolmen" d'Olmi Cappella: " L'endroit où se trouve ce mégalithe est fortifié par la nature et par l'homme: il est entouré de blocs énormes placés les uns sur les autres." (Rapport sur les Monuments mégalithiques de la Corses, par Adrien de Mortillet, autour de 1883)
la lourde dalle repose sur deux rochers naturels
et, toute proche, cette belle cupule creusée dans le granite, qui évoque à nouveau des usages et des rites dont nous ne savons toujours pas grand chose à ce jour.
Un temps où les hommes du lieu n'avaient rien à envier aux autres habitants de la Méditerranée.
Merci, très cher Santu, pour ce beau partage de vos racines ... dans ce monde de naguère où chaque lieu et chaque objet avait une âme, comme en témoigne cette fable (via Bernardu Pazzoni) :
(sélectionner et un clic droit pour ouvrir)
http://www.youtube.com/watch?v=UMWGYgJdrE8&feature=colike
11:35 Publié dans balades en Corse, les pierres qui signent, racines de pierre | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : ghjunsani, dolmen de l'ascita, favula | Facebook |
25/10/2011
Une journée branchée dans le Rustinu et la Castagniccia ...
pour une découverte biogéologique du côté de Santa Maria di Riscamone
en la compagnie de Michel Benedetto, fils et petit-fils de puisatiers/sourciers de Provence ...
qui a fait le pari, à l'aide de ses baguettes et de son pendule, de décrasser nos antennes, comme dit la chanson.
Je l'avais engagé à venir sonder le site rocheux qui me semblait "avoir une âme". Il surplombe côté sud l'ensemble de Santa Maria di Riscamone, et comporte une forme intéressante avec sa grande dalle, sans doute détachée du rocher, qui repose, telle une table de dolmen, sur deux montants rocheux naturels ...
Table aussitôt adoptée par notre amie Chantal pour une séance de méditation sous l'oeïl perplexe de mes jeunes Leo et Vincent ...
Un résultat qui révèle, semble-t-il, un maillage serré du réseau Hartmann: je ne peux en dire plus, car je n'y connais pas grand-chose, mais peut-être aurai-je plus à donner d'ici quelque temps.
Une chose est sûre: cette structure s'ouvre dans un axe est/ouest, tout comme, plus bas, l'église et le petit baptistère paléochrétien. Ce qui conforte ma rêverie à propos de la permanence du sacré: nos gens de ces époques reculées (préhistoire, protohistoire, puis antiquité ...) tenaient leurs antennes en état de marche par nécessité, choisissaient en connaissance de cause leurs lieux de vie et de communication avec l'au-delà et ses mystères. Il ne me parait donc pas impossible que l'on ait utilisé cette structure pour y pratiquer des sépultures. Toussaint Quilici, le veilleur attentif de la région, me dit du reste avoir trouvé dans cet environnement du matériel lithique préhistorique.
Rien d'étonnant, le site s'y prête admirablement et l'eau n'est pas loin, sous ce petit plateau, servant aujourd'hui à la toilette des familles de cochons ( je les ai souvent vus se rouler dans la boue fraîche, avec délice en été) et de sangliers qui peuplent le vallon.
A propos d'eau, l'étape suivante fut de prospecter le sol des deux baptistères:
présence de l'eau (sous terre, faut-il le préciser?) au centre même du grand baptistère roman, ce qui n'étonnera personne. Cet édifice octogonal, le plus important du genre en Corse, s'est inexorablement ouvert sous les glissements de terrain, et continue de bouger ...
Quant au petit baptistère paléochrétien, le point d'eau se trouve légèrement décentré par rapport à la cuve baptismale ... et nous recevons là sous la houlette de Michel une première leçon de baguettes ... assez concluante!
Inattendue, Michel qui nous a gratifié d'une sérénade adressée aux pierres du lieu sur son galoubet ...
Notre balade a suivi d'autres chemins, en Castagniccia cette fois,
vers Cambia
et San Quilicu
puis en fin de journée vers san Giovanni di Corte où le tambour à cordes entre en action en compagnie du galoubet ...
Esprits du lieu et du crépuscule, avez-vous aimé cet instant étrange et fugitif? Et qu'en a pensé Ugo Colonna dans sa résidence sous la colline? Des larmes ont-elles trouvé le chemin de ses paupières de ronces et coulé dans sa barbe que j'imagine fleurie comme celle de Charlemagne, dit-on ?
Merci aux amis, à Nicole en particulier qui nous fait faire cette rencontre inhabituelle, et à Chantal pour ses photos !
la lumière de cette journée d'automne était incroyablement favorable à la présence des pierres, comme ici, malgré le lichen, avec mes chers Adam et Eve, que j'avais rarement vus si beaux et si fringants,
ou ici, saisissante, sur la stantara de Santa Maria, à Cambia: à propos du monde préhistorique de la Corse, une prochaine note concernera e petre scritte du Monte Cuglioni, visitées dimanche dernier en compagnie de Toussaint Quilici, le bon génie de la pieve de Risccamone.
(à suivre, donc!)
17:10 Publié dans corse, les pierres qui signent, préhistoire corse | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : biogéologie, santa maria di rescamone, réseaux hartmann, biogéologie du sacré, cambia, san giovanni de corte | Facebook |
23/10/2011
Méditation
quelques belles errances ces jours:
reconnaissez-vous ce lieu " chargé" ?
l'amie Chantal médite sur une dalle bien étrange ...
(à suivre)
11:19 Publié dans corse, les pierres qui signent | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |