19/12/2011
Annonciation
variations sur l'Annonciation
(avec Monteverdi)
http://www.youtube.com/watch?v=YUTJE4F5IYY&feature=colike
(pour écouter sans regarder la video, sélectionner puis clic droit et ouvrir le lien dans un nouvel onglet)
(Sandro Botticelli 1481- Galerie des Offices à Florence)
le dehors et le dedans
Cranach 1526 Adam et Eve - Courtauld Institute Galleries - Londres
dedans
la paix luxuriante du Jardin
notre bon père Adam se gratte la tête
indécis
devant la hardiesse de sa gracieuse moitié
Mosaïque de la chapelle palatine à Palerme - XII° siècle
dehors
tout a commencé ainsi après le péché originel
ils se sont fait avoir par le premier margoulin venu
un serpent futé qui prétend qu'ils n'y connaissent rien
qu'ils ne savent rien
qu'il va leur ouvrir le chemin de la connaissance
imaginez
Adam et Eve à qui l'on propose pour rien
le forfait illimité de la connaissance
le seul contrat à signer
croquer le fruit défendu
à dire vrai ils n'avaient pas même besoin de penser
ils se sentaient un en deux moitiés
comme toutes les créatures vivantes du Jardin
mais à présent l'autre est autre
et le monde reste à découvrir
dans la défiance dans l'inquiétude
dans la curiosité
jetés hors du Jardin
curieux et courageux
mais à cet instant ils ne le savent pas encore
ils savent seulement qu'ils sont
séparés
ils ont perdu la grâce de leur innocente nudité
eux qui ne désiraient rien car ils étaient comblés
ils doivent désormais assumer
l'humaine destinée
désir sexualité mort
survie et au-delà
progrès génocides
paix éphémères guerres fratricides
consumérisme charité
art fertile stérile pollution
béatitude auto-destruction
bref le grand bazard
et voilà que
de nombreux millénaires plus tard
c'est l'Annonciation
Cathédrale d'Autun dans la proximité du chapiteau de l'Annonciation
la Vierge lève les mains pour l'écoute
l'étonnement et l'acceptation
l'ange Gabriel l'index dressé
intime son message
Psautier St Alban- Hildesheim 1100
Le récit de saint Luc, 1,26-38 : Annonciation et Incarnation
L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu
dans une ville de Galilée, appelée Nazareth,
à une jeune fille, une vierge,
accordée en mariage à un homme de la maison de David,
appelé Joseph ;
et le nom de la jeune fille était Marie.
L’Ange entra chez elle et dit :
« Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi. »
A cette parole, elle fut toute bouleversée,
et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation.
L’Ange lui dit alors :
« Sois sans crainte, Marie,
car tu as trouvé grâce auprès de Dieu.
Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils,
et tu lui donneras le nom de Jésus.
Il sera grand,
il sera appelé Fils du Très- Haut ;
le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ;
il régnera pour toujours sur la maison de Jacob,
et son règne n’aura pas de fin. »
Marie dit à l’Ange : « Comment cela va-t-il se faire,
puisque je suis vierge ? »
L’Ange lui répondit :
« L’Esprit Saint viendra sur toi,
et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ;
c’est pourquoi celui qui va naître sera saint,
et il sera appelé Fils de Dieu.
Et voici qu’Elisabeth, ta cousine,
a conçu, elle aussi, un fils dans sa vieillesse,
et elle en est à son sixième mois,
alors qu’on l’appelait : ‘la femme stérile’.
Car rien n’est impossible à Dieu. »
Marie dit alors :
« Voici la servante du Seigneur ;
que tout se passe pour moi
selon ta parole. »
Alors l’Ange la quitta.
(Lc 1,26-38)
Simone Martini 1333 Galerie des Offices, Florence
dedans
l'or mystique de sa chambre close
surprise par l'archange dans sa méditation
sur le livre entr'ouvert de la prédiction d'Isaïe
" Ecce Virgo concipiet "
la Vierge frissonne apeurée
drapée dans son manteau bleu de nuit
reçoit la parole de l'archange
les mots entre eux deux traversant l'espace
de la bouche de l'un à l'oreille de l'autre
le rameau vigoureux dans la main de Gabriel
bâton du messager du ciel
répond au bouquet de lys de la pureté de Marie
(avec Heinrich Ignaz von Biber)
http://youtu.be/HdwKledgv_o
dans la pénombre de la cathédrale de Carrare
le silence des Casarelle
(avec Guillaume Dufaye)
http://youtu.be/O-25R_SaDao
dans le vide d'un espace muet
Gabriel déroule le phylactère divin
Marie surprise et attentive
suspend sa pensée
accepte l'inconcevable
Fra Angelico 1433 Musée diocésain de Cortone
(dans la prédelle , les scènes de la vie de la Vierge)
là-haut à gauche en prélude
se joue le drame d'Adam et Eve chassés du Paradis
tandis que déjà dans cet espace ouvert
l'échange des paroles
les mains croisées sur la poitrine presque déjà creusée
pour se protéger
ou pour se soumettre
la Vierge écoute
l'Annonciateur qui avance
annonce d'un geste oratoire
les index dressés pour convaincre
l'un pour le ciel
l'autre pour la terre
Fra Angelico 1425 Musée du Prado - Madrid
à nouveau et cette fois-ci toute proche l'expulsion d'Adam et Eve du paradis tandis que roulent sous leurs pieds nus les fruits défendus
il s'agit bien de cela:
" Sumens illud Ave
Gabrielis ore,
Funda nos in pace,
Mutans Hevae nomen"
( Faites que pour jamais
au doux Ave de l'ange
le nom d'Eve se change
en présage de paix)
(Ave maris stella)
comme toujours Marie porte sa robe rouge
signe de son humanité
recouverte du manteau bleu
signe de son appartenance céleste
ici Gabriel et Marie dialoguent en silence
les mains croisées dans un mutuel respect
dans le rayon déjà à l'oeuvre
la colombe de l'Esprit Saint
la parole divine s'incarne le Verbe se fait chair
le temps de l'incarnation n'existe pas
seul celui de la gestation humaine
Fra Angelico, 1442, couvent San Marco, Florence
dedans
espace dépouillé d'une cellule silencieuse pour cette ultime Annonciation
sous le regard de saint Dominique
la Vierge frêle pliée en avant
en équilibre
du bout des genoux
"Elle plia les genoux et joignit les mains en disant
"Ecce ancilla Domini"
interrompue dans sa lecture pieuse
la servante du Seigneur reçoit son visiteur
plus légère que son ombre humaine
aile sombre déposée sur le mur
devant elle Gabriel le messager ailé
bien droit
sans poids presque sans ombre
mais non sans la douceur
d'une bien humaine tendresse
Botticelli 1489 Galerie des Offices à Florence
à nouveau la parole qui déséquilibre la Vierge
elle vacille
déjà un évanouissement comme au pied de la croix
cette fois c'est l'archange qui s'agenouille
le lys à la main
comme intitimidé par sa mission
à la tension dans la chambre
répond au loin le calme d'un paysage maîtrisé par l'homme
et se dresse entre terre et ciel
l'Arbre
Leonard de Vinci 1472-75 Galerie des Offices à Florence
(avec Biber : la passacaille- l'Ange gardien)
http://youtu.be/JS8tnac9ad0
dehors
Ici la Vierge n'est plus dans une pièce close
elle interrompt sa prière
assise devant son prie-Dieu sur les fleurettes du jardin
comme femme à la quenouille aux beaux jours
l'ange Gabriel lui adresse son angélique salutation
d'un profil très pur
Marie reçoit le message une main sur les écritures
l'autre ouverte pour l'accueil
sereine
la tranquillité du jardin
l'aide à respirer
ce doit être la fin de l'après-midi
car l'ombre de Gabriel s'allonge entre eux
(avec Heinrich Ignaz von Biber: les mystères du Rosaire)
http://youtu.be/JS8tnac9ad0
Lorenzo Lotto 1534 - Pinacoteca Civica de Recanati
"La puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre"
le geste impérieux du Père
l'intrusion de l'archange décoiffé
j'allais dire l'effraction
projetant son ombre inquiétante dans une chambre bien rangée
au fait est-ce vraiment l'ombre de l'ange
n'est-ce pas plutôt celle du très-Haut
tandis qu'au sol le chat noir au poil hérissé
s'enfuit en poussant un miaulement diabolique
tout cela a bien de quoi pétrifier la Vierge
El Greco 1596-1600, Musée du Prado à Madrid
passage
le dialogue véhément de l'archange vert aux ailes déployées
et de la Vierge éclairée par la colombe de l'Esprit Saint
transperçant les nuages
entre eux montent les flammes d'un buisson ardent
et résonne la baroque musique des anges
nous voilà bien loin du silence de Fra Angelico
mais quelle divine promesse!
(à nouveau l'Ave Maris Stella des Vêpres de Monteverdi, autre version)
http://youtu.be/cim9oZd8N7Y
un peu plus tard Nicolas Poussin en 1657 peint à Rome cette merveilleuse Annonciation minimaliste - National Gallery à Londres
dedans
à nouveau le silence d'un temps suspendu
sous le vol immobile de la colombe
la Vierge offerte
pieds nus sur sa petite estrade
les bras ouverts comme son livre
les yeux fermés pour mieux recevoir
le message de l'ange aux index indicatifs
elle porte le vêtement jaune des femmes juives de l'époque à Rome
( avec Marc-Antoine Charpentier)
http://youtu.be/Hu_5p400SeQ
"Alors l'ange la quitta"
(à suivre pour d'autres variations de l'Annonciation en Corse)
00:57 Publié dans regards sur l'art, spiritualité | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : annonciation, ave maris stella, autun, simone martini, monteverdi, fra angelico, botticelli, lorenzo lotto, leonard de vinci, el greco, poussin | Facebook |
05/12/2011
L'Immaculée Conception : un testament mystique d'El Greco
Regards
le chef-d'oeuvre mystique de l'Immaculée Conception
peint par le Greco pour le maître Autel de la Chapelle Oballe de San Vicente, à Tolède,
achevée en 1613 et aujourd'hui exposée au Musée Santa Cruz de Tolède
(avec Francisco Correa de Arauxo,
"Tres Glosas sobre Todo el mundo en General" ...)
http://youtu.be/uNcVfj2B4yY
Habituellement dénommée"Assomption", cette grande toile de 348 x 174,5 cm semble bien davantage représenter l'Immaculée Conception comme on le verra à certains détails qui s'apparentent aux "Arma Virginis", symboles des Litanies de la Vierge.
Quoi qu'il en soit, le Greco nous emporte dans le flux ardent de sa vision, où tout communique et crépite dans un mouvement sans début ni fin, le bas et le haut, l'obscur et le lumineux, l'éclatant et le livide, le visible et l'invisible, le proche et le lointain ... Corps distendus, happés par la vision, non pas broyés mais tourbillonnants dans l'extase comme derviches en prière ...
le grand ange dans sa longue diagonale jaune cru
nous entraîne en apesanteur
au-dessus d'une terre irréelle
de son aile puissante de rapace
zèbrant le ciel d'orage
pour recevoir la Vierge
la porter
dans sa descente sur terre
ou son assomption
qui peut le dire
mais un angelot commente
l'index levé
attention
grâce
pure
venue de l'infini
bien centrée
la Colombe de l'Esprit Saint a pénétré
de ses ailes immaculées
douces lames de Tolède
l'épaisseur du ciel
ourlée d'une couronne angélique
tournoyante
de la chair des roses
plane
dans les ascendances
inonde la Vierge d'une lumière spirituelle
rayonnante un peu froide
embrase de glace
la transparence du manteau
http://www.youtube.com/watch?v=XwTZJar17C8&feature=colike
la Vierge entourée d'anges musiciens
attentifs
celui-là le grand rouge au luth
et l'autre qui s'apprête à jouer
hautbois ou cialambella
et le gambiste grave
frottant doucement l'archet courbe
sur sa moitié vibrante
anges musiciens suspendus
à la pensée divine qui crée
sans début ni fin
un ciel nocturne de bourrasques
embrasé de fulgurences
le soleil pour l'éclat
et vêtir la femme de l'Apocalypse
le croissant de lune pour la chasteté
la mélancolie
la défaite des ténèbres
en bas à gauche
la terre
Tolède
reflet fantomatique sous la fuite des nuages
tandis qu'à droite
malgré le Serpent qui fuit
les symboles diaphanes des Litanies de la Vierge
dans "un jardin clos"
"hortus conclusus"
"ma soeur mon épouse est un jardin fermé
une source bien close
une fontaine scellée"
"miroir sans tâche"
"puits d'eaux vives"
au loin s'approche
un vaisseau
voiles gonflées
et sous les pieds nus de l'ange
seuls bien vivants
seuls bien terrestres
les roses et les lys
fleurissent entre les épines
exhalent
le lourd parfum de la pureté
http://www.youtube.com/watch?v=6wm6VwibV9g&feature=colike
23:08 Publié dans el Greco, regards sur l'art, spiritualité | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : el greco, immaculée conception, musée santa cruz de tolede, correa de arauxo, todo el mundoen general, tolède | Facebook |
23/11/2011
El Greco à Tolède : la "nuit obscure" de l'Ame
L'ardent cantique de l'âme:
portraits des Apôtres d'El Greco
( Dhomenikos Theotokopoulos, Candie en Crète 1541 - Tolède 1614 ),
en compagnie de saint Jean de la Croix:
"En una noche oscura
con ansias en amores inflamada
oh dichosa ventura
sali sin ser notada
estando ya mi casa sosegada " ( ...)
" Par une nuit obscure,
Ardente d'un amour plein d'angoisses,
Oh! l'heureuse fortune!
Je sortis sans être vue,
Ma maison étant désormais accoisée
A l'obscur et en assurance,
Par l'échelle secrète, déguisée,
Oh! l'heureuse fortune!
A l'obscur et en cachette,
ma maison étant désormais accoisée.
Au sein de la nuit bénie,
En secret - car nul ne me voyait,
Ni moi je ne voyais rien -
Sans autre lueur ni guide
Hors celle qui brûlait en mon coeur.
Et celle-ci me guidait,
Plus sûre que celle de midi,
Où Celui-là m'attendait
Que je connaissais déjà,
Sans que nul en ce lieu ne parût.
O nuit! toi qui m'a guidée,
O nuit! plus aimable que l'aurore,
O nuit! toi qui as uni
L'Aimé avec son aimée,
L'aimée avec son Aimé transformée.
Sur mon coeur couvert de fleurs,
Qui se gardait, entier, pour lui seul,
Il reste là -endormi-
Et moi, je le caressais,
L'éventant de l'éventail des cèdres.
L'air qui soufflait du créneau,
Quand je lui caressais les cheveux,
De sa main sereinement
Venait me blesser au cou,
Et tenait en suspend tous mes sens.
Je me tins coi, dans l'oubli,
Le visage penché sur l'Aimé.
Tout cessa. Je restai là,
Abandonnant mon souci,
Parmi les fleurs des lis, oublié."
(La montée du Mont Carmel)
(les fleurs de l'Assomption, vers 1612, Musée Santa Cruz)
(les larmes de saint Pierre: attribué au Greco ou à son atelier )
à écouter, Roland de Lassus:
http://youtu.be/zjHVO0MU0g8
"Où T'es-Tu caché, Ami,
Toi qui me laissas dans les gémissements?"
le saint Luc de la sacristie de la Cathédrale de Tolède. La série des Apôtres de la cathédrale fut exécutée, pense-t-on, entre 1601 et 1610.
douceur mystique du visage allongé, strabisme troublant de ce regard perdu en dedans: le strabisme de l'âme .
C'est peut-être un autoportrait
Voici le dernier cycle des "Apostolados", peinte par El Greco entre 1610 et 1614, juste avant sa mort. Cette série avait été peinte à l'origine pour l'hôpital de Santiago à Tolède.
On peut aujourd'hui l'admirer au Musée d'El Greco à Tolède, où la proximité des toiles rend encore plus intense la rencontre de ces visages souvent inachevés ...
Saint Pierre
et son visage
saint Paul
saint Jean: tenant la coupe empoisonnée.
Probable intervention des collaborateurs de l'atelier.
son visage juvénile ...
et sa main:
réminiscence de l'art premier de Greco le Crétois
saint Barthélémy
Puissant!
saint Jacques Majeur
et son visage, si proche
Saint Jacques Mineur
son visage, avec cette assymétrie troublante ...
et sa main
Saint Thomas
et son visage ...
saint Philippe
son visage: le nez pointu, une constante.
Saint André
et son visage ...
Saint Jude Thaddée
et son visage: un oeïl interrogatif pour vous scruter, l'autre pour le dedans
Saint Simon
et son visage: concentré sur le Livre
Saint Mathieu
son visage: nulle frontière entre le dehors et le dedans, rien n'est fermé, tout est passage
... et sa main ...
enfin, le Christ Rédempteur,
comme une icône de Christ Pantocrator
mais les yeux dans les yeux.
"O vive flamme d'amour
Qui navres avec tendresse"
(Saint Jean de la Croix)
à écouter: Manus tuae Domine, Cristobal de Morales
http://www.youtube.com/watch?v=WuHZnghwtJQ&feature=colike
Le Greco, partagé à Tolède avec mon Pierre, le bon apôtre:
un vrai air de famille ...
(à suivre)
00:41 Publié dans el Greco, regards sur l'art | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tolède, el greco, les apôtres, musée el greco, saint jean de la croix, montée du mont carmel | Facebook |