17/04/2011
Sepolcri de la Semaine Sainte en Corse
Sepolcri de la Semaine Sainte en Corse
(à Volpajola, un sepolcru populaire, fleuri et placé en situation pour la Semaine Sainte)
Parmi les objets de la dévotion populaire les plus extraordinaires et les plus touchants pour moi, il est un patrimoine particulièrement menacé par l’abandon des coutumes religieuses : c’est celui des sepolcri peints que l’on créait pour célébrer la Semaine Sainte dans les villages. Contrairement aux séries des Chemins de Croix peints à partir de la prédication en Corse de San Leonardo da Porto Maurizio, en 1744, et qui sont encore visibles aux murs de nos églises – pas toujours en ordre, ni en très bon état, sauf lorsque la communauté a décidé de les faire restaurer et les réutilise "en situation" – les sepolcri, eux, survivent cachés, souvent mal entreposés, victimes de leur destination passagère: conçus pour mettre en scène la Passion dans l'église dès le Jeudi Saint , délimitant une sorte de chapelle ardente -le sepolcru ou reposoir - par des toiles peintes qui seront démontées et disparaîtront le Samedi Saint.
Décors éphémères, donc, peints sur des supports relativement grossiers et peu apprêtés, à l’économie, décors d’autant plus fragiles que manipulés chaque année à cette période…
En Castagniccia, à Ficaja, un sepolcru peint par Francescu CARLI
(ici le Jugement de Pilate et le portement de croix).
(idem: l'arrestation de Jésus au Jardin des Oliviers et la flagellation)
Deux panneaux articulés à taille humaine composent une partie de ce sepolcru dont l’entrée était gardée par ces deux soldats peu commodes.
Les anciens dans les villages me le disent tous et se souviennent: lorsque enfants, ils traversaient de nuit, la main serrée dans celle de leur mère, l'obscurité de l'église pour aller prier devant le sepolcru, la terreur s'emparait d'eux à la rencontre de ces guerriers menaçants montant la garde devant cette chapelle ardente éclairée par les lampes à huiles et les cierges crépitants… Emotion religieuse mêlée d'effroi, tissée de chants et de prières murmurées. De même qu'on ne laisse jamais un mort sans compagnie avant son inhumation, de même l'usage était de veiller Jésus après son agonie: Jésus et nos morts se bercent comme on berce les petits enfants, à voix douce, avec tendresse et instinct.
(les gardiens du sepolcru de Castiglione)
... sale tête, non? C'est l'Autre ( dans l'iconographie méditerranéenne "le Maure", "le Turc", "le Juif", bref, délit de sale tête oblige, ce n'est pas nouveau...), le féroce envahisseur qui razzie, massacre, ou le mécréant au service du Mal, de l'injustice etc...
et son collègue, redoutable centurion d'opérette, fièrement campé jambes écartées ...
(Castiglione, la Déploration du Christ: anonyme, début XIXe)
Peinture forte, et même si non conforme aux meilleures règles de l'art, efficace: au premier plan, les personnages jouent leur partition dramatique, nous happent dans leur communion muette et véhémente de la douleur autour du Christ mort: nudité rigide du Christ, Marie la Mère, les bras largement ouverts sur la pire souffrance du monde, compassion et chagrin du disciple aimant, Jean, larmes silencieuses de la femme à la chevelure flamboyante, Marie-Madeleine , commentaire du choeur des saintes femmes drapées de bleu sombre, tout est en place. Derrière eux, une surprenante montée du Golgotha avec le portement de croix égréné à petits traits nerveux le long de la pente...
Dans cette petite église de la Ghjuvellina se jouait - et se chantait - naguère une Passion à laquelle participaient tous les gens du village, jeunes et vieux, réactualisant le sens des mystères du Moyen-Age: j'ai rencontré là-bas le dernier ange de cette passion, un ange de quatre vingt dix ans passés... Ce vieux monsieur restait aussi le dernier protagoniste de l'extraordinaire carnaval de ce village où se vivait pour le Mardi-Gras un véritable rite de printemps: musique, danse et castagnes pour faire renaître la vie, et précédant comme il se doit la grande fête théâtralisée de la Passion .
En Corse la présence du chant est indissociable de la ferveur religieuse et pour moi toutes ces peintures ont une voix.
Accompagnant cette iconographie, parmi les chants les plus répandus, l'on pourrait entendre la lamentation douloureuse du Stabat Mater :
"Stabat Mater Dolorosa
Juxta crucem la crimosa
Dum pendebat filius
Cujus animam gementem
Contristatam et dolentem
Pertransivit gladius
(Déploration du Christ)
O quam tristis et afflicta
Fuit illa benedicta
Mater Unigeniti!
Quae moerebat et dolebat
Pia Mater dum videbat
Nati poenas inclyti
Quis est homo qui non fleret
Matrem Christi si videret
In tanto supplicio?"
Nous sommes pris à témoin par ces sepolcri : compassion devant un drame universel, bien au-delà de la religion,
ou plutôt en amont, partage humain de cette douleur-là trop bien expérimentée par tous. Fonction libératrice du partage de la douleur.
"Santa Madre, questo fate,
Che le piaghe del Signore
Siano impresse nel moi core !"
(refrain populaire du Stabbat Mater)
Résonnance. Reconnaissance. Lien communautaire. Surtout lorsque ces sepolcri font l'objet de la Cerca, visites déambulatoires entre communautés voisines, ou entre confréries comme c'est encore le cas pour certaines régions de Corse.... Pas d’échappatoire: nous voilà acteurs de cette dramaturgie, non pas invités à un festin esthétique.
18:09 Publié dans patrimoine, semaine sainte en corse, sepolcri de Corse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : reposoirs, semaine sainte, dévotion populaire, iconographie populaire de la semaine sainte en corse, dramaturgie du sacré, volpajola, calenzana, san damianu, ficaghja, nessa, feliceto, castiglione | Facebook |
Brève du Purgatoire: l'église piévane San Giovanni Battista de Tuani
La Piévanie de Toani
Le site de cette église en ruines jouxte l'ancien couvent franciscain observentin de Tuani (" E hanno in questa pieve, li frati Minori de Santo Francesco, uno monastiro non manco bello di edificii che di sito": Agostino Giustiniani, in Description de la Corse [premier tiers du XVI ème. s] , publié par Antoine-Marie Graziani) , admirablement implantée dans le paysage entre les communautés de cette Piève de Tuani, à la croisée des chemins entre les anciens villages médiévaux :
li Quercioli ( village disparu au nord de Belgodère), Belgodère, Ochjatana, le Ville (Ville di Paraso ne prendra ce nom qu'à la fin du XVIII°s.), la Costa ( centre de la pievanie), le Cavalleragie ( disparu, au sud du couvent), Speluncato (cette dernière communauté était partagée entre la Pieve de Tuani et celle de Sant'Andrea)
Ecoutons à nouveau Monseigneur Giustiniani, à travers l'introduction d'Antoine-Marie Graziani (idem, Description de la Corse, Editions A. Piazzola, p.LXX) :
" Cette pieve (...) se réduit à trois Capelle à l'intérieur desquelles se partagent les différents villages habités.
- Capella San Gavino ou Communauté de Belgodère
- Capella San Bartolomeo ou Communauté d'Occhiatana. Elle comprend Occhiatana et Costa.
- Capella San Simone de Ville di Speloncato. Elle est composée de Ville, Rusto, Olivacce, Querci et Cavaleraccie."
(Relazione della Prima Visita Pastorale)
***
Le lieu-dit porte le nom de Pieve.
Ce matin, visite mélancolique de ce beau lieu: nous nous tenons à une distance raisonnée du troupeau de vaches qui désormais fréquente assidûment le lieu et peut efficacement se gratter le dos sur les pierres de l'église. Chronique d'une ruine avancée, acceptée.
Des tuiles et des briques romaines trouvées sur le site évoquent une implantation antique: toute cette région généreuse de Balagne connait l'agriculture depuis le néolithique, et la présence romaine poursuit naturellement l'histoire de l'occupation humaine. Qu'y avait-il dans l'antiquité ? On peut penser à une colonisation agricole des Romains dont nous retrouvons la présence non loin de là, entre autres sous Speluncato, avec "I Bagni", restes de thermes romains ...
Aujourd'hui les ruines de cette importante église piévane (22m de longueur sur 9 m de largeur) montrent une reconstruction tardive, sans doute au XIVème siècle, d'un sanctuaire de l'époque pisane romane (XI°s. ?). Pour une raison que nous ignorons, l'abside en cul de four à l'est nous manque,
et l'arc triomphal ouvre désormais sur un choeur plat ...
La végétation envahit le sol, mais aussi les murs , continuant de desceller les pierres
comme ici, ce lierre vigoureux qui vampirise le mur nord est
De nombreux éléments sculptés ou taillés ont été réemployés lors de la reconstruction du XIV° S., comme ici ce bandeau orné de petits cercles,
où là , au-dessus des pilastres à pans coupés
Les belles dalles de revêtement, en granit blanc, ocre ou gris ont retrouvé une place, ainsi que la polychromie des claveaux alternant le gris sombre et le blanc, dans les arcs de décharge au-dessus des portes:
ici la façade ouest
et là, la porte du mur nord. A côté, la béance d'une plaie ouverte, pierres arrachées.
(à travers la porte ouest, Ville di Paraso)
Voici donc ce qui reste de ce qui fut le coeur de cette Pieve de Tuani:
Là où venaient se faire baptiser et juger (" a petra all'arringu" , l a pierre de justice, autrement dit le Tribunal se tenant le plus souvent près de l'église piévane : "on prêtait serment sur la petrall'arringo qui était souvent le couvercle d'une des sépultures entourant la piévanie"- G. Moracchini Mazel,les églises romanes de Corse, p. 202) tous les habitants de cette pieve fertile, sous la protection de de San Giovanni Battista, c'est une ruine désormais abandonnée à la villégiature des vaches et des taureaux qui viennent s'y frictionner l'échine entre deux meuglements printaniers. J'émets le souhait que nous trouvions prochainement pour ce lieu significatif er chargé d'histoire - bien que situé sur un terrain privé- une solution pour le conserver comme patrimoine insigne de cette communauté de la pieve de Tuani, voire, pour que nous puissions, un jour, envisager sa restauration ...
Notons enfin que le titre d'église pievane échut dès le le XVI°s. à l'église voisine San Michele de Speluncato: " ... chiesa di San Michele, che di presente serve per la chiesa plebania di Tovani, il titro pero di S. Gio. Battista, chiesa situata nella pieve di Tovani; resta mezzo miglia lontano da Speloncato vicino alli frati Riformati ..." (Mgr Marliani, 1646)
La petite église paroissiale San Salvatore de Costa conserve sans doute quelque nostalgie de ce titre piévan, comme en témoigne cette peinture ( F. Giavarini, début XIX°s.) de la voûte représentant le martyre de san Giovanni Battista, le saint patron de l'ancienne église piévane de Tuani.
07:44 Publié dans brèves du purgatoire, chapelles romanes corses, corse, patrimoine | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : costa, pieve de tuani, église san giovanni battista de toani, agostino giustiniani, antoine-marie graziani | Facebook |
24/03/2011
La Montagne des Orgues ...
Reprise des parcours de la Montagne des orgues début avril ...
La participation à ces journées permet de contribuer aux dépenses et aux efforts engagés en faveur du patrimoine. de la Corse. Cette année, chaque première inscription, de 30 €, équivaut à une adhésion annuelle à l'Association Saladini et soutient son travail. Les parcours suivants restent à 25 €.
Ces parcours sont sujets à variations.
Vous pouvez retrouver le site de "la Montagne des Orgues":
www.montagne-des-orgues.com
Je rappelle que l'Association Saladini de Speloncato a pour vocation la protection active du patrimoine et qu'elle reçoit les encouragements du Ministère de la Culture, du Condeil Général, de la Collectivité Territoriale de Corse, et bien entendu aussi de la Mairie de Speloncato.
(la petite sainte Cécile de Speluncatu)
à très bientôt, donc!
12:42 Publié dans corse, histoire de la Corse, la montagne des orgues, orgues historiques de Corse, parcours de découverte du patrimoine en Corse, patrimoine, patrimoine populaire de Corse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : parcours de découverte du patrimoine, mise en valeur du patrimoine, découverte des orgues historiques de corse | Facebook |
11/03/2011
La champignonnière de Scata: un patrimoine menacé
Fin février, dans le petit village de Scata, pieve d'Ampugnani, diocèse de Mariana
... dans le crépuscule de cette fin d'après-midi l'église sainte Cécile et derrière, la confrérie sainte Croix ...
L'inventaire général du patrimoine de la Région corse a mené une étude du patrimoine de Scata , consultable sur le site du ministère de la Culture:
www.culture.gouv.fr/public/mistral/memoire_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_98=LOCA&VALUE_98=...
11:15 Publié dans corse, patrimoine, restauration du patrimoine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : scata, corse, castagniccia, sainte cécile, marc antoine de santis, giacomo grandi | Facebook |
24/01/2011
"Sant Antonio del porcu"
08:27 Publié dans patrimoine | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : saint antoine abbé, cochons, ordre des antonins, ergot du seigle, mal des ardents, tau | Facebook |