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17/04/2011

Sepolcri de la Semaine Sainte en Corse

Sepolcri de la Semaine Sainte en Corse

 


 

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(à Volpajola, un sepolcru populaire, fleuri et placé en situation pour la Semaine Sainte)

Parmi les objets de la dévotion populaire les plus extraordinaires et les plus touchants pour moi, il est un patrimoine particulièrement menacé par l’abandon des coutumes religieuses : c’est celui des sepolcri peints que l’on créait pour célébrer la Semaine Sainte  dans les villages. Contrairement aux séries des Chemins de Croix peints à partir de la prédication en Corse de San Leonardo da Porto Maurizio, en 1744, et qui sont encore visibles aux murs de nos églises  – pas toujours en ordre, ni en très bon état, sauf lorsque la communauté a décidé de les faire restaurer et les réutilise "en situation" – les sepolcri, eux, survivent cachés, souvent mal entreposés, victimes de leur destination passagère:  conçus pour mettre en scène la Passion dans l'église dès le Jeudi Saint , délimitant une sorte de chapelle ardente -le sepolcru ou reposoir -  par des toiles peintes qui seront démontées et disparaîtront le Samedi Saint.

Décors éphémères, donc, peints sur des supports relativement grossiers et peu apprêtés, à l’économie, décors d’autant plus fragiles que manipulés chaque année à cette période…


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En Castagniccia, à Ficaja, un sepolcru peint par Francescu CARLI

(ici le Jugement de Pilate et le portement de croix).

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(idem: l'arrestation de Jésus au Jardin des Oliviers et la flagellation)

 

 

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(les gardiens du sepolcru de Ficaja)

 

Deux panneaux articulés à taille humaine composent une partie de ce sepolcru dont l’entrée était gardée par ces deux soldats peu commodes.

 

Les anciens dans les villages me le disent tous et se souviennent: lorsque enfants,  ils traversaient de nuit, la main serrée dans celle de leur mère, l'obscurité de l'église  pour aller prier devant le sepolcru, la terreur s'emparait d'eux à la rencontre de ces guerriers menaçants montant la garde devant cette chapelle ardente  éclairée par les lampes à huiles et les cierges crépitants… Emotion religieuse mêlée d'effroi, tissée de chants et de prières murmurées. De même qu'on ne laisse jamais un mort sans compagnie avant son inhumation, de même l'usage était de veiller Jésus après son agonie: Jésus et nos morts se bercent comme on berce les petits enfants, à voix douce, avec tendresse et instinct.

 

 

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(les gardiens du sepolcru de Castiglione)

... sale tête, non? C'est l'Autre ( dans l'iconographie méditerranéenne "le Maure",  "le Turc", "le Juif", bref, délit de sale tête oblige, ce n'est pas nouveau...), le féroce envahisseur qui razzie, massacre, ou le mécréant au service du Mal, de l'injustice etc...

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et son collègue, redoutable centurion d'opérette, fièrement campé jambes écartées ...

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(Castiglione, la Déploration du Christ: anonyme, début XIXe)

Peinture forte, et même si non conforme aux meilleures règles de l'art, efficace: au premier plan, les personnages jouent leur partition dramatique, nous happent dans leur communion muette et véhémente de la douleur autour du Christ mort: nudité rigide du Christ, Marie la Mère, les bras largement ouverts sur la pire souffrance du monde, compassion et chagrin du disciple aimant, Jean, larmes silencieuses de la femme à la chevelure flamboyante, Marie-Madeleine , commentaire du choeur des saintes femmes drapées de bleu sombre, tout est en place. Derrière eux, une surprenante montée du Golgotha avec le portement de croix égréné à petits traits nerveux le long de la pente...

Dans cette petite église de la Ghjuvellina se jouait - et se chantait - naguère une Passion à laquelle participaient tous les gens du village, jeunes et vieux, réactualisant le sens des mystères du Moyen-Age: j'ai rencontré là-bas le dernier ange de cette passion, un ange de quatre vingt dix  ans passés... Ce vieux monsieur restait aussi le dernier protagoniste  de l'extraordinaire carnaval de ce village où se vivait pour le Mardi-Gras un véritable rite de printemps: musique, danse et castagnes pour faire renaître la vie, et précédant comme il se doit la grande fête théâtralisée de la Passion .

En Corse la présence du chant est indissociable de la ferveur religieuse et pour moi toutes ces peintures ont une voix.

Accompagnant cette iconographie, parmi les chants les plus répandus, l'on pourrait entendre la lamentation douloureuse du Stabat Mater :

 

"Stabat Mater Dolorosa

Juxta crucem la crimosa

Dum pendebat filius

Cujus animam gementem

Contristatam et dolentem

Pertransivit gladius

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(Déploration du Christ)

O quam tristis et afflicta

Fuit illa benedicta

Mater Unigeniti!

Quae moerebat et dolebat

Pia Mater dum videbat

Nati poenas inclyti

Quis est homo qui non fleret

Matrem Christi si videret

In tanto supplicio?"


Nous sommes pris à témoin par ces sepolcri : compassion devant un drame universel, bien au-delà de la religion,

ou plutôt en amont, partage humain de cette douleur-là trop bien expérimentée par tous. Fonction libératrice du partage de la douleur.

"Santa Madre, questo fate,

Che le piaghe del Signore

Siano impresse nel moi core !"

(refrain populaire du Stabbat Mater)

 

 

Résonnance. Reconnaissance. Lien communautaire. Surtout lorsque ces sepolcri font l'objet de la Cerca, visites déambulatoires entre communautés voisines, ou entre confréries comme c'est encore le cas pour certaines régions de Corse.... Pas d’échappatoire: nous voilà acteurs de cette dramaturgie, non pas invités à un festin esthétique.

 

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et dans cette com-passion, chaque détail compte :
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de sa main attentive, l'artiste a déposé la fleur amoureuse de cette blessure
(sepolcru de Feliceto)

 

 



Autre chose nous apparait de plus en plus clairement: chaque communauté a développé et interprété sa dramaturgie: les mêmes paroles du Perdono mio Dio, ou du Stabbat Mater seront chantées différemment que l'on soit à Vescovato,  Speloncato,  Calvi,  Costa,  Olmi Cappella, Bonifacio, Sartène,  Patrimonio ... les déambulations - "et comment faites-vous ça, chez vous?"- , les représentations des Chemins de Croix ou des sepolcri  ne seront jamais identiques et pourtant le fond reste le même, puissant, archétypique, faisant tressaillir quelque chose au plus profond de nous, quelque chose qui appartient au monde spirituel et non à celui de la muséographie.
Ici, on aura mieux gardé tels chants. Ailleurs, on aura perdu les chants mais on aura préservé les rencontres entres communautés le jeudi et le vendredi saint. Là-bas on va renouer les fils "de la tradition" (elle a bon dos, la tradition!) en se réinventant une mise en scène en sons et lumières , qui du reste comblera de bonheur les touristes de Pâques: quoi qu'il en soit, même sous les éclairages les plus agressifs et dans les scénographies les plus relookées,  ces Passions "jouées" dans les villages continuent d'entrouvrir un univers symbolique où s'incarne l'énigme...
***
Deux éléments de sepolcru, peints par Giacomo GRANDI pour Calenzana:

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 la composition resserrée de la Crucifixion: la Vierge, Jean et Marie-Madeleine sont aux pieds du Christ, sur un fond dramatique tout enténébré de ciel noir; un soldat romain armé d'un bouclier à tête de diable garde, menaçant, la scène.

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  à la droite du Christ, le bon larron déjà auréolé de sainteté regarde Jésus,

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tandis qu'à sa gauche  le méchant larron détourné vers son mauvais destin se fait mettre le grappin dessus par un diablotin crachant le feu ...

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... et toute la pompe architecturale (rêvée!) du pouvoir en place: le geste noble d'un Pilate empannaché et, derrière lui, la silhouette mauresque d'un garde d'opérette...

***

... et d'autres sepolcri ...
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... celui de Quercitello (XVIIIème s. Castagniccia) ...
nudité fragile non pas raidie
exposée tendrement dans son lange de mort
par des anges aux bras ouverts
les yeux fermés de l'Un
 les yeux baissés des autres
la main de l'ange laissée libre pour la parole
de la compassion
non pas hurlée
non pas criée
non pas chantée
juste méditée
silencieuse
sous sa guirlande de roses odorantes
Sepolcru Nessa blog.jpg
... celui de Nessa (XIXème s. Balagne) ...
peint par le peintre local Giuseppe Antonio ORSINI de NESSA:
"Attendite universi populi et videte dolorem meam"
Ici, raideur cadavérique
et cathéchisme égrené
tout autour du sepolcru
des instruments de la Passion
sepolcru Nessa orteils.jpg
meurtrissure des pieds nus
ceux-là mêmes qui ont trotté sur les chemins dallés
entre montagne et mer
sous les oliviers
pour pacager
piocher
glaner
ceux-là mêmes qui ont botté les fesses des chenapans
foulé les raisins au pressoir
goûté l'herbe et la mousse
bref des pieds intelligents de glèbeux
avec de longs orteils comme antennes

022 San Damiano - mise au tombeau- jpg blog.jpg
...  et sur  un fond sombre, celui de San Damianu (XVIIIème s. Castagniccia)
peint par Giacomo GRANDI ...
et la plainte véhémente de Marie de Magdala
qui dévoile de sa main amoureuse le visage du Christ
les larmes de Marie de Jacques
la souffrance poignardée de la Mère
devant le corps supplicié
de l'aimé
de tous les suppliciés aimés de la terre
et Marie la Mère a dénoué sa chevelure en signe de deuil
libérant le flot puissant de sa douleur
***
en écho, cette autre forme de sepolcru, sur la place de nos villages
Occhiatana gisant blog.jpg
ici, le Monument aux Morts d'Ochjatana, oeuvre de Damaso Maestracci


***


 

Brève du Purgatoire: l'église piévane San Giovanni Battista de Tuani

La Piévanie de Toani

 


san Giovanni Battista piève de Toani.jpg

Le site de cette église en ruines jouxte l'ancien couvent franciscain observentin de Tuani (" E hanno in questa pieve, li frati Minori de Santo Francesco, uno monastiro non manco bello di edificii che di  sito": Agostino Giustiniani, in  Description de la Corse  [premier tiers du XVI ème. s] , publié par Antoine-Marie Graziani) , admirablement implantée dans le paysage entre les communautés de cette Piève de Tuani, à la croisée des chemins entre les anciens villages médiévaux :

li Quercioli ( village disparu au nord de Belgodère), Belgodère, Ochjatana, le Ville (Ville di Paraso ne prendra ce nom qu'à la fin du XVIII°s.), la Costa ( centre de la pievanie),  le Cavalleragie ( disparu, au sud du couvent), Speluncato  (cette dernière communauté  était partagée entre la Pieve de Tuani et celle de Sant'Andrea)

Ecoutons à nouveau Monseigneur Giustiniani, à travers l'introduction d'Antoine-Marie Graziani (idem, Description de la Corse, Editions A. Piazzola, p.LXX) :

 

" Cette pieve (...) se réduit à trois Capelle à l'intérieur desquelles se partagent les différents villages habités.


- Capella San Gavino ou Communauté de Belgodère

- Capella San Bartolomeo ou Communauté d'Occhiatana. Elle comprend Occhiatana et Costa.

- Capella San Simone de Ville di Speloncato. Elle est composée de Ville, Rusto, Olivacce, Querci et Cavaleraccie."

(Relazione della Prima Visita Pastorale)

 

***

Le lieu-dit porte le nom de Pieve.


le mur et la porte ouest blog.jpg


Ce matin, visite mélancolique de ce beau lieu: nous nous tenons à une distance raisonnée du troupeau de vaches qui désormais fréquente assidûment le lieu et peut efficacement se gratter le dos sur les pierres de l'église. Chronique d'une ruine avancée, acceptée.

 

Des tuiles et des briques romaines trouvées sur le site évoquent une implantation antique: toute cette région généreuse de Balagne connait l'agriculture depuis le néolithique, et la présence romaine poursuit naturellement l'histoire de l'occupation humaine. Qu'y avait-il dans l'antiquité ? On peut penser à une colonisation agricole des Romains dont nous retrouvons la présence non loin de là, entre autres sous Speluncato, avec "I Bagni", restes de thermes romains ... 


Aujourd'hui les ruines de cette importante église piévane (22m de longueur sur 9 m de largeur) montrent une reconstruction tardive, sans doute au XIVème siècle, d'un sanctuaire de l'époque pisane romane (XI°s. ?). Pour une raison que nous ignorons, l'abside en cul de four à l'est nous manque,

 

pieve Toani l'arc et le choeur blog.jpg

et l'arc triomphal ouvre désormais sur un choeur plat ...

La végétation envahit le sol, mais aussi les murs , continuant de desceller les pierres

pieve lierre blog.jpg

comme ici, ce lierre vigoureux qui vampirise le mur nord est

bandeau sculpté sous l'arc blog.jpg

De nombreux éléments sculptés ou taillés ont été réemployés lors de la reconstruction du XIV° S., comme ici ce bandeau orné de petits cercles,

pieve de Toani pilastre intérieur blog.jpg

où là , au-dessus des pilastres à pans coupés


  

Les belles dalles de revêtement, en granit blanc, ocre ou gris ont retrouvé une place, ainsi que la polychromie des claveaux alternant le gris sombre et le blanc, dans les arcs de décharge au-dessus des portes:

pieve Toani porte ouest.jpg

ici la façade ouest

mur nord et porte blog.jpg

 

et là, la porte du mur nord. A côté, la béance d'une plaie ouverte, pierres arrachées.

 

porte ouest et Ville blog.jpg

(à travers la porte ouest, Ville di Paraso)

Voici donc ce qui reste de ce qui fut le coeur de cette Pieve de Tuani:

Là où venaient se faire baptiser  et juger (" a petra all'arringu" , l a pierre de justice, autrement dit le Tribunal se tenant le plus souvent près de l'église piévane : "on prêtait serment sur la petrall'arringo qui était souvent le couvercle d'une des sépultures entourant la piévanie"- G. Moracchini Mazel,les églises romanes de Corse, p. 202)  tous les habitants de cette pieve fertile, sous la protection de de San Giovanni Battista, c'est une ruine désormais abandonnée à la  villégiature des vaches et des taureaux qui viennent s'y frictionner l'échine entre deux meuglements printaniers. J'émets le souhait que nous trouvions prochainement  pour ce lieu significatif er chargé d'histoire - bien que situé sur un terrain privé-  une solution pour le conserver comme patrimoine insigne de cette communauté de la pieve de Tuani, voire, pour que nous puissions, un jour, envisager sa restauration ...

Notons enfin que le titre d'église pievane échut dès le le XVI°s. à l'église voisine San Michele de Speluncato: " ... chiesa di San Michele, che di presente serve per la chiesa plebania di Tovani, il titro pero di S. Gio. Battista, chiesa situata nella pieve di Tovani; resta mezzo miglia lontano da Speloncato vicino alli frati Riformati ..." (Mgr Marliani, 1646)

Martyre st Jean Baptiste blog.jpg

La petite église paroissiale San Salvatore de Costa conserve sans doute quelque nostalgie de ce titre piévan, comme en témoigne cette peinture   ( F. Giavarini, début XIX°s.) de la voûte représentant le martyre de san Giovanni Battista, le saint patron de l'ancienne église piévane de Tuani.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



24/03/2011

La Montagne des Orgues ...

 

Reprise des parcours de la Montagne des orgues   début avril ...

RECTO_2011[1] blog.jpg

La participation à ces journées permet de contribuer aux dépenses et aux efforts engagés en faveur du patrimoine. de la Corse. Cette année, chaque première inscription, de 30 €,  équivaut à une adhésion annuelle à l'Association Saladini et soutient son travail. Les parcours suivants restent à 25 €.

Ces parcours sont sujets à variations.

 

RECTO_2011[1] bandeau.jpg

Vous pouvez retrouver le site de "la Montagne des Orgues":

www.montagne-des-orgues.com

Je rappelle que l'Association Saladini de Speloncato  a pour vocation la protection active du patrimoine et qu'elle reçoit les encouragements du Ministère de la Culture, du Condeil Général, de la Collectivité  Territoriale de Corse, et bien entendu aussi de la Mairie de Speloncato.

 


parcours de découverte du patrimoine,mise en valeur du patrimoine,découverte des orgues historiques de corse

(la petite sainte Cécile de Speluncatu)

 

à très bientôt, donc!

11/03/2011

La champignonnière de Scata: un patrimoine menacé

 

                 Fin février, dans le petit village de Scata,                  pieve d'Ampugnani, diocèse de Mariana

 

Scata église sainte Cécile et confrérie ste Croix blog.jpg

... dans le crépuscule de cette fin d'après-midi l'église sainte Cécile et derrière, la confrérie sainte Croix ...

 

L'inventaire général du patrimoine de la Région corse a mené une étude du patrimoine de Scata , consultable sur le site du ministère de la Culture:

www.culture.gouv.fr/public/mistral/memoire_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_98=LOCA&VALUE_98=...

***
Rencontre avec sainte Cécile, la sainte patronne de la musique  ...

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 Elle habite l'église, derrière l'autel, noble et tranquille.
Cette toile est une oeuvre maîtresse de Marc'Antonio  DE SANTIS: ce peintre, originaire de Benevento, dans l'Etat de Naples,  va choisir de s'installer  dès 1647 à Bastia où il exercera son art jusquà sa mort vers 1681, enrichissant les églises de Corse de ses oeuvres  talentueuses (merci M.E. Nigaglioni!). L'on sait de lui qu'il fut particulièrement sensible  à la musique et ce sujet de sainte Cécile à Scata ne pouvait que le toucher.

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Il représente, aux environs de 1660, cette magnifique sainte Cécile chantant et effleurant d'une main délicate l'orgue selon l"iconographie la plus courante dans nos églises et sur nos tribunes d'orgues peintes.
Hélas, la toile n'est pas en bon état et elle est menacée par le mal qui a déjà attaqué les deux autres toiles de l'église:

 

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Ici le Rosaire, peint par ce bon peintre du XVIII°s. que nous connaissons bien, Giacomo GRANDI. La Vierge et l' Enfant remettent le Rosaire aux saints Dominique et François. Ici les quinze Mystères sont répartis en trois parties.

 

 

Scata Rosaire Vierge et Enfant détail blog.jpg

Malheureusement depuis environ un an cette jolie  toile est la proie de champignons dévastateurs, détruisant jusqu'à la lecture de l' oeuvre . La propagation de cette peste cryptogamique est implacable, les spores migrant sournoisement d'une toile à l'autre dans le silence humide de l'église.
La municipalité vient de terminer la réfection du toit qui laissait, avant cette intervention urgente, les eaux de pluie ruisseler à l'intérieur de l'église: les murs mettront sans doute du temps à s'assècher et en attendant, que faire pour sauvegarder les toiles de Scata?
Le maire se bat pour les priorités communales basiques, utilisant au plus serré le budget exsangue d'une petite commune montagnarde dépeuplée: tout à l'égout, ramassage des poubelles, routes, etc ... la sécurité vitale des gens passe évidemment bien avant toute idée de restauration du patrimoine, non pas qu'à Scata l'on s'en désintéresse, mais l'on n'a pas matériellement les moyens d'agir ...

Ce patrimoine des villages nous interroge, car c'est aussi le nôtre - et ce n'est pas parce que ce patrimoine n'est pas souvent  signé par des grands noms et qu'il a souvent cette connotation d'art populaire qu'il faut le laisser mourir. On souhaîte que la gestion des fonds publics soit suffisamment éclairée pour ne plus connaître ces  opérations parfois cataclysmiques (du genre de celle qui afflige le réseau ferrovière de la Corse) qui pompent le budget de la CTC et ne laissent, au regard de ces gouffres financiers,  que des miettes pour la politique de sauvegarde et de restauration de notre patrimoine.

Scata Cécile main.jpg

(à suivre!)

 

 

 


 

24/01/2011

"Sant Antonio del porcu"

Je réédite pour l'occasion  cette note du 22/11/2009 - retrouver également également dans les archives  la note du 22/11/2009:
"frères cochons et altri porchi"
 
Sant' Antone Abbate
Saint Antoine Abbé
dit "Saint Antoine le Grand"
Speloncato procession St Antoine Abbé.jpg
(Procession de Sant Antone Abbate à Speluncatu, 1938 : merci Noi Tutti!)
"Sant'Antone
Di mezzu ghjennaghju
Stacca l'agnellu
E face u casgiu"
(Saint Antoine
de la mi-janvier
Sépare l'agneau
Et fait le fromage)
Je vous renvoie aux pages que lui a consacré Geneviève Moracchini-Mazel dans sa "CORSICA SACRA", volume 1, pages 102 et suivantes. Selon G. Moracchini Mazel "en Corse une bonne trentaine de sanctuaires lui furent dédiés durant le Moyen Age. C'est en tous cas l'un des saints les plus vénérés dans nos villages ...
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Saint Antoine Abbé,
fresque ( 1473) de la  chapelle Santa Cristina de Valle di Campuluru
(cliché de novembre 2007, avant la restauration de cette année)
Si Saint Antoine est si populaire en Corse, c'est en particulier parce qu'il fait partie de ces saints "antipesteux" dont l'intercession était si nécessaire et efficace lors des grandes épidémies terrorisantes de la peste.  Certes, naguère, avec les saints Sébastien, Roch et Charles Borromée, nous l'eûmes  invoqué utilement contre l'épidémie de grippe H1 N1 dont on nous rabat les oreilles, et ce, sans l'ombre d' adjuvents douteux ...
 Né à Coma  en Haute Egypte vers 251, mort le 17 janvier 356 ... un record de longévité dans  la prière et la pénitence dans ce ancien fortin romain de Pispir, puis sur le Mont Qolzum en Thébaïde au milieu de cette solitude  désertique qu'il avait choisie dès 285 pour vivre dans la pauvreté et la chasteté le reste de son existence. Un record aussi d'assauts terrestres et aériens des milices diaboliques...
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La Tentation de Saint Antoine, gravure de Jacques Callot, 1634
 
... pour le mollester, le déchirer, le soumettre aux pires tentations charnelles ...  un héroïque combat de tous les instants contre la bestialité pour ce saint homme   ... un régal pour les artistes:
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(la Tentation de Saint Antoine de Jacques Callot, détail)
Une résistance aux pires intimidations, aux plus délectables tentations...  Saint Antoine attire à lui des disciples qui vivent alentour dans des grottes et recherchent son enseignement, le prennent pour guide spirituel ... L'on trouve dans le désert de la Mer Rouge deux monastères coptes du IVème siècle, les plus anciens de la chrétienté, l'un dédié à Saint Antoine, l'autre à son ami saint Paul Ermite, le doyen des anachorètes de la Thébaïde.
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Notre Sant'Antone Abbate, tel que nous le retrouvons ici à Aregno, comme dans la plupart des sanctuaires où il est vénéré, ne porte pas la trace de ces combats épuisants: non, le vénérable vieillard en impose paisiblement, armé du Livre , d'où sortent souvent des flammes, évoquant sa capacité à guérir " mal des ardents", dit aussi "feu de St Antoine", alias l'ergotisme gangréneux: l'ergot du seigle est un parasite qui contaminait le pain et provoquait le dessèchement des extrémités - jusqu'à devoir amputer - et entraînait des hallucinations ...
Dans son autre main, il porte une croix où l'on a suspendu une clochette ... et ici des oranges bénies pour la fête de St Antoine...
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Cette croix est le plus souvent le Tau, c'est-à-dire une croix potencée, symbole de la vie future dans l'Egypte ancienne. Le Tau est très souvent brodé sur son épaule, comme ici sur cette sculpture ornant la chaire de prêche de l'église Saint Antoine Abbé d'Aregno.
Revenons-en au cochon de St Antoine ...  Si fidèle, si amical, comme le chien de St Roch, une autre bien bonne bête celle-là aussi...  Rien à voir avec nos perversités cochonnes, non, rien à voir non plus avec les tentations charnelles de St Antoine!
Alors voilà ...
Tout d'abord cette  histoire retrouvée dans l'Iconographie de l'Art chrétien de Louis Réau:
   "Le Roi de Catalogne le supplie de venir exorciser sa femme et ses enfants possédés par les démons. Voyageant sur un nuage (...) le saint quitte la Thébaïde et débarque à Barcelone. Il se rend dans la maison du prévôt André. Mais au moment où il franchit le seuil, une truie lui apporte dans sa gueule un porcelet monstrueux, né sans yeux ni pattes. André veut chasser l'intruse, mais saint Antoine l'en empêche en lui disant qu'après tout la pauvre bête veut implorer comme le roi la guérison de sa progéniture.
   Il prend la main d'André et, pour lui transmettre son pouvoir d'exorcisme, il fait avec elle un signe de croix sur le porcelet qui acquiert miraculeusement la vue et les membres qui lui manquaient à la naissance. Après quoi, André exorcise de la même façon la reine de Catalogne agenouillée à ses pieds."
   J'aime beaucoup cette histoire et comprends la tendresse du petit cochon qui se frotte contre  les jambes de notre bon saint Antoine!
   Venons- en à l'Ordre hospitalier des Antonins, fondé au XIème siècle sous la protection de saint Antoine et spécialisé dans les soins donnés aux malades  victimes de la peste, la syphillis, le zona ou de l'ergot du seigle... Ces Antonins, pour faire vivre leurs hôpitaux, élevaient des porcs auxquels ils accrochaient une clochette tintinabulante qui les signalait comme "cochons de saint Antoine" et leur donnait le droit envié de farfouiller librement dans  les villages et les terres communales, faisant le service de voierie et le nettoyage des ordures  ... Oeuvres de charité.
 Nous voici bien loin des pensées perverses et nauséabondes évoquées par des termes comme "petite cochonne, va!" ou "quel vieux cochon! "...
Le nôtre, de  sant Antone Abbate, protège nombre de confréries en Corse et naturellement donne un bon coup de main lors de la fabrication, autrefois si vitale,  de la bonne charcuterie villageoise ... Lui qui n' aurait même pas voulu avaler pour rien au monde ne fût-ce qu'une toute petite tranche de saucisson ...
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Sant' Antone Abbate, Vescovato