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26/06/2009

Murato, San Michele (suite 4): à propos des sirènes

Sirènes ...
Murato sirène blog.jpg
 
"Il faut observer qu'après des siècles de culture basée sur l'écriture, sur le livre, nous revenons à l'image et nous devenons capables de concevoir la portée réelle de ces signes. En effet, que font la publicité, le cinéma, la télévision, sinon utiliser un langage d'images dont la force convaincante est évidente? (...) La psychanalyse, Jung en particulier, a révélé la portée incalculable de cette sorte de mémoire accumulée dans notre inconscient, les archétypes qui sont le produit d'une culture universelle.
(...) Que des millénaires plus tard, les Romans aient retrouvé un langage comparable à celui des hommes préhistoriques, une préécriture s'inscrivant dans l'édifice sacré, fait qui n'a pas d'équivalent ailleurs dans le monde à cette date, est la preuve de la réalité d'une structure. En fait, si l'on possédait des séries complètes de toutes les images qui ont précédé l'art roman, on pourrait voir que, contrairement à l'opinion d'Emile Mâle, à aucun moment la tradition symbolique propre à l'Occident ne s'est perdue et que, loin d'être un renouvellement, le symbolisme roman est un aboutissement."
(Liminaire du "Lexique des Symboles" d'Olivier Beigbeder, collection ZODIAQUE, introductions à la nuit des temps)
 
 
Nous voici en présence de "la sirène" ou plutôt du "triton" bifide, si du moins l'on accepte l'idée que les mains maintiennent des queues de poisson et non des pieds. Ce modillon fait suite (comme par hasard) dans notre lecture ambulatoire, au motif du livre maintenu ouvert par les mains emmanchées sur un même bras (note précédente). Nous rencontrons ce thème ailleurs: la Trinità d'Aregno, San Quilicu de Cambia...
Si ce personnage appartient au monde des sirènes:  image ambiguë, personnage amphibie, doté d'une double nature aquatique et terrestre, doté ici d'un visage souriant, "croisant" ici sa double appartenance avec une espèce de plénitude joyeuse.
L'évocation du mot sirène nous conduit tout d'abord à un autre type ambiguë : les cruelles sirènes de l'Odyssée, ces créatures ensorceleuses, dotées d'ailes et de griffes qui fascinent les malheureux navigateurs qui n'auraient pris le soin, tel Ulysse, de se faire attacher solidement au mat de leur navire pour pouvoir entendre la bouleversante beauté de leur chant: ce chant  annihile la raison du voyageur et entraîne irrémédiablement une plongée dans les profondeurs océannes de l'inconscient dont on ne revient jamais. Ou du moins dont on ne revient pas sinon totalement transformé ... Fou ou enrichi? Naufrage ou rédemption?
Notons que dans la tradition des vieux Mésopotamiens, la terre ferme reposait en quelque sorte sur un soubassement liquide: Apsû, ou Engur , signifiant cette "énorme réserve d'eau douce sur laquelle devait bien flotter le sol, puisqu'on la rencontrait partout pour peu qu'on le creusât, et qu'elle s'en échappait  par les sources et les cours d'eau." (Dictionnaire des Mythologies et des religions des sociétés traditionnelles et du monde antique, sous la direction d'Yves Bonnefoy, 1981 chez FLAMMARION)
Dans les mythes mésopotamiens, se détache - aux côtés du dieu Enki (sumérien)/ Ea ( accadien) -  la figure civilisatrice de l'ummânu, ou de l'apkallu (terme sumérien): "Super techniciens, sages incomparables, génies fameux, ils ont été considérés comme les héros civilisateurs, ceux qui ont enseigné aux hommes, encore frustres, tout ce qui constitue "la vie civilisée" (...) : "l'écriture, les sciences et les techniques".(idem)
Et la sirène ou le triton, dans tout cela, me direz-vous?
J'y viens: parmi ces apkallu, le premier d'entre eux est Uanna: Oannès , le "Sage", celui qui apporte la connaissance des arts, des lettres, de la science, de l'astronomie, de la religion... A quoi ressemble-t-il? D'après Berose le Babylonien, prêtre-astronome- historien (3°siècle av.J.C.), Oannès est un "initié", envoyé par EA, le grand dieu de la mer et de la sagesse de la ville-Etat d' Eridu, sous le règne du premier Roi antédiluvien (entre 4500 et 4000 ans av. J.C.):
Oannès a l'apparence du poisson, mais il possède une tête d'homme sous celle de poisson, et des pieds également par-dessous semblables à ceux d'un homme joints à la queue de poisson, et sa voix et son langage aussi sont articulés et humains ; de jour il séjourne auprès des hommes qu'il enseigne,  la nuit il retourne dans les profondeurs de la mer.
 
Une fois de plus le mythe croise la science. L'homme-poisson continue de hanter notre imaginaire et ce modillon sculpté peut en témoigner, à l'heure où l'on découvre que la survie de l'humanité dépend de la vie des océans...
 
Qu'elle soit de plumes ou d'écailles, la sirène (ou le triton) de par sa double nature mêle deux mondes: le connaissable et l'inconnaissable, le monde d'ici-bas, et le monde de l'au-delà. Voilà de quoi en terroriser plus d'un. Tout à la fois physique et spirituelle, c'est, de par son ambiguïté une créature inquiétante pour de nombreux penseurs de l'Eglise: alors la sirène ou le triton représentent une idée particulièrement dangereuse de la luxure, transformant, dans cette acceptation, l'homme pécheur en animal. La bestialité et sa représentation la plus "dynamique" (l'énergie vitale du sexe ), seraient alors clairement désignés sur ces modillons de Murato et de Cambia (ci-dessous). C'est l'acceptation la plus commune. Le geste des mains emprisonnant les jambes/queues traduiraient alors l'immobilisation de la démarche spirituelle par la luxure (jambes ouvertes) et ses acolytes, gloutonnerie, ivrognerie, consommation immodérée des biens de ce monde...
 
A vous de choisir l'interprétation qui vous convient le mieux: éveil à la spiritualité et  travail de transformation visant à l'unité de soi, ou emprisonnement dans une animalité supposée pécheresse. Dans ce geste de contrôle, qui contrôle qui?
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Cambia triton blog.jpg
"l'homme-poisson" de l'église San Quilicu de Cambia
La figure du triton bifide (ou de la sirène) appartient au discours " classique" des sculpteurs romans: on la rencontre sur de nombreux chapiteaux(Chaspuzac, Saint Rémy de Haute-Loire, Brioude, Paray-le Monial, Colombiers etc...), avec des connotations tantôt maléfiques tantôt bénéfiques...
Enfin: pour certains, la présence de sirènes bifides sur les murs des églises romanes indiqueraient des croisements souterrains de cours d'eau. Il serait sans doute intéressant, dans cette perspective, de venir à Murato avec des sourciers pour vérifier la présence de l'eau sous ce sanctuaire.
C'est une idée que j'accueille d'autant plus volontiers que tous ces lieux sacrés semblent avoir été été choisis avec une sensibilité, une connaissance dont nous avons aujourd'hui perdu l'instinct: les églises anciennes agissaient comme des "piles" d'énergie , mettant en communication le monde terrestre des vivants avec celui, souterrain, des trépassés et avec le monde céleste de Dieu, des saints et des anges. Par l'intermédiaire, en particulier de l'autel consacré et de ses saintes reliques: l'autel devenant alors le centre symbolique du cosmos, l'axe du monde - en tous cas l'endroit le plus "chargé" de l'église, " la porte du ciel", une puissante invite à l'ascension spirituelle. Encore une fois, ces lieux étaient souvent déjà investis par les précurseurs du christianisme, et l'on y ressent comme une permanence du sacré inscrit dans le sol.
 
(à suivre)
 

Murato, San Michele (suite 3)

San Michele, toujours le mur sud.
 
bras volumen et sirène.blog pg.jpg
 
A nouveau, redisons que cette approche des images animant - au sens fort - l'église San Michele de Murato ne peut être que subjective, même si elle est passablement nourrie par l'abondante recherche sur le symbolisme de l'art roman. Ces images agissent sur moi comme peuvent le faire des parfums subtils et complexes dans la nature, éveillant émotions enfouies, nostalgie de paradis oubliés... 
Sous le toit, un frise végétale élégante, alternant là aussi chloritite et calcaire: des lys, semble-t-il. Ce motif de décor, s'il s'agit bien de lys, entre autres déjà largement exploité par l'Egypte ou Mycènes nous rappelle l'héritage antique de cet art roman. Cela dit, le lys lui aussi apporte sa part de sens dans cet univers profondément chrétien: dans les mains de l'Archange messager Gabriel lors de l'Annonciation à la Vierge Marie, il est à la fois la fleur immaculée annonçant la pureté de Marie et sceptre royal de la volonté divine. C’est un « marqueur » de l’essence divine qui conduit à l’immortalité.
Par ailleurs, sa forme trilobée répétée inlassablement sur cette frise semble marteler aussi un autre message, celui du dogme de la Trinité…
 
Sur cette image, deux modillons à la retombée des arcs racontent autre chose. A gauche, un bras terminé par deux mains déroule fermement un parchemin:  lecture des Ecritures ou proclamation d'une sentence?
Il est temps ici d'évoquer à nouveau la vocation de San Michele:
"Princeps militiae angelorum" ( l'archistratège des milices célestes),
"Custos Ecclesiae romanae" (défenseur de l'Eglise romaine),
Psychopompe et peseur d'âmes ... pour ne parler que des "affaires courantes", si je puis dire.
 
Au Moyen Age, choisir le vocable de l'Archange  Michel pour une église c'est se mettre sous la protection du parangon de la chevalerie, de la fidélité (par opposition à l'Ange déchu, Lucifer), parfaitement armé pour lutter contre toutes les déviances du Malin. Mais c'est aussi désirer sa bienveillance au Jour du Jugement dernier: San Michele a récupéré les fonctions (nécessaires...) de passeur et de peseur des âmes mortes  tenues autrefois par le dieu égyptien Anubis, par l'Hermès psychopompe, par Mercure... Il n'est pas rare que les chapelles dédiées à St Michel remplacent un temple dédié à Mercure. Louis Réau cite, dans son iconographie de l'Art chrétien, une colline de Vendée s'appelant " Saint- Michel- Mont-Mercure... A Murato l'archéologie nous apporterait peut-être un éclairage de ce genre...
 
Quoi qu'il en soit, plusieurs éléments du décor sculpté parlent en faveur de l'idée d'un lieu de jugement: rappelons ces deux statuettes campées sur la façade ouest, à la porte d'entrée de ce sanctuaire, accueillant et avertissant les fidèles sur leur passage symbolique de l'extérieur vers l'intérieur. L'église San Michele est certainement en rapport avec l'exercice de la Justice, et de nombreuses images en témoignent,
comme cette main coupée (des voleurs) ..)
main coupée blog copie.jpg
 
 
ou ce qui semble être des ciseaux (pour couper la langue des diffamateurs),
Murato à identifier 1 blog.jpg
renforçant l'idée que nous sommes devant le lieu du tribunal de la piévanie. Tribunal humain et divin.
En attendant, le village de Murato fête son San Mieli chaque 8 mai, célébrant l'apparition le 8 mai 492 du grand Archange à l'évêque de Siponte sur le Monte Gargano, en Apulie:
" Garganus décoche contre un taureau échappé une flèche qui fait volte-face et lui revient dans l'oeil. L'évêque  de Siponte extrait la flèche et, suivant les instructions de l'Archange, il lui consacre le mont." (L.Réau, idem)
Dans le diocèse du Nebbio, dans la Piève de Nonza, l'on retrouvera une autre dédicace à San Michele à Ogliastro (x°s.)
 
(à suivre)
 
 

Murato, ( suite 2) l'église romane "San Mieli"

 
Murato, San Michele,
toujours la façade Sud.
 
La deuxième fenêtre en meurtrière a reçu, elle aussi, un décor symbolique fort... On notera là aussi l'alternance des chloritites sombres et des calcaires.
Murato serpents oiseaux blog.jpg
L'archivolte ici s'orne d'une double arabesque formée par deux vigoureux serpents entrelacés ( les queues nerveusement animées, les "cous" solidement noués:la conjugaison, pleine d'énergie! des forces du mal? ), la tête "à l'envers" ( contre nature), la fixité rougeoyante de leurs yeux (fascination), à la gueule ouverte sur des dents aiguisées (un appétit à toute épreuve!) et une longue langue (le verbe séducteur: le serpent détient les connaissances occultes, il assure savoir les secrets de la vie) , s'apprêtant à dévorer un oiseau ( la spiritualité)... Le message est "clair" (on pourrait du moins le croire...)  et nomme le danger qui guette l'homme en quête de spiritualité: mais ne jamais oublier que serpent et oiseau font partie intégrante de chaque humain. Leur nature profonde n'est pas si opposée: voir, par exemple, le serpent-oiseau Quetzal-Coatl des Aztèques...
A gauche l'étoile a huit pointes entrecroisées, celle de droite sept. Ces nombres sont lourds de symboles:MuratoEtoile à 7 branches blog.jpg Muratoétoile huit branches blog.jpg
 
 
 
SEPT:" Il a (...) moins d'importance que le Quatre ou le Trois dont il est la somme, évoquant ainsi l'union de la terre et du ciel (...) Par excellence, c'est un nombre appartenant à l'Apocalypse, ce livre qui a tant marqué l'iconographie romane: les sept Eglises d'Asie, les sept cornes de la Bête, les sept coupes de la colère divine. C'est essentiellement un symbole hébraïque(...) 
HUIT:"Le nombre Huit symbolise la renaissance par le baptême, la résurrection: c'est pourquoi les baptistères et les fonts baptismaux ont souvent la forme octogonale (...) Le Huit correspond  encore aux Béatitudes, aux tons de la musique grégorienne. (...) C'est le nombre de la vie future". "(Lexique des symboles, Zodiaque)
Au centre de l'étoile à sept branches, une deuxième figure étoilée à six branches:
SIX:  " Par opposition au Cinq qui est l'humanité, le Six serait le surhumain,, la puissance: ce chiffre correspond aux jours de la création, aux oeuvres de miséricorde. (idem) 
Au centre de l'étoile à huit pointes, une étoile à quatres branches: quatre éléments (terre, air, eau, feu), quatre saisons, quatre fleuves du paradis (Phison, Géon, Tigre et Euphrate) pour arroser les quatre coins du monde, quatre points cardinaux, quatre Evangélistes, quatre Pères de l'Eglise, quatre vertus cardinales... etc... etc... L'art roman, héritier des civilisations antiques, se nourrit naturellement de symboles.
Notre époque espère tout pouvoir expliquer rationnellement grâce aux progrès de la science, ou du moins recule les limites de l'inconnu: à l'époque romane, tout peut s'exprimer à travers le langage symbolique.Murato fleur soleil.blog.jpg Comprenne qui pourra!
 
Au-dessus de l'archivolte, à la retombée de l'arc sur la gauche, une "fleur-solaire" avec une croix axiale en son coeur: lumière, immortalité,  résurrection. En opposition avec les ténèbres. Alchimie.
 Puis, sous l'arc, une alvéole qui contenait à l'origine un bol en céramique polychrome (on retrouve ailleurs sur l'église ces éléments qui devaient apporter cette touche brillante de couleurs et s'illuminer au soleil).
Murato crapaud blog.jpg Suit une sombre créature accroupie, un crapaud semble-t-il, avec ses gros yeux globuleux. C'est un animal des ténèbres, dédié à Saturne: il est vrai que la pauvre bête ne jouit pas d'une très bonne réputation, et on lui attribue volontiers des accointances avec le monde démoniaque: compagnon des sorcières, en enfer il tourmente sans fin les femmes adonnées à la luxure. Murato eau primordiale blog,.jpgPourtant quelle douceur dans son chant de cristal!
 
Le modillon à sa droite évoque les eaux primordiales de la création, ou bien le déluge: hiéroglyphe de l'eau dans l'Egypte ancienne, symbole universellement répandu dans toutes les civilisations, sur tous les continents... "L'esprit de Dieu planait sur les eaux" (La Genèse)
 
 
 
 
Murato ensemble serpents blog.jpg
Enfin, sous la meurtrière, un bandeau sculpté déroule un chaînage de douze cercles solidaires, deux fois six, et alternant les images  : on retrouve trois étoiles à huit pointes (avec des variations de motif en leur centre), trois sortes de gerbes liées en leur centre, trois motifs de liens entrelacés (avec une sorte de progression de la gauche vers la droite: un brin, deux brins , deux brins et plus; un motif avec deux soleils superposés; deux oiseaux aux attitudes totalement différentes (celui de gauche semble chuter, blessé à mort, celui de droite au contraire s'apprête à l'envol). Au centre, une tête humaine se dégage en relief au-dessus de cette série de maillons, affublé d'une sorte de queue d'oiseau (si je la compare avec le motif de l'oiseau qui le précède) mettant bien l'accent sur le sujet de l'ensemble: c'est bien l'aventure spirituelle de l'homme qui est au centre de l'oeuvre de toute l'église, et chaque motif se lit et s'enrichit au contact de ses voisins. A lire ... ou à ressentir, chaque image provoquant une multitude d'ondes entrecroisées à l'intérieur de celui qui prend le temps de regarder et de rêver. 
Il faut bien accepter de ne pas comprendre: comme, par exemple ( entre autres!) ce cercle contenant les deux soleils superposés
Notre habitude de lecture de gauche à droite nous conduit à ressentir ce bandeau comme un récit dont nous ne possédons pas toute la signification: il y a un avant ( la partie à gauche de la tête ) et un après (à droite). Confusément s'installe une certaine idée de la création,  de l'abondance divine et de l'organisation de la matière créée par séparation et interdépendance des éléments: les deux oiseaux figurant peut-être, à gauche, la chute du premier homme (Adam et Eve), et l'annonce de son destin mortel, à droite, la rédemption spirituelle du nouvel homme ...
Ce qui m'apparait aussi dans cette frise, c'est l'accent mis, dans chaque figure (mis à part les oiseaux) sur le centre: le centre des étoiles est en creux, je me demande même si à l'origine il ne portait pas une pierre rouge comme les yeux des serpents plus haut ; le lien des gerbes; le croisement des brins; le centre des soleils. Histoire de recentrage, de transformation. Alchimie spirituelle.
 
 
(à suivre)
 
 
 
 
 
 

13/06/2009

en Castagniccia avec les Sals

En Castagniccia avec Alain et Michèle SALS
Alain Sals et orgue Piedicroce.jpg
Cette semaine a passé vite et dense: Alain Sals et son épouse étaient en Corse tous ces jours-ci pour faire accords et visites sur les orgues qu'il a eu l'honneur de sauver, comme celui de Piedicroce, le plus ancien (Giogio Spinola 1619, construit pour la Cathédrale Ste Marie de Bastia et transféré par A.P. Saladini à Piedicroce en 1842) et l'un des plus prestigieux  de l'île, comme l'on sait. Le vénérable instrument, malgré ses signes de fatigue (il nécessite un relevage), reste un très bel instrument doté d'une âme, ce qui n'est pas le cas de tous les instruments: A. Sals, lors de sa restauration a réussi à sauver la grande majorité de ses tuyaux, malgré leur état effroyable ( rats et chauve-souris s'en étaient servi de H.L.M., de toilettes publiques et d'aiguisoirs à quenottes) et leur extrême fragilité (des feuilles de cigarettes...). Madame le Maire a évoqué, lors de notre passage, les énormes difficultés financières auxquelles la commune doit faire face actuellement et qui vont d'autant plus retarder les travaux que nécessitent l'ensemble de l'église et son orgue insigne.
Appel à votre générosité pour sauver ce patrimoine exceptionnel! ( s'adresser à la Mairie de Piedicroce)
Lors de cette journée en Castagniccia, après un passage à Verdèse (et son charmant orgue Agati-Tronci), nous avons fait une halte à l'église conventuelle franciscaine de Morosaglia:
orgue de Morosaglia blog.jpg
Cet orgue trône, à l'usage des couvents, au fond du choeur derrière le maître autel. J.L. Loriaut y est intervenu en 2002 pour le débarrasser de ses jalousies de boîte expressive vilainement peints en marronasse , ce qui permet de voir à nouveau le joli décor de sa  façade. Hélas, la tribune menace,  un grand nombre de tuyaux manque... Une date, au fond de la laye, signale que l'orgue a été fait par le "Maestro Saladini Antonio Pietro di Speloncato nel mese di Novembre 1857" . Peut-être découvrera-t-on un jour des éléments qui nous diront si Saladini a réutilisé des éléments d'un orgue plus ancien: il serait étonnant qu'un lieu aussi important que cette église San Francescu de Morosaglia, patrie de Pascal Paoli, n'ait pas été dotée comme tant d'autres églises conventuelles, d'un orgue au XVIIIème siècle... L'église elle même est très intéressante, riche mais passablement en mauvais état:
Morosaglia ensemble choeur.blog.jpg
(l'ensemble du choeur de l'église San Francescu)
Morosaglia, chaire de prêche bl.jpg
Ici, la belle chaire de prêche avec l'emblème des Franciscains (les deux bras croisés du Christ et de St François devant la Croix)
A noter que Pascal Paoli a été baptisé à l'église piévane Santa Riparata: c'est elle que l'on voit au-dessus du village, au hameau Rocca.
"U cuventu" a longtemps abrité  "A SCOLA PAOLI", fondée par le testament de Pascal Paoli: une école réputée  qui a même, dans un passé pas si lointain, accueilli même des anciens de Speloncato...

20/04/2009

Pieve de Giovellina: Torre di Monte Albano et a Tribuna

Toujours ce lundi de Pâques 2009: l'après-midi,
sous Prato di Giovellina

 

Prato Monte Albano blog.jpg
En début d'après-midi, descente depuis le village de PRATO pour tenter de retrouver les vestiges de "a Tribuna". Un beau sentier plonge sous les chênes: nous avons regardé d'en haut dans ce large et magnifique paysage la douce colline où s'est implantée cette tour carrée que l'on voit de loin, la tour de Monte Albano, et quelle que soit la bonne direction pour "a Tribuna", nous ferons le crochet par la tour... Sa consolidation et sa valorisation ont fait l'objet d'un chantier de la FAGEC, relaté par une émission des "Racines et des Ailes" en février dernier.
tour Monte Albano blog.jpg
La tour a fière allure, solidement campée sur une base pyramidale au sommet d'un mamelon isolé. Depuis la tour, le regard porte à 360° tout autour, vers Rescamone, Supietra (la première fortification des Amondashi: voir la note précédente) d'Omessa, le San Pedrone, les sommets de Castagniccia de Tenda,  les aiguilles de la Giovellina... A vol d'oiseau, on est à 3 km au Sud-Est du château de Serravalle que nous venons de quitter...  Cette construction carrée datable du XV° ou XVI° siècle (cf. Cahier Corsica 214) avait probablement une vocation de guet et non de défense: du haut de cette tour, on pouvait voir de loin les mouvements de troupes et dans la lutte engagée à cette époque contre les incursions des Barbaresques responsables de tant de malheurs en Corse, cette Torre stratégique a sans doute permis la transmission de l'information par des signaux de fumée. On suppose qu'au XI° siècle se dressait déjà à cet emplacement une première résidence des ancêtres des Amondeschi...
Monte Albano, intérieur blog.jpg
De l'intérieur: Prato et les aiguilles. (merci Anna!)
Monte intér et meurtrière blog.jpg
 
 
Détail de l'intérieur: une meurtrière.
 
De retour au pied de la colline, nous nous engageons sur un sentier en direction de notre but convoité: a Tribuna... Parcours admirable qui nous conduit progressivement au coeur d'une dense végétation arborée, sans autres indications que des panneaux "Réserve de chasse" clouées aux arbres, confirmés par une impressionnante abondance de douilles au sol... Les sangliers doivent connaître ces sentes mieux que nous et nous ne tardons pas à perdre la trace d'un véritable chemin. Cela fait un moment que nous n'avons plus de repères visuels dans le paysage. Nous nous dirigeons "à vue de nez", saluant les restes de murs, les ruines de maison comme autant d'indications de notre approche.
Le  chant d'un ruisseau, nous attire au fond d'un vallon, nous pressentons que nous approchons...  Et soudain, alors que le découragement gagne un peu les troupes, de l'autre côté du ruisseau, c'est la divine surprise:
Prato Tribuna 1 blog.jpg
Sur une sorte de petit plateau au-dessus du vallon, les ruines de la Tribuna, au milieu de ce qui nous est paru nulle part, mais qui semble  avoir été une bourgade romaine (cf "Les églises romanes de Corse" de Geneviève Moracchini Mazel, p. 300: je suis récompensée d'avoir porté cette bible dans mon sac à dos!). Dans une note (p.30), G. Moracchini-Mazel dit ceci:
"C'est dans ces parages, soit au pied des aiguilles de Giovellina, que nous chercherions volontiers les traces d'un sanctuaire païen dédié à Giove (car Giovellina vient, dit-on, de Giove); en effet ce massif montagneux est si impressionnant qu'il a dû être consacré aux divinités depuis les temps les plus reculés, et, en bonne logique, au maître des dieux, à l'époque romaine."
Continuité du sacré.
Ici, nous sommes donc sur le lieu nommé "la Pieve" (ancien cadastre de Prato, en 1848) , mais aussi "a Tribuna" (appellation locale).
Une nef unique avec une petite abside à l'Est.: la façade et les murs se dressent encore dans leur appareil malheureusement dépouillé à de nombreux endroits de leurs belles dalles de parement de granite, arrachées et récupérées ...
Prato Tribuna 3 blog.jpg
La porte d'entrée occidentale: sous l'arc, un linteau monolithe de schiste vert, provenant d'un édifice précédent, sans doute d'époque préromane, porte un décor  d'entrelacs gravés encore visibles.
Prato Tribuna 4 blog.jpg
L'abside et les restes de maçonnerie d'un mur de clôture, disposition indiquant peut-être une organisation judiciaire particulière, évoquée par le terme de "tribuna".
Nous attendons avec impatience la publication du deuxième volume de CORSICA SACRA  , de Geneviève Moracchini-Mazel, qui évoquera certainement ce lieu particulièrement intéressant de la Corse romane et féodale.
Prato Tribuna 2 blog.jpg
Je vous quitte pour aujourd'hui avec cette image des restes d'arcatures décoratives de l'abside, retrouvées lors des fouilles...
Je vous rassure: grâce à la gentillesse de dames rencontrées par hasard sur le bord de la route qui nous ont ramenées à nos voitures (en fin de journées nous étions à une douzaine de kilomètres par la route de notre point de départ), nous n'avons pas eu à bivouaquer sur le petit plateau de la Tribuna... Une journée bénie!
a tribuna Hélène.jpg