20/01/2012
Santa Maria di Casalta, Piebania d'Ampugnani: brève du purgatoire ...
Santa Maria di Casalta, Pievanie d'Ampugnani, Castagniccia
Le 28 décembre 2011,
visite à Santa Maria di Casalta,
en bonne compagnie ... et en quelques images
Cette église pievane de l' Ampugnani a fait l'objet d'une publication dans les cahiers CORSICA de la F.A.G.E.C., n° 158/159, éditée en 1993. Ce cahier qui comporte une première partie sur la Piévanie d'Ostricone, fait, dans la seconde partie, le point sur cette Piebania d' Ampugnani après que l'équipe de jeunes sous la direction de monsieur Simonin ait réalisé en 1993 le sauvetage de ce sanctuaire menacé d'une ruine inexorable.
Parenthèse: en cette fin décembre, la belle lumière d'hiver vibre et joue dans les oliviers: l'appareil photo a fixé un rayon fort communiquant dans ce lieu habité ... (je rappelle que non loin de là en amont se trouvent les stèles gravées énigmatiques, dont l'une, dit-on, désigne par un rayon du soleil à travers un trou l'emplacement de Sta Maria ... ( voir la note : l'énigme des stèles ésotériques de Casalta).
... digne d'une Annonciation ...(Calenzana, collégiale st Blaise)
ou d'une adoration mystique ... telle celle de St Pascal Baylon (bannière, Francescu Carli, Alesani)
Revenons à Santa Maria. Cette église, classée Monument Historique en 1980, n'avait jusqu'alors bénéficié d'aucune intervention, et fissurée de toutes parts, pillée de quelques-unes de ses dalles de parement en calschiste gris, sournoisement éventrée par les lierres, elle risquait de sombrer définitivement dans la ruine. Je vous renvoie au cahier Corsica où vous trouverez le descriptif détaillé de ce sauvetage ainsi que les riches notes en pièce annexe qui, comme toujours, éclairent ce dossier. Hélas, depuis 1993, les choses en sont restées là, et faute d'investissement suffisant cette église romane du XI° siècle n'a pas bénéficié de la restauration qu'elle mériterait largement.
Aujourd'hui abandonnée des fidèles, elle n'est plus guère visitée que par les chasseurs et les bergers ... "On se souvient, à Casalta, que c'est à partir de 1939 que la procession annuelle à S. Maria a cessé de se pratiquer; auparavant, chaque année, le 25 mars, le curé bénissait les branches de lierre cuillies la veille sur les murs par les jeunes gens du village, et chacun en prenait une pour la mettre dans sa maison." (in Cahier Corsica 159) -
Curieuse, presque païenne, cette bénédiction du lierre : à la fois plante bénéfique et poison, tour à tour symbole d'immortalité et d'amour fidèle ou plante démoniaque... d'un vert insolent, sa force vitale ici s'agrippant vigoureusement aux murs ruinés de Santa Maria comme autour du tronc d'un arbre mort, échappant aux cycles habituels de la végétation perpétue la vie: " non meis viribus "...
La consolidation "provisoire" du mur nord en bois de pin remplit toujours tant bien que mal son office ...
mais jusqu'à quand tiendra-t-elle ?
l'abside, bien orientée à l'est et son beau parement de dalles de calschiste gris clair, attaquée par la végétation.
Le mur Sud avec le campanile et, construite contre cette façade, les ruines de la maison du piévan (1658): "On voit aussi dans un acte de 1468 que le piévan était dénommé " vesco de Ampugnani" et que le chroniqueur de la Corse Montemaggiani (...) emploie à son sujet le terme d'évêque d'Ampugnani" (cahier Corsica 159) . Rappelons à ce sujet que la Pieve d'Ampugnani constituait avec la Pieve du Rustinu le petit diocèse d'Accia, dont la petite cathédrale avait été plantée au XII° siècle au sommet du San Pedrone ... Ne la cherchez plus ...
une pierre sculptée dégagée lors des travaux en 1993
l'angle nord-ouest et son parement lumineux
la façade ouest reconstituée, avec son beau linteau replacé,
orné d'un décor en feuilles d'eau stylisées...
au revers de la façade ouest ...
hélas, la porte a perdu ses piédroits, arc et linteau, et le lierre est reparti à l'attaque ...
un sol illisible sous les ronces, qui abritait deux grandes fosses communes, arche, et au fond ...
l'abside et l'emplacement des deux autels latéraux: au-dessus de ces autels, aujourd'hui disparus, " se trouvaient des petits voûtains reposant sur des arcs engagés prenant appui sur trois consoles moulurées visibles (...) mais ayant perdu leur quatrième appui; c'était un pilier carré sans doute, du type de ceux qui existent encore à San Parteo de Mariana, à Lucciana, puisque le choeur de ce dernier sanctuaire offrait une disposition du même genre sur ses deus autels latéraux (...)" ( Cahier Corsica n°158/159, p. 169).
celui de gauche, déjà envahi par le lierre
et celui de droite
... qui laisse encore voir encore quelques traces d'enduits et fragments de peintures à fresque : quel pouvait bien être le programme iconographique de cet ensemble ?
l'abside en cul de four,
sauvée in extremis de l'éclatement:
fissures colmatées au-dessus de la fenêtre ...
Le linteau intérieur de la porte sud.
Le linteau extérieur de cette même porte a été réemployé depuis longtemps dans la fontaine du village.
... et, dans l'angle Nord ouest, la vision de la petite chapelle (funéraire?) de San Ghjorghju (Silvarecciu) sur sa falaise abrupte ...
A quand le réveil de cette église piévane de l'Ampugnani, gelée ou protégée par les Monuments Historiques ? Le constat de la dégradation de ces monuments témoins de la spiritualité et de l'histoire de la Corse fait mal au visiteur .
Il serait urgent sans doute de voir réunies toutes les bonnes volontés de cette pieve d'Ampugnani pour sauver et mettre en valeur ce qui peut encore l'être ... Il faudrait prendre exemple sur le travail opiniâtre mené par la petite association Camà in Altiani" qui a su dynamiser son projet fou de restauration de sa chapelle romane San Michele
(voir la note: ALTIANI, chapelle San MICHELE :
elizabethpardon.hautetfort.com/.../altiani-chapelle-san-michele.html)
restauration qui va prochainement connaître sa réalisation, grâce à la volonté sans faille d'une poignée de volontaires obstinés et inventifs! Je salue bien ici les amis d'Altiani! Ils nous donnent une belle leçon d'optimisme pour cette nouvelle année 2012 ...
(San Michele, Altiani: la chapelle en piteux état, dévorée par la végétation, toîture écroulée ... bientôt sauvée de la ruine! )
Pour gagner le village de Casalta et visiter l'église Santa Maria :
le plus facile, lorsqu'on n'est pas dans la région, est de partir de Folelli, sur la côte orientale, en empruntant la D 506, soit de quitter la N 193 à Barchetta en direction du col st Antoine. Le site se trouve sous le village de Casalta, à environ 1 km, facilement accessible par un beau sentier qui prend sur la D 205 au milieu d'un virage et qui nous mène rapidement à Sta Maria.
15:43 Publié dans brèves du purgatoire, chapelles romanes corses, corse, découverte du patrimoine en Corse | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : castagniccia, sta maria di casalta, pivanie d'ampugnani, diocèse d'accia, fagec, art roman corse | Facebook |
15/08/2011
Castagniccia: la Montagne des orgues jeudi 18 Août 2011
Association Saladini de Speloncato
« LA MONTAGNE DES ORGUES »
Des parcours initiatiques et festifs pour rencontrer la Corse autrement, vous immerger dans ses paysages et ses communautés, découvrir son patrimoine, son histoire, ses traditions rurales :
des clefs pour vous ouvrir les églises, vous faire comprendre leur sens caché
et entendre leurs orgues historiques que l’on vous joue.
Jeudi 18 Août 2011 :
une journée en CASTAGNICCIA
Santa Maria di Rescamone
et son Serpent ...
Accueil à Ponte Novu, à 9h15, sur le parking de la poste, face au pont historique réhabilité : découverte du site paléo-chrétien et roman de Santa Maria di Rescamone à Valle di Rustinu , puis des églises baroques de Stoppia Nova, La Porta ...
(où l’on vous jouera une merveille de petit orgue - Maracci, 1780 ),
de Piedicroce (avec l’orgue historique le plus ancien de Corse - Spinola, 1619), enfin des admirables fresques de San Tumasgiu à Castellu di Rustinu .
Le prestigieux orgue Spinola , 1619, à Piedicroce
Renseignements et réservations au :
04 95 61 34 85 ou 06 17 94 70 72
e mail : elizabethpardon@orange.fr
Site : www.montagne-des-orgues.com/
blog : elizabethpardon.hautetfort.com/
Rappelons que ces parcours reposent sur le bénévolat et que les fonds récoltés lors de ces journées contribuent à la restauration et à la valorisation du patrimoine. Ces parcours sont recommandés par les guides : Arthaud, Bleu, Geo, Michelin, Routard…
à San Tumasgiu, l'ange au cornet
09:56 Publié dans chapelles romanes corses, corse, la montagne des orgues, orgues historiques de Corse, parcours de découverte du patrimoine en Corse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : castagniccia, santa maria di rescamone, castellu di rustinu, stoppia nova, la porta, piedicroce | Facebook |
23/04/2011
un Jeudi Saint lumineux et frisquet en Castagniccia
Jeudi 21 avril 2011, une journée de partage et de rencontres autour de la Semaine Sainte, des Sepolcri et des Chemins de Croix en Castagniccia qui a débuté à Castellu di Rustinu
avec les fresques de la chapelle san Tumasgiu di Pastureccia ( pour l'ensemble de ces fresques, voir les notes sur cette chapelle: " les fresques de San Tumasgiu di Pastureccia")
et le récit de la Passion, sur le mur Nord. C'est, à ma connaissance, le seul ensemble cohérent de fresques sur ce thème. Notons au passage que certaines chapelles n'ont sans doute pas fini de dévoiler leurs décors qui dorment peut-être ici et là sous leur badigeon de chaux ...
Même lacunaire, cette "série" fonctionne comme un Chemin de Croix : toucher et enseigner. Elle semble offrir la réponse du salut face à la représentation infernale du mur sud, en face : une invitation à se laisser envahir par la compassion en communiquant par l'image, tout comme le musicien saura émouvoir en créant un oratorio sur la Passion.
la Cène: sur la table, le pain et le vin de ce dernier repas pris ensemble avec les disciples.
détail (un peu flou...) de l'interrogation inquiète des apôtres: qui va trahir?
le Christ au Jardin des Oliviers et ses compagnons endormis
Saint Pierre plombé de sommeil
l'arrestation de Jésus et sa comparution devant Pilate
la flagellation, sur un fond rouge sang,
enfin la Crucifixion, sur le bleu du ciel, en présence de Marie prostrée
visage de la Mère:
"Stabat Mater dolorosa
Juxta crucem lacrymosa
Dum pendebat Filius"
et ce magnifique visage du Christ mort, fragment à gauche de l'arc triomphal ...
Un peu plus haut, la belle église paroissiale de Castellu et son haut campanile
abrite bien des " messages" insoupçonnés,
Découverte de ces grands décors peints du sepolcru (anonyme, début XIX°s.): voir la note de l'an dernier, sur cet ensemble impressionnant (" les sepolcri du diocèse d'Accia", le 12/04/2010 )
Décors éphémères chargés de sens et d'histoire sous lesquels se jouait ici naguère, nous a-t-on dit, une Passion à l'usage des gens de cette communauté ...
Semaine Sainte accompagnée, comme dans de nombreuses églises de cette région depuis la prédication en Corse de saint Leonardo da Porto Maurizio (1744) , par la série des quatorze tabeautins du Chemin de Croix, ici peint par Giacomo Grandi:
"Stazione II: Gesù caricato della croce"
le portement de croix: avec une soldatesque superméchante au look barbaresque, histoire de la Corse razziée oblige.
"Stazione VI: Gesù ascingato dalla Veronica"
Rencontre avec sainte Véronique qui lui essuie le visage.
"Stazione XI: Gesù é inchiodato sulla croce"
Jésus est cloué sur la croix: voyez avec quelle gentillesse le bon Jésus regarde son bourreau aux moustaches acérées!
" Statione XII: Muore Gesù in croce"
Mort de Jésus et le dernier soupir du bon larron ...
Chemin de croix conçu pour être cheminé et chanté :
"Vi prego, o Gesù buonu,
Per la vostra passion darci
Il perdono..."
Nous quittons le Rustinu et, en début d'après-midi, nous voici dans la pieve de l'Ampugnani à Quercitellu, avec une vue plongeante sur le village voisin de La Porta ...
Dans l'église San Carlu, cette belle toile du sepolcru aux anges compatissants. Le prieur de la confrérie de Quercitellu nous rejoint et évoque les préparatifs du Vendredi Saint: reposoirs dans les rues du village, chemin de croix, granitula ... moment fort pour cette confrérie fraichement reconstituée ...
Après un passage à La Porta, nous voici arrivés au village proche de Ficaghja, où nous avons rendez-vous avec Petru Vachet-Natali qui s'est arrangé malgré les difficultés pour nous recevoir:
Petru Vachet-Natali nous accueille à l'église de l'Immaculata Cuncezzione, paroisse de son village natal de Ficaghja. Ecrivain, poète et chroniqueur, cet homme affable et généreux a écrit en 2006 une amoureuse monographie sur Ficaghja en langue corse:
"Monografia e Tupunumia di Ficaghja, cù una ricerca tupunomica nantu à 216 nomi di lochi", publié chez Anima Corsa.
Avis!
Il nous fait les honneurs du désormais célèbre sepolcru de Ficaghja auquel je réserverai un de ces jours une note particulière:
véritable petit théâtre religieux dressé à l'intérieur de l'église pour la Semaine Sainte: cet ensemble imposant gardé par deux redoutables soldats, est l'oeuvre de Francescu Carli, l'un des peintres les plus actifs de cette deuxième moitié du XVIII°s. Une scénographie efficace !
la trahison de Judas(et ses paroles qui sortent de sa bouche, comme dans une bande dessinée)
intraitable et menaçant, le gardien de droite, celui qui vous suit du regard...
Au fond du sepolcru, la déploration du Christ. Autrefois, le prêtre célébrait la messe sur un petit autel au fond de cet espace peint.
cette toile faisait donc office d'antependium
et l'envers du décor ...
A l'issue de cette rencontre notre ami Petru Vachet- Natali nous a offert fort gentiment le pot de l'amitié ...
***
A CERCA: un lien solidaire noué entre les villages
Nous voici à présent à Nocario, dans la belle église paroissiale sant' Angelo de cet important village de la pieve d'Orezza: ici se pratiquent toujours ces mouvements des confréries et de leurs communautés qui échangent leurs visites aux différents sepolcri de la région, investissant ainsi un espace commun . Processions programmées sur les deux jours du Jeudi et du Vendredi Saints entre les églises et les chapelles de Verdèse, Nocario et Campana
A notre arrivée, une dame finit de fleurir le reposoir : simplicité et grâce de ces modestes installations de village où chacun viendra à tour de rôle se recueillir, prier et chanter ...
Un peu plus loin, c'est le hameau de Petricaghju et sa chapelle San Giovanni Battista. Divine surprise, une merveille de peinture nous attend au-dessus du maître-autel: Giacomo Grandi représente ici la naissance de saint Jean-Baptiste ...
un charme fou! Je reviendrai sur cette toile délicieuse à laquelle je ne m'attendais pas.
Dehors, nous faisons connaissance de monsieur Paul Battesti, le maire de Nocario qui attend de pied ferme l'arrivée prochaine de la procession partie de Campana et, savez-vous ? il a le bon visage du Dieu le Père au sommet de cette représentation de la naissance de Saint Jean-Baptiste... Nous rencontrons aussi le célèbre ébéniste Pantaleon Alessandri: quel plaisir d'évoquer la tradition de ces cheminements, mais aussi quel souci pour entretenir ce patrimoine des quatre églises de Nocario! Toujours est-il que ces deux jours sont l'occasion de se rencontrer autrement et de partager un espace commun au pas de l'homme. Fierté pour les plus âgés d'y être arrivés cette année encore ...
la façade de St Jean Baptiste de Petricaghju
Un peu plus tard, la chapelle San Martinu d'Erbaggio, veillant sur la vallée de Nocario
Enfin, nous voici arrivés à notre dernière étape de la journée, dans la chapelle santa Barbara de Nocario Supranu
une chapelle d'une grande gaieté
et le pinceau naîf et efficace d'un peintre du XIX° s: ici saint Luc ... et son "taureau" à barbichette malicieux comme une chèvre.
Dehors on entend au loin , de l'autre côté de la vallée, la plainte chantée et marchée du " Perdono mio Dio": là-bas l'on aperçoit, sortant des arbres, les confrères et les fidèles, approchant lentement du hameau de Petricaghju en cette fin d'après-midi ...
puis, s'enroulant devant l'église, c'est la circumambulation de la Granitula, mort et renaissance ...
Merci à tous pour tout cet échange, de toute cette poésie profonde, et aussi aux enfants qui ont participé à cette journée avec beaucoup de gentillesse.
19:49 Publié dans chapelles romanes corses, corse, fresques de corse, patrimoine de la solidarité humaine, patrimoine des chapelles à fresques en Corse, patrimoine populaire de Corse, semaine sainte en corse, sepolcri de Corse | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sepolcri, chemins de croix, cerca, granitula, castellu di rustinu, quercitellu, ficaghja, nocario | Facebook |
17/04/2011
Brève du Purgatoire: l'église piévane San Giovanni Battista de Tuani
La Piévanie de Toani
Le site de cette église en ruines jouxte l'ancien couvent franciscain observentin de Tuani (" E hanno in questa pieve, li frati Minori de Santo Francesco, uno monastiro non manco bello di edificii che di sito": Agostino Giustiniani, in Description de la Corse [premier tiers du XVI ème. s] , publié par Antoine-Marie Graziani) , admirablement implantée dans le paysage entre les communautés de cette Piève de Tuani, à la croisée des chemins entre les anciens villages médiévaux :
li Quercioli ( village disparu au nord de Belgodère), Belgodère, Ochjatana, le Ville (Ville di Paraso ne prendra ce nom qu'à la fin du XVIII°s.), la Costa ( centre de la pievanie), le Cavalleragie ( disparu, au sud du couvent), Speluncato (cette dernière communauté était partagée entre la Pieve de Tuani et celle de Sant'Andrea)
Ecoutons à nouveau Monseigneur Giustiniani, à travers l'introduction d'Antoine-Marie Graziani (idem, Description de la Corse, Editions A. Piazzola, p.LXX) :
" Cette pieve (...) se réduit à trois Capelle à l'intérieur desquelles se partagent les différents villages habités.
- Capella San Gavino ou Communauté de Belgodère
- Capella San Bartolomeo ou Communauté d'Occhiatana. Elle comprend Occhiatana et Costa.
- Capella San Simone de Ville di Speloncato. Elle est composée de Ville, Rusto, Olivacce, Querci et Cavaleraccie."
(Relazione della Prima Visita Pastorale)
***
Le lieu-dit porte le nom de Pieve.
Ce matin, visite mélancolique de ce beau lieu: nous nous tenons à une distance raisonnée du troupeau de vaches qui désormais fréquente assidûment le lieu et peut efficacement se gratter le dos sur les pierres de l'église. Chronique d'une ruine avancée, acceptée.
Des tuiles et des briques romaines trouvées sur le site évoquent une implantation antique: toute cette région généreuse de Balagne connait l'agriculture depuis le néolithique, et la présence romaine poursuit naturellement l'histoire de l'occupation humaine. Qu'y avait-il dans l'antiquité ? On peut penser à une colonisation agricole des Romains dont nous retrouvons la présence non loin de là, entre autres sous Speluncato, avec "I Bagni", restes de thermes romains ...
Aujourd'hui les ruines de cette importante église piévane (22m de longueur sur 9 m de largeur) montrent une reconstruction tardive, sans doute au XIVème siècle, d'un sanctuaire de l'époque pisane romane (XI°s. ?). Pour une raison que nous ignorons, l'abside en cul de four à l'est nous manque,
et l'arc triomphal ouvre désormais sur un choeur plat ...
La végétation envahit le sol, mais aussi les murs , continuant de desceller les pierres
comme ici, ce lierre vigoureux qui vampirise le mur nord est
De nombreux éléments sculptés ou taillés ont été réemployés lors de la reconstruction du XIV° S., comme ici ce bandeau orné de petits cercles,
où là , au-dessus des pilastres à pans coupés
Les belles dalles de revêtement, en granit blanc, ocre ou gris ont retrouvé une place, ainsi que la polychromie des claveaux alternant le gris sombre et le blanc, dans les arcs de décharge au-dessus des portes:
ici la façade ouest
et là, la porte du mur nord. A côté, la béance d'une plaie ouverte, pierres arrachées.
(à travers la porte ouest, Ville di Paraso)
Voici donc ce qui reste de ce qui fut le coeur de cette Pieve de Tuani:
Là où venaient se faire baptiser et juger (" a petra all'arringu" , l a pierre de justice, autrement dit le Tribunal se tenant le plus souvent près de l'église piévane : "on prêtait serment sur la petrall'arringo qui était souvent le couvercle d'une des sépultures entourant la piévanie"- G. Moracchini Mazel,les églises romanes de Corse, p. 202) tous les habitants de cette pieve fertile, sous la protection de de San Giovanni Battista, c'est une ruine désormais abandonnée à la villégiature des vaches et des taureaux qui viennent s'y frictionner l'échine entre deux meuglements printaniers. J'émets le souhait que nous trouvions prochainement pour ce lieu significatif er chargé d'histoire - bien que situé sur un terrain privé- une solution pour le conserver comme patrimoine insigne de cette communauté de la pieve de Tuani, voire, pour que nous puissions, un jour, envisager sa restauration ...
Notons enfin que le titre d'église pievane échut dès le le XVI°s. à l'église voisine San Michele de Speluncato: " ... chiesa di San Michele, che di presente serve per la chiesa plebania di Tovani, il titro pero di S. Gio. Battista, chiesa situata nella pieve di Tovani; resta mezzo miglia lontano da Speloncato vicino alli frati Riformati ..." (Mgr Marliani, 1646)
La petite église paroissiale San Salvatore de Costa conserve sans doute quelque nostalgie de ce titre piévan, comme en témoigne cette peinture ( F. Giavarini, début XIX°s.) de la voûte représentant le martyre de san Giovanni Battista, le saint patron de l'ancienne église piévane de Tuani.
07:44 Publié dans brèves du purgatoire, chapelles romanes corses, corse, patrimoine | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : costa, pieve de tuani, église san giovanni battista de toani, agostino giustiniani, antoine-marie graziani | Facebook |
14/03/2011
Un serpent nu dans le Jardin
Aujourd'hui, récit de la Genèse,
avec Philippe JACCOTTET, la BIBLE, les infos, l'invention de la mort et autres babioles ...
(Eve et le serpent, San Quilicu à Cambia)
"Un grand serpent disparaît dans les hautes herbes jaunâtres.
Le silence pèse. Vais-je imaginer qu'une femme le dérange, qui approche entourée de ses cheveux, vais-je apprendre ce que sont des yeux qui ignorent le temps, et comment on marche quand on n'a ni regrets, ni désirs? A-t-elle, pas plus liée par ses pieds au sol que la flamme à la bougie, le regard opaque (ou trop transparent) des bêtes? Est-ce pourquoi elle aurait prêté l'oreille à l'une d'elles? Le serpent nous répugne peut-être parce que nous savons son histoire. Elle, le voyait-elle seulement? Ce n'était qu'un éclair paresseux ou une eau lente. Elle était encore prise dans le globe clos du jour: lesquels de nos mots auraient-ils eu un sens pour elle? Sûrement pas danger, faute, mensonge ..."
(...)
" Je rêve à ce jardin dans la solitude irisée de cette combe. Je contemple un tremble dont pas une feuille n'est immobile, comme un clocher aux milliers de cloches, pour une obscure alarme. Les bêtes habitent avec tranquillité le Temps. C'est comme si rien n'était encore visible à aucun regard. Tout est encore à l'intérieur d'un sommeil illimité. Soudain, pour la première fois, ces yeux s'entrouvrent. Elle n'était pas différente des bêtes; à présent elle voit la distance, les couleurs, les ombres, la beauté insidieuse; elle voit que les choses changent, pourraient fuir, lui échapper. Elle s'alarme, se trouble; elle devient si belle que même les figures invisibles du ciel descendent vers son nid. Et de même qu'elle a été expulsée de la sphère divine, le sang sort de son corps, et coule, plus épais que l'eau. C'est le premier sang visible. Il enténèbre le sol.
A celui qui se penche vers elle, la terre a-t-elle jamais livré des simples pour ces blessures?"
(Prose au serpent: Philippe Jaccottet, Paysages avec figures absentes, nrf, Poésie Gallimard)
" Le serpent était nu,
plus que tout vivant du champ qu'avait fait IHVH Elohîm.
Il dit à la femme: ainsi Elohîm l'a dit:
"Vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin" ...
La femme dit au serpent:
"Nous mangerons les fruits des arbres du jardin,
mais du fruit de l'arbre au milieu du jardin, Elohîm a dit:
" Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas, afin de ne pas mourir."
Le serpent dit à la femme:
"Non, vous ne mourrez pas, vous ne mourrez pas,
car Elohîm sait que du jour où vous en mangerez
vos yeux se dessilleront et vous serez comme Elohîm, connaissant le bien et le mal."
La femme voit que l'arbre est bien à manger,
oui, appétissant pour les yeux,
convoitable, l'arbre, pour rendre perspicace.
Elle prend de son fruit et mange.
Elle en donne aussi à son homme et il mange.
Les yeux des deux se dessillent, ils savent qu'ils sont nus."
(La Bible: la Genèse, traduite par André CHOURAQUI)
Vous connaissez la suite - y compris les risques nucléaires majeurs que nous vivons aujourd'hui avec le drame du Japon ... Mais tout de même, de là à tout mettre sur le dos d'Eve et du Serpent! (je ne parle pas d'Adam, le pauvre homme, on le sait, il n'y était pour rien, il écoutait le dernier qui parle, le dernier avis, celui qui disait qu'il n'y avait pas de risque, pas de quoi s'alarmer ... et puis quoi, on allait bien voir !)
Adam et Eve et l'arbre de la connaissance: tympan de Santa Maria de Rescamone, à Valle di Rustinu
Je reprends quelques instants quelques passages de cette troublante "Prose au serpent" de Philippe Jaccottet:
"(...) Pourront-elles jamais cesser d'aimanter nos regards, elles, les fraîches, les douces, nos bergères, ces lueurs ou ces clés qui tournent dans l'obscurité, qui ouvrent le monde, en déplacent les murs, elles justement qui semblent des habitantes du Jardin, qui le recréent un instant autour de nous; mais on sent que ce n'est pas le même, c'est comme quand on voit deux images en surimpression, ou que derrière le plus beau ciel on se rappelle la nuit ou l'on pressent un orage, comme quand on devine le crâne sous la peau, c'est déjà plein de flammes derrière les fruits mûrs, les degrés ascendants basculent, le haut et le bas se confondent, le caché émerge, flambe, une odeur de dissolution gagne, comme si de toutes les beautés la plus irrésistible ne paraissait que pour nous faire sentir par un plus court chemin la mort. Bergères infernales.
(...)
Il n'y a jamais eu ni Jardin, ni Serpent. Mais nous sommes vraiment ici, voyant des choses au travers des autres, des dieux et des morts derrière les vivants, des anges et des flammes au milieu des plantes, tout ce mélange de chair et de fumée est réellement en nous. Il faudrait une bonne fois cesser de dire: " Quel est le chemin du lieu sans tache?" ou encore: " Pourquoi vieillis-tu, pourquoi pars-tu, pourquoi me trahis-tu?" Ou nous refusons cette limite, et nous refusons tout (par quelque forme que ce soit de délire, d'excès), ou nous l'acceptons, et nous vivons avec elle. Mais comment, si la croyance en une résolution des contraires avant ou après la mort ne nous est pas donnée? Faut-il briser, chaque fois qu'il se reforme, tout élan vers le Jardin, chasser le plus faible de ses reflets? Plutôt, ceux-ci, les saisir en leur rapide passage, sous toutes leurs formes (variables selon les temps, les lieux, les natures), les maintenir tant bien que mal, aveuglément, n'importe quelle lueur au mur d'une prison étant bienfait ..."
le Serpent et l'Arbre, Santa Maria de Rescamone.
08:52 Publié dans chapelles romanes corses, corse, la mort, poésie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : cambia, castagniccia, adam et eve, le jardin du paradis, l'arbre de la connaissance, genèseanta maria di rescamone de valle di rustinu | Facebook |