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26/06/2009

Murato, San Michele, suite 13: l'Agneau mystique et le cerf

San MICHELE de MURATO,

 

L'Agneau mystique

 

enfin des images lumineuses du mur Nord...

(note du 26/6/09)

fenêtre nord ouest blog.jpg
En cette fin d'après-midi du 14 juin, dans une lumière favorable, la fenêtre de l'angle nord ouest de San Michele.
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La victoire de l'Agneau mystique entre  deux bêtes féroces aux yeux rouges...
L'agneau divin, emblème christocentrique du chrétien, et les bêtes sauvages, représentation de toutes les hérésies, ariennes en particulier,  et des envahisseurs sarrazins à grand peine extirpés de l'île en ce XII° siècle?
En écho: "Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups" ( St Luc, Evangile X 3)
 Ce thème de l'Agneau nous vient de l'Apocalypse, ce texte illuminé de saint Jean de Patmos:
" Je ne vis point de temple, car le Seigneur Dieu tout-puissant et l'Agneau en sont le Temple. La ville n'a besoin ni de soleil ni de lune pour l'éclairer, car la gloire de Dieu l'illumine et l'Agneau est sa lampe, son flambeau ... et les nations de la terre marcheront à sa lumière"
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La grande Théophanie, miniature du Beatus de Facundus. (Apocalypse IV et V): peint par Facundus pour le Roi Ferdinand Ier de Castille et Leon en 1047.
 Beatus de Liebena était un moine espagnol du monastère de San Martin de Turieno (en Cantabrie): son livre, écrit en 776, donnant une traduction latine de la visionnaire  Apocalypse de Jean ( du grec apocalupteïn, dévoiler) et un commentaire de ce dernier texte du corpus biblique chrétien. a connu une grande notoriété. Les "Beatus" sont ces manuscrits  espagnols des XI° et XII° siècle, richement enluminés de miniatures aux couleurs pures, où seront recopiés l'Apocalypse de Jean et le commentaire du moine Beatus. Au VIII° siècle, l'Apocalypse, centré sur la divinité du Christ (ce que refusent les Ariens), devient une arme de résistance pour les chrétiens d'Espagne en lutte contre les musulmans.
Toujours est-il que ce thème de l'Agneau portant sa croix comme un étendard se retrouve fréquemment sur les disques métalliques qui ornaient le dessus des gants  pontificaux...
 
Un peu plus loin, toujours sur le mur nord,
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le cerf.
" Le cerf est l'un des animaux symboliques qui furent acceptés de la façon la plus certaine dès les premiers temps chrétiens comme une image allégorique du Seigneur Jésus Christ, et du chrétien, son disciple. (...)
En effet, naturalistes et poètes anciens: Pline, Théophraste, Xénophon, Elien, Martial, Lucrèce, et bien d'autres ont présenté le cerf comme l'ennemi particulier et implacable de tous les serpents qu'il poursuivrait de sa haine jusque sous terre. (...)
... Martial et Plutarque ajoutent que le cerf, du souffle de ses narines - d'autres disent de sa bouche- fait sortir les serpents de leurs demeures souterraines et qu'il les dévore, acquérant par là une jeunesse nouvelle"
(Louis Charbonneau-Lassay, dans : le Bestaire du Christ, édition Albin Michel)
Symbole de lumière, de longévité- sa ramure se renouvelant périodiquement -, il est aussi le symbole du Christ combattant, crachant de l'eau (la Parole victorieuse) dans les profondeurs de la terre où se cachent les serpents et les obligeant à en sortir. C'est aussi l'emblème de la soif ardente de l'âme chrétienne:
"Sicut cervus desiderat ad fontes..."
"Comme le cerf altéré aspire après les sources d'eau, ainsi mon âme soupire après toi, mon Dieu" (Psaume de David LXII)
Ces sources d'eau vive représentant aussi bien l'Eucharistie que l'eau baptismale.
Encore une fois, le cerf se trouve être l'un des animaux symboliques les plus importants dans de nombreuses cultures anciennes du monde...
 
Au fait, on a réintroduit depuis peu le cerf corse sur l'île: puissent les chasseurs le laisser croître et  multiplier en paix...
 
"Fuis, mon Bien-Aimé, cours, et sois semblable aux jeunes cerfs sur les montagnes où croissent les baumiers..." (Cantique des Cantiques VIII, 14)

Murato, San Michele (suite 11) : la vendange

 

La vendange mystique
(et autres...)
 
 
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Sur le mur nord, sous la fenêtre de la Tentation
Harmoniques.
L' Apocalypse de Saint Jean, 14, 18.
"(...) Un autre Ange sortit alors du temple, au ciel, tenant également une faucille aiguisée. Puis un autre Ange sortit de l'autel - l'Ange préposé au feu - et cria très fort à celui qui tenait la faucille: "Jette ta faucille aiguisée, vendange les grappes de la vigne de la terre, car ses raisins sont mûrs." L'Ange alors jeta sa faucille sur la terre, il en vendangea la vigne et versa le tout dans la cuve de la colère de Dieu, cuve immense! Puis on la foula hors de la ville, et il en coula du sang qui monta jusqu'au mors des chevaux sur une distance de mille six cents stades."
Mais aussi, Evangile de Saint Jean, 15, 6:
"C'est moi, le vrai cep et mon Père est le vigneron.
Tout sarment en moi qui ne porte pas de fruit, il le coupe
et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, 
pour qu'il en porte encore plus. 
(...) C'est moi, le cep; vous êtes les sarments.
Qui demeure en moi comme moi en lui, porte beaucoup de fruit;
car hors de moi vous ne pouvez rien faire."
 Qu'elle soit le symbole du peuple d'Israël , du Messie ( et du Pressoir mystique) ou de l'Eglise, la Vigne  est plantée puis vendangée. 
Jean Daniélou, dans "Les ymboles chrétiens primitifs" (Editions du Seuil, P.33 à 48) lui consacre  un chapitre bien intéressant ("La vigne et l'arbre de vie"). Citant Astérios le Sophiste:
"La vigne divine et antérieure aux siècles a poussé hors du sépulcre et a porté comme fruits les nouveaux baptisés comme des grappes de raisins sur l'autel. La vigne a été vendangée et l'autel, comme un pressoir, a été rempli de grappes"
 
 
Curieusement ici, les entrelacs de la vigne font écho aux entrelacs du serpent de la tentation. C'est que la Vigne, comme l'Arbre de la connaissance où s'enlace le serpent, comme l'Arbre de la Croix où se crucifie la nature humaine, sont plantés et vendangés par "le Père".
 
Et dans ce pays de vignobles, on sait de quoi on parle. 
                    
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A gauche le buste de  l'ange, ailes grandes ouvertes, qui brandit son glaive : avis! c'est bien du sang qui coulera des grappes. A gauche,   
un petit bonhomme habillé d'une longue robe, vient de couper avec son couteau une belle grappe de raisin. Entre les deux se développent les sarments lourdement chargés de fruits juteux. La vigne a été bien plantée, ses racines plongent solidement dans le sol nourricier.
Résonance  peu raisonnable d'une autre vendange, que mon père me fit biberonner dès mes jeunes années au doux pays de Chinon:
   " En l'abbaye estait pour lors un moine claustrier, nommé Frère Jean des Entommeures, jeune, guallant, frisque ( joyeux), de hayt ( de bonne humeur), bien à dextre, hardy, adventureux, délibéré, hault, maigre, bien fendu de gueule, bien adventaigé en nez,  beau despescheur d'heures, beau débrideur de messes, beau descroteur de vigiles, pour tout dire sommairement vray moyne si oncques en feut depuys que le monde moynant moyna de moynerie; au reste clerc jusques es dents en matière de bréviaire.
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   Icelluy, entendent le bruict que faisoyent les ennemys par le cloz de leur vine, sortit hors pour veoir ce qu'ils faisoient, et, advisant qu'iz vendangeoient leur cloz auquel estoyt leur boyte (boisson) de tout l'an fondée, retourne au cueur de l'église, où estoient les aultres moynes, tous estonnez comme fondeurs de cloches, lesquelz voyant chanter Ini nim, pe, ne, ne, ne (...): " C'est, dist il, bien chien chanté! Vertus Dieu! que ne chantez vous:
Adieu, paniers, vendanges sont faictes?"
"Je me donne au diable s'ilz ne sont en nostre cloz et tant bien couppent et seps et raisins qu'il n'y aura, par le corps Dieu! de quatre années que halleboter ( grappiller) dedans. Ventre sainct Jacques! que boyrons nous ce pendent, nois aultres pauvres diables? Seigneur Dieu, da mihi potum ( à boire!)!"   
(Rabelais, Gargantua, chapitre XXVII)
S'ensuit un massacre mémorable où Frère Jean des Enommeures occit à lui tout seul armé du bâton de la croix treize mille six cent vingt-deux ennemis, soldatesque du roi Picrocole:
   " Les ungs mouraient sans parler, les autres parlaient sans mourir. Les ungs mouraient en parlant, les aultres parloint en mourant".
(ce qui nous pend au nez, lors de la vendange finale)
En fait, c'est sur image de Samivel que petite fille j'ai enfin visualisé ce à quoi pouvaient ressembler les âmes dont me parlaient tant les chères soeurs de ma petite école primaire: des paires d'ailes montées sur ressort, pressées d'abandonner ce tas informe de trépassés tout cabossés...
Jean des Entommeures.jpg
 
(Rabelais illustré par Samivel:
pour mes huit ans mon père m'avait offert ce livre qui m'a joyeusement accompagnée toute mon enfance!)
 
 
 
(à suivre)
 
 
 

 

     

Murato, San Michel (suite 10)

 

                                                                                       

 L'ARBRE ET LA CROIX

(note du 12/4/09)

(suite de la note 9 sur la vigne: petite méditation de Pâques)

Murato arbre mur nord.blog jpg.jpg
"l'Arbre de Vie"
Prologue en amont de ce dimanche de Pâques.
Genèse (traduite par CHOURAQUI)
"Ils sont achevés, les ciels, la terre et toute leur milice.
Elohîm achève au jour septième son ouvrage qu'il avait fait.
Il chôme, le jour septième, de tout l'ouvrage qu'il avait fait.
Elohîm bénit le jour septième, il le consacre (...)
Tout buisson du champ n'était pas encore en terre,
toute herbe du champ n'avait pas encore germé:
oui IHVH Elohîm n'avait pas fait pleuvoir sur la terre,
et de glébeux, point, pour servir la glèbe.
Mais une vapeur monte de la terre,
elle abreuve toutes les faces de la glèbe.
IHVH Elohîm forme le glébeux - Adâm, poussière de la glèbe -Adama.
Il insuffle en ses narines haleine de vie:
et c'est le glébeux, un être vivant.
IHVH Elohîm plante un jardin en Edèn au levant.
Il met là le glébeux qu'il avait formé.
IHVH Elohîm fait germer de la terre tout arbre
convoitable pour la vue et bien à manger,
l'arbre de la vie, au milieu du jardin
et l'arbre de la connaissance du bien et du mal.
Un fleuve sort de l'Edèn pour abreuver le jardin
(...)
IHVH Elohîm prend le glébeux et le pose au jardin d'Edèn,
pour le servir et pour le garder.
IHVH Elohîm ordonne au glébeux pour dire:
"De tout arbre du jardin, tu mangeras, tu mangeras,
mais de l'arbre de la connaissance du bien et du mal,
tu ne mangeras pas,
oui, du jour où tu en mangeras, tu mourras, tu mourras."
(...)
Le destin de l'humanité est scellé. Dieu sait.
Dieu sait comment tout cela doit finir!
En attendant, il faut mettre en marche l'histoire de l'homme.
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(Jérome Bosch: le Jardin des délices)
 ... S'ensuit la création de la femme, tirée du côté d'Adam (et non de sa côte):
"il colle à sa femme et ils sont une seule chair.
Les deux sont nus, le glébeux et sa femme: ils n'en blêmissent pas."
L'Arbre de la Vie se dresse au milieu de l'Eden. Arbre cosmique, pivot et centre de l'univers, échelle parfaite pour une ascension vers l'immortalité: Adam et Eve n'auront pas le temps d'y goûter, leur humanité qui les élève à la verticalité, la tête vers le ciel, les conduit aussi avec un instinct irrémédiable vers l'Arbre de la Connaissance du bien et du mal, celui dont il ne fallait surtout pas manger les fruits, sous peine de mourir. Mourir? Qu'est-ce que cela pouvait bien dire, dans ce Jardin de l'Eden, comment auraient-ils pu seulement concevoir la mort, ces pauvres innocents? Quant au bien et au mal...?  Leur nudité est  légère, lumineuse, sans arrière-pensée, de même leur union: "ils sont une seule chair" . UN à l'image de Dieu. "Res simplex", la chose simple.
Ils ne savent pas ce qui les attend un peu plus loin dans le jardin, pas plus que l'arbre de vie ne connait sa destinée, cet arbre solaire aux racines obscures qui deviendra le bois de la croix, le jour de la Passion du Christ, arbre de mort conduisant à la rédemption des hommes: je vous dis cela parce qu'aujourd'hui les chrétiens fêtent Pâques, la résurrection, la renaissance de la lumière après l'épreuve des ténèbres...
Donc Adam et Eve ne savent pas encore. En fait ils ne savent pas grand chose les pauvres petits, sinon que les fruits de ce jardin sont délectables à regarder et à manger . Adam a sans doute appris à Eve l'interdit qui pèse sur l'arbre de la connaissance du bien et du mal, et en bons enfants qu'ils sont, ils ne s'interrogent pas sur la signification du bien et du mal et ne se sentent même pas frustrés (la psychanalyse n'est pas encore inventée, mais ça ne saurait tarder).
Quand soudain, au détour d'un bosquet...
tentation blog.jpg
(Murato: la Tentation, mur Nord)
... un bel arbre ressemblant fort à l'arbre de vie s'élève dans une prairie souriante. Ses fruits semblent être des figues, mûres à souhait. Aucun écriteau ne signale qu'il s'agit du fameux arbre de la connaissance, et quand bien même il y en aurait un, ils ne savent pas lire, pauvres petits.
 
A dire vrai, j'ai beau relire la Genèse, je ne sais toujours pas comment nos ancêtres devaient reconnaître ces deux arbres: sans doute que Dieu leur a fait faire le tour du propriétaire avant de les poser là et leur a montré les deux plus beaux arbres du jardin. Un grand serpent s'est enroulé autour du tronc, il se balance entre les branches. Moi qui sais la suite, je voudrais crier à Eve: méfie-toi du serpent! Si seulement je pouvais lui montrer ce monstre qui guette au-dessus de cette scène, gueule ouverte et narines dilatées, un vrai gouffre infernal...
Mais le drame se noue inexorablement dans la pierre:
"Le serpent était nu,
plus que tout vivant du champ qu'avait fait YHVH Elohîm.
Il dit à la femme: "Ainsi Elohîm l'a dit:
"vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin" ..."
(Une pareille mauvaise foi!)
"La femme dit au serpent:
"Nous mangerons les fruits des arbres du jardin,
mais du fruit de l'arbre au milieu du jardin, Elohîm a dit:
"Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas,
afin de ne pas mourir". "
Le serpent dit à la femme:
Non vous ne mourrez pas, vous ne mourrez pas,
car Elohîm sait que le jour où vous en mangerez
vos yeux se dessilleront et vous serez comme Elohîm,
connaissant le bien et le mal."
La femme voit que l'arbre est bien à manger,
oui, appétissant pour les yeux,
convoitable, l'arbre, pour rendre perspicace.
Elle prend de son fruit et mange.
Elle en donne aussi à son homme avec elle et il mange.
Les yeux des deux se dessillent, ils savent qu'ils sont nus."
Ici curieusement Eve est ce personnage plutôt androgyne, sans marque de féminité, qui tend une main vers le serpent et se cache le sexe de l'autre, comme si le sculpteur avait voulu évoquer dans ce seul personnage le couple humain fusionnel au moment de sa chute, c'est-à-dire de son arrachement à l'unité divine. Où de 1 l'on passe à 2. C'est la première expérience de la mort.
Cambia péché originel blog.jpg
(tympan de la porte ouest de San Quilicu, à Cambia, la scène du péché originel: la"chute" de l'homme est évoquée, me semble-t-il par la chute des deux étoiles stylisées: cf les notes sur San Quilicu de Cambia des 28/1, 31/1 et 6/2 2008)
 
Ce thème de l'Arbre  et de la Croix, si profondément relié à Pâques, se retrouve magnifiquement imagée sur le mur nord de l'église de la Trinità d'Aregno, en Balagne: à droite, sans doute, l'Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, évoquant la chute d'Adam et Eve, et, à gauche, l'Arbre de Vie qui fournit le bois de la Croix.
 
L'Arbre, redisons-le, est une échelle qui plonge ses racines au plus profonds de nos ténèbres intérieures et tend ses branches vers le ciel. Une histoire "d'ascension", le symbole du haut (le monde céleste, la valeur positive) et du bas (le monde infernal, la valeur négative) se retrouvant constamment illustré dans l'art roman: le spirituel s'illustre par le monde céleste de l'oiseau, le charnel par le monde rampant du serpent... Dans ce contexte précis, voyez comme la Croix est une échelle posée sur, non plus enracinée, toute dirigée vers le monde céleste: "haec est scala peccatorum" (Adam de Saint Victor)
Aregno arbre et croix.jpg
 
( L'Arbre et de la Croix entrelacés, à Aregno, église de la Trinità, la soeur granitique de San Michele de Murato)
 
Le chemin parcouru entre les deux va reconduire à l'unité de ce qui était divisé. Nous retrouvons alors pour les chrétiens la symbolique alchimique du Cantique des Cantiques. Unité mystique de l'Epoux (Sponsus) et de l' Epouse (Sponsa), de "l' âme du Christ (anima Christi) vivant dans le corps mystique ( corpus mysticum) de l'Eglise" (C.G.JUNG, Psychologie du transfert).
 
(à suivre)

Murato, San Michele: la vigne (suite 9)

Le cep de vigne:
"in vino veritas"!

(note du 5/4/09)
façade est cep de vigne.jpg

Un vigoureux pied de vigne donnant de belles grappes aux raisins serrés que je sais noirs -  j'ai les mêmes en septembre au jardin -  délectables, gorgés de soleil, d'un sang rouge sombre,  convoités par sangliers et renards en maraude autant que par étourneaux, geais ou merles: les nôtres, qui viennent du jardin bas-dauphinois du grand-père Johannès, ont traversé la mer et aimé s'enraciner ici dans cette terre amoureusement bêchée par d'autres grand-pères. J'observe la force des racines qui ancrent le cep en terre, mais aussi de ses racines célestes qui l'amarrent au ciel. Comme une échelle végétale reliant monde terrestre et monde céleste, avec les fruits de l'abondance divine pour subvenir à l'ascension, image du "Pressoir de la Croix" et de l'Arbre de vie:

" Entre tes bras s'enlace la vigne, d'où coule pour nous en abondance  le doux vin qui a la rougeur du sang" (Venance FORTUNAT, Poèmes II, 1)

Le jour des Rameaux, l'Evangile de St Marc évoque la Cène et l'Eucharistie: "Ceci est mon sang, le sang de l'Alliance, répandu pour la multitude. Amen, je vous le dis: je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu'à ce jour où je boirai un vin nouveau dans le Royaume de Dieu". Le signe est fort, explicite.

Banière avec calice.jpg

 
(une banière de procession explicite, Ghjunsani, XVIIIème s.)

Que ce pied de vigne figure  non loin de la croix sur la façade Est de San Michele de Murato ne nous surprendra donc pas.

La vigne, on la pratique ici depuis des millénaires, vous le savez bien, vous qui aimez le vin de la Conca d'Oro. Vigne puissamment enracinée dans le terroir corse, comme partout en Méditerranée, en Orient, en Egypte, comme au temps immémorial de Dionysos, de Noé,... comme dans notre pensée, dans nos fêtes.  Vin favorisant l'extase,  l'union spirituelle. Aux Noces de Cana, l'angoisse monte lorsqu'il n'y a plus de vin, et c'est même là le premier miracle de Jésus, de transformer l'eau en vin: on en mesure toute l'importance, la gravité.

Le vin lui aussi transforme. Il transforme du reste, et c'est là le problème, ou en dieu ou en bête... Comme toujours le symbole est une porte entrouverte par où souffle l'Esprit à l'intérieur de chacun : si l'on a besoin d'air, qu'on laisse la porte ouverte, sinon, qu'on la ferme!

 Le grand poète persan Omar KHAYYAM (né vers 1040), presque contemporain de San Michele, dans ses quatrains, célèbre le vin:

« Je bois du vin, et quiconque boit comme moi en est digne.

Si je bois, c’est chose bien légère devant Lui.

Dieu savait, dès le premier jour, que je boirais du vin,

Si je ne buvais pas, la science de Dieu serait vaine. » ( LXXV)

 

« Une seule coupe de vin vaut cent cœurs et cent religions ;

Un trait de vin vaut l’empire de la Chine.

Hors du vin, ce rubis, il n’y a point sur terre

Une seule chose acide valant mille âmes douces » (LXXXV)

 

A prendre comme on veut...

 

Les mystiques musulmans en font aussi un symbole de l'extase divine: le maître soufi RÛMI (Le Livre du Dedans), un siècle après Omar Khayyam, exprime sa sagesse dans une langue familière et simple comme les paraboles du Christ, disant:

"Si les mystiques se servent de comparaisons et d'images, c'est afin qu'un homme aimant mais à l'esprit faible puisse saisir la vérité".

...  Ce qui pourrait s'appliquer à l'artiste roman oeuvrant avec son ciseau sur les pierres de nos églises.

Et encore, à propos de la vigne:

"Avant qu'il y eût en ce monde un jardin, une vigne et du raisin, notre âme était déjà enivrée du vin immortel".

Ailleurs, il écrit, et cela me parle bien:

"Si les chemins sont différents, le but est unique"

L'image de ce cep de vigne de Murato s'adresse à tout homme qui chemine vers l'intérieur de lui-même, pourvu que la porte (de son éveil spirituel ) ait été maintenue entrouverte: cette chapelle San Michele nous emmène en chemin et nous intègre à son silence de pierre. En témoignent la cordelière solide et les délicats entrelacs qui courent sous les rampants du toit, nous faisant en un lien continu solidaires de l'église.

Sous la dernière arcade de droite, l'alvéole désormais vide où s'intégrait à l'origine un bol en céramique polychrome.

façade est vigne.jpg
L'Epoux (le Christ) s'adresse à l'Epouse (l'âme):
 
"Ouvre-moi, je suis déjà en toi-même, mais ouvre-moi pour que je sois en toi avec plus de plénitude. Ouvre-moi afin que je puisse accomplir en toi une nouvelle entrée. Je te donnerai la rosée d'un nouvel élan d'amour... je ferai tomber goutte à goutte sur toi les secrets de ma divinité"
(Gilbert de HOYLAND, dans ses Sermons sur le Cantique des Cantiques)
A la santé de tous ceux qui aiment le bon vin!
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(La Dive Bouteille Bacbuc: Rabelais, Pantagruel...)
(à suivre)
Lorsque commence la Semaine Sainte, les amis confrères vont avoir beaucoup de travail , dans chaque communauté de Corse se vivront Offices des Ténèbres, Chemins de Croix, processions, et là encore, quelles que soient les croyances, l'athéisme ou/et  la spiritualité de chacun, ce sera une semaine d'émotion pour les gens dans les villages qui reconquièrent entre autres par leurs chants et leurs déambulations communautaires une image "respectable" de leur identité... Une certaine façon de résister ici à l'uniformisation généralisée.

 

 

 

 

 

 

Murato (suite 8): le Cantique des Cantiques

Conjonction conjugale
petite suite de la note précédente, où je fais le choix de la rencontre conjugale, source de fécondité spirituelle.
 
Dans la pensée chrétienne, l' Epoux évoque le Christ, et l'Epouse, l'âme ou l'Eglise.
 
couple humain.jpg
 
Le Cantique des Cantiques.
 
PROLOGUE
 
" Qu'il me baise des baisers de sa bouche.
Tes amours sont délicieuses plus que le vin;
L'arôme de tes parfums est exquis,
ton nom est une huile qui s'épanche,
c'est pourquoi les jeunes filles t'aiment.
Entraîne-moi sur tes pas, courons!
Le Roi m'a introduite en ses appartements;
tu seras notre joie et notre allégresse.
Nous célèbrerons tes amours plus que le vin;
comme on a raison de t'aimer!"
 

DIALOGUE DES EPOUX

"Tandis que le Roi est en son enclos,

mon nard donne son parfum.

Mon Bien-Aimé est un sachet de myrrhe,

qui repose entre mes seins.

Mon Bien-Aimé est une grappe de cypre,

dans les vignes d'En-Gaddi." (...) (premier poème)

L'EPOUX:

(...) "Elle est un jardin bien clos,

ma soeur, ma fiancée;

un jardin bien clos,

une source scellée.

Tes jets font un jardin de grenadiers

et tu as les plus rares essences:

le nard et le safran,

le roseau odorant et le cinnamone,

avec tous les arbres à encens;

la myrrhe et l'aloès,

avec les plus fins aromes.

Source qui féconde les jardins,

puits d'eau vive,

ruisseau dévalant du Liban!

L'EPOUSE:

Lève-toi, aquilon,

accours, autan!

Soufflez sur mon jardin,

qu'il distille ses aromates!

Que mon Bien-Aimé entre dans son jardin;

qu'il en goûte les fruits délicieux!

 

L'EPOUX:

J'entre dans mon jardin,

ma soeur, ma fiancée,

je récolte ma myrrhe et mon baume,

je mange mon miel et mon rayon,

je bois mon vin et mon lait.

Mangez, amis, buvez,

enivrez-vous, mes bien-aimés!"

(troisième poème)

Je cite Marie-Madeleine DAVY (Initiation à la symbolique romane (XIIème siècle), Champs histoire), citant ici elle-même St Bernard:

"Si le mariage charnel - dira Bernard - unit deux êtres en une seule chair, l'union spirituelle les unit en un seul esprit (Sermon VIII,9). "Tu as conçu -dira l'Epoux à l' Epouse - tes seins sont gorgés de lait" (Sermon IX,7). L'Epouse est fécondée quand l'âme possède l'expérience de Dieu, un "flot de lait" coule dans son sein(id.), par son exhortation et sa compassion elle abreuve de nombreux nourrissons (Sermon IX, 8)

Un seul point commun se présente entre l'homme charnel et l'homme spirituel: ils ne sont jamais rassasiés."

(...) La réalité du symbole roman implique la connaissance, l'amour, l'union, la fécondité.

Le symbole conjugal s'ouvre sur une perspective eschatologique dans laquelle l'unité s'ébauche avant d'être parfaitement réalisée. Seront unis l'extérieur et l'intérieur de telle sorte qu'il n'y aura plus ni extérieur ni intérieur, ni masculin, ni féminin."

Je vous invite à retrouver ce beau texte très inspiré de M.M. Davy

( éditions Flammarion)

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