26/06/2009
Murato, San Michel (suite 10)
L'ARBRE ET LA CROIX
(note du 12/4/09)
(suite de la note 9 sur la vigne: petite méditation de Pâques)
"l'Arbre de Vie"
Prologue en amont de ce dimanche de Pâques.
Genèse (traduite par CHOURAQUI)
"Ils sont achevés, les ciels, la terre et toute leur milice.
Elohîm achève au jour septième son ouvrage qu'il avait fait.
Il chôme, le jour septième, de tout l'ouvrage qu'il avait fait.
Elohîm bénit le jour septième, il le consacre (...)
Tout buisson du champ n'était pas encore en terre,
toute herbe du champ n'avait pas encore germé:
oui IHVH Elohîm n'avait pas fait pleuvoir sur la terre,
et de glébeux, point, pour servir la glèbe.
Mais une vapeur monte de la terre,
elle abreuve toutes les faces de la glèbe.
IHVH Elohîm forme le glébeux - Adâm, poussière de la glèbe -Adama.
Il insuffle en ses narines haleine de vie:
et c'est le glébeux, un être vivant.
IHVH Elohîm plante un jardin en Edèn au levant.
Il met là le glébeux qu'il avait formé.
IHVH Elohîm fait germer de la terre tout arbre
convoitable pour la vue et bien à manger,
l'arbre de la vie, au milieu du jardin
et l'arbre de la connaissance du bien et du mal.
Un fleuve sort de l'Edèn pour abreuver le jardin
(...)
IHVH Elohîm prend le glébeux et le pose au jardin d'Edèn,
pour le servir et pour le garder.
IHVH Elohîm ordonne au glébeux pour dire:
"De tout arbre du jardin, tu mangeras, tu mangeras,
mais de l'arbre de la connaissance du bien et du mal,
tu ne mangeras pas,
oui, du jour où tu en mangeras, tu mourras, tu mourras."
(...)
Le destin de l'humanité est scellé. Dieu sait.
Dieu sait comment tout cela doit finir!
En attendant, il faut mettre en marche l'histoire de l'homme.
(Jérome Bosch: le Jardin des délices)
... S'ensuit la création de la femme, tirée du côté d'Adam (et non de sa côte):
"il colle à sa femme et ils sont une seule chair.
Les deux sont nus, le glébeux et sa femme: ils n'en blêmissent pas."
L'Arbre de la Vie se dresse au milieu de l'Eden. Arbre cosmique, pivot et centre de l'univers, échelle parfaite pour une ascension vers l'immortalité: Adam et Eve n'auront pas le temps d'y goûter, leur humanité qui les élève à la verticalité, la tête vers le ciel, les conduit aussi avec un instinct irrémédiable vers l'Arbre de la Connaissance du bien et du mal, celui dont il ne fallait surtout pas manger les fruits, sous peine de mourir. Mourir? Qu'est-ce que cela pouvait bien dire, dans ce Jardin de l'Eden, comment auraient-ils pu seulement concevoir la mort, ces pauvres innocents? Quant au bien et au mal...? Leur nudité est légère, lumineuse, sans arrière-pensée, de même leur union: "ils sont une seule chair" . UN à l'image de Dieu. "Res simplex", la chose simple.
Ils ne savent pas ce qui les attend un peu plus loin dans le jardin, pas plus que l'arbre de vie ne connait sa destinée, cet arbre solaire aux racines obscures qui deviendra le bois de la croix, le jour de la Passion du Christ, arbre de mort conduisant à la rédemption des hommes: je vous dis cela parce qu'aujourd'hui les chrétiens fêtent Pâques, la résurrection, la renaissance de la lumière après l'épreuve des ténèbres...
Donc Adam et Eve ne savent pas encore. En fait ils ne savent pas grand chose les pauvres petits, sinon que les fruits de ce jardin sont délectables à regarder et à manger . Adam a sans doute appris à Eve l'interdit qui pèse sur l'arbre de la connaissance du bien et du mal, et en bons enfants qu'ils sont, ils ne s'interrogent pas sur la signification du bien et du mal et ne se sentent même pas frustrés (la psychanalyse n'est pas encore inventée, mais ça ne saurait tarder).
Quand soudain, au détour d'un bosquet...
(Murato: la Tentation, mur Nord)
... un bel arbre ressemblant fort à l'arbre de vie s'élève dans une prairie souriante. Ses fruits semblent être des figues, mûres à souhait. Aucun écriteau ne signale qu'il s'agit du fameux arbre de la connaissance, et quand bien même il y en aurait un, ils ne savent pas lire, pauvres petits.
A dire vrai, j'ai beau relire la Genèse, je ne sais toujours pas comment nos ancêtres devaient reconnaître ces deux arbres: sans doute que Dieu leur a fait faire le tour du propriétaire avant de les poser là et leur a montré les deux plus beaux arbres du jardin. Un grand serpent s'est enroulé autour du tronc, il se balance entre les branches. Moi qui sais la suite, je voudrais crier à Eve: méfie-toi du serpent! Si seulement je pouvais lui montrer ce monstre qui guette au-dessus de cette scène, gueule ouverte et narines dilatées, un vrai gouffre infernal...
Mais le drame se noue inexorablement dans la pierre:
"Le serpent était nu,
plus que tout vivant du champ qu'avait fait YHVH Elohîm.
Il dit à la femme: "Ainsi Elohîm l'a dit:
"vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin" ..."
(Une pareille mauvaise foi!)
"La femme dit au serpent:
"Nous mangerons les fruits des arbres du jardin,
mais du fruit de l'arbre au milieu du jardin, Elohîm a dit:
"Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas,
afin de ne pas mourir". "
Le serpent dit à la femme:
Non vous ne mourrez pas, vous ne mourrez pas,
car Elohîm sait que le jour où vous en mangerez
vos yeux se dessilleront et vous serez comme Elohîm,
connaissant le bien et le mal."
La femme voit que l'arbre est bien à manger,
oui, appétissant pour les yeux,
convoitable, l'arbre, pour rendre perspicace.
Elle prend de son fruit et mange.
Elle en donne aussi à son homme avec elle et il mange.
Les yeux des deux se dessillent, ils savent qu'ils sont nus."
Ici curieusement Eve est ce personnage plutôt androgyne, sans marque de féminité, qui tend une main vers le serpent et se cache le sexe de l'autre, comme si le sculpteur avait voulu évoquer dans ce seul personnage le couple humain fusionnel au moment de sa chute, c'est-à-dire de son arrachement à l'unité divine. Où de 1 l'on passe à 2. C'est la première expérience de la mort.
(tympan de la porte ouest de San Quilicu, à Cambia, la scène du péché originel: la"chute" de l'homme est évoquée, me semble-t-il par la chute des deux étoiles stylisées: cf les notes sur San Quilicu de Cambia des 28/1, 31/1 et 6/2 2008)
Ce thème de l'Arbre et de la Croix, si profondément relié à Pâques, se retrouve magnifiquement imagée sur le mur nord de l'église de la Trinità d'Aregno, en Balagne: à droite, sans doute, l'Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, évoquant la chute d'Adam et Eve, et, à gauche, l'Arbre de Vie qui fournit le bois de la Croix.
L'Arbre, redisons-le, est une échelle qui plonge ses racines au plus profonds de nos ténèbres intérieures et tend ses branches vers le ciel. Une histoire "d'ascension", le symbole du haut (le monde céleste, la valeur positive) et du bas (le monde infernal, la valeur négative) se retrouvant constamment illustré dans l'art roman: le spirituel s'illustre par le monde céleste de l'oiseau, le charnel par le monde rampant du serpent... Dans ce contexte précis, voyez comme la Croix est une échelle posée sur, non plus enracinée, toute dirigée vers le monde céleste: "haec est scala peccatorum" (Adam de Saint Victor)
( L'Arbre et de la Croix entrelacés, à Aregno, église de la Trinità, la soeur granitique de San Michele de Murato)
Le chemin parcouru entre les deux va reconduire à l'unité de ce qui était divisé. Nous retrouvons alors pour les chrétiens la symbolique alchimique du Cantique des Cantiques. Unité mystique de l'Epoux (Sponsus) et de l' Epouse (Sponsa), de "l' âme du Christ (anima Christi) vivant dans le corps mystique ( corpus mysticum) de l'Eglise" (C.G.JUNG, Psychologie du transfert).
(à suivre)
17:49 Publié dans chapelles romanes corses, histoire de l'art, patrimoine des chapelles à fresques en Corse, racines de pierre, regards sur l'art, San Michele di Muratu, spiritualité, symbolique romane | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : symbolique romane, corse, l'arbre et la croix, arbre de vie, symbole de verticalisation, ascension, union mystique | Facebook |
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