13/03/2012
Arts Sacrés mars 2012
Le nouveau numéro d'Art Sacrés (mars-avril) sort ce mois-ci:
il concernera aussi la Corse, avec un article sur les décors peints de la Semaine Sainte en Corse, que les responsables de la rédaction m'ont chargée de rédiger, un plaisir et un honneur dont je les remercie ici! Ce thème m'est cher, on le sait: j'espère pouvoir, cette année encore, emmener ceux qui le souhaitent à la rencontre des sepolcri de la Semaine Sainte en Castagniccia - je vous en tiendrai informés.
Description du numéro Arts Sacrés n° 16
Lumière de Pâques
Pâques est l’occasion d’admirer les reflets multiples que prend le thème de la lumière dans la tradition chrétienne. L’art sacré majeur des chrétiens, l’église, en est sans cesse renouvelé. Comment éclairait-on une église au Moyen Âge ? Et aujourd’hui ? Cette lumière, thème central de deux mille ans d’art sacré, continue d’inspirer les artistes contemporains. Il suffit d’évoquer deux des plus grands : Dan Flavin et James Turrell. À Pâques, la lumière jaillit du tombeau, comme dans les incroyables architectures éphémères des sepolcri de la Semaine sainte en Corse ; et de la terre, comme dans les sculptures inspirées de Georges Jeanclos. Mais elle semble engloutie lorsqu’Olivier Py met magistralement en scène le massacre de la Saint-Barthélemy. Une exposition à Paris nous permet, en observant de simples rochers, de comprendre la spiritualité chinoise, tandis qu’une autre à Londres, consacrée au Hajj, est l’occasion pour notre revue de dénoncer la catastrophe que subit actuellement le patrimoine de La Mecque, dans l’indifférence la plus totale.
Dossier
- DOSSIER La lumière dans l'architecture Lumière créatrice
- La lumière dans l'architecture chrétienne
- Fiat Lux. Eclairer les églises avant l'électricité
- La liturgie des Heures
- Sur l'éclairage des églises. Entretien avec Didier Repellin
- Lumières de Pâques
- Dan Flavin à la Chiesa Rossa
- James Turrell. Le constructeur de « temples »
Articles
- Paysages du sacré. Racines de nuages. Les pierres étranges et la quête d'absolu en Chine
- Portrait d'artiste. Georges Jeanclos. Portrait d'un art messianique
- Images du réel. Décors de la Semaine sainte en Corse
- L'œil instruit. Les croix de consécration
- Paroles et musique. Les Huguenots à l'opéra. Entretien avec Olivier Py
- Moment de création. La Mecque bouleversée
Actualités
- Les drones de Céleste
- Hommage à Dom Angelico Surchamp, peintre
- Trois générations et un agneau
- Un Guernica chrétien. Arcabas
- Spiritualité de l'eau
( le sepolcru de Quenza: la Déréliction du Christ au Jardin des Oliviers )
10:38 Publié dans civilisation, corse, découverte du patrimoine en Corse, semaine sainte en corse, sepolcri de Corse, spiritualité | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : arts sacrés, sepolcri peints de la semaine sainte | Facebook |
06/07/2011
le sepolcru de Quenza
Pendant les rencontres de la Biennale de sculpture de QUENZA
nous proposons cette autre rencontre
autour du sepolcru de Quenza et des sepolcri de Corse
à l'église paroissiale san Giorgio
vendredi 8 Juillet à 16h30
Ce magnifique sepolcru de Quenza mérite d'être redécouvert, tant par son intérêt esthétique que par sa rareté dans le paysage de la Corse du Sud: le monde des sepolcri est très inégalement réparti sur l'île, comme on pourra s'en apercevoir au cours de cette rencontre, avec une mention particulière pour la région de la Castagniccia, hors catégorie ...
la grande tenture du sepolcru de Quenza est peinte à l'économie, sans couche d'apprêt, sur la toile de lin. En voici quelques images:
Jésus au Jardin des Oliviers et la soldatesque en compagnie de Judas
la flagellation
Les prophéties d'Isaïe:lectures du mercredi saint
Isaïe 53-1-12:" Il n'a ni beauté ni éclat"
Isaïe 1-6: " De la plante des pieds à sa tête, plus rien n'est intact"
le visage du Christ flagellé
et celui de son bourreau
Le Christ en croix recevant le coup de lance avec la Vierge et saint Jean
le coup de lance
Mater Dolorosa: le coup de lance qui achève le Fils fait saigner le coeur de la Mère
" Père pardonne leur..."
le Bon Larron à la droite de Jésus: "Souviens-toi de moi Seigneur..."
... et le cavalier à la lance sur son sympathique cheval
le Mauvais Larron ... et ...
sa leçon: " La mort du pécheur est la pire"
... et au-dessus de l'ouverture, Saint Michel Archange . Il me semble apercevoir les restes de sa balance : à vous de choisir votre destin...
L'occasion d'évoquer, pendant cette rencontre, ces théâtres sacrés populaires des sepolcri de Corse, monumentales mises en scène de la Passion du Christ où l'on ne pouvait entrer sans être saisi par le recueillement et la com-passion dans un silence enflammé de cierges et de lampes à huile: non pas spectateur, mais acteur de ce drame universel auquel chacun s'identifie. La Corse, comme toujours, au centre de ce monde méditerranéen qui exprimera avec de nombreuses variantes sa dévotion de la Semaine Sainte.
***
Je rappelle ici ce travail de longue haleine entrepris pour "la sauvegarde et la valorisation de ce patrimoine en déshérence":
" A l'initiative de Jean-Bernard Mathon, le Centre de Conservation et de restauration du Patrimoine du Conseil Général des Pyrénées Orientales a piloté un projet européen (labellisé "Arc Latin" visant à inventorier, diagnostiquer, conserver, restaurer, étudier et valoriser ces objets, en péril, puisque tombés en désuétude"
Un excellent ouvrage collectif est né de ces recherches, auquel ont participé, entre autres Michel-Edouard Nigaglioni, Hervé Giocanti, Jean-Bernard Mathon, Franco Boggero, pour ne nommer que des chercheurs amis de la Corse ...
"MONUMENTS ET DECORS DE LA SEMAINE SAINTE EN MEDITERRANEE, Arts, Rituels, Liturgies"
édité par Méridiennes en 2009
ISBN: 2-912025-53
ISSN: 1950-0130
livre que je ne saurais trop conseiller à tous ceux que ce sujet touche de près ou de loin.
18:40 Publié dans conférence sur la Corse, corse, patrimoine populaire de Corse, semaine sainte en corse, sepolcri de Corse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : quenza, le sepolcru de quenza, les sepolcri de corse, l'arc latin, jean-bernard mathon, michel-edouard nigaglioni, franco boggero, hervé giocanti | Facebook |
14/06/2011
Autour du Sepolcru de Santa Lucia di Mercurio (
Santa Lucia di Mercurio , Pieve de Talcini:
rencontre avec les sepolcri de l'église de
Santa Lucia di Mercurio ...
Le Sepolcru de Raffali
Marie-Madeleine, son parfum précieux et Jean aux doigts noués de désespoir
mains compatissantes
la Vierge touche son Fils mort
et Lui soutient la tête,
sous le regard attentif de l'ange au linge
" Deh, Madre pia,
Con quanto afletto,
Piangendo al petto
Stringi Gesù!
Io l'ho ferito,
Ma son pentito:
Non più peccati.
Non più, non più."
Bien que malheureusement et copieusement ripoliné, ce groupe sculpté par Raffali, placé sous l'autel de la première chapelle latérale côté Evangile, vibre en silence, proposé à la pieuse compassion des fidèles lors de Semaine Sainte ...
Il est alors précédé, du Jeudi au Samedi Saint, par une imposante installation qui ferme cette chapelle latérale, ne laissant qu'un passage étroit pour ceux qui viennent se mettre à l'unisson de cette Déploration du Christ .
Le Sepolcru de F. Carli
deux grands panneaux superposés, peints par le lucquois F. Carli ...
Le panneau inférieur, percé d'une porte étroite, raconte la sentence de Pilate et la flagellation du Christ, dans un décor de palais.
la sentence d'un Pilate enturbanné à la turc: "Quod scripsi scripsi"
"Ecce Homo": des bourreaux bien barbaresques flagellent le Christ à la colonne
Tandis qu'au-dessus, gardé par les deux farouches soldats traditionnels, le Christ tombe sous le poids de la croix, dans une composition mouvementée:
les bourreaux à l'oeuvre
un noble cavalier, sensé être romain ... mais ...
et un autre cavalier et piétaille : la mode est résolument à la moustache ...
(merci Michel Edouard!)
(à suivre)
16:17 Publié dans corse, patrimoine populaire de Corse, semaine sainte en corse, sepolcri de Corse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : santa lucia di mercurio, raffali, carli, semaine sainte | Facebook |
23/04/2011
un Jeudi Saint lumineux et frisquet en Castagniccia
Jeudi 21 avril 2011, une journée de partage et de rencontres autour de la Semaine Sainte, des Sepolcri et des Chemins de Croix en Castagniccia qui a débuté à Castellu di Rustinu
avec les fresques de la chapelle san Tumasgiu di Pastureccia ( pour l'ensemble de ces fresques, voir les notes sur cette chapelle: " les fresques de San Tumasgiu di Pastureccia")
et le récit de la Passion, sur le mur Nord. C'est, à ma connaissance, le seul ensemble cohérent de fresques sur ce thème. Notons au passage que certaines chapelles n'ont sans doute pas fini de dévoiler leurs décors qui dorment peut-être ici et là sous leur badigeon de chaux ...
Même lacunaire, cette "série" fonctionne comme un Chemin de Croix : toucher et enseigner. Elle semble offrir la réponse du salut face à la représentation infernale du mur sud, en face : une invitation à se laisser envahir par la compassion en communiquant par l'image, tout comme le musicien saura émouvoir en créant un oratorio sur la Passion.
la Cène: sur la table, le pain et le vin de ce dernier repas pris ensemble avec les disciples.
détail (un peu flou...) de l'interrogation inquiète des apôtres: qui va trahir?
le Christ au Jardin des Oliviers et ses compagnons endormis
Saint Pierre plombé de sommeil
l'arrestation de Jésus et sa comparution devant Pilate
la flagellation, sur un fond rouge sang,
enfin la Crucifixion, sur le bleu du ciel, en présence de Marie prostrée
visage de la Mère:
"Stabat Mater dolorosa
Juxta crucem lacrymosa
Dum pendebat Filius"
et ce magnifique visage du Christ mort, fragment à gauche de l'arc triomphal ...
Un peu plus haut, la belle église paroissiale de Castellu et son haut campanile
abrite bien des " messages" insoupçonnés,
Découverte de ces grands décors peints du sepolcru (anonyme, début XIX°s.): voir la note de l'an dernier, sur cet ensemble impressionnant (" les sepolcri du diocèse d'Accia", le 12/04/2010 )
Décors éphémères chargés de sens et d'histoire sous lesquels se jouait ici naguère, nous a-t-on dit, une Passion à l'usage des gens de cette communauté ...
Semaine Sainte accompagnée, comme dans de nombreuses églises de cette région depuis la prédication en Corse de saint Leonardo da Porto Maurizio (1744) , par la série des quatorze tabeautins du Chemin de Croix, ici peint par Giacomo Grandi:
"Stazione II: Gesù caricato della croce"
le portement de croix: avec une soldatesque superméchante au look barbaresque, histoire de la Corse razziée oblige.
"Stazione VI: Gesù ascingato dalla Veronica"
Rencontre avec sainte Véronique qui lui essuie le visage.
"Stazione XI: Gesù é inchiodato sulla croce"
Jésus est cloué sur la croix: voyez avec quelle gentillesse le bon Jésus regarde son bourreau aux moustaches acérées!
" Statione XII: Muore Gesù in croce"
Mort de Jésus et le dernier soupir du bon larron ...
Chemin de croix conçu pour être cheminé et chanté :
"Vi prego, o Gesù buonu,
Per la vostra passion darci
Il perdono..."
Nous quittons le Rustinu et, en début d'après-midi, nous voici dans la pieve de l'Ampugnani à Quercitellu, avec une vue plongeante sur le village voisin de La Porta ...
Dans l'église San Carlu, cette belle toile du sepolcru aux anges compatissants. Le prieur de la confrérie de Quercitellu nous rejoint et évoque les préparatifs du Vendredi Saint: reposoirs dans les rues du village, chemin de croix, granitula ... moment fort pour cette confrérie fraichement reconstituée ...
Après un passage à La Porta, nous voici arrivés au village proche de Ficaghja, où nous avons rendez-vous avec Petru Vachet-Natali qui s'est arrangé malgré les difficultés pour nous recevoir:
Petru Vachet-Natali nous accueille à l'église de l'Immaculata Cuncezzione, paroisse de son village natal de Ficaghja. Ecrivain, poète et chroniqueur, cet homme affable et généreux a écrit en 2006 une amoureuse monographie sur Ficaghja en langue corse:
"Monografia e Tupunumia di Ficaghja, cù una ricerca tupunomica nantu à 216 nomi di lochi", publié chez Anima Corsa.
Avis!
Il nous fait les honneurs du désormais célèbre sepolcru de Ficaghja auquel je réserverai un de ces jours une note particulière:
véritable petit théâtre religieux dressé à l'intérieur de l'église pour la Semaine Sainte: cet ensemble imposant gardé par deux redoutables soldats, est l'oeuvre de Francescu Carli, l'un des peintres les plus actifs de cette deuxième moitié du XVIII°s. Une scénographie efficace !
la trahison de Judas(et ses paroles qui sortent de sa bouche, comme dans une bande dessinée)
intraitable et menaçant, le gardien de droite, celui qui vous suit du regard...
Au fond du sepolcru, la déploration du Christ. Autrefois, le prêtre célébrait la messe sur un petit autel au fond de cet espace peint.
cette toile faisait donc office d'antependium
et l'envers du décor ...
A l'issue de cette rencontre notre ami Petru Vachet- Natali nous a offert fort gentiment le pot de l'amitié ...
***
A CERCA: un lien solidaire noué entre les villages
Nous voici à présent à Nocario, dans la belle église paroissiale sant' Angelo de cet important village de la pieve d'Orezza: ici se pratiquent toujours ces mouvements des confréries et de leurs communautés qui échangent leurs visites aux différents sepolcri de la région, investissant ainsi un espace commun . Processions programmées sur les deux jours du Jeudi et du Vendredi Saints entre les églises et les chapelles de Verdèse, Nocario et Campana
A notre arrivée, une dame finit de fleurir le reposoir : simplicité et grâce de ces modestes installations de village où chacun viendra à tour de rôle se recueillir, prier et chanter ...
Un peu plus loin, c'est le hameau de Petricaghju et sa chapelle San Giovanni Battista. Divine surprise, une merveille de peinture nous attend au-dessus du maître-autel: Giacomo Grandi représente ici la naissance de saint Jean-Baptiste ...
un charme fou! Je reviendrai sur cette toile délicieuse à laquelle je ne m'attendais pas.
Dehors, nous faisons connaissance de monsieur Paul Battesti, le maire de Nocario qui attend de pied ferme l'arrivée prochaine de la procession partie de Campana et, savez-vous ? il a le bon visage du Dieu le Père au sommet de cette représentation de la naissance de Saint Jean-Baptiste... Nous rencontrons aussi le célèbre ébéniste Pantaleon Alessandri: quel plaisir d'évoquer la tradition de ces cheminements, mais aussi quel souci pour entretenir ce patrimoine des quatre églises de Nocario! Toujours est-il que ces deux jours sont l'occasion de se rencontrer autrement et de partager un espace commun au pas de l'homme. Fierté pour les plus âgés d'y être arrivés cette année encore ...
la façade de St Jean Baptiste de Petricaghju
Un peu plus tard, la chapelle San Martinu d'Erbaggio, veillant sur la vallée de Nocario
Enfin, nous voici arrivés à notre dernière étape de la journée, dans la chapelle santa Barbara de Nocario Supranu
une chapelle d'une grande gaieté
et le pinceau naîf et efficace d'un peintre du XIX° s: ici saint Luc ... et son "taureau" à barbichette malicieux comme une chèvre.
Dehors on entend au loin , de l'autre côté de la vallée, la plainte chantée et marchée du " Perdono mio Dio": là-bas l'on aperçoit, sortant des arbres, les confrères et les fidèles, approchant lentement du hameau de Petricaghju en cette fin d'après-midi ...
puis, s'enroulant devant l'église, c'est la circumambulation de la Granitula, mort et renaissance ...
Merci à tous pour tout cet échange, de toute cette poésie profonde, et aussi aux enfants qui ont participé à cette journée avec beaucoup de gentillesse.
19:49 Publié dans chapelles romanes corses, corse, fresques de corse, patrimoine de la solidarité humaine, patrimoine des chapelles à fresques en Corse, patrimoine populaire de Corse, semaine sainte en corse, sepolcri de Corse | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sepolcri, chemins de croix, cerca, granitula, castellu di rustinu, quercitellu, ficaghja, nocario | Facebook |
17/04/2011
Sepolcri de la Semaine Sainte en Corse
Sepolcri de la Semaine Sainte en Corse
(à Volpajola, un sepolcru populaire, fleuri et placé en situation pour la Semaine Sainte)
Parmi les objets de la dévotion populaire les plus extraordinaires et les plus touchants pour moi, il est un patrimoine particulièrement menacé par l’abandon des coutumes religieuses : c’est celui des sepolcri peints que l’on créait pour célébrer la Semaine Sainte dans les villages. Contrairement aux séries des Chemins de Croix peints à partir de la prédication en Corse de San Leonardo da Porto Maurizio, en 1744, et qui sont encore visibles aux murs de nos églises – pas toujours en ordre, ni en très bon état, sauf lorsque la communauté a décidé de les faire restaurer et les réutilise "en situation" – les sepolcri, eux, survivent cachés, souvent mal entreposés, victimes de leur destination passagère: conçus pour mettre en scène la Passion dans l'église dès le Jeudi Saint , délimitant une sorte de chapelle ardente -le sepolcru ou reposoir - par des toiles peintes qui seront démontées et disparaîtront le Samedi Saint.
Décors éphémères, donc, peints sur des supports relativement grossiers et peu apprêtés, à l’économie, décors d’autant plus fragiles que manipulés chaque année à cette période…
En Castagniccia, à Ficaja, un sepolcru peint par Francescu CARLI
(ici le Jugement de Pilate et le portement de croix).
(idem: l'arrestation de Jésus au Jardin des Oliviers et la flagellation)
Deux panneaux articulés à taille humaine composent une partie de ce sepolcru dont l’entrée était gardée par ces deux soldats peu commodes.
Les anciens dans les villages me le disent tous et se souviennent: lorsque enfants, ils traversaient de nuit, la main serrée dans celle de leur mère, l'obscurité de l'église pour aller prier devant le sepolcru, la terreur s'emparait d'eux à la rencontre de ces guerriers menaçants montant la garde devant cette chapelle ardente éclairée par les lampes à huiles et les cierges crépitants… Emotion religieuse mêlée d'effroi, tissée de chants et de prières murmurées. De même qu'on ne laisse jamais un mort sans compagnie avant son inhumation, de même l'usage était de veiller Jésus après son agonie: Jésus et nos morts se bercent comme on berce les petits enfants, à voix douce, avec tendresse et instinct.
(les gardiens du sepolcru de Castiglione)
... sale tête, non? C'est l'Autre ( dans l'iconographie méditerranéenne "le Maure", "le Turc", "le Juif", bref, délit de sale tête oblige, ce n'est pas nouveau...), le féroce envahisseur qui razzie, massacre, ou le mécréant au service du Mal, de l'injustice etc...
et son collègue, redoutable centurion d'opérette, fièrement campé jambes écartées ...
(Castiglione, la Déploration du Christ: anonyme, début XIXe)
Peinture forte, et même si non conforme aux meilleures règles de l'art, efficace: au premier plan, les personnages jouent leur partition dramatique, nous happent dans leur communion muette et véhémente de la douleur autour du Christ mort: nudité rigide du Christ, Marie la Mère, les bras largement ouverts sur la pire souffrance du monde, compassion et chagrin du disciple aimant, Jean, larmes silencieuses de la femme à la chevelure flamboyante, Marie-Madeleine , commentaire du choeur des saintes femmes drapées de bleu sombre, tout est en place. Derrière eux, une surprenante montée du Golgotha avec le portement de croix égréné à petits traits nerveux le long de la pente...
Dans cette petite église de la Ghjuvellina se jouait - et se chantait - naguère une Passion à laquelle participaient tous les gens du village, jeunes et vieux, réactualisant le sens des mystères du Moyen-Age: j'ai rencontré là-bas le dernier ange de cette passion, un ange de quatre vingt dix ans passés... Ce vieux monsieur restait aussi le dernier protagoniste de l'extraordinaire carnaval de ce village où se vivait pour le Mardi-Gras un véritable rite de printemps: musique, danse et castagnes pour faire renaître la vie, et précédant comme il se doit la grande fête théâtralisée de la Passion .
En Corse la présence du chant est indissociable de la ferveur religieuse et pour moi toutes ces peintures ont une voix.
Accompagnant cette iconographie, parmi les chants les plus répandus, l'on pourrait entendre la lamentation douloureuse du Stabat Mater :
"Stabat Mater Dolorosa
Juxta crucem la crimosa
Dum pendebat filius
Cujus animam gementem
Contristatam et dolentem
Pertransivit gladius
(Déploration du Christ)
O quam tristis et afflicta
Fuit illa benedicta
Mater Unigeniti!
Quae moerebat et dolebat
Pia Mater dum videbat
Nati poenas inclyti
Quis est homo qui non fleret
Matrem Christi si videret
In tanto supplicio?"
Nous sommes pris à témoin par ces sepolcri : compassion devant un drame universel, bien au-delà de la religion,
ou plutôt en amont, partage humain de cette douleur-là trop bien expérimentée par tous. Fonction libératrice du partage de la douleur.
"Santa Madre, questo fate,
Che le piaghe del Signore
Siano impresse nel moi core !"
(refrain populaire du Stabbat Mater)
Résonnance. Reconnaissance. Lien communautaire. Surtout lorsque ces sepolcri font l'objet de la Cerca, visites déambulatoires entre communautés voisines, ou entre confréries comme c'est encore le cas pour certaines régions de Corse.... Pas d’échappatoire: nous voilà acteurs de cette dramaturgie, non pas invités à un festin esthétique.
18:09 Publié dans patrimoine, semaine sainte en corse, sepolcri de Corse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : reposoirs, semaine sainte, dévotion populaire, iconographie populaire de la semaine sainte en corse, dramaturgie du sacré, volpajola, calenzana, san damianu, ficaghja, nessa, feliceto, castiglione | Facebook |