05/03/2012
à Silvareccio, deux autres stèles ésotériques de l'Ampugnani
(Je reprends cette note)
Balade dans l'environnement de Silvareccio:
Samedi 3 mars, rencontre en compagnie amicale du maire de Silvareccio, Monsieur Straforelli, et de Toussaint Quilici de deux nouvelles stèles gravées énigmatiques:
voir les notes précédentes sur les stèles ésotériques de Truchinacce, sur le territoire de Casalta, et les interrogations sur leur origine (protohistoire?) et leur iconographie récente (19°s - liée au carbonarisme?)
Silvareccio, dans son environnement escarpé, limitrophe de Truchinacce, sur le territoire de Casalta.
cette stèle a été déplacée de son lieu d'origine (Truchinacce? tout proche) et cimentée au pied d'une maison du village.
le haut de la stèle, on reconnait le pentacle, et une sorte de compas à l'envers ...
A 4 kilomètres de là, sur le territoire de Porri:
à l'entrée d'un chemin - profondément enfoncée dans le sol, cette partie visible d'une autre stèle, cimentée, elle aussi. Le "recto" présente cette sorte d'ostensoir-soleil, surmonté d'une croix et de G et F
tandis que le "verso" s'orne d'une grande croix pointue: un discours qui s'apparente clairement aux trois stèles de Truchinacce.
le bas du "verso" de la stèle de Porri:
l'énigme continue ...
Au sommet de la crête qui sépare les pieve de Casinca et d'Ampugnani, dominant Silvareccio et Porri, le col de sant' Agostino,
et sa chapelle Sant Agostino
Citons Geneviève Moracchini -Mazel, dans: Les églises romanes de Corse, p. 291:
La vue y est magnifique sur la plaine orientale et le Fiumalto. On y célèbre encore la messe une fois l'an le jour de la fête, le 28 août. Elle (...) figure en plan sur l'ancien cadastre de Silvareccio en 1876 à la section C feuille 4 de Fungaja
C'est un édifice de plan rectangulaire orienté d'Est en Ouest, ne comportant plus son abside."
Cette chapelle a fait l'objet de nombreuses réfections,
" reconstruite" en 1864.
" (...) mais il n'est pas douteux que sa fondation soit bien ancienne. L'examen de quelques pierres (en particulier celles aui sont réemployées dans la partie inférieure de l'angle N6O.) montre que la taille en est ancienne; la trace laissée par les outils est identique à celle que l'on remarque dans l'architecture dite de Monte-Cristo au IX°-X°s.
(...) La porte occidentale remploie des architraves monolithes en arc de tracé plein cintre qui proviennent d'une porte primitive.
Une maisonnette est accolée au flanc Sud de la chapelle. (...)
Déjà en 1646, au temps de Mgr Marliani, les fonctions paroissiales ne s'exerçaient plus à Sant'Agostino, jugée trop éloignée de Silvareccio."
(Idem, G.Moracchini-Mazel)
Toujours est-il que le site est magnifique, et les morts enterrés dans le petit cimetière tout proche jouissent d'une paix que j'imagine à peine animée du beuglement des taureaux au printemps. Et d'une vue imprenable sur cette vaste région ouverte sur la mer.
Le chaos rocheux des falaises, sous la crête, mériterait sans doute une étude.
Le lieu-dit: "i Castelli", en est prometteur:
(à suivre)
10:42 Publié dans corse, les pierres qui signent, les stèles de Trucchinacce, préhistoire corse, racines de pierre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : silvareccio, porri, ampugnani, casalta, préhistoire corse, carbonarisme, sant agostino | Facebook |
25/02/2012
Ampugnani: les stèles ésotériques de Truchinacce (suite à suivre)
Entre Casalta et Silvareccio, ce site onirique de Truchinacce dans l'Ampugnani continue de nous interroger.
et chacun y peut apporter ses analyses et chacun peut y nourrir ses rêves les plus poétiques: le langage symbolique est constitutif de l'homme.
Pour le moment, en attendant la connaissance du site avant son pillage avéré (voir les notes précédentes du 2/1 et du 10/1/2012), et l'analyse du lieu par les amis préhistoriens qui pourrait confirmer ou infirmer que nous sommes bien en présence d'une expression mégalithique, nous tentons d'explorer son univers symbolique le plus récent.
Premier constat, les trois stèles gravées qui nous restent sont alignées face à l'est. Ce "recto" comporte de très nombreux symboles qu'il conviendrait d'analyser dans un contexte historique précis. Le verso comporte toujours - entre autres signes - une grande croix. Beaucoup d'éléments nous incitent de plus en plus à penser que nous sommes devant un discours gravé lié au monde de la carboneria (carbonarisme), bien ancrée dans l'Ampugnani du XIX° siècle .
On lira avec grand profit l'écrit consacré à ce sujet par Francis POMPONI : "La voie corse du passage du carbonarisme napolitain à la Charbonnerie française sous la Restauration (1818-1823)", dans "Secret et République (1775-1840)" par Bernard GAINOT, publié aux Presses Univ. Blaise Pascal en 2004.
Je vous invite aussi à découvrir dans l'Encyclopédie Imago Mundi le long article qui traite du carbonarisme :
http://www.cosmovisions.com/$Carbonari.htm
En voici un extrait, témoignant d'un rituel chargé de symboles:
"On a souvent confondu le Carbonarisme avec la Franc-maçonnerie, dont il n'est, en réalité, qu'un dérivé. Comme la Franc-maçonnerie, ou l'ordre des Illuminati (Illuminisme), dont on a parfois dit que les Carbonari avaient pu s'inspirer, le Carbonarisme a son cérémonial particulier, son langage symbolique, dont les termes sont empruntés au commerce du charbon. C'est ainsi que le lieu d'assemblée s'appelle hutte, en italien baracca; le pays où se tient l'assemblée, la forêt; la réunion elle-même, - ce qu'en langage maçonnique on nomme la tenue, - la vente, en italien vendita. Une réunion de huttes est une république. Purger la forêt des loups signifie délivrer la patrie des tyrans et des oppresseurs. De là, le cri de ralliement du Carbonarisme : Vengeance au mouton opprimé par le loup. Les statuts et règlements sont particulièrement sévères contre les parjures et les traîtres. L'indiscrétion, même involontaire, a son châtiment.
Chaque associé jurait de garder le secret sur l'existence du Carbonarisme, sur ses signes, son règlement et ses mots de passe; d'obéir aveuglément et sans réserve aux ordres intimés par la vente suprême, les choses commandées cessant d'être injustes dès qu'elles deviennent un moyen d'arriver au bonheur commun et, d'obtenir le but général; de dévouer sa fortune et même sa vie à la cause de la liberté et de la patrie.
En outre, pour être prêt à résister à l'oppression, à secourir ses « frères », appelés ici ses bons cousins, tout Carbonaro devait se munir, à ses frais, d'un fusil de munition et de cinquante cartouches à balle. Le parjure était puni de mort. Les grades par lesquels devait passer successivement le « bon cousin » étaient ceux d'apprenti, de maître et de grand-élu.
Un rituel d'initiation.
Voici, d'après Saint-Edme (Constitution et organisation des Carbonari), les détails du cérémonial usité pour une initiation au troisième grade : la vente se tient loin des profanes, dans une grotte obscure, cachée et connue seulement des Carbonari déjà reçus grands élus. La salle est triangulaire, tronquée aux trois pointes. Le grand maître, grand élu, qui préside la réunion, est placé sur un trône, à l'orient, dans l'angle tronqué supérieur. En face de lui, à l'occident, au milieu de la base même du triangle, se trouve la porte de la grotte. Elle est défendue par deux gardiens nommés flammes ou porte-épée, tenant à la main des sabres faits comme des flammes de feu. Les assistants sont rangés en deux files, à droite et à gauche du président. Ils ont la face tournée vers lui pour se conformer à tous ses mouvements, quand il fera des avantages ou autres cérémonies et solennités. Deux des assistants, ceux qui sont placés à l'extrémité des files, se nomment premier et second éclaireur; un troisième qui sert d'orateur est appelé étoile. Trois lumières en forme de soleil, de lune et d'étoile sont suspendues aux trois angles pour la clarté de la vendita. Le trône et les bancs sont couverts de drap rouge parsemé de flammes nombreuses. Le grand élu est en costume de l'ordre, ainsi que les autres assistants. Il a le front enveloppé d'un long mouchoir rouge enroulé en forme de turban, Il porte des sandales bleues, une tunique de même couleur et, au-dessus de la tunique, une longue robe noire serrée par une ceinture de laine rouge à laquelle sont suspendus une hachette et un poignard. Outre le costume ci-dessus, commun à tous les assistants, le grand élu président porte en sautoir un large ruban moiré tricolore, bleu céleste, jaune et vert, où sont attachés trois bijoux, marques de sa dignité : un triangle azur, image du ciel et de la divinité, un soleil d'or et un globe terrestre d'un vert pâle.« LE GRAND ÉLU. - Bon cousin, premier éclaireur, quelle heure est-il?Les sept avantages étant célébrés par les acclamations d'usage, lecture est faite aux assistants du procès-verbal de la dernière séance; puis, le procès-verbal adopté, le grand élu donne la parole à l'orateur appelé Etoile. Celui-ci explique et développe le but de la réunion. Après avoir fait une description de l'âge d'or, où les humains, obéissant aux lois de la nature, étaient bons et vertueux, l'orateur décrivait la situation malheureuse de la belle Ausonie et présentait le tableau navrant de son affreuse destinée.LE PREMIER ECLAIREUR . - Respectable grand élu, le tocsin sonne de toutes parts et retentit jusque dans les profondeurs de notre grotte. Je pense que c'est le signal du réveil général des hommes libres.
LE GRAND ÉLU. - Bon cousin, second éclaireur, à quelle heure doivent s'ouvrir nos travaux secrets?
LE SECOND ÉCLAIREUR. - A minuit, respectable grand élu, lorsque les masses populaires, conduites par nos affidés, les bons cousins directeurs, sont rassemblées, organisées, marchent contre la tyrannie et sont prêtes à frapper les grands coups.
LE GRAND ÉLU. - Bons cousins, flammes et gardiens de la sûreté de notre asile, êtes-vous sûrs qu'il ne s'est glissé parmi nous aucun profane et que tous les carbonari réunis dans cette vendita sont bien grands maîtres, grands élus?
UNE DES FLAMMES. - Oui, vénérable grand élu, les Introducteurs ont fait leur devoir. Il n'existe ici ni profane, ni Carbonaro subalterne.
LE GRAND ÉLU. - Tous les directeurs des divers grades carboniques, destinés au mouvement général qui va s'opérer, sont-ils à leur poste, bien armés, mes bons cousins, premier et second éclaireurs?
LES DEUX ÉCLAIREURS en même temps. - Oui, vénérable grand élu; tous sont partis après avoir réitéré le serment sacré de périr ou de vaincre.
LE GRAND ÉLU. - Puisque tout est si bien disposé, mes bons cousins, je vous invite à m'aider dans l'ouverture de nos travaux nocturnes en célébrant le septuple avantage que je commence à l'instant. A moi, mes bons cousins.
1° Au Créateur de l'Univers; 2° au Christ, son envoyé sur la terre, pour y rétablir la philosophie, la liberté, l'égalité; 3° à ses apôtres et prédicateurs; 4° à saint Tibaldo, fondateur des Carbonari; 5° à François Ier, comme notre protecteur et l'exterminateur de nos anciens oppresseurs; 6° à la chute éternelle de toutes les tyrannies; 7° à l'établissement d'une liberté sage et sans fin, sur la ruine éternelle des ennemis des peuples. »
« Elle obéit maintenant, disait-il, à trente soi-disant souverains, qui, rétrécis dans ce qu'ils appellent leurs domaines, n'en tyrannisent qu'avec plus d'impudence les peuples infortunés soumis à leur autorité dure, mais chancelante. C'est pour en débarrasser le sol que nos aïeux, les premiers bons cousins, ont établi la respectable Carboneria. Exilées du monde, n'osant se montrer au grand jour, la liberté, l'égalité, se réfugièrent dans les rand se cachèrent dans les ventes, dans les grottes les plus reculées, et là, reprenant la robe virile dont nous sommes revêtus, aiguisèrent leurs hachettes et leurs poignards et jurèrent de renverser en un seul jour tous les oppresseurs de ces belles contrées. Nous avons tous fait, sur le signe éclatant de la rédemption du Sauveur du monde, le serment sacré de rétablir sa sainte philosophie. Le moment est arrivé, mes bons cousins ; le tocsin de l'insurrection générale a sonné, les peuples armés sont en marche. Au lever de l'astre du jour, les tyrans auront vécu, la liberté sera triomphante. Employons le peu d'heures qui vont s'écouler avant d'arriver aux moments d'une courte et terrible vengeance, à relire et proclamer les nouvelles lois qui vont régir la belle Ausonie, la réunir en un seul peuple dans ses limites naturelles et la rendre libre, heureuse, florissante à l'exemple du reste de l'univers. »Ce discours achevé, le grand élu président prononçait à haute voix la formule du serment :« Moi, citoyen libre de l'Ausonie, réuni avec mes frères sous le même gouvernement et les mêmes lois populaires que je me dévoue à établir, dût-il m'en coûter tout mon sang, je jure, en présence du grand maître de l'univers et du grand élu, bon cousin, d'employer tous les moments de mon existence à faire triompher les principes de liberté, d'égalité, de haine à la tyrannie, qui sont l'âme de toutes les actions publiques et secrètes de la Carboneria. Je promets de propager l'amour de l'égalité dans toutes les âmes sur lesquelles il me sera possible d'exercer quelque ascendant. Je promets, s'il n'est possible de rétablir le régime de la liberté sans combattre, de lutter jusqu'à la mort. Je consens, si j'ai le malheur de devenir parjure à mes serments, à être immolé par mes bons cousins les grands élus, de la manière la plus douloureuse. Je me dévoue à être mis en croix au sein d'une vendita, nu, couronné d'épines et de la manière que le fut le Christ, notre rédempteur et notre modèle. Je consens de plus à ce que mon ventre soit ouvert de mon vivant, que mon coeur et mes entrailles soient arrachés et brûlés, que mes membres soient coupés et dispersés et mon corps privé de sépulture. Telles sont nos obligations à tous, mes bons cousins, jurez-vous de vous y conformer?TOUS LES ASSISTANTS à la fois. - Nous le jurons.
LE GRAND ÉLU. - Dieu vous entend, mes bons cousins! son tonnerre gronde; vos serments sont agréés. Le peuple est prêt à combattre, il triomphera! Malheur à vous si vous le trahissiez! »
L'orateur donnait ensuite lecture du pacte constitutionnel de l'Ausonie, qui devait être soumis à la sanction de la nation libre et unie."Comme on peut le voir, les bons cousins ne plaisantent pas!Voici une première grille de lecture de ces trois stèles proposée par un jeune chercheur féru d'ésotérisme en Corse:
(la face nord de la stèle centrale)
Je cite:
" Cœur (placé au sommet): N'est pas sans rappeler l'anthropomorphisme dont étaient dotées certaines « stantare ». Le coeur tient lieu de visage et s'apparente par la forme à la feuille de peuplier (arbre initiatique tenu pour sacré dans l'antiquité, lié à la résurrection).
Croix celtique écourtée (gauche) :
Symbole solaire apparenté à la roue solaire. Cycle (saison, course du temps …).
Symbole apparaissant dès le néolithique ou, si plus tardif, chrétien (signaculum domini = plaies du Christ).
Soleil (droite): Symbole solaire classique.
Croissant de lune vers le bas :
Symbole de minuit (passage du soleil à l’antipode).
Obscurité=secret=occulte
Croix : Se rapporter à la symbolique chrétienne et solaire.
Deux cercles concentriques radiants :
Couronne – Œil de la Providence – Soleil
Symbole surmonté par une croix.
Course du soleil (croix + astre) ou suprématie du «Christ-Roi» (couronne + croix + radiance)
Niveau (Figure centrale): Figure maçonnique (essentiellement celle du grade de surveillant) = équilibre ou harmonie, l'œuvre est réalisé et équilibré.
Figures pointues avec point au centre (sur les côtés du niveau): symbole inconnu. Possibilité d'être la lettre « D » dans l'alphabet maçonnique.
Eventuellement une allégorie des deux colonnes du temple (J et B)
Soleil et lune (gauche et droite) : Symboles maçonniques classiques.
Les gravures circulaires et rectangulaires, voire carrées, semblent être en rapport avec les degrés dans la hiérarchie des maçons ou compagnons ayant œuvré sur le site.
(la face ouest de cette stèle centrale et son percement au sommet, qui disait-on, laissait passer un rayon de soleil qui illuminait l'église pievane de Casalta)
(la face ouest de la stèle de droite)
INRI : Igne Natura Renovatur Integra (la nature est intégralement renouvelée par le feu).
Parole du rituel de Chevalier Rose+Croix (REAA) héritée de l’alchimie.
Croix à pointe aiguisée : Symbole héraldique (tranchant, aiguisé). Certainement un rapport avec l’arme (poignard rituel du Carbonaro ou Pinatu du Topu Pinutu).
Deux soleils : Symbole maçonnique typique. Saint Jean de l’Apocalypse (Solstice d’hiver) et Saint Jean le Baptiste (Solstice d’été), similitudes avec le dieu Janus aux deux visages.
(la face est de cette même stèle: le chêne qui a poussé entre temps ne permet pas de faire une photo d'ensemble)
(la face nord de la stèle de gauche)
Œil de la providence : Elément courant dans la symbolique maçonnique.
2 : Symbole évident de la dualité. En rapport certainement avec les deux colonnes du temples, les deux surveillants et le damier initiatique (noir et blanc).
S : Certainement symbole du serpent (symbole compagnonnique du tailleur de pierre).
Pentagramme : Elément maçonnique du grade de compagnon. 5 éléments (eau, terre, air, feu, éther) ou 5 sens.
Humain accompli et achevé.
Deux lunes superposées au dessus de l’horizon : Apogée et périgée.
4 : Chiffre de la matière. Croix dont l’axe horizontal et l’axe vertical sont reliés. Chiffre du carré.
3 : Trinité. Peut être même Troïka (organisation de cellules de 3 personnes). Chiffre du triangle.
(Peut-être le Chapitre 4 verset 3 des Corinthiens: « Si notre Evangile est encore voilé, il est voilé pour ceux qui périssent »)
Compas : Sert à tracer le cercle, qui garde en lui les secrets de l’initié. Symbole de l’esprit et composante des 3 grandes lumières.
Les trois dernières figures sont un rappel évident de la géométrie et sa symbolique ésotérique.
Cette stèle est certainement celle d’un compagnon devenu maitre. Elle a du être gravée progressivement du bas vers le haut
(la face ouest de cette stèle)
... et enfin, sa première conclusion:
Les monolithes sont certainement très anciens.
Il est essentiel de pratiquer un relevé topographique de la disposition des monuments ainsi qu’une analyse géologique des pierres.
Les éléments disparus ont de toute évidence, de façon coutumière en Corse, été certainement récupérés et insérés dans le paysage architectural (probablement dans les environs proches du site), que ce soit dans une bergerie ou dans les parois d’une maison.
Nous pouvons, aux vues des symboles et « styles » de gravures, qu’il s’agit d’une œuvre collective. Les gravures ont du se succéder au fur et à mesure du temps.
L’iconographie religieuse et maçonnique est quasiment classique mais la présence conjointe de celle-ci avec des éléments chrétiens nous laisse à penser qu’une société secrète du XVIIIème ou XIXème siècle a utilisé ces éléments en vue de rituels.
La maçonnerie dite « du bois », les Pinnuti ou Carbonari sont effectivement à l'origine des gravures. Des références au Compagnonnage sont évidentes. "
(à suivre ...)
11:16 Publié dans corse, histoire de la Corse, les pierres qui signent, les stèles de Trucchinacce, préhistoire corse, sculpture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : casalta, castagniccia, silvarecciu, stèles ésotériques de l'ampugnani, carbonarisme corse, franc-maçonnerie corse, symbolique franc-maçonne, francis pomponi | Facebook |
02/01/2012
l'énigme des stèles ésotériques de Casalta, pieve d'Ampugnani
L'univers symbolique des stèles de "Truchinacce"
entre Casalta et Silvarecciu,
dans cet espace perdu quelque part au milieu de la chênaie dans la montagne: un lieu puissant, visité mercredi 28 décembre 2011 ...
Je reprends brièvement cette première note sur le sujet de la fin décembre 2011, car, entre temps, nous avons eu quelques informations complémentaires sur ce sujet: il est clair que ce lieu pose quantité d'énigmes toutes aussi passionnantes les unes que les autres.
La première information, et de taille! est que ce site comportait beaucoup plus de stèles qu'aujourd'hui, une vingtaine selon la mémoire orale. Ce qui signifie que ce lieu a été pillé par des gens qui ont jugé ces stèles dignes d'être volées (pour en faire quoi ???) . La deuxième information nous signale qu'il existe ... et qu'il a existé ailleurs dans cette même région d'autres stèles gravées, elles aussi menacées de disparition. Le fait que ce site a comporté un aussi grand nombre de pierres levées nous inciterait à interroger les amis préhistoriens sur l'éventualité d'une occupation très ancienne. Enfin la densité des signes et des symboles sculptés ici (gravés probablement au 19° siècle: les visiteurs éclairés d'il y a une vingtaine d'années confirment avoir lu sur ces stèles disparues des dates de ce siècle) , entre signes religieux (calices, ostensoirs, croix...) et symboles ésotériques (pentacles, compas ...) nous pousse également à solliciter l'avis éclairé des uns et des autres de quelque famille qu'il soient ... Notre sculpteur appartenait-il à une loge maçonnique ou une société secrète du style des Carbonari, présents en Corse et dans l'Ampugnani en particulier?
ce "cimetière" ancien - du moins nous semble-t-il - ( il est dit, toujours dans la tradition orale, qu'ici étaient enterrés des ecclésiastiques liés à la piévanie de l'Ampugnani de l'ancien évêché d'Accia: l'église piévane, Santa Maria, se trouve plus bas dans la plaine au nord, sur le territoire de Casalta).
l'église santa Maria de Casalta, piévanie de l'Ampugnani.
J'y consacrerai prochainement une note. Faut-il rappeler ici que le petit diocèse d'Accia, avec sa minuscule cathédrale plantée au sommet du San Pedrone, comportait seulement deux pieve: l'Ampugnani et le Rustinu, et que dans ces deux pieve l'on trouve des pierres gravées, et des manifestations "magico-religieuses" pré-chrétiennes fort dérangeantes pour l'Eglise, et qu'elle cherchera toujours à rechristianiser ...
un "cimetière, donc, où veillent trois stèles énigmatiques comme sentinelles
ce mercredi dernier, en la bonne compagnie des amis Toussaint Quilici et Jean-Pierre Mannoni, les infatigables arpenteurs/défenseurs de leur région, auteurs du livre " Pieve di Rustinu" (Editions Anima Corsa), nous découvrons ce monde étrange: trois pierres dressées tels de petits menhirs, gravées recto-verso de signes et d'inscriptions qui nous laissent perplexes,
difficilement datables : ici, est-ce vraiment une date, 1853 ? Ou bien une référence à Isaïe ?
messages symboliques : au sommet, une forme solaire irradiante d'où s'écoule une profonde rigole, surmonte une sorte de coeur,
un coeur qui m'évoque fortement le coeur qui orne les cetere,
comme ici la cetera de Salvadore Saladini
à moins qu'il ne s'agisse d'une feuille de peuplier, auquel cas la symbolique est doublement funéraire, le peuplier noir signant les enfers et la douleur, le peuplier blanc, "consacré à Héraclès qui l'avait découvert près du fleuve Achéron lorsqu'il était descendu aux enfers" (Encyclopédie des symboles) annonçant la régénérescence et le salut ...
Puis, sous une inscription, vient un pentacle: une étoile à cinq branches riche de significations symboliques ... pour Pythagore, harmonie du corps et de l'âme, pour les gnostiques, figure centrale du "Néant suressentiel", pour les amulettes "ABRAXAS", protection magique, pour les chrétiens, témoignage des cinq plaies du Christ ... pentacle présent dans les tombes égyptiennes comme sur les céramiques étrusques, signe des cinq éléments pour les alchimistes comme pour les gnostiques manichéens (la lumière, l'air, le vent, le feu, l'eau), cher à la Franc-Maçonnerie ... enfin, une figure - telle un talisman - bien propre à chasser Satan et ses démons ...
et sous les nombres, un A campé sur ses jambes comme le compas du Grand Architecte? bref, notre sculpteur inconnu a des messages codés à faire passer ... et de bons outils pour travailler, creuser, percer (... ces nombreux "trous" qui ponctuent le discours)
autre stèle: "ostensoir", "calice" ...
pentacle, nombres, chandelier (?) ...
le chêne a poussé entre temps.
grande croix, cercles ...
INRI: l'acronyme de Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum
(Jésus le Nazaréen Roi des Juifs: version habituelle)
notre homme illuminé est un lettré, un initié?
... d'autres choix:
Igne Natura Renovatur Integra
( la Nature Intègre est Régénérée par le Feu )
Ineffabile Nomen Rerum Initium
(le Nom ineffable est le commencement de toutes choses)
Intra Nobis Regnum Ieovah
(au dedans de nous le règne de Jehovah)
Iesus Nazareth Raphael Iudas
etc ...
coeur, croissant de lune inversé, croix, soleil rayonnant ...
écriture ... pour le plaisir du geste ?
ou message crypté pour les initiés?
" J'enfouis ce témoignage,
Je scelle cette révélation
au coeur de mes disciples"
(Isaïe 8 - 16)
Ici, l'inscription IHS (Iesus Hominum Salvator)
et PAX VOBIS (du moins me semble-t-il: ou nobis ?)
grande croix et sommet de la stèle percé de part en part
Selon certains informateurs, le soleil passant à travers ce trou viendrait désigner le site de Santa Maria de Casalta (il faudrait vérifier ...)
et sous cette croix, le mystère du triangle inversé contenant à nouveau un pentacle: image féminine? triangle alchimique ? Quelle inspiration secrète a guidé le ciseau initié de ce sculpteur original (quelle date? probablement XIX° siècle - les arbres ont poussé depuis ces inscriptions, semble-t-il) pour célébrer la mémoire des siens ? ou bien pour les protéger ? ...
et quelle origine pour ces stèles dressées comme stantare ?
Toujours est-il que nous sommes ici dans un univers symbolique qui nous interroge: dans toute la région l'on retrouve des gravures rupestres remontant à la préhistoire, signes dont on recherche encore le sens (cf "la Pieve di Rustinu" citée plus haut). Notre mystérieux sculpteur s'inscrit en tous cas dans cette nécessité de laisser une trace durable et visible par tous, sinon lisible. Stèles.
Cette stèle, en particulier, évoquerait bien une figure anthropomorphe: le coeur représentant alors en fait un visage. Ces stèles auraient-elles, dans un passé très ancien, été déjà primitivement gravées, et notre ou nos sculpteurs plus récents n'auraient-ils pas réutilisé l'existant ?
"Religion lumineuse
L'Empereur, -- père de toutes les croyances, et estimant en chacune d'entre elles la Raison qui est une, -- veut que ceci, prêt à s'effacer par négligence, soit reporté sur une table neuve et marqué du sceau de son règne :
L'Être admirable, n'est-ce pas l'Unité-Trine, le Seigneur sans origine, Oloho ? Il a divisé en croix les parties du monde ; décomposé l'air primordial ; suscité le Ciel et la terre ; lancé le soleil et la lune ; créé le premier homme dans une parfaite harmonie.
Mais Sa-Than répandit le mensonge, proclama l'égalité des grandeurs et mit la créature dans le lieu de l'Éternel. L'homme perdit la voie et ne put la retrouver.
Viennent ensuite des promesses : une incarnation ; un supplice ; une mort ; une résurrection. Or cela n'est pas bon à faire trop savoir aux hommes.
Que nul n'ose donc ajouter de commentaires ici. Que nul ne cherche un enseignement ici. Afin que sans fruits ni disciples la Croyance Lumineuse meure en paix, obscurément."
(Victor Segalen: Stèles, Face au Midi)
et, un peu plus loin du côté de Silvarecciu, ce rocher gravé par le même (dirait-on) et mangé par le lichen ...
Merci à Colette pour ses photos et aux amis Quilici et Mannoni pour cette troublante rencontre lors de cette riche journée!
En attendant, bonne préparation de réveillon!
(à suivre pour cette enquête à mener et pour l'église piévane Santa Maria de Casalta et les gravures rupestres de Petricaghju, sous Castellu di Rustinu ... qui firent l'objet de cette journée ).
12:15 Publié dans corse, les pierres qui signent, les stèles de Trucchinacce, racines de pierre, spiritualité | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : inri, symbolique du pentacle, abraxas, franc-maçonnerie en corse, carbonari, gnostiques, le triangle, le compas, le chandelier, pianu, casalta, silvarecciu, pierres gravées, campiestru, victor segalen | Facebook |
03/12/2011
Découvrir la Pieve du Rustinu avec Toussaint Quilici
Lorsque les enfants du pays s'attellent à leur patrimoine
et partagent plus de quarante ans de passion éclairée et de découvertes:
Le samedi 17 décembre 2011, à partir de 16 h 30 à la salle des Fêtes de Valle di Rustinu (village)
présentation de l’ouvrage (746pages)
« A Pieve di Rustinu des origines aux temps modernes, patrimoine et culture »
de Toussaint Quilici et Jean-Pierre Mannoni (avec la collaboration d’Alain Polifroni et Jean - Pascal Braccini)
Toussaint Quilici en compagnie de son ami Jean-Pascal Braccini lors d'une toute récente découverte fortuite d'un nouveau site préhistorique de gravures rupestres ... à retrouver lors de la parution du livre : je peux témoigner que l'émotion était au rendez-vous !
Pour tous ceux qui, amoureux de leur territoire comme Toussaint Quilici et ses amis, arpentent leur sol et font des découvertes fortuites, et nul n'étant censé ignorer la loi, voici une notice précieuse à lire et à connaître sur toutes les questions que l'on peut se poser sur l'archéologie:
gravure anthropomorphe, cupules ...
à découvrir dans l'ouvrage de Toussaint Quilici et de ses amis.
Avis: ce livre sera aussi distribué à la Fnac.
(à suivre!)
09:18 Publié dans corse, découverte du patrimoine en Corse, les pierres qui signent, Livre, préhistoire corse, racines de pierre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : livre sur le la pieve du rustinu, toussaint quilici, législation sur l'archéologie, législation sur les découvertes fortuites en archéologie | Facebook |
01/11/2011
En Corse: La Mort transfigurée 1ère partie
(Les plus belles photos qui illustrent cet article sont de mon ami Tomas HEUER . Nous avions, Tomas et moi, réalisé cet article pour le catalogue d'une exposition collective sur le thème de la Mort Transfigurée, le 2 novembre 2006, à la Galerie l'Arche de Morphée, 6 rue Etienne Dolet- 75020 PARIS. S'il leur reste des catalogues, vous pouvez sans doute en acquérir en les contactant: contact@archedemorphee.com)
Le sacré est toujours plus ou moins « ce dont on n’approche pas sans mourir » (Roger Caillois, l’homme et le sacré, 1950)
8 mai 2006.
Ceci sera donc seulement un dialogue intime avec cette île que j’aime, discontinu, peu cohérent, comme peut l’être le parfum de la mort : fluide, il navigue en ondes paresseuses, indisciplinées, tenaces et, passés les miasmes de la putréfaction, s’achève en une fragrance douceâtre de violette, peut-être cette fameuse odeur de sainteté.
Sous le vol royal des grands milans fossoyeurs, la rencontre fortuite des carcasses de vaches, de chèvres, de brebis crevées dans les champs fleuris de mai. Au milieu des trèfles, des hauts chardons violets où s’embusquent de minuscules araignées vert émeraude, des asphodèles dressées comme des candélabres ou entre les murs d’un pailler abandonné, ces charognes m’enseignent, mieux que les rues de la ville, notre commune destinée : « HODIE MIHI, CRAS TIBI » (aujourd’hui, c’est à moi, demain c’est à toi !). Ainsi l’affirme pensivement, peinte sur la bannière de procession des Morts dans une confrérie de Balagne, a Falcina ( la Faucheuse ) accoudée devant son sablier flamboyant où s’égrène le temps.
En Corse comme ailleurs, avant la nôtre, c’est la mort des autres qui nous est donnée à voir : miroir, fidèle miroir de la mort, dis nous la brièveté de ce que nous étions, l’inéluctable de ce que nous serons : puisque, dans cette énigme, il nous faut solitairement traverser la frontière vers l’inconnu, la communauté des vivants, dans cet instant décisif, saura-t-elle encore montrer quelque fraternité? Et la dramaturgie de ce passage aura-t-elle encore la force de transcender le grésillement aléatoire de nos vies ?
photo Tomas Heuer: Bannière de procession
Un rien aguicheuse, souriante et mondaine, "a Falcina" se repose un instant de sa moisson meurtrière. Assise sur une urne brûlante, piétinant les insignes des grands de ce monde, pourpre, tiare, mitre etc, elle brandit d'une main sa faux-étendard indiquant qu'elle n'épargne personne (" NEMINI PARCO") et de l'autre, comme un verre de bon vin, le sablier ailé du temps qui fuit.
Ces bannières de confrérie, portées en procession par les confrères de chaque communauté, délivrent le plus souvent un double message: d'un côté le Christ en Croix au pied duquel veillent et prient deux confrères, de l'autre le personnage redoutable de la Mort ... d'un côté la Peur, de l'autre l'Espoir de la Rédemption par la vie chrétienne...
L’indicible souffrance de la séparation. Qui peut prétendre communiquer l’indicible ? La souffrance d’une mère brutalement, définitivement séparée de son enfant ? Crier l’indicible injustice de cet inversement du sens, la géhenne solitaire et sans fond où l’on est alors jeté ? Reprocher au mort son abandon, injurier le Destin, transformer les spectateurs impuissants du drame en chœur antique ?
Ici, comme dans toute la Méditerranée , la souffrance se crie, se chante : lamenti, voceri, abbadatte en témoignent, expression spontanée, improvisée le plus souvent par les femmes sous l’inspiration de la douleur, à propos d’un mort ou en sa présence. Soit par une femme de la famille : l’épouse, la mère, la fille, soit par une femme reconnue, estimée et rétribuée pour ses dons de voceratrice. Ces chants nous parviennent « du fond des âges », ce qui est une façon de parler car on connaît parfois précisément les circonstances de l’improvisation, mais qui témoigne surtout de la valeur mythique acquise au fil du temps par ces poèmes chantés. Ardemment écoutés, pieusement recueillis par l’assemblée, souvent recomposés par la voceratrice et réacquis par les filles, certains nous sont restitués lors des premiers enregistrements à la fin des années quarante…
Imaginons la scène.
La jeune fille se meurt. Le tintement des cloches accompagne son agonie, l’aide à passer au travers des embuscades tendues par les esprits mauvais. Elle meurt. On voile les miroirs de crainte que son double, u spirdu, ne se retrouve piégé dans les reflets de la glace et reste prisonnier de la maison. Pour la même raison, l’on a ouvert quelques instants en grand portes et fenêtres pour l’inciter à sortir. Puis on a refermé les volets, éteint le foyer. On ne cuisine plus. La vie s’absente. La maison devient sombre et froide comme une tombe.
Elle gît, étendue dans sa raideur cadavérique sur une table, au centre de la salle principale. De quoi est-elle morte : malaria ? tuberculose ? nous ne le savons pas, mais elle a souffert … Les femmes lui ont fait sa toilette funèbre, elles lui ont noué un tissu blanc autour de la mâchoire, serré les chevilles, l’ont parée de son meilleur vêtement : c’est qu’aujourd’hui elle épouse le Christ , sa dot sera de cierges et de chandelles (« Nous allons descendre à la messe/Maintenant que l’autel est décoré/De cierges et de chandelles/Et de noir enveloppé/Car ce matin son père/A fait l’estimation de sa dot « , dit un voceru).
L’assemblée des femmes se presse pour la veiller et réciter le Rosaire, cette longue prière psalmodiée qui soutient les âmes dans leur transhumance et anesthésie la souffrance de ceux qui restent .On ne laisse jamais seul un mort avant sa sépulture, on l’entoure de cercles concentriques d’émotion: comme une matrice, les femmes à l’intérieur, les hommes à l’extérieur, remparts contre l’espace sauvage.
Les femmes demeurent les passeuses de la vie et de la mort. Nourrices, mères ou grand- mères, elles ont chanté dans l’intimité la nanna, la berceuse.
In Palleca di Pumonte A Palneca de Pumonti
Un ziteddu s’addivaia S’élevait un petit garçon
È la so cara mammoni Et sa chère grand-mère
Sempri trinnichendu staia. Toujours restait à le bercer
Fenduli la nannareda Tandis qu’elle l’endormait
È stu fattu li pricaia.(…) Elle lui prédisait ainsi son destin (…)
Aujourd’hui, drapées dans leur vêtement sombre, transformées en prêtresses de la mort, elles improvisent le voceru, la mélopée poétique de la douleur.
D’abord la mise au monde : l’enfant à sa naissance est cueilli comme un fruit mûr par la cuglidora, la « cueilleuse », et l’on enterre son placenta, son double, au pied d’un arbre, fruitier de préférence. Première mort qui ensemence la vie. Au terme de l’existence, encore les femmes pour libérer la douleur, cette fois avec l’aide de la communauté. La douleur est une cage dont il faut écarter les barreaux avec des paroles justes, chantées et piétinées dans une sorte de balancement communicatif : ce lamentu funèbre, voceru, ou ballata, imprime son bercement à l’ensemble de la communauté. Comme un seul corps l’assemblée résonne, vibre à l’unisson, porte son mort dans la nacelle du chant, l’aide à passer vers les rivages inconnus d’où l’on ne revient pas.
La mère, toute à sa peine, exhale ce chant :
Or eccu la moi figliola Zitella di sedeci anni Eccula sopra la tola Dopu cusi longhi affanni Or eccula qui vestuta Cu li so piu belli panni
Cu li so panni più belli Si ne vole parte avà Perchè lu Signore qui, Nun la vole più lascià. Chi nasci pè u Paradisu À stu mondu ùn pò invechjà.
O figliola lu to visu Cusi biancu è rusulatu Fattu pè lu Paradisu Morte cumu l’hà cambiatu ! Quand’eo lu vecu cusì Mi pare un sole oscuratu
Ere tù frà le migliori È le più belle zitelle Cum’è rosa frà le fiori Cum’è luna trà le stelle Tantu eri più bella tù Ancu in mezu à le più bella
I giovani di lu paese Quandu t’eranu in presenza Parianu fiaccule accese Ma pieni di riverenza. Tu cun tutti eri curtese Ma cun nimu in cunfidenza (…)
Chi mi cunsulera mai O speranza di a to mamma ! Ava ch’è tu ti ne vai Duve u Signore t i chjama ? Oh ! Perchè u Signore anchellu Ebbe di tè tanta brama ?(…)
Ma quantu pienu d’affanni Sera lu mundu per mene Un ghjornu solu mill’anni Mi serà pensendu à tene Dumandendu sempre à tutti La moi figliola duvè hè ?(…)
La voici donc ma fille Jeune fille de seize ans, La voilà étendue sur la table, Après de si longues souffrances ,La voilà revêtue De ses plus beaux habits ,
Avec ses plus beaux habits, Elle veut partir maintenant , Car ici le Seigneur ne veut plus la laisser. Celui qui naquit pour le Paradis , Ne peut vieillir en ce monde
O ma fille ton visage , Si blanc et si rose , Fait pour le Paradis , Comme la mort l’a changé ! Quand je te vois ainsi , Je crois voir un soleil obscurci.
Tu étais parmi les meilleures , Et les plus belles jeunes filles, Comme la rose au milieu des fleurs, Comme la lune au milieu des étoiles, Tu étais la plus belle, Même parmi les plus belles !
Les jeunes gens du pays, Lorsqu’ils étaient en ta présence, Paraissaient des brandons ardents, Mais pleins de respect., Avec tous tu restais polie, Mais familière avec aucun(…)
Qui me consolera jamais O l’espérance de ta mère ! Tu t’en vas maintenant Là où t’appelle le Seigneur ? Hélas ! Pourquoi le Seigneur lui-même A-t-il montré un désir si ardent ?
Mais combien ce monde, Va me sembler plein de douleurs ! Un seul jour me semblera mille ans, Sans cesse pensant à toi , Demandant sans répit à tous: Ma fille ! où est ma fille ?
Voceru improvisé par sa mère pour la mort de sa fille, Rumana, et publié en 1843 par le poète corse Salvatore Viale.
Le sacré, dit-on, se définit par rapport au profane. Pourtant ici tant d’attitudes évoquent la perméabilité des mondes religieux et humains : ainsi les cérémonies de la Semaine Sainte , prises en charge en grande partie par les laïcs, les confréries,sans la présence du clergé, fêtent de façon collective le passage de la vie à la mort, des ténèbres à la lumière. Là encore, dans ses déplacements ritualisés, la communauté se reconnaît et se resserre. Sous la conduite de ses confrères, parfois appelés mazzeri ( massiers), parce qu’ils portent le bâton ( a mazza) de confrérie, c’est la granitula, cette procession préchrétienne qui s’enroule et se déroule autour d’un axe : un arbre, une croix, le Monument au Morts (après l’hécatombe de 14/18…) marquant le cycle cosmique de la nature et le mystère de la résurrection du Christ après sa mort sur la Croix. Ce rituel de mort et de renaissance souligne la conviction enfouie au fond des anciens que les morts, après un temps indéterminé aspirent à renaître. Les chants collectifs de contrition, comme celui du Perdonno mio Dio, qui accompagnent Chemins de Croix et processions, la lueur des cierges, la réalisation des sepolcri, ces reposoirs où l’on veille nuit et jour le Christ comme l’un des siens, voire la création de véritables décors peints éphémères, tout tend à transfigurer la mort dans une dramaturgie exacerbée.
photo Elizabeth
Les vieilles personnes qui s’en souviennent encore m’ont dit leur terreur, enfants, de pénétrer dans l’église de nuit, vers l’espace de prière délimité par ces grandes toiles peintes des sepolcri, représentant des moments de la Passion du Christ , et la déploration de la Vierge-Mère : fleurie de blanc et de rouge, agrémentée de coupelles où pousse depuis quarante jours le blé nouveau, surveillée par d’impressionnants gardiens du sépulcre à la moustache hirsute et au regard menaçant à la mode barbaresque, la chapelle ardente s’anime du feu des lampes à huile et des bougies.
On prie avec compassion la Mère devant le corps supplicié de son Fils, exposé gisant et sanglant dans son catalettu, (le banc d’exposition des morts) , les bras articulés ramenés contre le corps, souvent grandeur nature. Comme en d’autres temps on aurait prié devant le corps d’un fils, d’un époux, d’un frère, d’un père assassiné…
Photo Elizabeth: Sepolcri
Dans le nord de la Corse , c’est aussi le rite de la cerca (circà : chercher) qui continue de déplacer en rond les processions des communautés voisines, portant la croix ornée du grand palme tressé, la pullezzula, et visitant les différents sepolcri des uns et des autres, comme en « recherche » du corps du Christ… Dans chaque village on rivalise de créativité pour tresser les palmes en motifs harmonieux, savants et chargés de symbolisme. L’année suivante, on les brûlera le Mercredi des Cendres, et l’on se servira de leurs cendres pour signer le front des fidèles : « Homme, souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière ». Ce même jour, cindarellu, clôt le temps du Carnaval où dans de nombreux villages les jeunes gens se « défoulaient » en jetant sur les passants des sacs de cendres…
Et que dire du paroxysme de la passion exaltée par les voceri lors des situations de vindetta, de la malamorte, la male mort, la mort violente ? L’âme romantique en a fait ses horrifiques délices, Mérimée, comme l’on sait, en a largement exploité la veine dans Colomba, et le touriste en mal d’émotions fortes trouve son compte dans cette imagerie archaïsante qui le comble, le formate dans son appréhension de l’âme corse. Vision différée, tronquée et brutale…
L’insularité, la longue histoire heurtée de la Corse , la nature elle-même de l’île cernée par une mer souvent hostile, avec ses hautes montagnes habitées de rocs nus aux formes fantasmagoriques, de forêts denses et sombres propices à l’embuscade des vivants et des morts, de ravins où grondent torrents, tonnerre, trahisons et tambours incertains, façonnent un peuple fortement identitaire, même si la diversité s’installe d’un vallon à l’autre. Liés au sol et en marge de l’Histoire, les rituels funèbres plongent profondément leurs racines dans l’inconscient collectif ...Depuis la préhistoire, la Corse est à la croisée des chemins et de la mer viennent tous ces « visiteurs » du monde extérieur, casqués, enturbannés, armés de leur savoir guerrier, de leurs cultes initiatiques… Peuples de navigateurs, Phocéens, Grecs, Carthaginois, Etrusques, Romains, Vandales, Ostrogoths, Lombards, Byzantins, Maures et Sarrasins, Barbaresques et Ottomans, Pisans, Génois, Aragonais, Anglais, Français, la litanie s’allonge depuis tant de siècles et elle n’est pas exhaustive…
I panni di u nostru Signore Les habits de notre Seigneur
San Salvatore cacciatemi sta pena Saint Sauveur ôtez-moi la douleur
« Le royaume choisit pour sa protectrice l’Immaculée Conception de la Vierge Marie dont l’image sera peinte sur ses armes et ses étendards. On en célèbrera la fête dans tous les villages avec des salves de mousqueterie et de canon. ».
Catteri, la Vierge magnifique qui provient du Couvent de Marcasso.
Les saints protecteurs et prophylactiques sont à l’honneur dans la moindre chapelle, ils paraissent un rempart plus efficace contre les maladies et les épidémies que le savoir médical ancien… Une mention spéciale pour Saint Joseph, patron de « la Bonne Mort » : mourir dans son lit, entouré de l’amour des siens et muni des saints sacrements… un luxe ! Si la communauté est assez riche, l’acquisition d’une belle relique, somptueusement habillée, fera l’orgueil du village et l’envie des voisins… Les évêques fulminent donc de multiples menaces d’excommunication contre ceux et celles qui, par la vendetta, commettent l’irréparable et pratiquent les rites funéraires les plus violents. J’imagine ce qui, dans les attitudes traditionnelles pouvait heurter la sensibilité du clergé et entraver sérieusement la paix…
On a déposé sur le tréteau funèbre la dépouille sanglante de Matteo, assassiné . Les femmes forment une haie circulaire près du corps déposé sur la tola, les hommes à l’extérieur frappent le sol de la crosse de leur fusil. Les femmes, gémissant, s’arrachant les cheveux, se griffant la poitrine et le visage, commencent à tourner en rond dans un piétinement balancé (la gestuelle d'une véritable danse, de u ballu: ballata, baddata) qui s’enivre et s’enroule autour du corps : c’est la spirale funèbre du caracolu (le colimaçon), le pendant « profane » de la granitula, le mouvement qui lutte contre l'immobilité cadavérique du mort. ( J'ai entendu quelque part ce témoignage troublant d'une compagnie de grands corbeaux tournoyant au ras du sol pour tenterde faire voler à nouveau Dans l’étourdissement de la danse, sa sœur improvise ce voceru (la déploration portée par la voix - vox : voceru, vuciàru, vuceratu, vuciarata ...)
O Mattè di la surella Di u to sangue preziosu N’anu lavatu la piazza N’anu bagnatu lu chjosu Un hè piu tempu di sonnu Un hè tempu di riposu Or chè tardi, o Ceccantò ? Ordili trippa è budelli Di Ricciottu è Mascarone Tendila tutta l’acelli O ! Chi un nuvulu di corbi Li spolpi carne è nudelli.(…)
O Matteo, aimé de ta soeur - De ton sang précieux -Ils ont lavé la place -Ils ont baigné l’enclos- Il n’est plus temps de dormir- Il n’est plus temps de se reposer- Que tardes-tu ô Ceccanton ? Arrache tripes et boyaux -De Ricciotto et de Mascarone- Jette-les aux oiseaux Et puisse une nuée de corbeaux Déchirer leurs chairs,dénuder leurs os ...
09:12 Publié dans corse, la mort, les pierres qui signent, patrimoine, patrimoine de la solidarité humaine, patrimoine du chant corse, poésie, préhistoire corse, racines de pierre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : la mort, rituels de la mort en corse, le miroir de la mort, les vivants et les morts en corse, lamenti | Facebook |