08/03/2015
Balade autour du Bestiaire fantastique de Speluncatu: le Basilic et le Griffon
Une balade hors du temps
autour du Bestiaire fantastique de Speluncatu,
sous le sceau de la dualité
le Basilic et le Griffon
"A qui lui demandait : "Si un incendie était en train de détruire ta maison, qu'est-ce que tu te hâterais de sauver ? " Jean Cocteau répondit : "Le feu. "
le tympan (début XII°s.?) de feu l'église San Stefano de l'antique village de Giustiniani: il orne aujourd'hui le portail de la Collégiale Santa Maria Assunta de Speloncato.
Un bref rappel: le village de Speloncato s'est développé à cheval sur deux pièves distinctes, celle de Tuani (vallées des affluents de la rive droite du Regino) et celle de Sant'Andrea (haute vallée du Regino et ses affluents), un cas de figure rarissime. Ecoutons ce qu'en dit, dans sa Description de la Corse au XVI° s., Agostino Giustiniani (1470- 1536) : la Pieve de Tuani comprend " les ensembles habités de Quercioli, Belgodère, Occhiatana, Ville, Costa, Cavalleragie et Speloncato. Et Speloncato, quant à la juridiction ecclésiastique, appartient moitié à la pieve de Tuani et moitié à celle de Sant'Andrea. " De l'autre côté, la Pieve de Sant'Andrea, "qui renferme les villages de Nessa, Feliceto, Casenove, Muro et Giustiniani" (Avapessa n'est pas alors mentionné).
Sur le chemin muletier entre Speloncato et le site antique de Giustiniani,
la petite chapelle baroque de San Filippu (de Neri): une chapelle "récente" au regard de l'antiquité de l'occupation humaine dans cette région bénie ... Un peu plus loin se trouve le site de San Martinu, l'église annexe de San Stefano, elle aussi aujourd'hui disparue , et que viendra par la suite remplacer dans le rôle de paroisse l'église Santa Catarina au village.
(Summarium : merci Edouard!)
A propos de l'occupation de la communauté de Giustiniani dans la plaine de Speloncato : elle fait donc partie de la pieve de Sant'Andrea : "On rencontre Giustiniani ou Yustignano, Iustignano dans les documents du XIII° siècle (G. Pistarino, Le carte, pp.14 et sq.). Les ruines éparses de ce village et de son église (San Stefano) se trouvent aujourd'hui sur le territoire de la communauté de Speloncato (rouleau du Plan Terrier n°8 - lieu-dit Santo Stefano)" (in: Description de la Corse, par Agostino Giustiniani, préface, notes et traduction d'Antoine-Marie Graziani, éd. Piazzola, p.89).
En résumé pour diverses raisons (en particulier d'insécurité ) , les familles de Giustiniani vont donc peu à peu délaisser leur habitat de la plaine, leur antique église San Stefano, migrer vers les hauteurs et s'installer à Speloncato (versant pieve de Sant'Andrea), autour de leur oratoire Santa Catalina qui prendra par la suite le titre d'église paroissiale après l'abandon progressif de San Stefano et San Martino.
e Torre de Giustiniani, entre X° et XVI ° s. ...
Voir la note du site de Speluncatu Noi Tutti sur le sujet: http://www.noitutti.com/articles.php?lng=fr&pg=518
Toute cette région intéressait grandement Geneviève Moracchini Mazel qui est venue l'interroger à plusieurs reprises en compagnie des anciens . Saluons ici la mémoire de cette grande dame de l'archéologie médiévale insulaire qui nous a quittés il y a déjà maintenant un an, mais qui continue d'habiter tous ces sites pour lesquels elle a donné toute l'énergie et les intuitions de sa vie.
sous e Torre, des maisons anciennes du village abandonné au XVII° s. de Giustiniani
un riche territoire rural occupé depuis le néolithique et investi par le monde romain:
ici, les fameux "Bagni", thermes romains.
Voir à ce sujet la note de Noi Tutti:
http://www.noitutti.com/articles.php?lng=fr&pg=536
Mais avant d'arriver à I Bagni et e Torre, l'on rencontre au bord du chemin le site de San Stefano, l'église de Giustiniani, aujourd'hui disparue . "En 1646, lors de la visite pastorale de Mgr Marliani, l'église S.Stefano était déjà détruite et le curé de Speloncato touchait les revenus du "benefizio semplice di S. Stefano ... chiesa distrutta alla spiaggia" (G. Moracchini-Mazel , Les églises romanes de Corse, p.236 )
Sur le site de San Stefano:
l'on aperçoit en hauteur les maisons de Speloncato et
au premier plan, une aire de battage et un pagliaghju.
On a comme souvent par le passé ailleurs , réutilisé de belles pierres de l'église romane San Stefano pour le pavage de l'aghja,
ainsi que pour construire le pailler, taillées dans des granits de différentes couleurs : San Stefano devait avoir fière allure, avec son harmonie polychrome et son tympan sculpté .
C'est dans le mur de cette maisonnette ...
que se sont trouvés piégés pour de longues décennies nos deux animaux fabuleux après la ruine de l' église.
Délogés une seconde fois de leur habitat champêtre, contraints d'abandonner San Stefano et suivant la migration des anciens habitants de Giustiniani vers les hauteurs, ils trouvent refuge dans la crypte de l'église St Michel/ Sta Maria Assunta de Speloncato (versant pieve de Tuani). Là ils subissent quelques longues années de purgation avant de retrouver enfin une place digne de leur statut, au-dessus du linteau de la porte d'entrée de la collégiale.
Mais qui sont ces étranges gardiens du sanctuaire,?
Nulle part ailleurs en Corse, à ma connaissance, nous ne voyons semblable tympan où je choisis de lire la lutte d'un Basilic et d'un Griffon .
A gauche un étrange volatile à la tête surmontée d'une aigrette ou plutôt d'une crête, le corps me semble-t-il terminé par une queue de serpent enroulée, à moins qu'il ne s'agisse d'un vulgaire croupion et d'une paire d'aile - (le bas-relief a souffert par le passé d'un excès de zèle et reste difficile à interpréter) s'attaque à un quadrupède puissant, un corps de fauve et une tête d'aigle au large bec crochu , la queue fouettant l'air, et deux grandes ailes déployées comme pour défendre un passage : une vision dramatique, ardente, de combat entre deux bêtes fantastiques nées des premiers temps de l'humanité, chargée d'un message pour ces hommes du Moyen-Âge et qu'il nous faut tenter d'approcher en déposant notre carapace raisonnable de gens du XXI°s. En nous laissant conduire par notre imaginaire le plus archaïque, le plus instinctif , celui-là même qui surgit à l'improviste dans nos rêves, peuplant parfois nos nuits de créatures inquiétantes ou bienfaisantes dans les situations les plus anodines.
Deux animaux tout droit sortis des "Bestiaires" médiévaux (issus de l'antique premier Bestiaire chrétien, le Physiologos, entre le II° et le IV° s. qui a inspiré durablement tous les Bestiaires médiévaux ) après un long temps d'adaptation au christianisme:
"Les Bestiaires sont des livres qui nous racontent et nous font voir les rêves du Moyen Âge.
(...) Leur éclairage résulte d'un discours idéologique. (...) Nous voilà donc devant les monuments d'un faux savoir zoologique. La logique du vivant n'y est qu'en apparence naturelle. Rien de plus arbitraire que ce système culturel qui va enfermer la pensée occidentale dans une ménagerie orientale. Il est vrai qu'il s'agit , en fin de compte, de prêcher le christianisme, religion née au Moyen-Orient, en figurant le dogme par des légendes animalières là-bas plus familières. L'implantation des idées se fait par bouturage en jardin d'acclimatation exotique. Bel exemple d'acculturation, illustrant la construction d'un système de pensée sur des schémas venus de l'étranger. Les traditions gauloises, romaines et germaniques sont broyées par une machine gréco-orientale, fabriquant encore, dix siècles après son invention, des thèmes religieux et des motifs esthétiques pour séduire l'Europe médiévale." ( Daniel Poirion , dans Le Bestiaire, Histoires dites naturelles, p. 13- Ed. Philippe Lebaud)
A quels archétypes venus du fond des âges appartiennent ces créatures fantastiques qui peuplent l'univers de nos chapelles, églises et cathédrales romanes ? Comme souvent, ces animaux fabuleux s'avèrent singulièrement polyvalents, évoluant au fil du temps, tantôt fastes, tantôt néfastes, tour à tour protecteurs ou destructeurs ...
Je vais devoir prendre parti, sans certitude aucune ...
Et pour commencer, je déciderai donc de voir dans mon petit volatile de gauche un Basilic, plutôt qu'une huppe ou une quelconque gallinacée. Il faut dire que ça m'arrange. Voyez plutôt:
Le Basilic ( Basileus, le petit roi)
"Le Basilic, antithèse du Coq emblématique
De même que le Coq fut souvent l'image du Sauveur, le Basilic fut celle de Satan, l'Adversaire, l'Anté-Christ, après avoir été, dans les cultes préchrétiens, l'emblème du Mal et de la Mort" ( Le Bestiaire du Christ, Louis Charbonneau-Lassay p. 641, éd. Albin Michel)
(merci Leo!)
le basilic de la Cathédrale de Metz s'apparente assez au nôtre :
une créature hybride, redoutable malgré sa petite taille, entre une quinzaine et une cinquantaine de centimètres et qui appartient au monde rampant des serpents, mais aussi à celui des oiseaux .
Un basilic qui a de nombreux ancêtres lointains,
dont ce terrible serpent à trois têtes à crêtes de coq, gardant la tombe étrusque dite "du Quadrige infernal" (fin IV° s. a. J.C.), dans la nécropole des Pianacce à Sarteano.
On le trouve mentionné à plusieurs reprises dans l'Ancien Testament: Isaïe menaçant les Philistins leur prédit que " de la race de la couleuvre sortiront le basilic et son fruit, qui est un serpent ailé et de feu". Pline l'ancien, dans sa description du basilic, signale que son sang aurait des vertus plutôt inattendues venant de ce petit monstre meurtrier , lui attribuant "le pouvoir de faire réussir l'homme près des puissances dans les demandes, près des dieux dans les prières, de guérir les maladies et de prévenir les maléfices. Certains l'appellent Sang de Saturne" (Pline , Histoire naturelle, XXIX, 19) . Bon, tout n'est pas perdu!
Son apparence se modifie au Moyen-Age, il est doté de pattes et son apparence hybride mi-coq, mi-serpent révèle une symbolique complexe et contradictoire:
- coq, courageux et vaillant, il a le pouvoir de capturer avant l'aube et d'annoncer par son chant le retour de la lumière, et , pourvu d'ailes, il appartient au monde du Ciel ; mais son regard tue, irradiant comme le soleil qu'on ne peut regarder en face.
- serpent, intelligent et patient, il rampe à la surface de la Terre, communique avec le monde souterrain (et les morts) qu'il affectionne particulièrement ; mais son haleine fétide empoisonne l'eau des sources et des puits.
" Une femelle crapaud, alors qu'elle se sentait fécondée, vit un œuf de serpent, s'assit dessus pour le couver jusqu'à ce que ses petits viennent au monde. Ils moururent, mais elle continua de couver l'œuf du serpent jusqu'à ce que s'y manifeste une vie nouvelle, et cette vie fut placée dès lors sous le signe du serpent de l'Eden ... Le petit brisa la coquille, se glissa hors de l'œuf mais exhala aussitôt de puissantes flammes... Il tue tout ce qu'il rencontre."
(Hildegarde de Bingen , 1098- 1179)
Son seul regard tue et son haleine épouvantable condamne à mort celui qui la respire ... Il semble que seule la belette puisse l'affronter sans crainte .
St Augustin qui le considère comme le roi des serpents ne tient guère en estime . Parmi les péchés capitaux, le Basilic représente la Luxure. *
On trouve également une variante du Basilic avec une tête de chien ou de loup:
comme ici sculpté sur
le Baptistère roman de Parme
ou comme ici sur ce chapiteau de la Cathédrale de Reims
Un petit monstre peu fréquentable, puant, tueur invétéré , et que l'on ne peut vaincre qu'en le forçant à se regarder lui-même dans un miroir. A chacun son basilic intérieur qu'il convient d'affronter avec lucidité et prudence, tout un programme, me semble-t-il. En tous cas, nettement une créature plutôt diabolique, un emblème ou, à tout le moins, un serviteur de l'Esprit du Mal.
"Dans la Kabbale, le Basilic est la monture de l'ange infernal Azagel, parce que ce monstre ne tue pas seulement par le regard, mais par les germes de la peste et des maladies contagieuses qu'il porte avec lui" (ibid. Le Bestiaire du Christ, Louis Charbonneau-Lassay, p. 646, )
En somme une créature sans âge qui fut, est et sera , continuant d'empoisonner à sa source l'eau de la vie, et à qui j'attribuerai volontiers aussi les innombrables fléaux de notre temps , égoïsmes, intolérances, obscurantismes, fanatismes de tous poils, écailles et plumes, avec leurs lugubres cortèges de guerres, assassinats, viols, désespoirs, folies, exodes, désastres écologiques et pollutions définitives ...
***
Face au Basilic
le Griffon déploie ses ailes aquilines
le Griffon de San Stefano
Parmi les animaux hybrides venus du fond des âges la symbolique chrétienne a souvent choisi le griffon "pour figurer la nature et l'excellence du Christ divin" (Charbonneau, le Bestiaire du Christ).
Un corps de lion , des ailes et une tête d'aigle, souvent du reste pourvue d'oreilles de cheval. Un héritage qui nous vient de loin:
ici à Cnossos (capitale Minoenne de la Crète, Age du bronze,),
la salle du Trône, bien gardée par la frise de ces magnifiques griffons
ou ce chapiteau de colonne portant ces deux griffons achéménides de Persépolis (la Ville des Perses), gardiens de l'Allée des processions (V° s. a. J.C.).
Symbole de la Perse et de son antique religion le Mazdéisme où s'affrontent les deux Esprits primordiaux - pour faire simple - du Bien et du Mal, le Griffon apparait comme le symbole du dualisme entre ces deux principes fondamentaux, développés par la doctrine du Zoroastrisme : au sein d'un monothéisme, le dualisme du Bien et du Mal, de la Lumière et des Ténèbres, de la Vie et de la Mort ... jamais l'un sans l'autre, mais, à la fin des temps, la victoire annoncée de la Lumière sur les Ténèbres.
Une vision qui séduit toujours autant : sans oublier le Manichéisme et les hérésies cathares, "Le Seigneur des Anneaux", "Harry Potter" vous connaissez ?
Dualisme ou gémellité ? Tout homme, en tous cas, a toujours le choix d'affirmer, par ses actes, sa préférence.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Zoroastrisme
http://www.clio.fr/bibliotheque/le_mazdeisme_la_religion_des_mages.asp
Une religion qui sans doute imprègnera durablement le Judaïsme et le peuple des Hébreux lors de leur déportation à Babylone, lorsque les Perses prendront la ville au VI° s. a. J.C. ... Et dont héritera peu ou prou le Christianisme, qui aura à lutter, entre autres, contre les tentations des dérives manichéennes .
Là encore le Griffon apparait dans toute sa complexité hybride , doté d'une abondante parentèle ailée, lié au pouvoir, à la vie et à la mort, au bien et au Mal, tantôt démon, tantôt génie protecteur, et toujours représenté avec une tête de rapace: une puissance "hiéracocéphale" (comme le dieu Horus des Egyptiens) qui aura beaucoup d'avatars:
comme dans cette représentation du griffon "fertilisant " l'Arbre de Vie (à l'aide d'une pomme de pin) , mi-homme, mi-aigle: un génie serviteur de Nergal, dieu des Enfers, à l'origine maléfique puis protecteur - Palais du Roi Assurnasipal II ( Assyrie, IX° s. A. J.C.) - Musée du Louvre.
Gardiens des trésors, du sacré, de l'arbre de vie et de l'arbre de la connaissance, n'hésitant pas à anéantir du bec et des griffes les téméraires qui violent les frontières du mystère, nos griffons font partie de la grande fratrie de ces êtres hybrides nés à l'aube des âges: ils assurent leur service solaire auprès des dynasties puissantes et des dieux dans ce Moyen-Orient fertile, dans la Crète du Roi Minos, à Mycènes ou en Egypte ...
tel ce griffon sculpté dans l'ivoire (datant de 1300 a.J.C.) et qui provient du site de Megiddo (à 90 km de Jérusalem)
- ou ce cousin proche, lion/griffon de la frise du Palais des Achéménides à Suse, 510 a. J. C. (Musée du Louvre)
- ou ce puissant "Lamassu", taureau ailé, génie protecteur posté de part et d'autre des portes du palais de Sargon II à Dur-Sharrukin ( 713 a. J.C.)- Musée du Louvre.
(petite, ces personnages colossaux et énigmatiques m'impressionnaient terriblement )
[un patrimoine humain mondial pré-islamiste aujourd'hui dramatiquement menacé de destruction définitive par les intégristes islamistes - il faut dire qu'avant eux, Alexandre le Grand s'était chargé de l'anéantissement de Persépolis ...]
http://www.france24.com/fr/20141224-images-onu-liste-tres...
http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-paul-baquiast/090315/...
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orien...
[ mais même les incendies et bombardements ne pourront détruire le feu de la spiritualité]
- ou ces "Keroubim"- Chérubins (créatures de sainteté, "ceux qui communiquent", "qui prient", terme et concept empruntés directement de l'imagerie babylonienne) dont nous parle l'Ancien Testament :
- après la chute d'Adam et Eve , Yahvé les chasse du jardin d'Eden: " Il bannit l'homme et il posta devant le jardin d'Eden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l'arbre de vie." (Genèse 3-24)
- ou les immenses statues de Chérubins aux ailes déployées du Temple de Salomon
- ou l'extraordinaire vision d'Ezéchiel dont héritera la chrétienté à travers la représentation du Tétramorphe (les quatre Evangélistes et leurs symboles ailés: l'Homme de St Matthieu, le Taureau de St Luc, le Lion de St Marc, et l'Aigle de St Jean):
(gravure tirée de la Bible de l'Ours, 1569)
10:1 Je regardai : sur la voûte céleste qui était au-dessus de la tête des keroubim il y avait comme du lapis-lazuli; on voyait au-dessus d'eux quelque chose dont l'aspect ressemblait à un trône.
10:2 Il dit à l'homme vêtu de lin : Entre à l'intérieur du tourbillon sous les keroubim, remplis tes mains de braises que tu prendras entre les keroubim, et jette-les sur la ville ! Et il y alla sous mes yeux.
10:3 Les keroubim se tenaient à droite de la Maison quand l'homme arriva, et la nuée remplit la cour intérieure.
10:4 La gloire du SEIGNEUR s'éleva de dessus le keroub sur le seuil de la Maison; la Maison fut remplie de la nuée, et la cour fut remplie de la clarté de la gloire du SEIGNEUR.
10:5 Le bruit des ailes des keroubim se fit entendre jusque dans la cour extérieure, pareil à la voix du Dieu-Puissant lorsqu'il parle.
10:6 Ainsi, quand il ordonna à l'homme vêtu de lin : « Prends du feu à l'intérieur du tourbillon, entre les keroubim ! », il alla se placer près de la roue.
10:7 Alors le keroub étendit la main entre les keroubim vers le feu qui était entre les keroubim; il en prit et le mit dans les mains de celui qui était vêtu de lin. Il le prit et sortit.
10:8 Quant aux keroubim, une forme de main humaine apparaissait sous leurs ailes.
10:9 Je regardai : il y avait quatre roues près des keroubim, une roue près de chaque keroub; l'aspect de ces roues avait l'éclat d'une pierre de chrysolithe.
10:10 Par leur aspect, toutes les quatre se ressemblaient; chaque roue paraissait être au milieu d'une autre roue.
10:11 Quand elles se déplaçaient, elles allaient sur chacun de leurs quatre côtés; elles ne viraient pas en se déplaçant; elles allaient dans la direction de la tête, sans virer en se déplaçant.
10:12 Tout le corps des keroubim, leur dos, leurs mains et leurs ailes, étaient remplis d'yeux tout autour, de même que les roues, leurs roues à eux quatre.
10:13 J'entendis qu'on appelait les roues « Tourbillon ».
10:14 Chacun avait quatre faces; les faces du premier étaient des faces de keroub, les faces du deuxième des faces d'homme, pour le troisième des faces de lion, et pour le quatrième des faces d'aigle.
10:15 Et les keroubim montèrent. C'était le vivant que j'avais vu près du Kebar.
10:16 Quand les keroubim se déplaçaient, les roues allaient à côté d'eux; quand les keroubim déployaient leurs ailes pour s'élever de terre, les roues, à leur côté, ne viraient pas.
10:17 Quand ils s'arrêtaient, elles s'arrêtaient; quand ils s'élevaient, elles s'élevaient avec eux, car le souffle du vivant était en elles.
10:18 La gloire du SEIGNEUR se retira du seuil de la Maison et se plaça sur les keroubim.
10:19 Les keroubim déployèrent leurs ailes et montèrent de terre sous mes yeux quand ils partirent avec les roues. Ils s'arrêtèrent à l'entrée de la porte de la maison du SEIGNEUR, côté est; et la gloire du Dieu d'Israël était sur eux, en haut.
10:20 C'était le vivant que j'avais vu sous le Dieu d'Israël près du Kebar, et je sus que c'étaient des keroubim.
10:21 Chacun avait quatre faces et quatre ailes et, sous leurs ailes, ce qui ressemblait à des mains humaines.
10:22 Leurs faces ressemblaient à celles que j'avais vues près du Kebar; c'était le même aspect, c'était eux-mêmes. Chacun allait droit devant lui.
(EZ. 10)
autre gravure de 1573: la vision d'Ezechiel, façon OVNI
... des Keroubim/Chérubins redoutables, ardentes antennes du Verbe .
Rien à voir avec les charmants chérubins putti qui suivront!
Le monde ancien des griffons étant d'une richesse inépuisable, pas question ici d'en faire le tour exhaustif. Toujours est-il qu'il ne cesse d'être présent, traversant les âges, survolant les déserts, les montagnes et les mers, sortant ici ses griffes redoutables, perdant là quelques plumes, atteignant le grand nord, les monts de l'Hyperborée, et même au-delà, la Scythie, pays des Arimaspes :
Scène de Grypomachie:
lutte de griffons contre les légendaires Arimaspes., peuple cyclope.
(autour de 370 a. J. C. - Musée du Louvre)
Dans l'univers des Grecs, il est consacré à Apollon, dieu de lumière et de beauté, dont il garde les trésors (Hérodote).
Apollon chevauchant un griffon. Coupe attique - 380 a. J. C. Kunsthistoriche Museum de Vienne.
"Et, conception plus haute, ils [les Grecs] le considéraient comme "le gardien, aussi, des voies du salut" (le Bestiaire du Christ, ibid.) : il lutte alors contre les êtres malfaisants ... rampants comme le serpent et le basilic en particulier.
Animal "psychopompe" (ou "psychagogue"), de ses ailes puissantes il élève au ciel les âmes des défunts: c'était le rôle, dans l'Egypte ancienne, du griffon Sefer " qui se transformait , s'identifiait avec les offrandes brûlées des sacrifices, et, par leurs fumées, portait vers le ciel les âmes des morts pour lesquels elles avaient été offertes".
Un rôle que l'on va retrouver dévolu à St Michel Archange à l'époque médiévale, lui qui d'une main armée d'une lance ou d'une épée maîtrise le Malin- dragon-serpent et de l'autre pèse les âmes, permettant aux justes de s'élever au ciel ...
Aregno, église de la Trinité, fresque de St Michel (1448).
Le magnifique et redoutable Archange St Michel dans sa dualité : tout comme le griffon, à la fois gardien impitoyable au bras armé d'une épée ou d'une lance terrassant Satan, et passeur d'âme (psychopompe), pesant les défunts et conduisant ceux qui le méritent vers le ciel.
Une constante dans l'iconographie de nos chapelles à fresques de Corse.
***
Un autre épisode significatif se trouve dans les légendes d'Alexandre le Grand restituées au XII° s. , récits aussi populaires et largement diffusés que la Bible elle même :
le grand roi Alexandre, lors de ses voyages, aurait capturé deux griffons dans une contrée étrange et sauvage, puis, les ayant fait jeûner trois jours, les attache à une sorte de nacelle de bois et de cuir (voire, à son trône) , qu'il fait s'envoler en leur tendant sous le bec un morceau de viande du bout de sa lance ... " Il monte jusqu'au ciel de feu. La chaleur excessive le contraint enfin à descendre, ce qu'il fit en abaissant sa lance." (ibid. Le Bestiaire du Christ)
gravure d' Hans Scäufelein (1480/1539)
Jean Wauquelin, Alexandre emporté par les griffons -
Flandre ( XV° s.) -BNF, Manuscrits, Français 9342 fol. 180v
Pour l'historien de l'art Emile Mâle "Alexandre , c'est l'orgueil humain, c'est la science qui veut arracher à Dieu ses secrets. L'homme monte, il entre avec audace dans la région des mystères, mais c'est une région sans limite, et il faut qu'enfin il s'arrête devant de nouveaux mystères" (cité par Charonneau-Lassay, ibid, dans le Bestiaire du Christ p. 371).
Je crois entendre s'interroger tout haut nos astrophysiciens et autres fous de l'infiniment petit ...
***
Revenons-en au Moyen-Âge , un temps où l'on ne doute pas de la réalité du griffon, au même titre que de celle du lion, de la hyène, du basilic, du hérisson ou de la salamandre, et dont on tire des leçons morales tout-à-fait édifiantes à défaut d'une connaissance scientifique infaillible.
Voici ce qu'en dit le Physiologos (cf .plus haut) dont se sont inspirés les Bestiaires médiévaux :
" LE GRIFFON
Le griffon est un oiseau qui est d’une taille supérieure à celle de tous les oiseaux du ciel. Il se dresse en Orient, dans le port du fleuve Océan ; et lorsque le soleil se lève, surgissant des profondeurs des eaux, et qu’il inonde le monde de ses rayons, le griffon, justement, déploie ses ailes et capte l’incandescence du soleil pour éviter que la terre habitée ne soit entièrement brûlée. Un second griffon les accompagne jusqu’au crépuscule, selon ce qui est écrit sur ses ailes : « avance, toi qui donnes la lumière, donne au monde la lumière ».
De la même façon la divinité est accompagnée de deux griffons en marche, autrement dit l’archange Michaël et la sainte Mère de Dieu, et ils captent l’incandescence du soleil, autrement dit la colère de Dieu, pour éviter qu’il ne dise à tous les hommes : « je ne vous connais pas », et que sa colère ne les brûle entièrement."
Le Griffon, après quelque temps de disgrâce et de mauvaise réputation dans les tout premiers temps du christianisme où on le soupçonne de servir les forces du Mal, va se trouver réhabilité et son symbolisme va s'enrichir de nouveaux attributs qui finiront par en faire l'emblème du Christ :
alliant la puissance solaire du lion à l'action céleste de l'aigle, faisant communiquer la terre et le ciel, reliant la matière à l'esprit, le monde tellurique au monde cosmique, celui des morts et celui des esprits célestes entre lesquels vivent les hommes, il va symboliser la double nature du Christ, humaine (lion) et divine (aigle), et sa double royauté : le lion, roi des animaux terrestres, et l'aigle roi des créatures célestes.
Dante Alighieri, dans sa Divine Comédie, met en scène dans ses Chants du Purgatoire le symbolisme christique du Griffon, "l'animal à la double nature" ("ch'è sola una persona in due nature"), aux ailes immenses, tirant le char symbolique de la vision d'Ezechiel sur lequel descend Béatrice à la rencontre de Dante:
Sandro Botticelli, entre 1480 et 1500, Purgatoire: le char mystique tiré par le Griffon
Le Griffon, c'est à dire l'Homme-Dieu, le Christ, attache le char à l'arbre de la connaissance du bien et du mal desséché, dévitalisé par le péché originel d'Adam et Eve, et le faisant reverdir et fleurir:
" Bienheureux es-tu, Griffon, qui de ton bec ne détache rien de cet arbre agréable au goût, puisque se tordent dans la douleur les entrailles qui s'en nourrissent" ( Purgatoire, Chant XXXII )
***
Là encore, pour les alchimistes, le Griffon est un emblème important:
Aurora Consurgens-1410
le combat du soleil et de la lune:
"Dans le combat que se livrent l'aigle (volatil) et le lion ( fixe), il faut que les deux protagonistes soient réciproquement confondus pour constituer finalement le griffon, c'est-à-dire un seul et même corps parfaitement fixe et indivisible (...)"
(Les clés secrètes de l'alchimie -Fabrice Bardeau, édit. Lanore)
Mais il faut bien reconnaître que dans l'iconographie du Moyen-Age on rencontre parfois aussi l'autre versant du Griffon, alors emblème de Satan: il porte alors souvent de monstrueuses ailes de chauve-souris, un arrière-train dragonné avec une queue reptilienne ... iconographie que l'on retrouve également dans certains blasons,
Comme ici, les armoiries d' Hérimoncourt, au griffon rampant et lampassé, et aux ailes de chauve-souris.
La figure du griffon se retrouve dans d'innombrables armoiries,
comme ici dans ce Blason de la République de Gênes, vues par le Père Accinelli au XVIII° s. :
on peut reconnaître en haut du blason soutenu par deux griffons la tête de Maure de la Corse ...
et, toujours à Gênes,
ce poids pour le Doppia de Gênes,
(1792- 97)
et ici à Volterra:
sur ce blason, le noble Griffon règle son compte à l'infâme Basilic ...
Une remarque : ici l'identité du Bien (Griffon) n'existe pas en soi, elle ne peut se manifester que dans la relation au Mal (Basilic) ... Nous voilà revenus au dualisme du temps de Zoroastre et cette image nous rapproche du tympan de Speluncatu
***
Revenons enfin en Corse :
qu'en est-il du Griffon et du Basilic de Speluncatu?
Au mieux, c'est un dialogue, comme diraient certains chefs d'état dans l'impasse, entre deux principes fondamentaux, opposés ... voire complémentaires. Bref un gentil petit couple.
Au plus réaliste c'est un combat sans merci, et notre Griffon de Speloncato (anciennement de San Stefano) ouvre largement ses ailes immenses pour protéger nos gens du Basilic tueur : je ne doute pas qu'il arrive, comme à Volterra, à maîtriser l'Adversaire.
Car j'ai définitivement choisi : pour les besoins de ma lecture, je décide de voir à Speloncato la queue serpentine du Basilic et non le croupion déplumé d'une Poule ou d'un Coq. Parce que si c'était une Poule, tout mon scénario tomberait à l'eau car elle serait alors l'emblème de la bonté vigilante du Sauveur et il faudrait revoir en négatif le rôle de son adversaire, le Griffon ... Ainsi en est-il du monde complexe des symboles, à chacun sa lecture.
Enfin, depuis que ce tympan a élu domicile au-dessus de la porte de l'église Saint Michel - devenue Collégiale Santa Maria Assunta en 1749 - notre Griffon se voit en outre symboliquement investi de la mission du passeur d'âmes, du "psychopompe" attribuée à St Michel.
Où retrouver d'autres Basilics et d'autres Griffons en Corse ? Pour ma part je connais deux tympans qui évoquent le même univers:
Le décor de la porte occidentale de la Cathédrale de Mariana:
au-dessus du linteau et du tympan sculptés en plat-relief, les six claveaux de l'archivolte forment une frise d'animaux. De gauche à droite :
- une sorte de lion
- puis deux griffons ailés à tête d'aigle s'affrontent bec à bec
- vient ensuite au centre de la frise l' Agneau mystique, agenouillé et portant sa croix
- sur sa droite un loup bondit vers lui, la gueule ouverte sur des crocs menaçants, prêt à le déchiqueter
- le cinquième claveau montre un cerf atteint dans sa course par un chien portant un collier et qui lui mord déjà le flanc
- enfin le sixième claveau porte deux basilics affrontés à tête de loup ...
à Piedicorte di Gaggio :
l'archivolte, le linteau et le tympan semi-circulaire romans réemployés à la base du clocher de l'église paroissiale actuelle Sta Maria Assunta .
" Le style de ces entrelacs et de ces sculptures rappelle celui de la porte occidentale de l'église Santa Maria Assunta, ancienne cathédrale de Mariana, dite la Canonica; c'est pourquoi nous avons pensé que ces œuvres pouvaient être contemporaines, c'est-à-dire dater des environs de 1100 " (ibid. G.Moracchini-Mazel, Les églises romanes de Corse p. 334)
De gauche à droite:
- deux bêtes féroces affrontées,
- puis un griffon, bien centré,
- qui combat sur sa droite, un basilic à tête de loup.
le Griffon de Piedicorte
et "son" Basilic
Enfin, il faut signaler le monde perdu de la cathédrale San Marcello d'Aleria, évoqué par Geneviève Moracchini-Mazel:
Aléria - Bas-relief publié par Mérimée en 1840 et provenant vraisemblablement de la cathédrale San Marcello (début XII°s.).
"(...) Mérimée a publié une sculpture qu'il a vue en 1840 remployée sur le mur d'une maison qu'on venait de construire dans le petit hameau d'Aleria, et qui lui semblait "provenir de quelque église détruite aujourd'hui";
Pour G. Moracchini-Mazel, " il est probable en effet que ce bas-relief provient bien de la cathédrale San Marcello, en raison de son style" ( Les églises romanes de Corse, p. 104)
Ce bas-relief n'a malheureusement pas été retrouvé . Il s'inscrit nettement dans le même dualisme qu'à Speloncato ...
Ouvrez l'oeïl !
A suivre ...
A faire, une lecture intéressante sur le voyage iconographique au Haut Moyen-Âge et qui concerne le sujet:
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cr...
18:40 Publié dans griffon et basilic, symbolique romane | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mésopotamie, dualisme, speloncato, cathédrale de mariana, piedicorte, symbolisme du griffon et du basilic, zoroastrisme, dualité | Facebook |
07/03/2015
tr: Objet stage de clown théâtre à ALGAJOLA
Je relaie bien volontiers cette annonce de notre amie Marie-Elise
qui devrait booster nos grands zygomatiques!
Solidarité en ligne : cliquez ici pour soutenir l’association Le Rire Médecin
>
09:26 | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
05/03/2015
le stage d'orgue de Renaissance de l'Orgue Corse du 6 au 10 Juillet 2015
Renaissance de l'Orgue Corse organise son stage annuel de formation sur les orgues de Corse
à Corte du 6 au 10 juillet 2015
Cette année R.O.C. retrouve avec grand plaisir
le maestro Umberto FORNI
Qui nous fait partager depuis tant d'années son immense talent, sa pédagogie,
et sa passion de musicien sur nos orgues de Corse.
08:49 | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
22/02/2015
la Collectivité territoriale unique en Corse, communiqué de la LDH Corse
A propos de la Collectivité territoriale unique en Corse, la Ligue des Droits de l'Homme communique:
> De : "Infocom Ldh" <infocom-ldh@ldh-france.org>
> A : infocom-ldh@ldh-france.org
> Copie à :
> Objet : [infocom-ldh] LDH Corse
>
>
COMMUNIQUÉ
> >
La collectivité territoriale unique
La collectivité unique de Corse pourrait voir le jour dès le 1er janvier 2018. Telle est la conséquence de la proposition faite par le gouvernement d’inscrire ce projet dans le débat en cours sur la nouvelle organisation territoriale de la République. La Ligue des droits de l’Homme constate avec intérêt la réactivité du gouvernement sur ce dossier, et la prise en compte d’une résolution adoptée par l’Assemblée de Corse en décembre dernier. Cette accélération du calendrier politique aurait pour conséquence de remettre en cause une consultation des électeurs, également demandée par l’Assemblée de Corse.
Certains élus revendiquent la tenue d’un référendum. Or, demander aux citoyens de répondre par oui ou par non, après quelques jours de débats publics, à une question complexe, est un leurre démocratique. Faut-il rappeler qu’il aura fallu plusieurs années de débats au sein de l’Assemblée de Corse, un comité stratégique, la sollicitation de personnes qualifiées, la rédaction d’un rapport, pour que les élus en viennent à maîtriser le sujet.
Dans le même temps, la LDH constate que les citoyens n’ont pas été appelés à une participation démocratique au cours de la phase d’élaboration du projet, a contrario de la méthode mise en œuvre pour le PADDUC. Le débat sur l’organisation des institutions territoriales touche pourtant au fonctionnement démocratique de la société. Il est aussi la conséquence des mobilisations contre le clanisme et le clientélisme.
Pour sa part, la LDH soutient le projet même si elle continue à s’interroger sur la place dans la future collectivité unique de l’intercommunalité, dont les élus ne sont pas issus du suffrage universel. Elle s’interroge également sur le fait que l’intersyndicale de la CTC se soit exprimée sur une insuffisance d’information concernant le projet.
Aussi, la mise en œuvre de la Collectivité Unique, dans le sens d’une simplification de l’organisation actuelle, ne doit pas oublier les finalités qu’elle s’est données. En organisant différemment l’action publique, elle devra permettre un meilleur exercice de la démocratie locale et ce faisant agir contre les inégalités sociales.
> > Corte, le 14/02/2015
> >
> > Le bureau de LDH Corsica
08:34 Publié dans Ligue des droits de l'homme | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
15/02/2015
les énigmes de la fresque d'Omessa
Les énigmes de la fresque découvertes en novembre 2014 dans l'église Sant' Andria d'Omessa
Pieve de Talcini
( dernière visite le 9/2/2015)
Omessa, Quartier du Rione et l'église Sant'Andria
" C'est l'église paroissiale actuelle. La description de Mgr Mascardi confirme que ce n'était pas une église de fondation ancienne avec un style roman traditionnel; cette indication est en accord avec la tradition orale et certains auteurs qui rapportent que cette église est un ancien hôpital transformé en église en 1460 par Ambrogio d'Omessa, évêque d'Aleria. Du temps de Mgr Mascardi, "elle avait trois nefs, mais les collatéraux étaient un peu étroits ... un toit en charpente ... trois portes; un campanile en forme d'arcade avec deux cloches ..." ( Geneviève Moracchini-Mazel: Les Eglises Romanes de Corse - 1967)
Ambroggio d'Omessa évêque d'Aleria entre 1412 et 1466, aurait donc aurait donc, en 1460, transformé un ancien hospice fortifié "U Rione" en église ( le quartier historique actuel de l'église San'Andria a du reste gardé ce nom) .
Article de Corse-Matin du 14/12/2014
L'église fait toujours l'objet d'une restauration depuis octobre 2014, et l'on a confié à l'atelier de notre amie Ewa Poli le soin des décors peints. C'est en travaillant sur l'autel baroque latéral du Rosaire, après l'enlèvement de la toile, que furent découvertes en novembre quelques traces peintes qui ont attisé la curiosité des restaurateurs. Et après un délicat dégagement, divine surprise! est apparue une fresque d'une grande beauté malgré ses lacunes, révélée après des siècles de sommeil sous un emplâtre de chaux, "dans son jus", vierge de tout repeint, ce qui en fait un cas particulièrement intéressant ...
L'autel construit à l'époque baroque a été plaqué contre ce mur peint à fresque (XV° s.? les analyses souhaitables pourraient nous conforter ou non dans cette datation), -ce qui pose aujourd'hui un dilemme de taille, car une partie de la fresque dort encore sous l'ensemble architecturé de l'autel ... (on connait le même problème dans la chapelle de San Chirgu à Cambia, ou les deux ailes du petit autel baroque avaient été plaquées contre les pied-droits peints à fresque au XV°s.).
Deux espaces se superposent: à l'étage supérieur l'on devine la Charité de St Martin, et à l'étage inférieur, c'est le martyre de St Pierre, crucifié, selon les Actes apocryphes, la tête en bas et les pieds vers le ciel.
La Charité de St Martin:
« Tout ce que vous ferez à l'un de ces petits,
c'est à moi que vous le ferez».
Entre les pattes d'un cheval blanc, un adolescent grelottant reçoit la moitié de la chlamyde (manteau de légionnaire romain) de St Martin, dont on ne voit qu'une main mais ni le corps ni le visage, sans doute encore cachés sous les stucs baroques.
L'enfant nu s'enveloppe dans l'étoffe que la main visible du bon St Martin
du haut de son cheval semble trancher avec son épée.
Une tignasse rousse ébouriffée sur un doux visage fissuré, innocent,
bouche ouverte d'étonnement ... Bouleversant!
A mi-corps un trou béant dans le mur interrompt le corps de l'enfant qui reprend plus bas au niveau des genoux et nous réserve cette incroyable surprise:
à la place des pieds , deux fragiles pattes d'oiseau aux longs doigts humains:
il semble bien que l'artiste ait voulu évoquer ici un lépreux, l'un de ces "Pauperes Christi", "Pauperes Sancti Lazari" , pauvres d'entre les pauvres, les pauvres du Christ, de Saint Lazare, la lèpre rongeant la chair des pieds.
" Martin, qui n'est encore que catéchumène, m'a donné ce manteau" (Martinus, adhuc catechumenus, hac me veste contexit). Le jeune mendiant lépreux, c'est le Christ lui-même. A cette représentation de la Charité de St Martin, épisode célèbre et populaire de sa légende qui se déroule aux portes d'Amiens, se mêle un autre épisode où St Martin, à Paris, guérit un lépreux d'un baiser:
Cette "œuvre de miséricorde" envers un être mutilé dans son humanité, abject et puant, est à rapprocher d'une autre rencontre avec les lépreux, celle du Poverello St François d'Assise, si décisive pour sa conversion:
« Le Seigneur me donna ainsi à moi, frère François, de commencer à faire pénitence : lorsque j’étais dans les péchés, il me semblait extrêmement amer de voir des lépreux. Et le Seigneur lui-même me conduisit parmi eux et je leur fis miséricorde. Et en m’en allant de chez eux, ce qui me semblait amer fut changé pour moi en douceur de l’âme et du corps ; et après cela, je ne restait que peu de temps et je sortis du siècle. Et le Seigneur me donna une telle foi dans les églises que je priais simplement et disais : « Nous t’adorons, Seigneur Jésus-Christ, et dans toutes tes églises qui sont dans le monde entier, et nous te bénissons, parce que par ta sainte croix tu as racheté le monde » ( Testament de St François d'Assise).
Œuvre de charité qui transforme celui qui donne le baiser tout autant que celui qui le reçoit.
Le monde des lépreux est longtemps resté dramatiquement stigmatisé par les populations "saines", un monde d'indésirables et d'exclus, dont on redoutait et fuyait le contact malodorant et la vue insupportable, comme un reflet de sa propre humanité irréversiblement déchue . Dans de nombreuses régions les lépreux vivaient à part des vivants, car on les considérait comme déjà morts et extrêmement contagieux, même lorsqu'il s'agissait de ce que l'on nommait la "lèpre blanche", forme infiniment moins dangereuse que la terrible "lèpre rouge" à l'issue fatale.
Quoi qu'il en soit de la réalité médicale à l'aulne de nos connaissances actuelles, une lèpre dont on pensait qu'elle était héréditaire, créant ainsi des familles entières de parias vivant en dehors des quartiers "sains", affectés à certains corps de métier, comme les métiers du bois - A retrouver ou découvrir en particulier dans l'univers des cagots du Sud-Ouest de la France: http://fr.wikipedia.org/wiki/Cagots - où l'on apprend que ces proscrits spécialisés entre autres dans la charpente avaient été appelés pour réaliser la charpente de Notre-Dame de Paris ...
Toujours est-il qu'ils devaient vivre et se marier entre eux, et avaient obligation de se signaler en portant sur leur costume un signe distinctif en forme de patte d'oie. Une constante dans nos sociétés humaines si promptes à la discrimination de l'Autre : pattes d'oies pour les lépreux et autres cagots, rouelles puis étoiles jaunes pour les juifs etc ... A signaler, dans le genre "intouchables", le fait que le contact des femmes en période de menstrues était considéré comme impur et qu'elles devaient elles aussi, dans certaines régions, partager en ces moments ce même insigne en patte d'oie des lépreux : tout ce qui touche à la nature incontrôlable des femmes est décidément suspect, et on le sait bien depuis la Tentation d'Adam et Eve - La souillure de la lèpre et la nature des femmes sont cousines germaines, et pour faire court, le port de la patte d'oie pouvait s'avérer utile en cas de cour trop pressante de ces messieurs . Dans certains récits hagiographiques des saints, l'on rencontre de jeunes vierges dédiées à Dieu et brusquement affligées de pieds lépreux pour dissuader les amoureux trop entreprenants. Une légende intéressante éclaire assez bien ce propos, celle de la Reine Pédauque (la Reine au pied d'oie): http://fr.wikipedia.org/wiki/Reine_P%C3%A9dauque
***
Cet adolescent à pattes d'oiseau: mi-animal (mais quel animal! susceptible d'envol spirituel), mi-humain, nous plonge dans un vertige proche du sacré, une chute vertigineuse dans l'inconscient collectif:
comme ici, dans cette représentation sur une tombe égyptienne de Deir El Medina du "Ba" (dans la conception de l'Egypte ancienne, l'un des sept éléments constituant chaque individu: ici, l'âme -énergie spirituelle de transformation) - en oiseau à tête humaine , symbolisant l'âme mobile du défunt.
***
Comme toujours le symbole est rarement univoque, même s'il est intimement relié à l'époque où il s'exprime. Ici ce jeune mendiant/Christ aux pattes d'oiseau est directement intégré à la Charité de St Martin, grand saint s'il en fut parmi tous les saints les plus célèbres d'Europe . La Corse possède un grand nombre de paroisses et sanctuaires très anciens dédiés à ce saint (évêque de Tours à partir de 370) , patron de l'abondance (Divizia!) , protecteur des cultures, des vignes et des troupeaux, et que l'on fête le 11 novembre, jour où l'on goûtera le vin nouveau. Ce qui en fait un saint remarquable de notre ruralité. D'autre part son rôle de missionnaire en butte à l'hérésie arienne tout au long de sa longue vie ( il meurt en 397 à plus de quatre-vingt ans) trouve encore une résonance particulière dans la Corse du V° s. alors occupée par les Vandales, ariens comme beaucoup de peuples "barbares" de l'époque. San Martinu trouve décidément sa place très tôt sur l'île :
"Le fait est que ce saint a été fort populaire en Corse, et qu'il y eut le plus grand nombre de sanctuaires, après Maria, Giovanni Battista et Pietro.
En effet, une bonne cinquantaine de sanctuaires étaient dédiés à San Martino; et parmi ces édifices quelques uns avaient été fondés dès la fin du IV° s. ou le V° s.; mais la plus grande partie d'entre eux ont été élevés au cours du haut Moyen-Âge et plusieurs ont été rebâtis dans le cours du X° s. "
Geneviève Moracchini-Mazel, in Corsica Sacra, p. 38
St Martin donnant l'exemple de cette œuvre de miséricorde envers les estropiés, exilés, malades de la vie, et en particulier envers les plus réprouvés d'entre eux: les lépreux, en gardant à l'esprit toute la portée symbolique de la charité destinée à la chair souffrante du Christ nous ferait pencher vers l'idée d'une dévotion développée ici au sein de cet hypothétique hospice d'U Rione à Omessa.
Ce mur portant cette ensemble peint à fresque appartenait-il à l'oratoire de cet hospice de fondation ancienne avant la construction présumée de l'église Sant'Andria par l'évêque Ambroggiu d'Omessa en 1460 ?
Pour ceux qui voudraient mieux connaître cette grande figure, voici l'histoire de St Martin, empruntée ici au site : http://www.saintmartindetours.eu/p/la-vie-de-saint-martin...:
voûte de l'église San Martinu di Lota
La vie de saint Martin
***
Au registre inférieur: le martyre de St Pierre
Crucifixion du Prince des Apôtres St Pierre, la tête en bas et dans un environnement citadin (ici avec une perspective tout-à-fait maîtrisée ) , en 64 sous la persécution de Néron: on raconte dans les traditions les plus anciennes qu'il passe les vingt-trois dernières années de sa vie à Rome. Après l'épisode de son évasion de la Prison Mamertine,
" Prenant la fuite de peur des persécutions, il rencontre sur la Voie Appienne le Christ, portant sa croix auquel il demande " Quo vadis, Domine?" et qui lui répond: "Je vais à Rome afin d'y être de nouveau crucifié." Pierre, honteux de sa faiblesse, retourne alors à Rome où il subit le martyre en même temps que saint Paul: mais tandis que Paul, citoyen romain, a la tête tranchée, Pierre qui n'est qu'un juif, est crucifié.
Les Pères de l'Eglise enseignaient que saint Pierre, ne voulant pas mourir de la même mort que son divin Maître, avait demandé par humilité, à être crucifié la tête en bas. "
(Louis Réau, in Iconographie de l'art chrétien, p. 1078)
Là encore cette représentation du martyre de St Pierre nous intrigue à Omessa, car San Petru n'apparait pas non plus dans la liste des Saints honorés au Moyen-Âge dans la Pieve de Talcini (cf. G.Moracchini-Mazel in: Les églises romanes de Corse, p. 329)
L'autel baroque recouvre le bas de la fresque et nous ne pouvons voir qu'une moitié du corps de St Pierre ... On ne sait ce qui sera décidé par la suite : on aimerait découvrir l'ensemble de la fresque mais ce serait fatal pour l'autel baroque ...
A côté de St Pierre, le soldat bourreau s'affaire, grimpé en équilibre instable sur son échelle. Sur la gauche, des monuments à belle perspective évoquent une Rome antique rêvée.
Sur la droite de cette scène, l'on aperçoit un étendard bien difficile à analyser ... celui de Rome ?
Une sale bestiole dragonnante à mille pattes ? Difficile d'y voir plus clair en attendant une restauration souhaitée : que sera-t-il décidé en "haut lieu" ?. En tous cas une fresque d'une très belle facture . Je suis, quant à moi, sous le charme du visage du mendiant adolescent aux pattes d'oiseau, digne d'un Piero della Francesca ...
Enfin, si vous ne les connaissez pas, découvrez les Chemins de Saint Martin en Europe:
http://viasanctimartini-france.blogspot.fr/
Je signale, à propos des Chemins de Saint Martin le très important travail fait par notre ami Christian Andreani à Patrimonio : une nouvelle aventure pour San Martinu en Corse ...
Patrimonio : A San Martinu, entre festival de la ruralité et fête ...
A suivre!
12:22 Publié dans fresques de corse, les énigmes de la fresque d'Omessa, les sept oeuvres de miséricorde, Omessa, Saint Martin | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fresque d'omessa, cagots, chemins de st martin, pieve de talcini, omessa, la lèpre | Facebook |