- C’est une situation que j’ai qualifiée de « peste végétale » parce qu’il n’y a aucun moyen de traitement, ni sur les insectes, ni sur les arbres ! A partir du moment où la bactérie atteint les arbres, la situation devient irréversible. On peut toujours tailler les branches du haut pour essayer de freiner la progression, mais, une fois que l’arbre est mort, on n’a plus d’autre choix que de le couper. C’est absolument terrifiant ! Les quatre souches de la Xylella peuvent toucher plus de 300 variétés de végétaux, des plantes ornementales jusqu’à la luzerne ! La souche, qui a été identifiée, peut infecter 39 végétaux. Avec la vigne, l’olivier, les agrumes, c’est tout le patrimoine méditerranéen qui est atteint. Du jamais vu !
- N’y-a-t-il pas eu de fléau équivalent dans le monde agricole ?
- Le seul parallèle, que l’on peut faire dans la mémoire paysanne, est l’épisode du phylloxera quand la vigne a été totalement anéantie. Là, c’est pire, vu la multiplicité des végétaux à risque ! La situation est excessivement grave.
- Que peut-on faire pour éviter le désastre ?
- Il faut agir à plusieurs niveaux. Le premier est de mettre en place une protection européenne pour blinder l’ensemble des importations des pays tiers de l’Europe. Il faut une protection et une vérification de tous les plants qui arrivent des pays à risques. Si un plan de caféier contaminé n’avait pas, dernièrement, été repéré à Rungis, on n’aurait pas su où il partait ! Tous les pays européens doivent prendre cette responsabilité collective.
- Est-ce possible ? Jusqu’à présent, la législation européenne ne le permettait pas.
- Maintenant, oui. Nous avons eu une réunion à ce sujet, il y a 15 jours. Nous en aurons une autre, la semaine prochaine, pour renforcer la mesure. Nous aurons un débat en séance plénière au Parlement européen, jeudi matin, sur la question spécifique de la Xylella. C’est pour cela que nous devons faire pression ! Ensuite, il faut agir autour de la zone des Pouilles pour empêcher que la bactérie évolue vers d’autres régions d’Italie ou soit exportée vers d’autres secteurs. La Corse est directement menacée, mais aussi la Sardaigne, la Sicile, la Grèce, la Toscane…
- Comment enfermer la bactérie au niveau des Pouilles ?
- C’est très difficile, d’une complexité folle ! Les insectes volent, rentrent dans les camions, les voitures… Comme ils sont polyphages, on ne sait pas, aujourd’hui, les neutraliser. Les insecticides ne servent à rien ! Les autorités italiennes ont déjà dépensé de l’argent et tenté de mettre des zones tampons, mais la bactérie avance et atteint de nouveaux foyers. L’Italie doit aller beaucoup plus loin dans la protection.
- Que peut-on faire pour protéger la Corse ?
- Il faut protéger un territoire comme la Corse qui a l’avantage d’être une île. Théoriquement, ce que l’on est capable de faire sur une île comme l’Australie, qui interdit toute entrée de végétaux, peut être fait en Corse qui est une passoire ! Cette semaine encore, des vendeurs de plants d’oliviers ou d’autres végétaux, venant d’Italie, ont été repérés sur les bords des routes. Les vendeurs ont nié la provenance, mais l’administration a identifié les plants. Des gros oliviers sont arrivés, récemment, par bateau dans le port de Bastia… Aujourd’hui, la protection de la Corse n’est pas assurée ! Les autorités préfectorales doivent assumer leurs responsabilités.
- C’est-à-dire ?
- Il faut verrouiller les entrées ! Ne garder qu’un seul port d’entrée pour les végétaux, si on n’est pas capable de surveiller tous les ports. Et, détruire tous les végétaux qui arrivent ailleurs. Avec la saison touristique, il faudra, aussi, sur les ferries, renforcer les contrôles des importations et informer en amont les passagers qui transportent, en toute bonne foi, des plantes. Ces mesures sont une urgence absolue ! Si elles ne sont pas prises, le risque est inqualifiable !
- Est-on sûr que la bactérie n’est pas présente en Corse ?
- On n’est jamais sûr à 100% car le virus peut-être dormant. Les analyses menées jusqu’à présent n’ont repéré aucune présence de la Xylella sur l’île. Aucun foyer n’a été détecté. C’est, quand même, un espoir pour la Corse. Même si la présence de la Xylella se vérifiait, il faut, de toute façon, fermer l’île aux importations ! Ensuite, changer radicalement le système des pépinières et tester, comme l’a dit Enzo Manni, la résistance des variétés. Si des souches sont identifiées, leur multiplication doit se faire en milieu confiné.
- De quelle manière ?
- Il faut bannir les pépinières à ciel ouvert ! Et opter pour des pépinières en serre à double porte où les plants seront en milieu isolé. L’idée est de reconstruire un capital végétal de substitution. Depuis l’attaque sur les orangers et une autre maladie, le Brésil, depuis 1993, a voté une loi qui interdit toute pépinière en plein air. Il faut mettre ce système en place dans tous les territoires qui possèdent ces variétés à risque, cela relève, à la fois, de la responsabilité de l’Union européenne et des Etats. Il faut agir en amont, avant que la catastrophe n’arrive !
- Le gouvernement est-il conscient de l’urgence ?
- J’ai alerté, deux ou trois fois par semaine, les autorités sur la xylella. La prise de conscience existe. La réunion d’il y a 15 jours, lors de la fête de l’olive, a été un autre moment d’interpellation. Maintenant, il faut prendre des mesures qui ne sont pas sympathiques ! Il faut rigoureusement interdire d’importation les 39 souches à risque, sans même se demander si elles sont ou non infectées ! La seule solution est d’interdire, interdire, interdire… !
- Les agriculteurs continentaux ont-ils pris la mesure du problème ?
- J’ai alerté les viticulteurs et les oléiculteurs languedociens. J’ai rencontré les gens qui siègent à Bruxelles et dans les instances professionnelles. Aujourd’hui, ils ont compris qu’il y a un vrai danger, même si la souche de la Xylella n’est pas celle de Californie ou de Floride qui touche la vigne. Mais, le risque est là ! Nous sommes en train d’avancer et d’alerter pour que l’Europe ne traite pas ce problème comme un petit phénomène, mais comme la crise végétale majeure !
- Avez-vous le sentiment qu’elle est prête à le faire ?
- Le fait d’avoir un débat en plénière sur le sujet prouve que le Parlement européen a déjà pris le niveau de l’enjeu. La Commission européenne a fait une réunion technique et en fera une deuxième, lundi et mardi. Les choses bougent sous la pression. Il faut continuer à mettre cette pression sur les instances dirigeantes, que ce soit l’Europe ou les Etats. Il ne faut pas céder ! En Corse, le Préfet de région doit aller beaucoup plus loin. Son travail en termes de brochure d’information est honnête, mais il faudrait les distribuer, par exemple, à tous les passagers qui descendent des avions. Il faudrait des panneaux d’information dans les aéroports. Sans quoi, comment les gens vont-ils savoir ? Les médias en parlent. La prise de conscience est là. Maintenant, il faut des mesures concrètes !
- Combien de temps faudrait-il pour mettre en place ces mesures ?
- Le contrôle des ports ou le blocus peut se faire, tout de suite, par un arrêté préfectoral. La France peut prendre des mesures supplémentaires, plus fortes que les premières préconisations de l’Europe. Il lui suffit de les signaler à Bruxelles. A la suite d’une question écrite que j’ai posée, le commissaire européen a répondu que l’Europe étudie les mesures qu’elle doit prendre, mais que chaque Etat est libre, dans l’attente, de prendre les mesures qu’il veut. Aujourd’hui, l’Etat français peut décider de mettre la Corse sous protection.
- Que pensez-vous du refus de Ségolène Royal, ministre de l’environnement, en visite, dans une exploitation voisine, de rencontrer le Collectif Xylella ?
- Elle va répondre : « Je suis ministre de l’environnement, ce n’est pas mon sujet ». Je pense que cette question est la plus grave pour la Corse. Il est, donc, de la responsabilité de la ministre de l’Environnement de la prendre en considération et d’appuyer la demande unanime de tous les professionnels du monde agricole et des élus de la Corse. Ce serait important qu’elle transmette à son gouvernement le risque majeur qui existe.
- Vous êtes un vieux routier du militantisme paysan. Pensez-vous, vraiment, que le gouvernement fera, cette fois-ci, ce qu’il faut ?
- J’ai dit très clairement aux autorités qu’il fallait qu’elles fassent très attention parce que la patience a, parfois, des limites. Si des mesures concrètes ne sont pas prises immédiatement, les gens peuvent, très bien, les prendre eux-mêmes ! Je comprendrais très bien qu’un contrôle citoyen se mette en place avec les conséquences induites. Si les autorités ne veulent pas le bordel, c’est à elles d’assumer cette responsabilité !
Propos recueillis par Nicole Mari.