24/06/2015
Chapelle san Pantaleu di Gavignanu: regards.
A l'occasion de la prochaine visite en compagnie du Conservatoire d'espaces naturels
(www.cen-corse.org), ce dimanche 28 Juin, je réédite cette note ancienne : elle témoigne de ces belles fresques de San Pantaleu avant leur restauration récente par l'atelier du Gruppo Giartosio.
A la rencontre des visages de la chapelle
san Pantaleu di Gavignanu,
Pieve du Rustinu.
Cette modeste chapelle environnée d'un cimetière anarchique va faire l'objet d'une restauration dans l'année à venir: le ruissellement des eaux a eu le temps de dégrader une partie de cet ensemble de fresques de la fin du XV° siècle qui nous offre pourtant encore de bien belles émotions.
Voici quelques regards croisés - et aimés - ici. Grands yeux habités d'une pensée intérieure et d'une sorte d'innocence qui nous touche.
San Pantaleone
Tout d'abord le saint patron de cette chapelle: san Pantaleu, saint Pantaléon de Nicomédie, un saint Médecin Anargyre ( comme ses collègues saints Cosme et Damien), c'est-à-dire qui refuse tout salaire pour l'amour du Christ . IL aurait soigné l'empereur Galère Maximien et fait partie des Quatorze intercesseurs. Il exerçait son art à Nicomédie en Bithynie, et aurait été martyrisé en 305 : un martyre riche de sept supplices ( dont la roue dentelée, comme Sainte Catherine aux côtés de laquelle il est représenté). Son martyre s'achève par une décollation mémorable: de son cou jaillit du lait mêlé de sang, ce qui en fait un saint patron non seulement des médecins et des sages-femmes, mais aussi des nourrices ...
A ses pieds le donateur tonsuré, saisi dans sa fervente prière adressée au saint patron de la chapelle...
Comme dit ma petite fille de deux ans:" même pas peur!"
Représentés côte à côte sur le piédroit à droite de l'arc, ces deux saints martyrisés pour leur foi arborent leurs attributs: Pantaleone, coiffé d'un bonnet rouge, avec les outils de son art, ici plus précisément un instrument de chirurgie, Catherine avec la roue de son supplice, le Livre saint qu'elle proclame et la palme du martyre.
Il serait intéressant de comprendre le choix de cette dévotion à San Pantaleu à Gavignanu: elle signifie, je suppose, le désir d'être protégé de la maladie (on l'invoquait contre la consomption et le mal de tête), et peut-être la présence de médecins dans le Rustinu ? Toujours est-il que ce culte oriental s'est diffusé depuis le monde byzantin vers Venise où, nous dit Louis Réau dans son Iconographie de l'Art Chrétien, "le prénom de Pantaleone était si répandu qu'il a fini par désigner le personnage de la Comédie italienne incarnant le Vénitien. Par un curieux enchaînement sémantique, pantalon, qui était à l'origine un nom de saint, s'est appliqué à un personnage de comédie "vestu en Pantalon" pour désigner finalement une paire de hauts-de-chausses."
Pantalon, ajoute Réau, qui sera adopté par les Jacobins sous la Révolution, laissant la culotte courte aux aristocrates ...
Le culte de notre saint Pantalon/Pantaleone/Pantaleu était très populaire en Sardaigne. Il est arrivé en Corse - on ne sait quand - peut-être en même temps que celui des saints Cosme et Damien .Geneviève Moracchini-Mazel signale dans sa Corsica Sacra qu'une demie douzaine de sanctuaires portaient son nom et deux églises paroissiales (Barretali et Altagène). Pour Gavignano elle évoque le passé ancien de cette chapelle qui "paraît avoir conservé en partie une "muratura" préromane, assez difficile à observer sous les crépis aujourd'hui. Des transformations attribuables au XI° s et des réparations ultérieures sont visibles sur ce monument, mais l'abside pourrait remonter jusqu'aux VI° ou VII°s." (p.32, in Corsica Sacra).
Et de l'autre côté de l'abside:
Côte à côte sur le piédroit à gauche de l'arc, San Michele et San Francescu.
Le visage impassible du blond saint Michel Archange. Ce représentant de l'ordre (n'est-il pas le grand Général en chef des Milices célestes ) serait-il génois?
... et celui, juvénile et mystique, de saint François, le regard tourné vers l'intérieur :
Saint Michel Archange, comme à l'accoutumée, pèse les âmes. Sa cuirasse porte comme un étendard la Croix rouge sur fond blanc, dite Croix de Saint Georges, emblême de la ville de Gênes: il fait autorité, annonce le jugement et la loi.
Saint François, à ses côtés, partage et souffre la Passion du Christ de ses stigmates ruisselants de sang. Faut-il le redire? La pastorale franciscaine agit en Corse dès les premières générations du monde franciscain: à côté de l'inquiétante pesée des âmes, le message de l'espoir et de la rédemption.
Dans la voûte de l'abside en cul de four, le Christ Pantocrator entouré du Tétramorphe (le Taureau de Luc, et le Lion de Marc sont encore bien lisibles, l'ange de Mathieu et l'aigle de Jean, beaucoup moins) . Hélas la dégradation de la fresque a effacé le visage du Christ, comme elle a fait disparaître ce qui devait être une scène de l'Annonciation dans les écoinçons de l'arc triomphal. Reste le traditionnel livre ouvert: "EGO SUM LUX MUNDI ET VIAVERITAS".
Sous ses pieds, les Saints Apôtres: en voici quelques portraits, de profil, de trois quart, de face, ils sont bien là, souvent barbus, vieux ou jeunes, pas toujours identifiables - beaucoup d'inscriptions se sont effacées - mais toujours bien présents ...
San Taddeus
droit dans les yeux
un saint à sa droite
San Felipus
Muni d'un bourdon et d'un sac ... Saint Jacques Majeur
le jeune saint à droite du précédent
le visage ardent Saint Pierre
le saint voisin de Pierre
Sant Andreu
le saint vieillard à droite d'André
le visage mort de san Bartolomeu ( image inversée ...)
le visage vivant San Bartolomeu: regard incisif. Impressionnant.
Apôtres en conversation: regards si humains de ces grands yeux ouverts dans une muette communication.
Les couleurs chaudes ou froides, lumineuses, harmonieusement contrastées, renforcent le climat animé de cette série des apôtres représentés sur fond de tentures de velours décorées d'arabesques.
On attend avec impatience la restauration de ce bel ensemble mis à jour par les Monuments Historiques en 1970.
(à suivre)
San Bartolomeu (saint Barthélémy) écorché vif, le regard incisif. Impressionnant.
San Barto, comme nous le nommons affectueusement, portant sa peau sur l'épaule comme d'autres leur serviette de bain... A sa gauche le profil du jeune Saint Jean Evangéliste tenant le livre ouvert de son Evangile semble s'adresser à Barthélémy:
( L'artiste a représenté le jeune Evangéliste Jean d'une façon particulièrement vivante, la bouche ouverte sur la Parole.)
J'ai pris ces photos lors de ma dernière visite avec des amis dans le Rustinu le 30 septembre 2010.
(Chapelle décrite par Joseph Orsolini dans : L'Art de la fresque en Corse de 1450 à1520 édité par le Parc Naturel de la Corse)
Santa Catarina
A leur gauche, Sainte Catherine d'Alexandrie, fille du roi Costos, belle, dans la fraîcheur de ses 18 ans, riche d'intelligence, de connaissances (arts, poésie, sciences, philosophie ...) et de spiritualité, bref exceptionnellement dotée, droite et ferme en ses convictions: au bout du chemin, le martyre. Sa Passion coûte cher aux philosophes païens envoyés par l'empereur Maxence pour disputer avec elle: convertis et illico brûlés vifs. Bref une sainte redoutable qui entraîne l'adhésion et finit décapitée après être passée par le supplice de la route dentée ...
Entre-temps, cette autre visite faite en cours de restauration:
http://elizabethpardon.hautetfort.com/archive/2012/05/28/gavignano-des-nouvelles-de-la-restauration-en-cours-de-san-p.html
15:57 Publié dans découverte du patrimoine en Corse, fresques de corse, patrimoine des chapelles à fresques en Corse | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : rustinu, castagniccia, fresques de gavignano, san pantaleone, pantalon, saint barthélémy | Facebook |