24/06/2015
Chapelle san Pantaleu di Gavignanu: regards.
A l'occasion de la prochaine visite en compagnie du Conservatoire d'espaces naturels
(www.cen-corse.org), ce dimanche 28 Juin, je réédite cette note ancienne : elle témoigne de ces belles fresques de San Pantaleu avant leur restauration récente par l'atelier du Gruppo Giartosio.
A la rencontre des visages de la chapelle
san Pantaleu di Gavignanu,
Pieve du Rustinu.
Cette modeste chapelle environnée d'un cimetière anarchique va faire l'objet d'une restauration dans l'année à venir: le ruissellement des eaux a eu le temps de dégrader une partie de cet ensemble de fresques de la fin du XV° siècle qui nous offre pourtant encore de bien belles émotions.
Voici quelques regards croisés - et aimés - ici. Grands yeux habités d'une pensée intérieure et d'une sorte d'innocence qui nous touche.
San Pantaleone
Tout d'abord le saint patron de cette chapelle: san Pantaleu, saint Pantaléon de Nicomédie, un saint Médecin Anargyre ( comme ses collègues saints Cosme et Damien), c'est-à-dire qui refuse tout salaire pour l'amour du Christ . IL aurait soigné l'empereur Galère Maximien et fait partie des Quatorze intercesseurs. Il exerçait son art à Nicomédie en Bithynie, et aurait été martyrisé en 305 : un martyre riche de sept supplices ( dont la roue dentelée, comme Sainte Catherine aux côtés de laquelle il est représenté). Son martyre s'achève par une décollation mémorable: de son cou jaillit du lait mêlé de sang, ce qui en fait un saint patron non seulement des médecins et des sages-femmes, mais aussi des nourrices ...
A ses pieds le donateur tonsuré, saisi dans sa fervente prière adressée au saint patron de la chapelle...
Comme dit ma petite fille de deux ans:" même pas peur!"
Représentés côte à côte sur le piédroit à droite de l'arc, ces deux saints martyrisés pour leur foi arborent leurs attributs: Pantaleone, coiffé d'un bonnet rouge, avec les outils de son art, ici plus précisément un instrument de chirurgie, Catherine avec la roue de son supplice, le Livre saint qu'elle proclame et la palme du martyre.
Il serait intéressant de comprendre le choix de cette dévotion à San Pantaleu à Gavignanu: elle signifie, je suppose, le désir d'être protégé de la maladie (on l'invoquait contre la consomption et le mal de tête), et peut-être la présence de médecins dans le Rustinu ? Toujours est-il que ce culte oriental s'est diffusé depuis le monde byzantin vers Venise où, nous dit Louis Réau dans son Iconographie de l'Art Chrétien, "le prénom de Pantaleone était si répandu qu'il a fini par désigner le personnage de la Comédie italienne incarnant le Vénitien. Par un curieux enchaînement sémantique, pantalon, qui était à l'origine un nom de saint, s'est appliqué à un personnage de comédie "vestu en Pantalon" pour désigner finalement une paire de hauts-de-chausses."
Pantalon, ajoute Réau, qui sera adopté par les Jacobins sous la Révolution, laissant la culotte courte aux aristocrates ...
Le culte de notre saint Pantalon/Pantaleone/Pantaleu était très populaire en Sardaigne. Il est arrivé en Corse - on ne sait quand - peut-être en même temps que celui des saints Cosme et Damien .Geneviève Moracchini-Mazel signale dans sa Corsica Sacra qu'une demie douzaine de sanctuaires portaient son nom et deux églises paroissiales (Barretali et Altagène). Pour Gavignano elle évoque le passé ancien de cette chapelle qui "paraît avoir conservé en partie une "muratura" préromane, assez difficile à observer sous les crépis aujourd'hui. Des transformations attribuables au XI° s et des réparations ultérieures sont visibles sur ce monument, mais l'abside pourrait remonter jusqu'aux VI° ou VII°s." (p.32, in Corsica Sacra).
Et de l'autre côté de l'abside:
Côte à côte sur le piédroit à gauche de l'arc, San Michele et San Francescu.
Le visage impassible du blond saint Michel Archange. Ce représentant de l'ordre (n'est-il pas le grand Général en chef des Milices célestes ) serait-il génois?
... et celui, juvénile et mystique, de saint François, le regard tourné vers l'intérieur :
Saint Michel Archange, comme à l'accoutumée, pèse les âmes. Sa cuirasse porte comme un étendard la Croix rouge sur fond blanc, dite Croix de Saint Georges, emblême de la ville de Gênes: il fait autorité, annonce le jugement et la loi.
Saint François, à ses côtés, partage et souffre la Passion du Christ de ses stigmates ruisselants de sang. Faut-il le redire? La pastorale franciscaine agit en Corse dès les premières générations du monde franciscain: à côté de l'inquiétante pesée des âmes, le message de l'espoir et de la rédemption.
Dans la voûte de l'abside en cul de four, le Christ Pantocrator entouré du Tétramorphe (le Taureau de Luc, et le Lion de Marc sont encore bien lisibles, l'ange de Mathieu et l'aigle de Jean, beaucoup moins) . Hélas la dégradation de la fresque a effacé le visage du Christ, comme elle a fait disparaître ce qui devait être une scène de l'Annonciation dans les écoinçons de l'arc triomphal. Reste le traditionnel livre ouvert: "EGO SUM LUX MUNDI ET VIAVERITAS".
Sous ses pieds, les Saints Apôtres: en voici quelques portraits, de profil, de trois quart, de face, ils sont bien là, souvent barbus, vieux ou jeunes, pas toujours identifiables - beaucoup d'inscriptions se sont effacées - mais toujours bien présents ...
San Taddeus
droit dans les yeux
un saint à sa droite
San Felipus
Muni d'un bourdon et d'un sac ... Saint Jacques Majeur
le jeune saint à droite du précédent
le visage ardent Saint Pierre
le saint voisin de Pierre
Sant Andreu
le saint vieillard à droite d'André
le visage mort de san Bartolomeu ( image inversée ...)
le visage vivant San Bartolomeu: regard incisif. Impressionnant.
Apôtres en conversation: regards si humains de ces grands yeux ouverts dans une muette communication.
Les couleurs chaudes ou froides, lumineuses, harmonieusement contrastées, renforcent le climat animé de cette série des apôtres représentés sur fond de tentures de velours décorées d'arabesques.
On attend avec impatience la restauration de ce bel ensemble mis à jour par les Monuments Historiques en 1970.
(à suivre)
San Bartolomeu (saint Barthélémy) écorché vif, le regard incisif. Impressionnant.
San Barto, comme nous le nommons affectueusement, portant sa peau sur l'épaule comme d'autres leur serviette de bain... A sa gauche le profil du jeune Saint Jean Evangéliste tenant le livre ouvert de son Evangile semble s'adresser à Barthélémy:
( L'artiste a représenté le jeune Evangéliste Jean d'une façon particulièrement vivante, la bouche ouverte sur la Parole.)
J'ai pris ces photos lors de ma dernière visite avec des amis dans le Rustinu le 30 septembre 2010.
(Chapelle décrite par Joseph Orsolini dans : L'Art de la fresque en Corse de 1450 à1520 édité par le Parc Naturel de la Corse)
Santa Catarina
A leur gauche, Sainte Catherine d'Alexandrie, fille du roi Costos, belle, dans la fraîcheur de ses 18 ans, riche d'intelligence, de connaissances (arts, poésie, sciences, philosophie ...) et de spiritualité, bref exceptionnellement dotée, droite et ferme en ses convictions: au bout du chemin, le martyre. Sa Passion coûte cher aux philosophes païens envoyés par l'empereur Maxence pour disputer avec elle: convertis et illico brûlés vifs. Bref une sainte redoutable qui entraîne l'adhésion et finit décapitée après être passée par le supplice de la route dentée ...
Entre-temps, cette autre visite faite en cours de restauration:
http://elizabethpardon.hautetfort.com/archive/2012/05/28/gavignano-des-nouvelles-de-la-restauration-en-cours-de-san-p.html
15:57 Publié dans découverte du patrimoine en Corse, fresques de corse, patrimoine des chapelles à fresques en Corse | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : rustinu, castagniccia, fresques de gavignano, san pantaleone, pantalon, saint barthélémy | Facebook |
05/06/2015
Une journée en Castagniccia, Ghjuvellina et Cortenais avec la Montagne des Orgues: lundi 8 juin 2015
Le prochain parcours de la Montagne des Orgues:
LUNDI 8 JUIN 2015
une journée en CASTAGNICCIA, GHJUVELLINA et CORTENAIS
![]()
(à San Chirgu de Cambia)
Accueil à 9 h sur le parking du Super-U de Ponte Leccia,
puis découverte de Cambia et des fresques de la chapelle San Chirgu et du monde préhistorique de cette région avec le menhir ("stantara") de Santa Maria
et la "Petra Frisgiata" (gravures rupestres), puis Piedigriggio (et son petit orgue anonyme), Castiglione, Corte : la route sinue hors des grands axes routiers sous les Aiguilles de Rundinaghja,
(Castiglione et ses aiguilles ...)
une région de montagne âpre, minérale, où l’on découvrira la vitalité de ses villages accrochés au rocher et ses petites églises aux décors naïfs qui n’engendrent pas la mélancolie ! Notons que l’orgue historique ( J.C. Werle 1760 ) de l’église paroissiale de l’Annunziata de Corte est l’un des plus beaux de Corse.
La journée se termine sur le mélancolique site préroman de San Giovanni : où la légende croise l’histoire …
Renseignements et réservations : 04 95 61 34 85 / 06 17 94 70 72
e mail : elizabethpardon@orange.fr
(à San Chirgu de Cambia: mais quelle histoire!)
à bientôt!
10:22 Publié dans actualité des parcours de la Montagne des orgues, chapelles romanes corses, fresques de corse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cambia, corte, piedigrisgiu, castiglione | Facebook |
30/05/2015
Une journée de découverte des chapelles à fresques du Boziu
avec l'Association Saladini
JEUDI 4 JUIN 2015
(Sermanu, le beau visage ardent de St Jean-Baptiste)
une journée de découverte des
chapelles à fresques et églises baroques des pièves de Talcini, du Boziu et du Mercuriu:
Accueil à 9h à Ponte–Leccia sur le parking du Super-U
- Prévoir son pique-nique
Renseignements : 06 17 94 70 72/ 04 95 61 34 85
Castirla, le Christ Pantocrator
L'occasion de rencontrer, par d'étroites petites routes de montagne cette région attachante et richissime d'histoire et de patrimoine.
Au programme de cette journée, le matin : la chapelle San Michele à Castirla (décor fin XV°),
- voir la note:
Castirla: Cappella San Michele, Pieve de Talcini - elizabeth ...
elizabethpardon.hautetfort.com/.../10/.../castirla-cappella-san-michele.ht...
Puis petit concert sur le magnifique orgue Werle de l’église paroissiale de Corté,
suivi d’un pique-nique sur le site archéologique de San Giovanni Battista, piévanie de Venaco.
L’après-midi sera consacrée aux chapelles du Boziu avec Santa Maria Assunta de Favalellu (décor fin XV°)
- voir la note:
favalellu : ELIZABETH PARDON
elizabethpardon.hautetfort.com/tag/favalellu
(Favallelu, Saint Matthieu)
puis, en passant par Alando,
sans oublier de saluer l'illustre Sambucuccio d'Alando!
et par Bustanico
et le surprenant décor peint par Gherardo Gherardi (vers 1863)
San Nicolau de Sermanu, (décor entre 1450 et 1458)
- voir la note ancienne:
à la rencontre des fresques de Sermanu... - elizabeth pardon
elizabethpardon.hautetfort.com/.../a-la-rencontre-des-fresques-de-serman..
Sermanu, San Nicolau
enfin de l’église baroque San Bernardinu de Tralunca
(détail des Âmes du Purgatoire à Tralunca)
...
16:32 Publié dans actualité des parcours de la Montagne des orgues, fresques de corse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : castirla, corte, favalellu, bustanico, sermanu, tralunca | Facebook |
15/05/2015
Entre Cambia et Corte, la Montagne des Orgues lundi 18 mai 2015
Le prochain parcours de la Montagne des Orgues:
LUNDI 18 MAI 2015
une journée en CASTAGNICCIA, GHJUVELLINA et CORTENAIS
(Sainte Julitte à San Chirgu de Cambia)
Accueil à 9 h sur le parking du Super-U de Ponte Leccia,
puis découverte de Cambia et des fresques de la chapelle San Chirgu et du monde préhistorique de cette région avec le menhir ("stantara") de Santa Maria
et la "Petra Frisgiata" (gravures rupestres), puis Piedigriggio (et son petit orgue anonyme), Castiglione, Corte : la route sinue hors des grands axes routiers sous les Aiguilles de Rundinaghja,
une région de montagne âpre, minérale, où l’on découvrira la vitalité de ses villages accrochés au rocher et ses petites églises aux décors naïfs qui n’engendrent pas la mélancolie ! Notons que l’orgue historique ( J.C. Werle 1760 ) de l’église paroissiale de l’Annunziata de Corte est l’un des plus beaux de Corse.
La journée se termine sur le mélancolique site préroman de San Giovanni : où la légende croise l’histoire …
Renseignements et réservations : 04 95 61 34 85 / 06 17 94 70 72
e mail : elizabethpardon@orange.fr
à bientôt!
10:22 Publié dans actualité des parcours de la Montagne des orgues, Castagniccia, chapelles romanes corses, fresques de corse, orgues historiques de Corse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cambia, piedigriggio, castiglione, corte | Facebook |
15/02/2015
les énigmes de la fresque d'Omessa
Les énigmes de la fresque découvertes en novembre 2014 dans l'église Sant' Andria d'Omessa
Pieve de Talcini
( dernière visite le 9/2/2015)
Omessa, Quartier du Rione et l'église Sant'Andria
" C'est l'église paroissiale actuelle. La description de Mgr Mascardi confirme que ce n'était pas une église de fondation ancienne avec un style roman traditionnel; cette indication est en accord avec la tradition orale et certains auteurs qui rapportent que cette église est un ancien hôpital transformé en église en 1460 par Ambrogio d'Omessa, évêque d'Aleria. Du temps de Mgr Mascardi, "elle avait trois nefs, mais les collatéraux étaient un peu étroits ... un toit en charpente ... trois portes; un campanile en forme d'arcade avec deux cloches ..." ( Geneviève Moracchini-Mazel: Les Eglises Romanes de Corse - 1967)
Ambroggio d'Omessa évêque d'Aleria entre 1412 et 1466, aurait donc aurait donc, en 1460, transformé un ancien hospice fortifié "U Rione" en église ( le quartier historique actuel de l'église San'Andria a du reste gardé ce nom) .
Article de Corse-Matin du 14/12/2014
L'église fait toujours l'objet d'une restauration depuis octobre 2014, et l'on a confié à l'atelier de notre amie Ewa Poli le soin des décors peints. C'est en travaillant sur l'autel baroque latéral du Rosaire, après l'enlèvement de la toile, que furent découvertes en novembre quelques traces peintes qui ont attisé la curiosité des restaurateurs. Et après un délicat dégagement, divine surprise! est apparue une fresque d'une grande beauté malgré ses lacunes, révélée après des siècles de sommeil sous un emplâtre de chaux, "dans son jus", vierge de tout repeint, ce qui en fait un cas particulièrement intéressant ...
L'autel construit à l'époque baroque a été plaqué contre ce mur peint à fresque (XV° s.? les analyses souhaitables pourraient nous conforter ou non dans cette datation), -ce qui pose aujourd'hui un dilemme de taille, car une partie de la fresque dort encore sous l'ensemble architecturé de l'autel ... (on connait le même problème dans la chapelle de San Chirgu à Cambia, ou les deux ailes du petit autel baroque avaient été plaquées contre les pied-droits peints à fresque au XV°s.).
Deux espaces se superposent: à l'étage supérieur l'on devine la Charité de St Martin, et à l'étage inférieur, c'est le martyre de St Pierre, crucifié, selon les Actes apocryphes, la tête en bas et les pieds vers le ciel.
La Charité de St Martin:
« Tout ce que vous ferez à l'un de ces petits,
c'est à moi que vous le ferez».
Entre les pattes d'un cheval blanc, un adolescent grelottant reçoit la moitié de la chlamyde (manteau de légionnaire romain) de St Martin, dont on ne voit qu'une main mais ni le corps ni le visage, sans doute encore cachés sous les stucs baroques.
L'enfant nu s'enveloppe dans l'étoffe que la main visible du bon St Martin
du haut de son cheval semble trancher avec son épée.
Une tignasse rousse ébouriffée sur un doux visage fissuré, innocent,
bouche ouverte d'étonnement ... Bouleversant!
A mi-corps un trou béant dans le mur interrompt le corps de l'enfant qui reprend plus bas au niveau des genoux et nous réserve cette incroyable surprise:
à la place des pieds , deux fragiles pattes d'oiseau aux longs doigts humains:
il semble bien que l'artiste ait voulu évoquer ici un lépreux, l'un de ces "Pauperes Christi", "Pauperes Sancti Lazari" , pauvres d'entre les pauvres, les pauvres du Christ, de Saint Lazare, la lèpre rongeant la chair des pieds.
" Martin, qui n'est encore que catéchumène, m'a donné ce manteau" (Martinus, adhuc catechumenus, hac me veste contexit). Le jeune mendiant lépreux, c'est le Christ lui-même. A cette représentation de la Charité de St Martin, épisode célèbre et populaire de sa légende qui se déroule aux portes d'Amiens, se mêle un autre épisode où St Martin, à Paris, guérit un lépreux d'un baiser:
Cette "œuvre de miséricorde" envers un être mutilé dans son humanité, abject et puant, est à rapprocher d'une autre rencontre avec les lépreux, celle du Poverello St François d'Assise, si décisive pour sa conversion:
« Le Seigneur me donna ainsi à moi, frère François, de commencer à faire pénitence : lorsque j’étais dans les péchés, il me semblait extrêmement amer de voir des lépreux. Et le Seigneur lui-même me conduisit parmi eux et je leur fis miséricorde. Et en m’en allant de chez eux, ce qui me semblait amer fut changé pour moi en douceur de l’âme et du corps ; et après cela, je ne restait que peu de temps et je sortis du siècle. Et le Seigneur me donna une telle foi dans les églises que je priais simplement et disais : « Nous t’adorons, Seigneur Jésus-Christ, et dans toutes tes églises qui sont dans le monde entier, et nous te bénissons, parce que par ta sainte croix tu as racheté le monde » ( Testament de St François d'Assise).
Œuvre de charité qui transforme celui qui donne le baiser tout autant que celui qui le reçoit.
Le monde des lépreux est longtemps resté dramatiquement stigmatisé par les populations "saines", un monde d'indésirables et d'exclus, dont on redoutait et fuyait le contact malodorant et la vue insupportable, comme un reflet de sa propre humanité irréversiblement déchue . Dans de nombreuses régions les lépreux vivaient à part des vivants, car on les considérait comme déjà morts et extrêmement contagieux, même lorsqu'il s'agissait de ce que l'on nommait la "lèpre blanche", forme infiniment moins dangereuse que la terrible "lèpre rouge" à l'issue fatale.
Quoi qu'il en soit de la réalité médicale à l'aulne de nos connaissances actuelles, une lèpre dont on pensait qu'elle était héréditaire, créant ainsi des familles entières de parias vivant en dehors des quartiers "sains", affectés à certains corps de métier, comme les métiers du bois - A retrouver ou découvrir en particulier dans l'univers des cagots du Sud-Ouest de la France: http://fr.wikipedia.org/wiki/Cagots - où l'on apprend que ces proscrits spécialisés entre autres dans la charpente avaient été appelés pour réaliser la charpente de Notre-Dame de Paris ...
Toujours est-il qu'ils devaient vivre et se marier entre eux, et avaient obligation de se signaler en portant sur leur costume un signe distinctif en forme de patte d'oie. Une constante dans nos sociétés humaines si promptes à la discrimination de l'Autre : pattes d'oies pour les lépreux et autres cagots, rouelles puis étoiles jaunes pour les juifs etc ... A signaler, dans le genre "intouchables", le fait que le contact des femmes en période de menstrues était considéré comme impur et qu'elles devaient elles aussi, dans certaines régions, partager en ces moments ce même insigne en patte d'oie des lépreux : tout ce qui touche à la nature incontrôlable des femmes est décidément suspect, et on le sait bien depuis la Tentation d'Adam et Eve - La souillure de la lèpre et la nature des femmes sont cousines germaines, et pour faire court, le port de la patte d'oie pouvait s'avérer utile en cas de cour trop pressante de ces messieurs . Dans certains récits hagiographiques des saints, l'on rencontre de jeunes vierges dédiées à Dieu et brusquement affligées de pieds lépreux pour dissuader les amoureux trop entreprenants. Une légende intéressante éclaire assez bien ce propos, celle de la Reine Pédauque (la Reine au pied d'oie): http://fr.wikipedia.org/wiki/Reine_P%C3%A9dauque
***
Cet adolescent à pattes d'oiseau: mi-animal (mais quel animal! susceptible d'envol spirituel), mi-humain, nous plonge dans un vertige proche du sacré, une chute vertigineuse dans l'inconscient collectif:
comme ici, dans cette représentation sur une tombe égyptienne de Deir El Medina du "Ba" (dans la conception de l'Egypte ancienne, l'un des sept éléments constituant chaque individu: ici, l'âme -énergie spirituelle de transformation) - en oiseau à tête humaine , symbolisant l'âme mobile du défunt.
***
Comme toujours le symbole est rarement univoque, même s'il est intimement relié à l'époque où il s'exprime. Ici ce jeune mendiant/Christ aux pattes d'oiseau est directement intégré à la Charité de St Martin, grand saint s'il en fut parmi tous les saints les plus célèbres d'Europe . La Corse possède un grand nombre de paroisses et sanctuaires très anciens dédiés à ce saint (évêque de Tours à partir de 370) , patron de l'abondance (Divizia!) , protecteur des cultures, des vignes et des troupeaux, et que l'on fête le 11 novembre, jour où l'on goûtera le vin nouveau. Ce qui en fait un saint remarquable de notre ruralité. D'autre part son rôle de missionnaire en butte à l'hérésie arienne tout au long de sa longue vie ( il meurt en 397 à plus de quatre-vingt ans) trouve encore une résonance particulière dans la Corse du V° s. alors occupée par les Vandales, ariens comme beaucoup de peuples "barbares" de l'époque. San Martinu trouve décidément sa place très tôt sur l'île :
"Le fait est que ce saint a été fort populaire en Corse, et qu'il y eut le plus grand nombre de sanctuaires, après Maria, Giovanni Battista et Pietro.
En effet, une bonne cinquantaine de sanctuaires étaient dédiés à San Martino; et parmi ces édifices quelques uns avaient été fondés dès la fin du IV° s. ou le V° s.; mais la plus grande partie d'entre eux ont été élevés au cours du haut Moyen-Âge et plusieurs ont été rebâtis dans le cours du X° s. "
Geneviève Moracchini-Mazel, in Corsica Sacra, p. 38
St Martin donnant l'exemple de cette œuvre de miséricorde envers les estropiés, exilés, malades de la vie, et en particulier envers les plus réprouvés d'entre eux: les lépreux, en gardant à l'esprit toute la portée symbolique de la charité destinée à la chair souffrante du Christ nous ferait pencher vers l'idée d'une dévotion développée ici au sein de cet hypothétique hospice d'U Rione à Omessa.
Ce mur portant cette ensemble peint à fresque appartenait-il à l'oratoire de cet hospice de fondation ancienne avant la construction présumée de l'église Sant'Andria par l'évêque Ambroggiu d'Omessa en 1460 ?
Pour ceux qui voudraient mieux connaître cette grande figure, voici l'histoire de St Martin, empruntée ici au site : http://www.saintmartindetours.eu/p/la-vie-de-saint-martin...:
voûte de l'église San Martinu di Lota
La vie de saint Martin
***
Au registre inférieur: le martyre de St Pierre
Crucifixion du Prince des Apôtres St Pierre, la tête en bas et dans un environnement citadin (ici avec une perspective tout-à-fait maîtrisée ) , en 64 sous la persécution de Néron: on raconte dans les traditions les plus anciennes qu'il passe les vingt-trois dernières années de sa vie à Rome. Après l'épisode de son évasion de la Prison Mamertine,
" Prenant la fuite de peur des persécutions, il rencontre sur la Voie Appienne le Christ, portant sa croix auquel il demande " Quo vadis, Domine?" et qui lui répond: "Je vais à Rome afin d'y être de nouveau crucifié." Pierre, honteux de sa faiblesse, retourne alors à Rome où il subit le martyre en même temps que saint Paul: mais tandis que Paul, citoyen romain, a la tête tranchée, Pierre qui n'est qu'un juif, est crucifié.
Les Pères de l'Eglise enseignaient que saint Pierre, ne voulant pas mourir de la même mort que son divin Maître, avait demandé par humilité, à être crucifié la tête en bas. "
(Louis Réau, in Iconographie de l'art chrétien, p. 1078)
Là encore cette représentation du martyre de St Pierre nous intrigue à Omessa, car San Petru n'apparait pas non plus dans la liste des Saints honorés au Moyen-Âge dans la Pieve de Talcini (cf. G.Moracchini-Mazel in: Les églises romanes de Corse, p. 329)
L'autel baroque recouvre le bas de la fresque et nous ne pouvons voir qu'une moitié du corps de St Pierre ... On ne sait ce qui sera décidé par la suite : on aimerait découvrir l'ensemble de la fresque mais ce serait fatal pour l'autel baroque ...
A côté de St Pierre, le soldat bourreau s'affaire, grimpé en équilibre instable sur son échelle. Sur la gauche, des monuments à belle perspective évoquent une Rome antique rêvée.
Sur la droite de cette scène, l'on aperçoit un étendard bien difficile à analyser ... celui de Rome ?
Une sale bestiole dragonnante à mille pattes ? Difficile d'y voir plus clair en attendant une restauration souhaitée : que sera-t-il décidé en "haut lieu" ?. En tous cas une fresque d'une très belle facture . Je suis, quant à moi, sous le charme du visage du mendiant adolescent aux pattes d'oiseau, digne d'un Piero della Francesca ...
Enfin, si vous ne les connaissez pas, découvrez les Chemins de Saint Martin en Europe:
http://viasanctimartini-france.blogspot.fr/
Je signale, à propos des Chemins de Saint Martin le très important travail fait par notre ami Christian Andreani à Patrimonio : une nouvelle aventure pour San Martinu en Corse ...
Patrimonio : A San Martinu, entre festival de la ruralité et fête ...
A suivre!
12:22 Publié dans fresques de corse, les énigmes de la fresque d'Omessa, les sept oeuvres de miséricorde, Omessa, Saint Martin | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fresque d'omessa, cagots, chemins de st martin, pieve de talcini, omessa, la lèpre | Facebook |