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12/10/2008

Carrare

Visite éclair dans notre chère ville de Carrare: Pierre y va chercher son marbre et faire couler ses bronzes...

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Arrivés en fin d'après-midi. Le temps de poser la valise, puis vagabondage dans la ville du marbre...
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Jour de marché, sur la grande place de Carrare. Il fait encore bon faire ses emplettes...
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... bijoux, cristaux de roche parfumés pour favoriser la quiétude, l'euphorie, l'énergie sexuelle, combattre l'arthrose, l'apathie, l'insomnie, la déprime...
les gens repartent avec des petits sachets gras fleurant le santal, la menthe poivrée, le ginseng, le musc, la fleur d'oranger etc... peut-être que ça marche!
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Pierre devant la façade bien nettoyée du Dôme de Carrare...
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Au crépuscule toujours, Neptune, le Dôme, au fond, la montagne saignée à blanc: plainte minérale, menace et beauté au coin de la rue.
Que vous le sachiez: ce sont moins les sculpteurs qui assassinent la montagne, que les exploitants qui en tirent tous ces beaux revêtements de marbre de vos immeubles luxueux! Les gens d'ici sont inquiets de leur avenir. Il faut dire qu'on est brutalement passé - en quelques décennies- à un mode intensif d'exploitation des carrières: aujourd'hui l'outillage, comme l'armement,  va vite, chronique d'une mort annoncée. Je ne sais pas si les artistes de la Renaissance auraient été plus sages et plus économes de leur montagne blanche avec le matériel supersophistiqué de notre siècle... Là-haut, le métier est toujours aussi dangereux, la noria des camions surchargés  sur ces pentes aveuglantes en lacets me donne le vertige... La montagne, qui a sûrement une âme, doit se venger...
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En attendant, nous sommes allés dîner dans un petit restaurant qui cuisine les fruits de la mer: un repas léger, arrosé d'un petit vin blanc sec ravigotant. 
Derrière nous, une grosse dame volubile a engagé la conversation avec son voisin de table qui dîne en face de sa femme, une personne fort silencieuse et intensément occupée à manger ses langoustines. La dame bavarde, boit à petites gorgées son Coca tout en se pourléchant les doigts - elle aussi gère une assiette de coquillages, puis de moules , puis de langoustines, puis de poulpes avec des petites sauces divines - refait le monde, dans la plainte,  avec le monsieur d'à côté, très aimable et chaleureux qui abonde dans son sens, renchérit, s'exclame avec enthousiasme, compatit douloureusement un instant et repart à l'assaut de ses pinces. Autant dire qu'après avoir louché sur leurs assiettes nous faisons de même.
La grosse dame, au terme d'un monumental dessert se lève enfin et salue tout le monde: nous nous disons que le dîner en tête à tête du monsieur jovial et de sa femme muette va enfin pouvoir prendre un cours normal. Mais non: l'épouse reste enclose dans son mutisme blafard et l'époux nous adresse bien volontiers la parole pour excuser la grosse dame en pleine dépression, qui a perdu son pauvre mari , qui habite le quartier, qui vient manger ici souvent pour pouvoir parler, la pauvre, il faut comprendre,  même si c'est pour évoquer les crottes de chien sur les trottoirs et le chômage qui pointe, la solitude, à cet âge (sous-entendu la malheureuse a cessé d'être fraîche depuis un moment) c'est pas bon etc... Mais vous, d'où venez- vous ? Et c'était reparti. La Corse il connaissait, avait appris le français à l'école et nous avons fini le repas avec un échange fructueux de vocabulaire franco-italien et le verre (vino santo) de l'amitié. Sa femme achevait elle aussi son dessert avec une application silencieuse qui n'augurait aucun codicille enflammé au domicile conjugal: elle avait manifestement épuisé ce soir toutes ses ressources de plaisir... En partant poignée de main enthousiaste du mari, ectoplasmique de sa femme... A la prochaine rencontre!
 Dehors, il fait encore bien doux et les Carrarais ne sont pas pressés d'aller se coucher, d'autant qu'il y a une exposition de sculptures contemporaines dans les rues principales de la ville: les rêves des jeunes artistes libérés ou non naccrochés aux murs,déversés sur les places, néo réalistes, néo sentimentalistes, néo surréalistes, pas facile de se trouver et le marbre, il ne faut pas le louper...
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Au lever du soleil, la même rue s'éveille sous la montagne ouverte: celui qui n'a pas de poussière de marbre à ses semelles ne peut pas comprendre Carrare...
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Le marbre est partout, vigoureux.
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Comme ici, ce très beau monument à Pietro Tacca.
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une éponge, semble-t-il.
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et vigoureux aussi ce loup monstrueux sur le dôme...
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Mais avant de quitter Carrare, il nous fallait rendre visite à nos chères Cassarelle:
 dans la pénombre du Dôme, un prêtre médite son bréviaire sous une lampe trop forte dans le silence habité de cette Annonciation du XIV° siècle. Entre l'Ange Gabriel et la Vierge Marie, le vide infiltré de divin où se dit l'essentiel. Une Annonce sans appel, l'écriture déroulée,la Création en marche... Dans l'ombre, l'espace entre Gabriel et Marie est tissé de parole intérieure.
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entre eux, L'ombre muette de Dieu sur terre, présence ou absence, selon... A Gabriel l'assurance et la certitude.
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A Marie, l'incertitude, le doute, et l'acceptation
Moi?
La montagne de Carrare a donné naissance à l'un des plus beaux silences que je connaisse.
A bientôt

08/10/2008

un indice pour la colle précédente

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On les retouvera dans la note du 27 / 05 / 2008
En attendant... quelques "vacances" bien méritées. A bientôt!

05/10/2008

en attendant mieux... quelques colles!

grâce à Agnès,
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 dans quels chaudrons se mijote cette tambouille infernale?

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... où se raconte cette étrange hisoire qui se déroule là-bas?
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de quelle façade fleurant bon la nepita s'agit-il?
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Quel édifice a reçu ce décor? (moins évident...)
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où peut-on encore voir, si l'on se dépêche, ces visages fragiles?
Affectueusement et à bientôt!

28/09/2008

un écho des Journées du Patrimoine 2008

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Samedi 20 Septembre: malgré l'heure matinale (9h) et les prédictions pessimistes de quelques amis... les visiteurs étaient au rendez-vous de cette "première station" en la Collégiale Santa Maria Assunta de Speloncato. Nous avons évoqué les problématiques posées par ce patrimoine si riche de nos églises de village: pour qui devons- nous restaurer ces oeuvres laissées par la dévotion des anciens? premières interrogations sur la destinée d'un patrimoine cultuel que notre époque a tendance à détourner en patrimoine culturel.
Qu'il s'agisse des Chemins de Croix (comme celui peint par Nicolau Filippi en 1746 pour Speloncato ) ou des orgues remis en voix (oui, je sais, ce devrait être au féminin pluriel: je réserve décidément la règle aux grandes orgues qui n'existent pas dans notre paysage rural et éprouve du reste de grandes délices à jouer sur l'unique clavier de nos petits orgues...), la question se pose de savoir si, une fois restaurés, il faut précautionneusement les préserver dans la naphtaline d'un regard ou d'une écoute muséographique ou bien les remettre "dans le circuit" de
leur communauté.
Après un intermède musical à l'orgue Crudeli - celui là vit bien, malgré quelques soucis générés par des problèmes d'étanchéité du sommier qu'il faudra bien un jour ou l'autre arriver à résoudre - nous avons quitté Speloncato pour Vallica...
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...où les amis chantres des confréries de Nessa, du Ghjunsani, de Speloncato, de Muro... ont illustré par leurs chants la vitalité reconquise du Chemin de Croix de Vallica: mieux que tous les discours... Une approche inattendue pour certains, dans l'assemblée, qui découvraient en même temps la réalité actuelle des confréries de nos villages: un véritable échange qui s'est prolongé dans la convivialité pendant le pique-nique dans l'espace aménagé à cet effet par la mairie de Vallica, merci à tous! L'occasion aussi de goûter les bonnes bouteilles et les recettes  de tourtes et autres gâteaux maison: voilà une idée du patrimoine qui me convient!
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L'orgue de Vallica a servi de relais pour exposer la richesse de notre patrimoine organistique: cet instrument vénérable, dont on pense qu'il proviendrait peut-être du Petit St Roch d'Ajaccio, transféré par Antonio de Ferrari en 1885, contient quelques tuyaux de façade d'une grande finesse qui évoquent la facture d'un Lazari, au XVIII° siècle... La communauté de Vallica manifeste la volonté de faire restaurer son orgue, ce qui enrichirait d'un troisième instrument cette vallée haute du Ghjunsani (après Olmi Cappella et Pioggiola). Renaissance de l'Orgue Corse était naturellement de la partie lorsque nous avons montré par des photos l'abondance et la qualité de cet héritage en Corse...
Le reste de l'après-midi s'est déroulé à Olmi Cappella, organisé par la municipalité et l'association pour la restauration de l'église: Ewa Poli a pu, en compagnie des artistes de son atelier,  témoigner de son travail de restauration et de construction d'autels dans l'église Saint Nicolas et des difficultés rencontrées (l'humidité récurente contenue dans les murs de l'édifice continue de contrarier cette belle restauration: c'est une problématique très fréquente dans nos églises et particulièrement difficile à résoudre, surtout lorsqu'il y a des décors peints sur les murs). L'église était pleine: les habitants du village étaient au rendez-vous pour honorer le résultat de cette longue aventure de la restauration, qui continue dans les mois à venir... Appel à la générosité de tous!
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La fête s'est achevée avec un petit concert sur l'orgue restauré par Jean-François Muno et que l'on peut retrouver dans le double CD enregistré par Marie Hélène Geispieler (sur les orgues d'Olmi Cappella et de Muro). 
Dimanche 21 Septembre: la Confrérie de Speluncato accueillait ce matin-là dans leur Casazza les visiteurs du jour pour donner un aperçu de leur engagement et de leurs chants: une façon, encore une fois, de vivifier le patrimoine... J'ai mesuré avec plaisir le chemin parcouru après toutes ces années dans la réacquisition de ce patrimoine du chant religieux de Speloncato:  nous avions renoué avec ces chants à partir de 1991, date à laquelle nous avions commencé à travailler à partir des enregistrements faits juste à temps quelques années auparavant par l'abbé Squarccioni  auprès du vieux curé Colombani et de son frère , et grâce aussi aux enregistrements de 1949 réalisés à cette époque héroïque par Felix Quilici-  et cette aventure s'est concrétisée par la reconstitution de la confrérie de Speloncato. 
 Un peu plus tard, c'était le tour d'Ewa Poli qui présentait les étapes de la restauration du Chemin de Croix de Speloncato devant un auditoire attentif et questionnant...
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Aujourd'hui replacé dans l'ordre ( que de Chemins de Croix accrochés dans un ordre aléatoire comme on accrocherait de vagues reproductions dans une chambre d'hôtel!), ce Chemin de Croix sert de support aux confrères de Sant'Anton Abbate pour  leur pieuse déambulation de la Semaine Sainte...
C.Q.F.D.
En fin de matinée, les amis de l'Association Saladini offraient l'apéritif à tous les visiteurs du jour...
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L'après-midi fut consacrée à une présentation de l'orgue historique de LUMIO:
il s'agissait de faire une action de sensibilisation autour de ce très bel orgue de Luigi de FERRARI, de 1831, qui vient d'être classé M.H.,
et dont il faut faire avancer le projet de restauration.
Avec les amis Coletti, nous avions installé avant cette fin de semaine une exposition de photos des orgues de Corse évoquant cette richesse particulière sur notre île, mais aussi les problématiques liées à leur état, restaurés ou non. Ce dimanche fut donc l'occasion pour bien des habitants de Lumio de grimper à la très belle tribune ( de Fabbio Lecca, falegname de Lumio) de leur orgue, de découvrir de l'intérieur ...
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... la complexité de l'instrument (ici le clavier et l'abrégé) et l'étendue du travail à mener pour lui redonner vie. L'occasion aussi d'évoquer des souvenirs plus ou moins avouable: ah! ces chenapans de Lumio qui s'emparaient des tuyaux pour les transformer en plombs de pêche! et d'apercevoir ces savoureux graffiti qui ornent le buffet:
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(... 1894...)
Suivit un exposé-débat sur l'histoire des orgues en Corse, accompagné d'une projection de nombreuses photos des orgues de l'île, donnant un aperçu de l'extrême richesse de ce patrimoine, surtout dans le nord de la Corse... Beaucoup de questions et de discussions ont suivi au sein de l' assistance ( une cinquantaine de personnes, dont une majorité de la communauté de Lumio) démontrant, si besoin était,  toute l'utilité de cette opération. Parmi les gens les plus intéressés, le jeune Jérémie, passionné d'orgue, et futur organiste du village si l'on fait ce qu'il faut pour ressuciter l'instrument!
Bientôt une note sur l'orgue de Lumio.
Merci à Paul Giuliani et à Claude Goergen pour leurs photos!
(à suivre, donc!)

16/09/2008

la BD sainte de la Passion: Journées du Patrimoine 2008

 

Cette thématique des Chemins de Croix (et de leur restauration) étant à l'honneur pour ces Journées du Patrimoine, organisées par l'Association Saladini, j'en profite pour réactualiser cette note de Pâques... Samedi et dimanche 20 et 21 Septembre seront l'occasion, entre autres, d'entendre les chantres du Ghjunsani et de Speloncato: ils illustreront par des chants de la Semaine Sainte la vitalité de ces Chemins de Croix dans notre région.
A propos des Chemins de Croix peints en Corse.
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Ière Station: Jésus est condamné à mort.
Dans nos églises de Corse, il n’est pas rare de rencontrer ces images du Chemin de Croix, peintes à partir de la fameuse prédication de saint Leonardo da Porto Maurizio, venu sur l’île en 1744 en pleine révolte des Corses contre Gênes  et sur la demande conjointe des Corses … et de Gênes. Sa mission  avouée: prêcher la réconciliation contre la coutume de la vendetta, très meurtrière à cette époque, et d'autre part prêcher la dévotion du Chemin de Croix.

Sa mission inavouée, pour lui, le franciscain ligure d'Imperia: remettre au pas ces Corses turbulents et ingérables, les faire rentrer dans le giron de Gênes ... ce qui fait de lui une sorte d' agent-double sexagénaire très efficace sous son habit de moine. Nous reparlerons de cet évènement une autre fois, ce saint visiteur méritant d’être rencontré de plus près, tant il a marqué de son influence la dévotion populaire à l’époque : ce franciscain au verbe inspiré a développé cette vénération du Chemin de Croix en Corse, qui aujourd’hui encore se déroule dans nos églises avec une si grande ferveur, traditions et confréries à l'appui. Pour aider le peuple à vivre pleinement la Passion du Christ et "encadrer" cette dévotion, saint Leonard a encouragé la réalisation de « séries » de peintures représentant les quatorze stations du Chemin de Croix. La pédagogie par l'image, d'autant plus fortement vécue qu'elle est déambulatoire et chantée : le corps et l'esprit en mouvement.

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IIème Station: Jésus reçoit la Croix sur ses épaules.

 Le drame se met en place: acteurs, spectateurs, costumes identifiant les protagonistes...

 

peinture populaire,corse,semaine sainte,chemin de croix

 

IIIème station, Jésus tombe pour la première fois sous le poids de la croix: allez, chien, lève toi!

 

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IVème Station:Jésus rencontre sa Mère très affligée.

 La Vierge, reconnaissable à son manteau bleu, se fait bousculer par la soldatesque. Derrière elle, Marie-Madeleine tient à la main le flacon de parfum. A droite, un féroce soldat fait avancer Jésus enchainé en le fouettant. Dialogue de proximité entre la Mère et le Fils, inscrit dans un cercle de silence.

                                 

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Toujours la IVème station, ailleurs: la Vierge, pâmée, impuissante, reçoit en plein coeur la souffrance dynamique du Fils qui marche vers son destin, ployé sous le poids de la Croix: entre eux, le vide et déjà l'absence.

 

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Vème station: Simon de Cyrène aide Jésus à porter la croix


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 VI ème station: sainte Veronique, bravant le danger, se fraye un chemin entre les gardes et essuie le visage de Jésus.

Dernièrement j'ai circulé avec un passionné de tauromachie qui m'a signalé que ce geste de pieuse compassion a donné son nom à une célèbre passe : " la Véronique ", où le torero présente sa muleta face au taureau... J'avoue mon incompétence en la matière, mais je dois dire que cette remarque a fait remonter en moi un fort souvenir: c'était le mois de juin 1989, nous étions, Pierre et moi en chemin à pied vers St Jacques de Compostelle, arrêtés pour une étape à Burgos. Il y avait ce soir là une corrida dans les arênes et Pierre m'avait convaincue que c'était l'occasion ou jamais d'assister à ce genre de choses, ce qui, honnêtement, ne m'attirait franchement pas du tout et même m'angoissait d'avance. Je ne veux pas ici raconter cette expérience particulière, sinon dire la perception physique, électrique, très chaude, de la foule excitée (ce que je n'avais plus ressenti depuis mai 68), se levant comme un seul homme à certaines passes, hurlant ses insultes lorsque dans l'arène est apparu un taureau qui refusait le combat malgré les blessures et qu'il avait fallu sortir avec l'aide de ces dames génisses... Tout ce que je sais, c'est que le petit appareil photo que j'avais acheté pour cette route de saint Jacques m'a lâché là, pendant cette corrida, et que je n'ai donc pris aucune photo de notre périple, seulement dessiné et écrit chaque soir... C'était mieux comme ça.

Ce tableautin fait partie de la très belle série d'un Chemin de Croix peint par Giacomo GRANDI en 1757. Restauré par Ewa POLI.

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 Une 7ème station très méchante ! Le plus acharné, le plus grotesque et bestial ( barbaresque, bien sûr) en a perdu son froc (…et toute dignité !), mais pas son bonnet : il s'est drapé dans le manteau rouge (du Christ en dérision) qui lui cache "les parties honteuses". Les autres méchants, gardes romains à la solde du Mal, cuirasses et âmes noires, tourmentent aussi avec une rare violence le pauvre Jésus tombé sous le poids de la Croix : pourtant celui-ci, fidèle à son image, ne cesse de sourire doucement... Derrière, le spectateur enturbanné et impuissant (que nous sommes), Simon le Cyrenéen ... Choisissez vite votre camp!

(Chemin de Croix de Giacomo Grandi). 

 

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XIème Station:Jésus est cloué sur la Croix.

Dans ce tableautin d'une autre main que les précédents, le peintre semble avoir croqué quelques villageois de Castagniccia, une région réputée pour ses menuisiers (le chataîgnier y est roi: du reste je parie que la Croix a été taillée dans l'un d'eux). Regardez: le petit garçon bien dru sur ses jambes aide son papa en lui tenant gentiment le panier d'outil... Ici le pinceau de l'artiste se fait moins agressif, plus quotidien...

Ailleurs, la même scène de crucifixion, mais évoquée de façon plus violente: les "méchants" bourreaux au visage basanné (l'autre!) se contorsionnent tandis que les "bons" assistent, impuissants, et restent sobres... L'index tendu du soldat au premier plan à droite souligne l'irrémédiable exécution du décret. Derrière lui, la foule des spectateurs...

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Cette entreprise a enflammé l’imagination des peintres locaux qui ont su traduire avec force la dramaturgie de ces stations. Avec force, certes, mais aussi avec quelques fantaisies et quelques règlements de compte avec « l’autre », celui du mauvais côté du miroir, de la mer, celui qui razzie les villages, massacre, pirate, dont on garde des souvenirs douloureux au point aujourd'hui encore de traiter les enfants non baptisés de … « turcs » ! Et on force le trait des « méchants », délit de "sales gueules" basannées, grimaçants comme des diables, comme des turcs, des sarrasins, des maures, comme l’autre, quoi ! La règle étant que, comme dans toute bonne bande dessinée, l’on distingue du premier coup d’oeïl les bons (nous)  des méchants (les autres).

 Jésus se doit d’être paisible malgré la souffrance. Son visage reste humain en toute occasion, voire souriant : car il s’agit bien là d’exprimer son humanité face à la barbarie. Sa mère et les saintes femmes, elles aussi, gardent un maintien d’une grande dignité malgré la douleur. Leur gestuelle théâtralisée ne fait qu’exprimer des sentiments nobles et partagés par tous (nous) .  En revanche les bourreaux se doivent d'être bestiaux et manifestement cruels...

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XIIème Station : Jésus meurt sur la Croix.
Tout est consommé. La Mère et saint Jean au pied de la Croix ponctuant de leur gestuelle leur douleur: la Vierge, mains jointes dans sa prière nous invite à faire de même, tandis que St Jean, la main droite sur le coeur, accueille de son bras gauche largement ouvert toute la souffrance de la scène et nous implique dans le drame.  Jésus , livide, entre le bon larron ( à sa droite, comme de juste), qui tend son visage confiant vers le Christ, et le méchant larron bien noir, comme calciné par le Mal, et déjà ratatiné pour l'éternité!
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XIIIème Station: Jésus est déposé de la Croix.

Ici il n’y a plus de place pour les méchants : voyez comme Joseph d’Arimathie retient dans ses dents le suaire… Saint Jean reçoit les jambes du Christ. Marie Madeleine baise ses pieds. La Vierge souffre et prie…  Les visages sont graves et enfantins, signature particulière de ce bon peintre local d'origine toscane  (né en 1735 à Lucques) qui fit en Corse sa carrière d'artiste et sa vie ( marié à une corse de de San Lorenzo, en Castagniccia, il y finira ses jours en 1821). Il a beaucoup oeuvré dans les églises et "produit" de nombreux Chemins de Croix de cette facture efficace et populaire... Et quand je parle de produire, c'est qu'il fut particulièrement productif!

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XIV ème Station: Jésus est mis au tombeau. A nouveau Giacomo Grandi, et ses drapés tourbillonnants. Tout le poids du Christ plombant le linceul porté par les hommes. Aux femmes, les langes du nouveau-né, aux hommes les langes du mort . Aux hommes, l'action, aux femmes, la compassion? N'est-ce pas un peu vite dit? Je reviendrai là-dessus.

(à suivre)