20/03/2011
"Tout essayer, - jusqu'au bout" avec la Genèse, Luca Cranach et Pierre Teilhard de Chardin
"L'ENERGIE HUMAINE":
tout essayer!
en écho au drame de Fukushima au Japon, à la réflexion sur l'énergie nucléaire et toutes les aventures technologiques de notre temps...
Le récit de la Tentation d' Adam et Eve, par Lucas Cranach, vers 1520, Musée de Varsovie, actuellement exposé au Musée du Luxembourg à Paris, dans cette belle exposition sur Cranach, à ne pas manquer!
Le Serpent au travail déroule les anneaux de sa fourbe séduction entre un Adam pétrifié, incertain et une Eve gracieuse, à l'écoute ...
"Quelle que soit la forme particulière sous laquelle on le considère, le Physico-moral obéit, dans son exercice, à une double loi, essentielle et universelle: tout essayer,- jusqu'au bout. (...) Tout tenter, pour savoir et pouvoir toujours plus: telle est la formule la plus générale et la plus haute loi de l'activité humaine et de sa moralité."
(Teilhard de Chardin: L'Energie humaine, Editions du Seuil, Sagesses)
Le regard innocent, comme absent, le visage rosi de plaisir, Eve teste la rondeur du fruit défendu contre la rondeur de sa joue, dialogue avec la rondeur de ses seins mûrs pour la cuillette - et déjà, elle sait l'irrésistible nécessité de devenir l'origine des hommes à venir, sans interdits, sans prudence:
" Le glébeux crie le nom de sa femme: Hava -Vivante.
Oui, elle est la mère de tout vivant" (Genèse)
... l'homme, dès lors, condamné à aller de l'avant, avec une accélération exponentielle des transformations de son monde, au risque d'y perdre jusqu'à son humanité de chair et d'os: "A l'homme il est permis d'être ce qu'il choisit d'être" (Giovanni Pic de la Mirandole, dans "Oraison sur la dignité humaine", 1486)
Vous avez dit perspicacité?
"oui, appétissant pour les yeux, convoitable, l'arbre, pour rendre perspicace", dit la Genèse.
En l'occurrence, faisons- nous, dans cette aventure du nucléaire comme dans celle de la manipulation génétique ou de la robotique tous azimuts, preuve de perspicacité ? Le Serpent nous aurait-il trompés ? Le fruit défendu n'enseigne-t-il pas aussi, avec un arrière-goût amer sous la douceur juteuse, l'éthique?
L'arbre de la Connaissance du bien et du mal éveille la conscience de nos deux toutereaux, les tire de la torpeur béate d'un univers parfait où rien n'est à désirer ni à craindre puisque dans ce jardin d'Eden le temps n'existe pas , les propulse violemment vers un avenir où ils devront apprendre l'imperfection, la différence et l'amour, l'injustice et la haine ( notre histoire humaine commence par un crime passionnel, un drame de l'incompréhension et de la guerre économique: histoire des premiers enfants d'Adam et Eve, Abel le berger favori tué par son frère cultivateur Caïn, dont l' offrande est méprisée par le Dieu créateur) , le prix de la nécessité, pendant de longs millénaires, en attendant de connaître celui de la pollution et des joyeuses fluctuations boursières.
à Autun, Dieu interroge Caïn: " Qu'as-tu fait? La voix des sangs de ton frère clame vers moi de la glèbe..." Caïn a planqué son frère Abel assassiné derrière un arbuste d'où dépassent ses jambes: bien sûr il n'a pas encore lu Agata Cristie et le crime n'est pas parfait, sans doute même pas pémédité ... Mesdames, Messieurs les jurés, ne pensez-vous pas que Caïn, mon client, avait des circonstances atténuantes? En tous cas voilà un antagonisme entre le monde pastoral et le monde agricole qui a eu la vie dure)
Dans le récit de la Genèse, Adam et Eve paient cher l'acquisition de leur conscience:
"IHVH Elihîm dit:
"Voici , le glébeux est comme l'un de nous pour connaître le bien et le mal.
Maintenant, qu'il ne lance pas sa main,
ne prenne aussi de l'arbre de vie, ne mange et vive en pérennité!"
IHWH Elohîm le renvoie du jardin d'Eden,
pour servir la glèbe dont il fut pris.
Il expulse le glébeux
et fait demeurer au levant du jardib d'Eden les Keroubîm
et la flamme de l'épée tournoyante
pour garder la route de l'arbre de vie. "
(Genèse, traduction Chouraki)
(Masaccio, 1427, Adam et Eve expulsés du Paradis, fresque de l'église del Carmine, chapelle Brancacci à Florence)
Le Dieu créateur de la Genèse interdit l'accès à l'Arbre de vie. On ne sait pas trop, à dire vrai, s'Il avait initialement un autre projet pour Adam et Eve ... Dans cette expérience ( au fait, le Créateur est-il de mèche avec le Serpent? enfant je me suis toujours posé la question ) la conscience de l'humanité n'a désormais de sens que dans la perspective de la mort... cette perspective de la mort intrinsèque en notre humanité , que cherche à transformer l'aventure passionnée de nos techniques scientifiques: tout essayer, pour le meilleur comme pour le pire, à commencer par la maîtrise de l'énergie et des manipulations biologiques, tout essayer jusqu'au bout au risque de dégrader définitivement notre planète ou de laisser en arrière les trois-quarts de l'humanité .
Tant pis?
Dans une nature si paisible, un si gentil petit couple!
Luca Cranach, 1533
07:47 Publié dans la mort, nature | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : teihard de chardin, lucas cranach, la genèse, adam et eve, expulsion du paradis, caïn et abel, autun | Facebook |
14/03/2011
Un serpent nu dans le Jardin
Aujourd'hui, récit de la Genèse,
avec Philippe JACCOTTET, la BIBLE, les infos, l'invention de la mort et autres babioles ...
(Eve et le serpent, San Quilicu à Cambia)
"Un grand serpent disparaît dans les hautes herbes jaunâtres.
Le silence pèse. Vais-je imaginer qu'une femme le dérange, qui approche entourée de ses cheveux, vais-je apprendre ce que sont des yeux qui ignorent le temps, et comment on marche quand on n'a ni regrets, ni désirs? A-t-elle, pas plus liée par ses pieds au sol que la flamme à la bougie, le regard opaque (ou trop transparent) des bêtes? Est-ce pourquoi elle aurait prêté l'oreille à l'une d'elles? Le serpent nous répugne peut-être parce que nous savons son histoire. Elle, le voyait-elle seulement? Ce n'était qu'un éclair paresseux ou une eau lente. Elle était encore prise dans le globe clos du jour: lesquels de nos mots auraient-ils eu un sens pour elle? Sûrement pas danger, faute, mensonge ..."
(...)
" Je rêve à ce jardin dans la solitude irisée de cette combe. Je contemple un tremble dont pas une feuille n'est immobile, comme un clocher aux milliers de cloches, pour une obscure alarme. Les bêtes habitent avec tranquillité le Temps. C'est comme si rien n'était encore visible à aucun regard. Tout est encore à l'intérieur d'un sommeil illimité. Soudain, pour la première fois, ces yeux s'entrouvrent. Elle n'était pas différente des bêtes; à présent elle voit la distance, les couleurs, les ombres, la beauté insidieuse; elle voit que les choses changent, pourraient fuir, lui échapper. Elle s'alarme, se trouble; elle devient si belle que même les figures invisibles du ciel descendent vers son nid. Et de même qu'elle a été expulsée de la sphère divine, le sang sort de son corps, et coule, plus épais que l'eau. C'est le premier sang visible. Il enténèbre le sol.
A celui qui se penche vers elle, la terre a-t-elle jamais livré des simples pour ces blessures?"
(Prose au serpent: Philippe Jaccottet, Paysages avec figures absentes, nrf, Poésie Gallimard)
" Le serpent était nu,
plus que tout vivant du champ qu'avait fait IHVH Elohîm.
Il dit à la femme: ainsi Elohîm l'a dit:
"Vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin" ...
La femme dit au serpent:
"Nous mangerons les fruits des arbres du jardin,
mais du fruit de l'arbre au milieu du jardin, Elohîm a dit:
" Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas, afin de ne pas mourir."
Le serpent dit à la femme:
"Non, vous ne mourrez pas, vous ne mourrez pas,
car Elohîm sait que du jour où vous en mangerez
vos yeux se dessilleront et vous serez comme Elohîm, connaissant le bien et le mal."
La femme voit que l'arbre est bien à manger,
oui, appétissant pour les yeux,
convoitable, l'arbre, pour rendre perspicace.
Elle prend de son fruit et mange.
Elle en donne aussi à son homme et il mange.
Les yeux des deux se dessillent, ils savent qu'ils sont nus."
(La Bible: la Genèse, traduite par André CHOURAQUI)
Vous connaissez la suite - y compris les risques nucléaires majeurs que nous vivons aujourd'hui avec le drame du Japon ... Mais tout de même, de là à tout mettre sur le dos d'Eve et du Serpent! (je ne parle pas d'Adam, le pauvre homme, on le sait, il n'y était pour rien, il écoutait le dernier qui parle, le dernier avis, celui qui disait qu'il n'y avait pas de risque, pas de quoi s'alarmer ... et puis quoi, on allait bien voir !)
Adam et Eve et l'arbre de la connaissance: tympan de Santa Maria de Rescamone, à Valle di Rustinu
Je reprends quelques instants quelques passages de cette troublante "Prose au serpent" de Philippe Jaccottet:
"(...) Pourront-elles jamais cesser d'aimanter nos regards, elles, les fraîches, les douces, nos bergères, ces lueurs ou ces clés qui tournent dans l'obscurité, qui ouvrent le monde, en déplacent les murs, elles justement qui semblent des habitantes du Jardin, qui le recréent un instant autour de nous; mais on sent que ce n'est pas le même, c'est comme quand on voit deux images en surimpression, ou que derrière le plus beau ciel on se rappelle la nuit ou l'on pressent un orage, comme quand on devine le crâne sous la peau, c'est déjà plein de flammes derrière les fruits mûrs, les degrés ascendants basculent, le haut et le bas se confondent, le caché émerge, flambe, une odeur de dissolution gagne, comme si de toutes les beautés la plus irrésistible ne paraissait que pour nous faire sentir par un plus court chemin la mort. Bergères infernales.
(...)
Il n'y a jamais eu ni Jardin, ni Serpent. Mais nous sommes vraiment ici, voyant des choses au travers des autres, des dieux et des morts derrière les vivants, des anges et des flammes au milieu des plantes, tout ce mélange de chair et de fumée est réellement en nous. Il faudrait une bonne fois cesser de dire: " Quel est le chemin du lieu sans tache?" ou encore: " Pourquoi vieillis-tu, pourquoi pars-tu, pourquoi me trahis-tu?" Ou nous refusons cette limite, et nous refusons tout (par quelque forme que ce soit de délire, d'excès), ou nous l'acceptons, et nous vivons avec elle. Mais comment, si la croyance en une résolution des contraires avant ou après la mort ne nous est pas donnée? Faut-il briser, chaque fois qu'il se reforme, tout élan vers le Jardin, chasser le plus faible de ses reflets? Plutôt, ceux-ci, les saisir en leur rapide passage, sous toutes leurs formes (variables selon les temps, les lieux, les natures), les maintenir tant bien que mal, aveuglément, n'importe quelle lueur au mur d'une prison étant bienfait ..."
le Serpent et l'Arbre, Santa Maria de Rescamone.
08:52 Publié dans chapelles romanes corses, corse, la mort, poésie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : cambia, castagniccia, adam et eve, le jardin du paradis, l'arbre de la connaissance, genèseanta maria di rescamone de valle di rustinu | Facebook |
23/11/2010
Toujours Novembre ...
Et après ... comment ça se passe ?
(nous chantait-on alors)
... DIES IRAE DIES ILLA ...
En Balagne, à Calenzana, comme dans une bande dessinée, ce Jugement dernier:
bon, ce que je constate, c'est que de l'autre côté il y a foule!
Le moment semble venu de définitivement séparer les Bons des Méchants, les Elus des Maudits: heureusement pour le tribunal céleste, les enquêtes sont menées rondement et sans risque d'erreur ... rien n'échappe à l'oeil du Juge suprême, pas même les plus petites rétrocommissons occultes ... ça va faire mal!
Une version jupitérienne de Dieu le Père, nimbé de gloire, foudroie les "MALEDICTI", désigne de sa main droite la Croix salvatrice et de sa gauche armée du sceptre montre les Ecritures, tandis que sonnent les trompettes annonçant la résurrection des morts. A ses côtés, la Vierge "nostra advocata" plaide, en compagnie d'une nuée de saints, reconnaissables à leurs symboles habituels, leur palme, l'instrument de leur martyre ... tous intercèdent en faveur des Morts: c'est qu'ils ont des trésors inépuisables de bienfaits à déverser sur nous ...
... foule animée, le regard tendu vers la lumière de Dieu le Père, à moins qu' on ne vous contemple vous, pour vous mettre en garde, comme ce Saint François qui prie pour vous ... ce qui me fait penser que cette oeuvre était peut-être destinée à la pastorale franciscaine ... en dessous, les élus, nombreux et sereins
tandis qu'au centre de la toile Saint Michel Archange continue de terrasser Satan et de chasser les Damnés (beaucoup moins nombreux que les Elus, je vous rassure) voués irrémédiablement à leur sort misérable : voyez ce qui nous attend si par malheur ...
... hé hé hé! ...
... j'espère que cet acte de dévotion lui aura été profitable, à ce Giuseppe,
le moment venu !
(à suivre)
22:59 Publié dans corse, la mort, patrimoine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jugement dernier, calenzana, balagne | Facebook |
06/11/2010
Cimetière: Bonifaziu
Le cimetière marin de Bonifacio,
( quelques pas avec Jean Tardieu, Philippe Jaccottet, Jean-Baptiste Stachino et Paul Valéry)
le 20 septembre dernier, la ville des morts, vue sur la mer
" Choeur d'enfants
(à tue-tête et très scandé)
Tout ça qui a commencé
il faut bien que ça finisse:
la maison zou l'orage
le bateau dans le naufrage
le voyageur chez les sauvages.
ce qui s'est manifesté
il faut que ça disparaisse:
feuilles vertes de l'été
espoir jeunesse et beauté
an-ci-en-nes vérités.
Moralité.
Si vous ne voulez rien finir
évitez de rien commencer.
Si vous ne voulez pas mourir,
quelques mois avant de naître
faites-vous décommander"
( Jean TARDIEU dans"Chansons avec ou sans musique",
Le fleuve caché , édition Poésie Gallimard)
petite tombe sous sa couette fleurie:
"S'il se pouvait (qui saura jamais rien?)
qu'il ait encore une espèce d'être aujourd'hui,
de conscience même que l'on croirait proche,
serait-ce donc ici qu'il se tiendrait,
dans cet enclos, non pas dans la prairie?
Se pourrait-il qu'il attendît ici
comme à un rendez-vous donné "près de la pierre"
qu'il eût l'emploi de nos pas muets, de nos larmes?
Comment savoir? Un jour ou l'autre, on voit
ces pierres s'enfoncer dans les herbes éternelles,
tôt ou tard il n'y a plus d'hôte à convier
au repère à son tour enfoui,
plus même d'ombres dans nulle ombre."
(Philippe Jaccottet: "A la lumière d'hiver"
édition nrf, Poésie Gallimard)
et celle là, dans un coeur:
"LIBRE"
En fait dans notre errance au cimetière, je cherchais un nom, celui de l'ancien organiste de Sainte Marie Majeure, J.B. STACHINO, rencontré chez lui vers 1988 à Bonifacio. Alors très âgé - plus de quatre vingt dix ans - il nous avait reçus très gentiment, nous montrant le Cahier d'orgue manuscrit de son père, à qui il avait succédé dans sa charge d'organiste à Ste Marie. Témoignage précieux d'un répertoire joué au XIX° siècle à Bonifacio : entre deux messes, entre deux hymnes, des transcriptions d'airs d'opéras à la mode mises à la sauce liturgique, pour des entrées et des sorties tonitruantes, des offertoires musclés, des élévations sentimentales, des communions guillerettes, bref, un univers musical bien éloigné de l'esprit de nos concerts actuels mais certainement moins fade que la soupe insipide que l'on doit trop souvent servir aux messes d'aujourd'hui ...
Puis il s'était mis à son vieil harmonium asthmatique, pédalant avec la dernière énergie pour plaquer de ses mains immenses quelques grands accords fièvreux : tout ce qui lui restait de ce monde ancien où la vie musicale des gens de Bonifacio passait par l'église ... Je rappellerai seulement que Bonifacio était riche au début du XX°s. de ses quatre orgues de facture italienne, hélas tous hors d'usage actuellement :
- Saint Dominique (orgue classé aujourd'hui): L.De Ferrari 1843. Cet orgue comporte des éléments du XVIII° s et l'on nourrit des espoirs de le voir restauré dans les années à venir.
- Saint Erasme : A. De Ferrari ?
- Saint François: L. et G. De Ferrari 1852
- Sainte Marie Majeure: L. et G. De Ferrari 1842.
Cet orgue que jouaient les Stachino père (Lazare) et fils (Jean-Baptiste) avait été remanié à plusieurs reprises: actuellement il git dans un état alarmant, démonté et entreposé dans l'église saint Dominique ... de quoi se retourner dans sa tombe!
faux sommier, étiquettes de registre ...
abrégé ...
le clavier (refait) de 54 notes (pas d'octave courte),
et les grandes mains fantômes de Lazare et Jean Baptiste dessus ...
... tuyaux ... misère de misère!
Est-ce une tombe de la famille de "notre" Stacchino? Toujours est-il que cette rencontre reste accrochée dans ma mémoire comme une présence douce-amère et tisse des liens avec ce cimetière de Bonifacio ...
un forum des morts
fragile pertpétuité
(...) "Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change!
Après tant d'orgueil, après tant d'étrange
Oisiveté, mais pleine de pouvoir,
Je m'abandonne à ce brillant espace,
Sur les maisons des morts mon ombre passe
Qui m'apprivoise à son frêle mouvoir (...)
éternité sanglée
(...) Les morts cachés sont bien dans cette terre
Qui les réchauffe et sèche leur mystère.
Midi là-haut, Midi sans mouvement
En soi se pense et convient à soi-même ...
Tête complète et parfait diadème,
Je suis en toi le secret changement. (...)
(...) Le vent se lève! ... Il faut tenter de vivre!
L'air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs!
Envolez-vous, pages tout éblouies!
Rompez, vagues! Rompez d'eaux réjouies
ce toit tranquille où picoraient des focs!"
(Paul VALERY: LE CIMETIERE MARIN)
17:38 Publié dans corse, la mort, poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bonifacio, cimetière, lazare stachino organiste, orgue sainte marie de bonifacio, jean tardieu, philippe jaccottet, paul valéry | Facebook |
03/10/2010
Altiani, suite et fin : deux toiles de Giacomo GRANDI et autres ...
ALTIANI, église de l'Annonciation, suite:
deux peintures de Giacomo GRANDI
1°/ La Vierge du Scapulaire avec l'Enfant Jésus
entre saint Antoine de Padoue
et saint Nicolas
Cette toile pleine de douceur nous présente la Vierge apparaissant avec l'Enfant Jésus à Saint Antoine de Padoue et à Saint Nicolas. Une athmosphère intime règne dans cette pièce, ouverte sur un paysage familier des alentours. La Vierge d'une main délicate tend le Scapulaire à Saint Antoine, cet objet de dévotion que l'on mettait au cou des enfants pour les protéger des entreprises du Diable et de la gente malfaisante des mauvais esprits et autres sorcières malveillantes ... Pochette (ici double et peinte) contenant des morceaux de cierge béni de la Chandeleur ... et du sel (on n'est jamais trop prudent: les sorcières, on le sait, détestent le sel)
La Vierge, toute de bienveillance, ouvre largement les bras, tout en gardant debout contre elle l'Enfant Jésus: ce blondinet tout frisotté pose sa menotte bien gentiment sur la tête de l'humble Saint Antoine, en prière devant un livre sacré et tout confit de tendresse. Dans l'autre main, Jésus tient le globe terrestre: le message est simple ... les hommes - et plus précisément nos bons villageois d'Altiani - peuvent s'en remettre à ces deux bons saints intercesseurs, Antoine et Nicolas.
De l'autre côté l'évêque Saint Nicolas de Bari regarde intensément la Vierge. Il porte un somptueux habit épiscopal, manteau chatoyant de roses rouges par-dessus sa robe travaillée de dentelles raffinées. C'est l'Eglise glorifiée à travers la richesse et la beauté de son costume chamarré ... Ce style fleuri est l'une des marques propres à l'inspiration de Giacomo Grandi .
Le grand saint Nicolas, si populaire dans toute l'Europe, porte la mitre, la crosse pastorale et un livre surmonté de trois boules d'or (or donné anonymement par le bon Nicolas pour empêcher la prostitution de trois jeunes filles pauvres que leur père s'apprêtait à livrer au bordel, faute d'argent ... terrible histoire, non?). On connait aussi l'autre histoire, celles des " trois petits enfants qui s'en allaient glaner aux champs" , "mis au saloir comme des pourceaux" et ressucités par saint Nicolas... Nous la chantions tous les ans le soir du 6 décembre , en bonnes petites filles de notre papa lorrain, pour fêter dignement notre grand saint Nicolas et en espérant bien que le Père Fouettard ne viendrait pas à sa place nous tourmenter.
... tandis que par la fenêtre la vie continue...
2°/ La Mort de Saint Joseph en compagnie de la Vierge Marie et de Jésus
Saint Joseph est au bout du rouleau, il vit ses derniers instants. A son chevet, la Vierge le soutient de ses prières et à ses côtés Jésus plein de compassion l'accompagne de sa bénédiction : ceci se passe avant le début de sa vie publique. Un angelot bouclé s'apprête à donner au vieillard l'huile de l'extrême onction . Joseph git sur son joli lit aux pieds artistement travaillés: c'est que, toute sa vie, le bon Joseph a travaillé comme "falegname"," bancalaru", bref comme un honnête et excellent menuisier. Il a même, dit-on, travaillé jusqu'à son dernier souffle, en témoignent ses outils qui jonchent le sol: scie, hache, marteau, tenailles, rabot, équerre, compas, rien ne manque ... C'est que Saint Joseph est le patron des menuisiers, et Dieu sait s'il a du travail en cette région de Corse où poussent tant d'arbres magnifiques ...
A la tête du lit un élégant récipient qui pourrait bien être un pot de chambre: Saint Joseph n'est plus en état de se lever ... scène bien familière pour accompagner la fin de celui que l'on vénère ici aussi comme le " le patron de la Bonne Mort" : mourir dans son lit, entouré de l'amour des siens, et muni des sacrements de l'Eglise, un espoir pour des populations soumises à bien des risques de mort subite ...
Giacomo GRANDI, peintre originaire de Milan, a choisi de vivre en Corse où l'on suit sa riche production picturale de 1742 à 1772. Après avoir vécu en Balagne dans le village de Monticello où il s'était marié, il se remarie en 1758 après le décès de sa première épouse avec une jeune fille de Quercitello , village qui surplombe La Porta, en Castagniccia, et y vit de nombreuses années avant de s'éteindre (1772) à Borgo où il est enterré.
Beaucoup d'indices nous font penser que Grandi et Carli se connaissaient, Carli ayant peut-être même travaillé dans l'atelier de Grandi avant de voler de ses propres ailes: en tous cas, leur style est proche, sans toutefois se confondre. Pour l'anectote, leurs nuages en forme de galettes bretonnes semblent sortir de la même fabrique .
***************************************************************************************
... Dernières oeuvres ...
Saint Michel terrassant le Dragon de son épée de feu:
peinture anonyme du XVIII°siècle. M.E. Nigaglioni pense qu'il s'agit peut-être du "Maître des Anges Musclés" (sic !), bon peintre fort prolifique de la deuxième moitié du XVIII° que nous rencontrons souvent en Balagne.
(la sale Bête)
En attendant de découvrir enfin dans quelque fond de tiroir de sacristie le nom de cet artiste qui ne signe jamais, mais compose toujours fort habilement ses toiles et ses séries de Chemin de Croix, je remarque que notre saint Michel d'Altiani a bien sa place dans l'église paroissiale, doublant ainsi la dévotion déjà en place à la chapelle romane qui lui est dédiée un peu plus bas dans la campagne. Nos amis d'Altiani ont entrepris de sauver cette chapelle aujourd'hui ruinée mais qui dut être fort belle et ornée de fresques ... dont nous avons retrouvé quelques traces, en particulier au fond de l'abside. Restes trop lacunaires pour pouvoir imaginer l'iconographie de l'ensemble. Cela dit, surmontant le maître-autel de cette chapelle romane de saint Michel, l'on aperçoit encore l'épée brandie par l'arhange:
... deux épées qui se ressemblent étrangement!
( l'ensemble, bien que fort dégradé, laisse voir encore ce décor fleuri et élégant)
Revenons à l'église paroissiale pour une toile accrochée en dehors de toute dévotion d'autel: sans doute un legs du cardinal Fesch, mais dont on ne saisit pas , à ce jour le sens. En tous cas, une belle toile du XVII° siècle, en mauvais état hélas.
Les personnages gardent beaucoup de présence,
figés dans une gestuelle noble et efficace ... mais demeurée mystérieuse.
Voilà, mes bons amis d'Altiani! Bon courage pour votre courageuse entreprise de sauvegarde du patrimoine!
18:11 Publié dans corse, découverte du patrimoine en Corse, la mort, patrimoine populaire de Corse | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : altiani, giacomo grandi, mort de saint joseph, vierge du sacapulaire, saint nicolas de bnari, saint antoine de padoue | Facebook |