30/11/2012
Sainte Cécile et le Roi David en Corse patrons de la musique sacrée
le 22 novembre on fêtait
Sainte Cécile de Rome
http://youtu.be/fkxZZFEAkiM
http://youtu.be/vhIA3RcrLYk
comme on le sait, patronne de la musique sacrée, des organistes et des facteurs d'orgue, tâche qu'elle partage fort souvent et bien volontiers avec son collègue de l'Ancien Testament, le Roi David, du moins sur les tribunes et les volets d'orgues de Corse, et ce, souvent avec une verve toute populaire ...
à Zilia (Balagne), du haut de la belle tribune d'Aton Giuseppe Saladini, peints sur les volets de l'orgue ( (Saladini 1831) ,Sainte Cécile et le Roi David veillent sur la destinée de la "Musica sacra" au village:
Cécile , drapée dans sa dignité de vierge martyre des premiers âges, s'appuie sur "son" orgue,
tandis que le Roi David assure, le regard inspiré ( du moins je veux bien le croire) et affublé d'un costume à l'antique d'opéra, une main sur le coeur, l'autre tenant sa harpe biblique . Bref, ils se donnent à voir avec toute l'intention adéquate ... et la meilleure bonne volonté du moment,
avant que ne s'ouvrent les ailes de la musique:
hélas, aujourd'hui l'orgue n'est pas au mieux de sa forme et j'imagine sans peine la déception de ses saints patrons !
A Corbara (Balagne), peints sur les volets de l'orgue Saladini (début XIX°)/ Agati-Tronci, (1890)
Francesco Giavarini peint sa Sainte Cécile enturbannée en compagnie du Roi David en 1819 : à nouveau d'un côté la harpe pour David ( l'Ancien Testament), de l'autre l'orgue pour Cécile ( le Nouveau Testament).
Cette représentation de Cécile jouant de l'orgue, semble reposer sur un contresens. Voici ce qu'en dit Louis Réau dans son Iconographie de l'Art Chrétien ( cet ouvrage précieux et convoité, édité en 1958 aux Presses Universitaires de France, malheureusement aujourd'hui épuisé ):
"On lisait en effet dans la Passio légendaire de sainte Cécile la phrase suivante: " Cantantibus organis, Caecilia in corde suo soli Domino decantabat, dicens: Fiat cor et corpus meum immaculatum"; ce qui veut dire : " Pendant qu'on conduisait Cécile, le jour de ses noces, dans la maison de son fiancé au son des instruments de musique, c'est Dieu seul qu'elle invoquait dans son coeur pour lui demander la gâce de conserver son coeur et son corps sans tâche."
Ainsi non seulement , si l'on interprète correctement ce passage, Cécile n'est pas elle-même musicienn, elle ne joue ni de l'orgue ni d'un instrument quelconque; mais elle ferme ses oreilles à la marche nuptiale exécutée en son honneur pour concentrer sa pensée sur Dieu seul et implorer la sauvegarde de sa virginité. Elle aurait été plutôt mélophobe que mélomane.
Comment, dans ses conditions sainte Cécile a-t-elle pu passer pour une amie de la musique? C'est parce que l'antienne extraite de sa Passio, en détachant les mots : cantatibus organis et en supprimant in corde suo a dénaturé le sens de la phrase : on a compris que Cécile chantait au son des instruments ou même en s'accompagnant de l'orgue. En réalité organa ne signifie pas orgues et decantabat doit être pris au sens figuré.
La fable de sainte Cécile musicienne et son patronage usurpé de la musique religieuse aurait donc une origine liturgique."
Quant à l'orgue antique, pourquoi pas, puisque notre Cécile est une sainte du II° ou III° siècle après J.C. et que l'on attribue à l'ingénieur alexandrin Ctésibios, au III° siècle avant J.C. la paternité de l'invention du premier orgue hydraulique ...
Voir à ce sujet l'excellent article consacré à l'orgue hydraulique antique sur le site: www.unicaen.fr/puc/ecrire/preprints/preprint0022005.pdf
Revenons à Corbara: la tradition veut que Davia Franceschini, Sultane du Maroc, ait prêté ses traits à Sainte Cécile : et le Roi David? Peut-être inspiré du Sultan Sidi Mohammed ben Abdallah, son royal époux ? En tous cas, voilà une bien belle histoire dont ne sont pas peu fiers nos amis de Corbara!
Extrait du site de Curbara:
" Marthe FRANCESCHINI, dite Davia FRANCESCHINI, Sultane du Maroc (1756-1799) :
Davia Franceschini
Alors qu’ils cultivent leurs champs près de la mer, Jacques-Marie FRANCESCHINI, son épouse Silvia MONCHI sont capturés, quelques mois après leur mariage, par des pirates tunisiens. Nous sommes en 1751. Conduits à TUNIS, ils sont achetés par l’intendant du DEY pour le compte de son maître. Surveillant des esclaves du DEY, Jacques-Marie gagne sa confiance, se révélant un bon administrateur, ce qui lui permet de se constituer une belle fortune. Il apprend un jour qu’un complot se trame pour assassiner le DEY et après hésitations, se décide à le lui révéler. Pour le remercier, celui-ci lui fait de riches cadeaux et lui rend sa liberté.
Au cour de leur séjour à TUNIS, les époux FRANCESCHINI ont une fille, née le 25 avril 1756, baptisée le 29 du même mois par le Frère Stephanus Antonius, capucin de Gênes, préfet et provicaire apostolique de la mission de Tunis et des lieux voisins. (acte de baptême rédigé et paraphé par le père Stéphanus Antonius).
Libres, les époux FRANCESCHINI et leur fille Marthe quittent la Tunisie pour rentrer en Corse. Au cours du voyage, ils sont enlevés par des Marocains qui les conduisent dans leur pays. Ils sont vendus comme esclaves au Sultan Sidi Mohammed ben Abdallah qui confie à Jacques-Marie la direction des travaux du jardin impérial à Marrakech. Jacques-Marie a l’idée de faire parvenir au Sultan, un mémoire relatant le fait qu’il est sujet du Bey de Tunis à qui il a sauvé la vie et qu’il ne peut être considéré comme un étranger. Il est reçu par le Sultan devant lequel il se rend avec sa femme et ses deux enfants, Marthe et Vincent (Né à Marrakech le 29 novembre 1759).
Le Souverain est « impressionné par la grande beauté, la grâce et l’esprit » de la jeune Marthe » au point « d’ordonner qu’elle soit immédiatement emmenée pour faire l’ornement du sérail ». Marthe a alors 7 ans.
Jacques-Marie, son épouse Silvia et son fils Vincent regagnent la Corse. Leur troisième enfant, Augustin, naîtra à CORBARA. Il ne supporte pas toutefois l’absence de Marthe dont la présence au harem du Sultan est pour lui la pire des injures. Il conçoit donc le projet de retourner au Maroc. Il demande même l’aide de Pascal PAOLI qui lui conseille de « laisser sa fille suivre sa destinée ». Il arme un navire avec un équipage et part pour le Maroc. Le destin veut qu’il meurt au Maroc, à Salé, atteint de la peste.
Marthe est obligée de se convertir à l’Islam et reçoit le nom de DAWIYA (DAVIA). Le sultan dit d’elle qu’elle est « La plus belle rose de son harem ». Il apprécie en elle « la fraîcheur, le charme et la vivacité d’esprit ». En 1786, elle devient sa femme légitime, et Première Sultane. Dans son village, en CORSE, on la dit « IMPERATRICE DU MAROC ».
La beauté légendaire de DAVIA suscite beaucoup de jalousies. Le Sultan lui demande même de suivre des cours de droit coranique et obtient le diplôme de Talba (licenciée en droit), ce qui est quasiment unique à l’époque. Il la charge même « de la correspondance avec les cours européennes » et l’admet « à son conseil privé ». Son influence est immense sur la politique intérieure et extérieure du Maroc et a un grand ascendant sur les populations musulmanes. Elle a entretenu une correspondance avec la Reine d’Espagne et les deux femmes ont procédé à un échange de portraits.
La Sultane se considère comme française et décide le souverain d’entrer en relation avec NAPOLEON, se disant fière qu’un corse soit souverain des Français.
Plus tard, DAVIA souhaite revoir sa famille. Son époux accéde à sa demande, et des envoyés du Sultan sont dépêchés à CORBARA, chez la veuve de Jacques-Marie à qui on remet une lettre de sa fille lui demandant de rejoindre le Maroc. La mère de DAVIA n’a aucune hésitation, et après intervention de Monsieur Chiappe, Consul de Venise au Maroc, LOUIS XVI charge le Vicomte Dubarin de Pélivier, Consul de France à Tanger, de délivrer les passeports nécessaires au voyage de la famille FRANCESCHINI. Ils sont reçus à la cour chérifienne « avec tous les honneurs dus aux princes de la famille impériale ». Ils s’installent dans la ville de LARACHE où DAVIA se serait retirée après le décès de son époux, Sidi Mohammed Ben Abdallah.
DAVIA meurt à LARACHE en 1799. Sa mère meurt dans cette même ville le 19 janvier 1811.
DAVIA a eu une fille, morte à l’âge de quatre ou sept ans.
Vincent FRANCESCHINI, son frère, sur intervention du Roi Moulay Sliman auprès de Premier Consul, est nommé Consul de France à Mogador. Après 1804, il se retire en CORSE, dans le village de CORBARA où, « avec l’argent gagné au service du Directoire et grâce aussi aux cadeaux de sa sœur et du Sultan, il fait construire une maison, située près de l’église, et qui est appelée « A CASA DI I TURCHI ».
Augustin FRANCESCHINI le dernier des frères de DAVIA, est né à CORBARA en 1772. Après quelques années de vie dans ce village, il part à PORTO-RICO en février 1829."
A Palasca (Balagne), sous le regard impavide de Jeanne d'Arc (!), l'orgue d'A.P. Saladini (1833) sur sa tribune du papa Anton Giuseppe Saladini,
se place lui aussi sous la protection de Ste Cécile et du Roi David, peints en médaillons sur les volets.
A Sant' Antonino, sur la magnifique tribune baroque peinte par Vicente Suarez en 1789, trône l'orgue Pomposi aujourd'hui vide, et construit à l'origine pour le couvent de Marcassu tout proche:
(les panneaux peints avant leur réinstallation sur le buffet)
le concert mystique de Sainte Cécile,
en compagnie des anges musiciens,
et toujours par la main élégante de Vicente Suarez ...
A Piedicroce, les volets de l'orgue vénérable de Spinola (1619)
accueillent aussi nos deux saints patrons, maladroitement et fortement repeints au XIX° siècle après le transfert en 1844 de la cathédrale Ste Marie de Bastia à St et St Paul de Piedicroce:
En vérité, et si je puis me permettre,
le ramage vaut mille fois mieux que le plumage!
(photo de Michel-Edouard Nigaglioni)
à Lozzi (Niolu), sur le rideau cachant un orgue désormais vide (on m'a raconté que les tuyaux ont naguère été joués aux cartes !) le Roi harpiste joue en duo
avec Ste Cécile, non plus à l'orgue mais à la cetera (ce bel instrument traditionnel de la Corse, de la famille des cistres) , cette fois-ci!
Peinture de Desanti (1824-1892).
à Ochjatana (Balagne), sur la tribune signée de Fabio Lecca, l'orgue de Luiggi de Ferrari (1839) ,
cette jolie peinture de notre Ste Cécile à l'orgue entourée de dévots: le peintre (?) se serait-il représenté en bas à gauche ?
A Pioggiola (Ghjunsani), la tribune (1814) de l'orgue d'A.P. Saladini (1844)
accueille sa Ste Cécile sage comme une image
Et à Omessa, voisine de Corte, la pauvre petite Ste Cécile se sent désormais bien solitaire sur sa tribune muette et vide ...
Quant à Speluncatu,
notre petite organiste Ste Cécile, peinte comme tout cet ensemble par l'énigmatique Grunwaldo Graffini, s'est modestement nichée dans le coin gauche sur la conque de la somptueuse tribune d'A.G. Saladini de l'orgue Crudeli de la Collégiale (1810) ,
cédant au Roi David la place de choix sur les volets:
si, si, c'est bien lui, même s'il est imberbe,
je reconnais sa harpe et tout le decorum!
à Piedigrisgio (Ghjuvellina),
sur le petit orgue anonyme,
un peu trop ripoliné, c'est toujours lui,
revêtu de pourpre et d'hermine comme un vieux Roi
sur les buvards de mon enfance
il accompagne la mélopée de ses Psaumes:
avec Darius Milhaud:
http://youtu.be/gPqfoq4Gd4Y
***
A Castiglione (Ghjuvellina), dans la petite église on aurait bien aimé avoir un orgue: la tribune (mi- XIX° s.) abrîte un vieil harmonium sous la protection de Ste Cécile, du Roi David et de St Antoine de Padoue
au centre, notre Cécile, porte un bien joli turban.
Le même peintre réalise des années plus tard le décor de la tribune du petit orgue anonyme de la confrérie Santa Croce de Corte: cet orgue vient d'être relevé par Jean-François Muno et l'église va prochainement faire l'objet d'une restauration devenue urgente, comme on le voit ici ...
Mais l'on rencontre également Sainte Cécile en dehors des tribunes d'orgues:
Comme ici, peinte par Marc-Antoine de Santis (XVII° s.) à San Martinu di Lota (Cap Corse): elle intercède en compagnie de St Michel pour les âmes du Purgatoire,
tant est grand le pouvoir de la foi et de la musique: elle tient à la main la palme de son martyre et un petit orgue posé sur le Livre.
A Scata (Castagniccia), le même et talentueux M.A. de Santis peint cette belle Ste Cécile qui malheureusement souffre terriblement de l'humidité de l'église paroissiale Ste Cécile et de l'impécuniosité de cette petite commune de l'Ampugnani ...
A Pianellu (vers Aleria), le peintre Giordani exprime en 1862 la même dévotion dans son tableau d'autel dans l'église Sainte Cécile: merci M.E. Nigaglioni!
Et pour ceux qui veulent en savoir plus sur Ste Cécile:
http://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A9cile_de_Rom
la Sainte Cécile de Raphaël (1514, Pinacothèque de Bologne) ornait à l'origine l'autel de la chapelle cécilienne de San Giovanni in Monte à Bologne.
Ici Cécile délaisse les instruments terrestres, déglingués, fracassés au sol pour mieux participer à la musique des anges.
Sa Passio date de la fin du V° siècle et sa légende doit beaucoup à l'Histoire de la persécution vandale de Victor de Vite (486).
L'histoire raconte que le pape Pascal 1er transféra en 821 ses reliques du cimetière de Saint Calixte dans la basilique de Sainte Cécile- du-Transtévère, élevée sur l'emplacement du palais qu'elle habitait ( Sainte Cécile était une jeune patricienne de la gens Caecilia ,du nom caecus, aveugle).
En 1599, le pape Clément VIII fit ouvrir le cercueil de Ste Cécile et l'on découvrit avec stupéfaction que le corps de la jeune sainte gisait intact, la tête à moitié tranchée, et couchée sur le côté droit dans la position de son martyre, semblant faire un dernier signe de la main, trois doigts levés pour témoigner la Trinité. Cette découverte fut immortalisée par le sculpteur Stefano Maderno
la Sainte Cécile de Moderno à l'église Sainte Cécile du Trastevere à Rome
voir le lien:
www.rome-passion.com/sainte-cecile-trastevere.html
Ce qu'en dit Jacques de Voragine
dans La Légende dorée ( rédigée entre 1261 et 1266 par Jacques de Voragine, dominicain et archevêque de Gênes)
SAINTE CÉCILE,
vierge et martyre, célébrée le 22 novembre:
Cécile, jeune fille romaine, de race noble, et nourrie dès le berceau dans la foi du Christ, portait toujours un évangile caché dans sa poitrine, priait nuit et jour, et demandait au Seigneur de lui conserver sa virginité. Elle fut cependant fiancée à un jeune homme nommé Valérien. Le jour de ses noces, elle revêtit ses chairs d’un cilice, par-dessous les robes dorées ; et, pendant que les orgues jouaient, elle, s’adressant à Dieu seul, chantait : « Permets, Seigneur, que mon cœur et mon corps restent immaculés ! » Vint enfin la nuit, et Cécile se trouva seule avec son fiancé dans le silence de sa chambre. Et elle lui dit : « Doux jeune homme bien-aimé, j’ai un mystère à te révéler, à la condition seulement que tu me jures de ne point me trahir ! » Puis, Valérien le lui ayant juré, elle lui dit : « Sache donc que j’ai pour amant un ange de Dieu, et que mon amant est jaloux de mon corps. S’il apprenait que, même légèrement, tu m’aies touché d’un amour impur, aussitôt il te frapperait et te ferait perdre la fleur de ta belle jeunesse. Mais si, au contraire, il apprend que tu m’aimes d’un amour pur, il t’aimera autant que moi et te montrera sa gloire ! » Alors Valérien, inspiré de Dieu, dit : « Si tu veux que je te croie, fais-moi voir cet amant ! Et si c’est en vérité un ange, je ferai ce que tu me demandes. Mais si ton amant est un homme, je. le tuerai avec toi ! » Et Cécile : « Pour que tu voies mon amant, il faut que tu croies dans le vrai Dieu, et que tu promettes de te faire baptiser. Va à trois milles d’ici, dans la voie Apienne ! Tu y trouveras des pauvres, à qui tu diras que Cécile t’envoie vers eux pour qu’ils te conduisent auprès du saint vieillard Urbain. Et quand tu seras en présence de ce vieillard, répète-lui. mes paroles ! Il te purifiera ; et, à ton retour ici, tu verras l’ange ! » Valérien se mit en route, et alla trouver l’évêque saint Urbain, qui se cachait parmi les tombeaux des martyrs. Et quand il lui eut répété les paroles de Cécile, le vieillard, levant les mains au ciel, s’écria : « Seigneur Jésus-Christ, bon pasteur, recueille le fruit de la semence que tu as semée en Cécile! Car voici que, ayant reçu pour mari un lion farouche, ta servante te l’as envoyé comme un doux agneau ! » Aussitôt apparut un vieillard tout vêtu de blanc, qui tenait un livre écrit en lettres d’or. À sa vue, Valérien, épouvanté, se jeta sur le sol; mais le vieillard le releva et lut dans son livre : « Un seul Dieu, une seule foi, un seul baptême! » Puis il dit à Valérien : « Crois-tu à tout cela, ou bien doutes-tu encore ? » Et Valérien de s’écrier : « Il n’y a rien sous le ciel à quoi je croie davantage ! » Aussitôt le vieillard disparut. Valérien reçut le baptême des mains de saint Urbain ; et, quand il revint auprès de Cécile, il la trouva s’entretenant avec un ange, dans sa chambre. Et cet ange tenait en main deux couronnes de roses et de lis, dont il donna l’une à Cécile et l’autre à Valérien, en disant : « Gardez ces couronnes avec un cœur pur et un corps immaculé, car je vous les ai apportées du paradis de Dieu ! Jamais elles ne se faneront ni ne perdront leur parfum ; mais ceux-là seuls pourront les voir qui aimeront la chasteté. Quant à toi, Valérien, puisque tu as suivi le sage conseil de Cécile, demande ce que tu veux, et tu l’obtiendras ! » Et Valérien : « Il n’y a rien dans cette vie qui ne me soit plus précieux que l’affection de mon frère unique. Je désirerais donc, que comme moi, il reconnût la vérité ! » Et l’ange : « Ta demande plaît à Dieu. Sache que tous deux, ton frère et toi, vous irez au Seigneur avec la palme du martyre! »
Là-dessus entra dans la chambre le frère de Valérien, Tiburce. Et, frappé du parfum des fleurs, il dit : « Je me demande d’où peut venir, en cette saison, ce parfum de roses et de lis. Sans compter que, si même j’avais les mains pleines de ces fleurs, je ne me sentirais pas imprégné de leur parfum aussi profondément ! » Et Valérien : « C’est que nous avons des couronnes faites de ces fleurs, et dont l’éclat n’est pas moins merveilleux que le parfum. Mais tes yeux ne peuvent les voir ; ils le pourront, seulement, si tu consens à partager notre foi. » Et Tiburce : « Est-ce que je rêve, ou bien me parles-tu vraiment ? » Et Valérien : « C’est jusqu’à présent que nous avons rêvé ; et désormais nous nous sommes éveillés à la vérité. » Et Tiburce : « Comment sais-tu cela ? » Et Valérien : « C’est un ange qui me l’a appris ; et tu pourrais le voir, comme nous, si, après avoir renoncé aux idoles, tu te faisais purifier. » Après quoi Cécile lui démontra avec tant d’évidence l’inanité des idoles, que Tiburce s’écria : « Celui qui ne croit pas à cela est une bête brute! » Alors Cécile, lui baisant la poitrine, dit : « Je reconnais en toi mon frère, et c’est Dieu qui a fait de toi mon frère, comme de ton frère il a fait mon mari. Va donc avec Valérien pour te faire purifier, afin qu’à ton retour tu puisses contempler le visage de l’ange ! » Et elle demanda à Valérien de conduire son frère auprès de l’évêque Urbain. Alors Tiburce : « Serait-ce le même Urbain qui se cache quelque part, après avoir été tant de fois condamné ? Mais, si on le découvre, on le brûlera, et nous serons brûlés avec lui ; et, pendant que nous chercherons au ciel une divinité cachée, nous trouverons sur la terre les angoisses du supplice ! » Et Cécile : « Si la vie d’ici-bas était notre seule vie, nous aurions raison de redouter de la perdre. Mais il y a une autre vie, meilleure, et qui ne se perdra point. C’est celle que nous a annoncée le-Fils de Dieu. » Puis elle lui raconta l’avènement du Christ et sa passion. Si bien que Tiburce dit à son frère : « Par pitié, conduis-moi vite vers cet homme de Dieu, pour que je reçoive ma purification ! » Et dès qu’il fut baptisé, il put, lui aussi, voir l’ange, et obtenir de lui ce qu’il désirait.
Ainsi convertis, Valérien et Tiburce passaient leur temps à distribuer des aumônes et à ensevelir les corps des martyrs. Ce qu’apprenant, le préfet Almaque leur demanda pourquoi ils ensevelissaient des hommes justement condamnés pour leurs crimes. Et Tiburce : « Plût à Dieu que nous fussions dignes d’être les esclaves de ceux que tu appelles des criminels ! Car ils ont su dédaigner ce qui paraît exister et n’existe pas ; et ils ont trouvé ce qui paraît ne pas exister et qui existe ! » Et Almaqué : « De quoi parles-tu là ? » Et Tiburce : « Ce qui paraît exister et qui n’existe pas, c’est tout ce qui est dans ce monde ; et c’est cela qui conduit l’homme, lui aussi, à ne pas exister. Et ce qui paraît ne pas exister et qui existe, c’est le salut des justes. » Le préfet lui répondit qu’il déraisonnait. Puis, s’adressant à Valérien : «. Puisque ton frère a le cerveau dérangé, toi, du moins, essaie de me répondre raisonnablement ! Dis-moi ce qui vous porte à dédaigner les plaisirs de la vie et à rechercher les souffrances. » Valérien répondit que, l’hiver, il avait vu des oisifs se moquant du pénible travail des laboureurs ; mais, l’été venu, et la saison des moissons, ceux-là se réjouissaient dont on s’était moqué, tandis que les railleurs se mettaient à pleurer. « Et de même, nous aussi, nous supportons la fatigue et les injures ; mais plus tard nous recevrons la gloire et la récompense éternelles. Et vous, qui éprouvez ici-bas une joie partagée, vous trouverez dans l’avenir le deuil éternel ! » Et le préfet : « Ainsi nous, princes glorieux, nous n’aurions à attendre qu’un deuil éternel, tandis que vous, misérables, vous posséderiez une joie sans fin ? » Et Valérien : » Vous n’êtes-que de pauvres hommes, et non pas des princes. Nés comme nous, vous aurez seulement à rendre à Dieu des comptes plus forts. » Alors le préfet : « A quoi bon tous ces bavardages ? Sacrifiez aux dieux, et vous vous en irez librement ! » Et comme les deux saints se refusaient à sacrifier, le préfet les confia à la garde de Maxime, qui allait, lui aussi, devenir un saint. Et Maxime leur dit : « Ô fleur pourprée de la jeunesse, ô couple charmant et tendre, d’où vient que vous couriez ainsi à la mort comme à un festin ? » Valérien lui répondit que, s’il voulait partager leur foi, il pourrait, après leur mort, contempler la gloire de leurs âmes. Et Maxime : « Je veux que la foudre m’anéantisse, si, quand j’aurai vu ce que vous me promettez, je ne proclame pas que votre Dieu est le seul vrai Dieu ! » Sur quoi Maxime et toute sa famille et tous les gardiens se convertirent, et reçurent le baptême des mains d’Urbain, qui vint en secret dans la prison.
Le lendemain, à l’aurore, Cécile s’écria : « Allez, soldats du Christ, rejetez l’œuvre des ténèbres, et revêtez les armes de lumière! » On conduisit les martyrs à quatre milles de Rome, devant une statue de Jupiter. Et comme ils se refusaient à sacrifier, ils eurent la tête tranchée. Et Maxime affirma sous serment qu’il avait vu des anges briller autour d’eux et emporter leurs âmes vers le ciel, pareilles à des vierges qu’on porte dans leur lit. Ce qu’entendant, Almaque ordonna que Maxime fût frappé de verges plombées jusqu’à ce que mort s’ensuivît. Cécile recueillit son corps et l’ensevelit à côté de ceux des deux saints.
Après cela, Almaque s’enquit des biens laissés par ceux-ci. Et, découvrant que la femme de Valérien était chrétienne, il lui ordonna de sacrifier aux idoles, sous peine de mort. Les soldats qui la conduisaient l’engageaient à se soumettre, désoles de voir une jeune femme si belle et si noble se livrer à la mort. Et elle leur dit : « Chers amis, ce n’est point là perdre sa jeunesse, mais faire un échange ; c’est donner de la boue et recevoir de l’or, c’est donner une cabane et recevoir un palais. Si quelqu’un vous offrait une livre pour un sou, ne vous hâteriez-vous pas d’accepter son offre? Or Dieu rend au centuple tout ce qu’on lui donne. Croyez-vous à tout ce que je vous dis ? » Et eux : « Nous croyons que ton maître le Christ est le vrai Dieu, puisqu’il possède une servante telle que toi ! » Et l’évêque Urbain les baptisa, au nombre de plus de quatre cents.
Puis Cécile comparut devant Almaque et répondit à ses questions en proclamant sa foi. Alors Almaque : « Laisse maintenant tes folies, et sacrifie aux dieux ! » Et Cécile : « C’est toi qui me parais atteint de folie : car, là où tu vois des dieux, nous ne voyons que des pierres. Étends la main, et constate du moins parle toucher ce que tes yeux ne parviennent pas à voir ! » Almaque, furieux, la fit ramener dans sa maison, où, jour et nuit, il ordonna qu’elle fût plongée dans un bain d’eau bouillante. Mais elle y resta comme en un lieu frais, et sans que même une goutte de sueur parût sur elle. Ce qu’apprenant, Almaque ordonna qu’elle eût la tête tranchée dans son bain. Le bourreau la frappa de trois coups de hache ; et comme elle vivait toujours, et que la loi défendait de frapper les condamnés de plus de trois coups, la sainte fut laissée encore respirante. Elle survécut trois jours à son supplice. Elle distribua aux pauvres tous ses biens, et recommanda à l’évêque Urbain tous les fidèles qu’elle avait convertis, en disant : « J’ai demandé au ciel ces trois jours de délai pour te faire une dernière fois mes recommandations, et pour te prier de consacrer une église sur l’emplacement de cette maison où je meurs. » Puis elle rendit l’âme, et saint Urbain, après l’avoir ensevelie, transforma sa maison en église, comme elle l’avait de- mandé. Elle mourut à l’âge de vingt-trois ans, en l’an du Seigneur 200, sous l’empereur Alexandre. Mais d’autres historiens veulent que son martyre ait eu lieu vingt ans plus tard, sous le règne de Marc-Aurèle."
Je rappelle au sujet des volets d'orgues peints en Europe ce beau livre paru en 2001 à Rotterdam (où se glisse un chapitre sur la Corse dans le concert de l'Europe) :
Je ne suis pas sûre, hélas, qu'il soit encore disponible.
ISBN 90-804439-2-1
NUGI 912
17:16 Publié dans corse, iconographie des saints, patrimoine populaire de Corse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ste cécile, le roi david, tribunes et volets d'orgues peints en corse, psaumes de david, davia, corbara, zilia, sant antonino, speloncato, piedigrisgio, castiglione, san martinu di lota, lozzi, ochjatana, palasca, pianellu | Facebook |
25/11/2012
Ste Catherine d'Alexandrie, 25 novembre
Sainte Catherine d'Alexandrie
Santa Catarina
quelques témoignages en Corse
à Loriani, petit village de la Castagniccia, dans l'église sainte Catherine,
cette toile très intéressante représentant
le martyre de sainte Catherine
(voir en fin de note le récit de Jacques de Voragine dans " La Légende dorée)
en résumé :
Sainte Catherine, s'étant vouée au Christ, refuse d'épouser l'empereur Maxence et de sacrifier aux dieux. Mieux, elle sort victorieuse d'une célèbre dispute avec les plus sages de l'entourage de Maxence, une cinquantaine de philosophes et d'orateurs qu'elle parvient à convertir ... C'est que, on le sait, les Catherines sont de grandes intellectuelles! Maxence après l'avoir longuement emprisonnée sans nourriture la voue au martyre par le supplice des roues dentées de pointes acérées de fer: mais l'intervention divine brise en éclats la machine infernale qui se retourne contre les bourreaux et l'assistance ... Pour en finir il faudra tout de même décapiter notre redoutable, brave et coriace sainte Catherine ... et de son cou jaillit du lait
notre sainte Catherine en son martyre opère bien malgré elle un miracle sanglant
avec l'aide d'un angélique Exterminator: avis aux malveillants!
Cette belle toile porte une signature ( Marc Antonio De Santis, le peintre napolitain installé à Bastia) et une date surprenantes (1655): peut-être G. Grandi l'a-t-il, un siècle plus tard, reprise ?
Des références hors de Corse de cette scène:
vue par Masolino da Panicale (début XV°s.)
à l'église San Clemente de Rome
ou par Lucas Cranach (XVI° s.), avec toute sa féroce sensualité ...
Revenons en Corse:
à Nonza (Cap Corse), la Vierge et l'Enfant, entourés de St Antoine Abbé et st Jean-Baptiste
remettent le Rosaire à st Dominique, ste Catherine d'Alexandrie (présentant à la Vierge pour requérir sa protection, un vaisseau battant pavillon génois), Pie V, Philippe II, Don Juan d'Autriche , la reine Anne d'Espagne etc ...
Ici, Sainte Catherine a revêtu des vêtements royaux, signalant sa noblesse .
à la chapelle à fresques de San Pantaleu de Gavignano, le détail représentant Ste Catherine au côté de San Pantaleu. Cette chapelle fait l'objet d'une restauration cette année.
le beau visage pensif de Catherine, détail
à la chapelle Santa Cristina ( Valle di Campoloro), Santa Cristina tient la palme de son martyre,
tandis qu'à San Tumasgiu di Pastureccia (Rustinu), Catherine fait partie des six saints intercesseurs,
du moins ce qu'il en reste ...
La roue a disparu, mais reste le bâton de son supplice.
Hélas, la restauration prévue n'a toujours pas démarré et l'eau qui ruisselle a continué son oeuvre destructrice. Aux dernières nouvelles, le toît a reçu quelques rafistolages de lauzes en attendant mieux: incompréhensible pour l'une des plus belles fresques de Corse!
Un dernier thème:
le mariage mystique de Sainte Catherine
ici représenté à Sant Antonino (Balagne) - avec la donatrice à ses pieds : on sait que l'attribut traditionnel de Sainte Catherine d'Alexandrie est la roue de son martyre, qui est symbolisé ici par l'anneau de son mariage à Jésus.
... et le même thème peint par Hans Memling vers 1480 (Nationam Gallery of Art, New York).
Et maintenant, pour les plus courageux, La Légende dorée de Jacques de Voragine:
( http://fr.wikisource.org/wiki/La_L%C3%A9gende_dor%C3%A9e/Sainte_Catherine)
(25 novembre)
SAINTE CATHERINE, vierge et martyreCatherine, fille du roi Coste, fut instruite dès son enfance dans tous les arts libéraux. Lorsque l’empereur Maxence convoqua à Alexandrie tous les habitants de la province, riches et pauvres, pour sacrifier aux idoles. Catherine, qui avait alors dix-huit ans, et qui était restée seule dans son palais avec de nombreux serviteurs, entendit un jour un grand bruit mêlé de chants et de gémissements. Elle demanda d’où cela provenait ; et quand elle le sut, prenant avec elle quelques serviteurs et se munissant du signe de la croix, elle se rendit sur la place, où elle vit de nombreux chrétiens qui, par peur de la mort, se laissaient conduire aux temples pour y sacrifier. Blessée de cette vue jusqu’au fond de son cœur elle aborda audacieusement l’empereur et lui dit : « Je viens te saluer, empereur, à la fois par déférence pour ta dignité et parce que je veux t’engager à t’éloigner du culte de tes dieux pour reconnaître le seul vrai créateur ! » Puis, debout devant la porte d’un temple, elle se mit à discuter avec Maxence, conformément aux diverses modes du syllogisme, par allégorie et par métaphore. Après quoi, revenant au langage commun, elle dit : « Je me suis adressée jusqu’ici au savant, en toi. Mais à présent, dis-moi comment tu as pu rassembler cette foule pour célébrer la sottise des idoles ! » Et comme elle démontrait savamment la vérité de l’incarnation, l’empereur, stupéfait, ne sut d’abord que lui répondre. Enfin il lui dit : « Ô femme, laisse-moi achever le sacrifice, et ensuite je te répondrai ! » Et il la fit conduire dans son palais, où il ordonna qu’elle fût soigneusement gardée : car il avait été très frappé de sa science et de sa beauté. Catherine était en effet d’une beauté merveilleuse, que personne ne pouvait voir sans en être ravi.
Après la fête, l’empereur se rendit au palais et dit à Catherine : « J’ai entendu ton éloquence et admiré ta sagesse ; mais, absorbé comme je l’étais par la cérémonie, je n’ai pas pu pleinement comprendre tout ce que tu disais. Dis-moi donc à présent qui tu es ! » Et elle : « Je suis Catherine, fille du roi Coste. Née dans la pourpre, et élevée dès l’enfance dans les arts libéraux, j’ai dédaigné tout cela pour me réfugier auprès de mon Seigneur Jésus-Christ. Et quant aux dieux que tu adores, ils ne sauraient secourir ni toi, ni personne ! » Et l’empereur : « Je le vois, tu cherches à nous décevoir par ta pernicieuse éloquence, en t’efforçant d’argumenter à la manière des philosophes ! » Et, comprenant qu’il ne parviendrait pas à lui répondre lui-même, il manda en grande hâte, à Alexandrie, tous les grammairiens et rhéteurs du temps, leur promettant de grandes récompenses s’ils parvenaient à réfuter la jeune fille. Il en vint ainsi plus de cinquante, tous fameux dans les sciences de ce monde. Et comme ils demandaient pourquoi on les avait fait venir de régions si lointaines, l’empereur répondit : « C’est que nous avons ici une jeune fille d’une sagesse et d’un esprit incomparables, qui réfute tous les savants, et prétend que tous nos dieux ne sont que des démons. Réfutez-la, et je vous renverrai chez vous chargés d’honneurs et de présents ! » Alors un des orateurs s’écria : « Ô étrange projet, de rassembler tous les savants des quatre coins du monde pour tenir tête à une jeune fille que le moindre de nos clients réduirait au silence ! » Et l’empereur : « Je pouvais en vérité la contraindre à sacrifier aux dieux, ou la châtier en cas de refus ; mais j’ai jugé meilleur qu’elle fût confondue par vos arguments. » Alors les orateurs : « Qu’on amène donc en notre présence cette jeune fille, afin qu’elle avoue sa témérité, et reconnaisse n’avoir même jamais vu de vrais savants ! »
Mais,Catherine, en apprenant le combat qui se préparait pour elle, se recommanda au Seigneur ; et un ange descendit vers elle pour l’engager à la fermeté, lui affirmant que, non seulement elle ne serait pas vaincue par ses adversaires, mais que même elle les convertirait et leur procurerait la palme du martyre. Amenée en présence des orateurs, elle dit à Maxence : « De quel droit opposes-tu cinquante orateurs à une seule jeune fille ? et pourquoi promets-tu de les récompenser, en cas de victoire, tandis que tu me forces à lutter sans espoir de récompense ? Mais j’aurai ma récompense dans mon Seigneur Jésus-Christ, espoir et couronne de ceux qui luttent pour lui ! » Les orateurs lui dirent alors que c’était chose impossible qu’un Dieu devînt homme et connût la souffrance. Mais elle répondit en leur montrant que les païens eux-mêmes avaient prédit l’incarnation du Christ. La Sibylle n’avait-elle pas dit : « Heureux le Dieu qui pend sur une croix de bois ! » Et Catherine continua de discuter ainsi avec les orateurs » les réfutant par des raisons évidentes, jusqu’à ce que, stupéfaits, ils ne surent plus que lui dire. Alors l’empereur, furieux, leur reprocha de se laisser vaincre honteusement par une jeune fille. Et l’un de ces orateurs, qui était le plus savant, et parlait au nom de ses confrères, dit : « Tu sais, empereur, que personne jamais n’a pu nous résister ; mais c’est l’esprit même de Dieu qui parle en cette jeune fille ; et elle nous a remplis d’une telle admiration que nous n’osons plus dire un, seul mot contre ce Christ qui nous apparaît désormais comme le seul vrai Dieu ! » Ce qu’entendant, l’empereur, exaspéré, les fit tous brûler au milieu de la ville ; et Catherine, en même temps qu’elle les réconfortait, achevait de les instruire des vérités de la foi. Et, comme ils se plaignaient d’avoir à mourir sans être baptisés, elle leur répondit : « Soyez sans crainte, car l’effusion de votre sang vous tiendra lieu de baptême ! » Alors, s’étant munis du signe de la croix, ils furent précipités dans les flammes ; et ils rendirent leurs âmes de telle façon que ni leurs cheveux, ni leurs vêtements, ne furent touchés par le feu.
Pendant que les chrétiens s’occupaient de les ensevelir, Maxence dit à Catherine : « Noble jeune fille, aie pitié de ta jeunesse, et je te ferai impératrice dans mon palais, et le peuple entier adorera ton image, au milieu de la ville ! » Mais elle : « Cesse de dire des choses dont la pensée même est un crime. J’ai pris le Christ pour fiancé, lui seul est ma gloire et mon amour ; et ni caresses ni tourments ne pourront me détourner de lui ! » L’empereur la fit alors dépouiller de ses vêtements ; il la fit frapper de griffes de fer, puis, l’ayant jetée dans une obscure prison, il ordonna que pendant dix jours on la laissât sans nourriture.
Là-dessus, l’empereur se vit forcé de se rendre dans une autre province. Or sa femme, qui avait pour amant un officier nommé Porphyre, vint, la nuit, dans la prison de Catherine. Et, y étant entrée, elle vit la cellule remplie d’une clarté immense, et elle vit que les anges pansaient les plaies de la prisonnière. Et celle-ci, s’étant mise à lui décrire les joies éternelles, la convertit et lui prédit la couronne du martyre. Ce qu’apprenant, Porphyre alla se jeter, lui aussi, aux pieds de Catherine, et il reçut la foi du Christ avec deux cents de ses hommes.
Quand l’empereur revint, douze jours après son départ, il se fit amener la jeune fille, qu’il s’attendait à voir anéantie par ce jeûne prolongé. La voyant au contraire resplendissante de vie, il soupçonna que quelqu’un l’avait nourrie, dans sa prison, et décréta que ses gardiens fussent mis à la torture. Mais Catherine : « Aucun être humain ne m’a nourrie, mais bien le Christ par l’entremise de ses anges. » Alors l’empereur, plus frappé que jamais de sa beauté, lui proposa, une fois de plus, de l’élever au trône avec lui. Et comme elle s’y refusait, il lui dit : « Choisis entre deux choses, ou bien de sacrifier aux idoles, et de vivre, ou bien de mourir dans des tourments effroyables ! » Et elle : « Quelques tourments que tu puisses imaginer, n’hésite pas à me les infliger, car j’ai soif d’offrir ma chair et mon sang à Jésus, qui a offert pour moi sa chair et son sang ! Lui seul est mon Dieu, mon maître, mon mari et mon amant ! » Alors un préfet conseilla à l’empereur de faire préparer quatre roues garnies de pointes de fer, et de s’en servir pour déchirer les chairs de Catherine, de façon à épouvanter, par un tel exemple, les autres chrétiens. Et l’on décida que, de ces quatre roues, où l’on attacha la sainte, deux seraient poussées dans un sens et deux dans un autre, pour que les membres de Catherine fussent arrachés et broyés en morceaux. Mais la sainte pria Dieu que, pour la gloire de son nom et pour la conversion des assistants, il anéantît cette affreuse machine. Et voici qu’un ange secoua si fortement la masse énorme des quatre roues, que quatre mille païens périrent écrasés.
En ce moment l’impératrice, qui avait assisté à la scène du haut du palais, s’enhardit à descendre, et reprocha à son mari tant de cruauté. Le roi lui fit arracher les mamelles, puis trancher la tête. Et l’impératrice, allant au martyre demanda à Catherine de prier pour elle. Et Catherine : « Sois sans crainte, princesse aimée de Dieu, car ta royauté passagère va se changer aujourd’hui en une royauté éternelle, et en échange d’un mari mortel tu en acquerras un immortel ! » Sur quoi, l’impératrice, raffermie, encouragea ses bourreaux à exécuter leur mission. Ils la conduisirent donc hors de la ville, lui arrachèrent les mamelles avec des pointes de fer et lui coupèrent la tête. Et Porphyre, recueillant ses restes, les ensevelit.
I. Le lendemain, Maxence envoya au supplice les bourreaux de sa femme, qu’il soupçonnait d’avoir dérobé le corps de celle-ci. Mais Porphyre, s’élançant au milieu de la foule, s’écria : « C’est moi qui ai enseveli la servante du Christ, ayant reçu comme elle la foi chrétienne ! » Maxence, fou de douleur, poussa un rugissement terrible et s’écria : « Malheureux que je suis ! voici maintenant que Porphyre lui-même s’est laissé séduire, mon seul confident, le seul en qui j’avais confiance ! » Et comme il le dénonçait à ses soldats, ceux-ci répondirent : « Nous aussi, nous sommes chrétiens et prêts à mourir ! » Sur quoi, l’empereur, ivre de rage, les fit tous décapiter ainsi que Porphyre, et ordonna que leurs restes fussent jetés aux chiens.
Puis, se tournant vers Catherine : « Bien que, par tes sortilèges, tu aies causé la mort de l’impératrice, je t’offre encore, cependant, de devenir la première dans mon palais ! » Et comme, de nouveau, elle repoussait son offre avec indignation, il la condamna à être décapitée. Or, pendant qu’on la menait au supplice, elle dit, les yeux levés au ciel : « Espoir et salut des croyants, honneur et gloire des vierges, Jésus, mon bon maître, exauce ma prière ! Fais en sorte que toute personne qui m’invoquera, soit à l’heure de la mort ou dans le danger, se trouve secourue en souvenir de ma passion ! » Et une voix, du haut du ciel, lui répondit : « Viens, ma chère fiancée, les portes du ciel sont ouvertes devant toi. Et à ceux qui célébreront pieusement ton martyre je promets le secours qu’ils demanderont ! » Après quoi la sainte eut la tête tranchée, et de son corps jaillit du lait au lieu de sang. Et des anges, recueillant ses restes, les transportèrent de ce lieu sur le mont Sinaï, où ils ne l’ensevelirent que vingt jours après. Aujourd’hui encore, une huile miraculeuse découle de ses os, qui guérit aussitôt les membres affaiblis. Sainte Catherine fut martyrisée vers l’an du Seigneur 310. Quant à la façon dont Maxence fut puni de ce crime et des autres qu’il avait commis, nous l’avons racontée déjà en traitant de l’Invention delà Sainte Croix [1].
III. Un moine de Rouen s’était rendu au mont Sinaï, et, pendant sept ans, avait pieusement prié sainte Catherine. Au bout de ce temps, il demanda à la sainte la grâce de posséder un fragment de ses reliques ; et aussitôt de la main de la sainte se détacha un doigt, que le moine emporta joyeusement dans son monastère. – Un autre moine, après avoir eu longtemps une dévotion spéciale pour sainte Catherine, avait peu à peu négligé d’invoquer la sainte. Or un jour, étant en prière, il vit passer devant lui une troupe de vierges dont l’une, en l’approchant, se détourna et se couvrit le visage. Et comme il demandait à ses compagnes qui elle était, une d’elles lui répondit : « C’est Catherine, que jadis tu connaissais bien ! Mais comme maintenant tu parais ne plus la connaître, elle s’est voilé le visage en t’apercevant, pour passer près de toi comme une inconnue ! »
IV. Certains auteurs se demandent si, au lieu de Maxence, ce n’est pas plutôt Maximin qui a présidé au martyre de sainte Catherine. Il y avait alors trois empereurs : 1° Constantin, qui avait succédé à son père ; 2° Maxence, fils de Maximilien, élu à Rome par les soldats ; 3° Maximin, proclamé César en Orient. Et, suivant les chroniques, Maxence persécutait les chrétiens à Rome, pendant que Maximin les persécutait en Orient. On suppose donc qu’il y aura eu, dans le premier récit du martyre de sainte Catherine, une faute d’écriture, et que c’est Maximin qu’on doit lire au lieu de Maxence."
Epilogue:
" Cath’rine était chrétienne
Bibiboum bidiboum bidi boum boum boum
Cath’rine était chrétienne
sont père ne l’était pas Ah ah ! Ah ah ! (bis)
son père ne l’était pas
Un jour dans sa prière
Bibiboum bidiboum bidi boum boum boum
Un jour dans sa prière
son père la trouva Ah ah ! Ah ah ! (bis)
son père la trouva
Que faites-vous ma fille
dans cette pose là
Je prie Dieu mon père
que vous n’connaissez pas
Relevez-vous ma fille
ou bien l’on vous tuera
Tuez-moi donc mon père
mais je n’faillirai pas
Le roi dans sa colère
d’un glaiv’ la transperça
Les anges descendirent
chantant alléluia
Les démons accoururent
et enfourchèrent le roi
Cette histoire est trop triste
on n’la r’commenc’ra "
15:04 Publié dans iconographie des saints, patrimoine de corse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : iconographie de sainte catherine | Facebook |
15/10/2012
Castirla: Cappella San Michele, Pieve de Talcini
Visite ce jeudi 11 Octobre 2012
de la chapelle San Michele de Castirla
Pieve de Talcini
après sa récente restauration et son inauguration,
le 29 septembre dernier, jour de la Saint Michel
Voici ce que disait Mgr MASCARDI de cette petite chapelle après sa visite en 1589 (fol 244) _ cité par Geneviève Moracchini Mazel, p. 329 de son ouvrage (hélas épuisé) sur les églises romanes de Corse:
" ... Eglise paroissiale San Michele, annexe de Sant'Andrea d'Omessa ... elle se trouveà un tiers de mille des habitations ... son toit laisse passer la pluie ... il y a deux portes ... les murs sont pleins de trous et comportent une fenêtre en mauvais état ... il y a une cloche pendue à un arbre ... l'autel est placé sous une abside peinte ... il y a 21 feux et 80 âmes".
J'avais mis une "Brève du Purgatoire" (sic!) en Août 2008 pour signaler l'état inquiétant de cette petite chapelle en son cimetière ( une première fois sauvée de la ruine en 1963, première restauration des fresques en 1964, puis toiture refaite en 1984 ...)
http://elizabethpardon.hautetfort.com/archive/2008/08/16/breve-du-purgatoire-castirla-aout-2008.html
Entre temps les volontés conjuguées de la Municipalité de Castirla et de la Collectivité Territoriale de Corse (engagée dans son ambitieux programme de restauration de l'ensemble des chapelles à fresques de Corse - voir la note: http://elizabethpardon.hautetfort.com/archive/2011/02/17/ou-en-sont-les-projets-de-restauration-des-chapelles-a-fresq.html ) ont permis de restituer l'intégrité et tout le charme de cette modeste chapelle. La charpente (qui s'était effondrée sous l'action des intempéries et de la mérule) a été à nouveau refaite, elle a reçu une nouvelle couverture de teghje, l'extérieur et l'intérieur nous accueillent aujourd'hui à nouveau avec grâce et simplicité.
Ce que l'on découvre en entrant, vers l'abside, côté est
et vers la porte ouest
Les fresques restaurées ( fin XV° siècle):
(par l'atelier Paillard Boyer de Montpellier)
l'ensemble des fresques:
Dans l'abside en cul de four, au registre inférieur, le niveau des hommes, la série des douze apôtres dont on peut encore lire certains noms; au-dessus, pieds nus en dedans le personnage central du Christ en majesté, entouré du Tétramorphe (les quatre Evangélistes), Dans l'arc triomphal, la traditionnelle représentation de l'Annonciation; sous l'Ange Gabriel, Marie tient l'Enfant Jésus sur ses genoux; sous la Vierge de l'Annonciation, Saint Michel, le saint patron de la chapelle.
au centre, le "Christ Pantocrator" : le Christ en majesté
bénissant de sa main droite, pouce, index et majeur levés - le geste de la bénédiction "latine". Dans cette représentation du Christ en majesté, telle qu'on le retrouve habituellement peint au centre des absides de nos chapelles à fresques en Corse, ce geste de bénédiction semble délivrer en outre le message trinitaire : une même bénédiction donnée par le Père, le Fils et l'Esprit Saint.
dans sa main gauche, le Livre divin ouvert:
" EGO SUM LUX MUNDI ET VIA VERITAS ET VITA"
" Jésus leur parla de nouveau, et dit : Je suis la lumière du monde; celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie."
(Jean, 8, 12)
Le Christ est entouré du Tétramorphe, la personnification zoomorphe, ailée, symbolique des quatre Evangélistes . Un peu de révision, en passant par les traditions ésotériques, de ces quatre éléments qui apparaissent dans l'Apocalypse de Saint Jean, hérités des civilisations égyptiennes et mésopotamienne, et de la vision d'Ezechiel dans la Bible :
L'Ange (ou l'Homme ailé), Saint Matthieu:
l'Ange de la Naissance, l'intuition de la vérité
Saint Luc: Le Taureau (ou le Boeuf)
le sacrifice et la Mort, la terre, la résistance
Le Lion, Saint Marc:
la Résurrection, le feu, la force, le mouvement
L'Aigle, Saint Jean:
l'Ascension, l'air, l'intelligence, l'action
Au registre inférieur, sous le Christ, et derrière l'autel, alternant sur fond ocre rouge ou blanc, les douze apôtres, représentés en pied et curieusement proportionnés, racourcis, espace oblige. Leurs visages, de trois quart, semblent suspendus à leur vision intérieure, et leurs mains prêchent et dialoguent:
certains portent leur nom au-dessus de leur tête, comme ici Saint Philippe et Saint Matthieu
Saint André et Saint Taddée,
Saint Jacques le Mineur
Saint Jacques le Majeur et un autre apôtre
Saint Pierre et ses clefs sous le pied nu du Christ
un autre apôtre, enseignant
et encore celui-ci: le juvénile Saint Jean, il me semble, l'apôtre bien aimé sous l'autre pied du Christ ...
Saint Barthélémy, impressionnant écorché, armé du couteau de son supplice,
et portant sur son épaule son double: sa peau ...
Les prunelles se sont parfois effacées, sans doute initialement peintes "a secco" , comme ici:
(avec Josquin Desprez: Gaude Virgo, Mater Christi)
http://youtu.be/NGwZnvfqRCY
- les couleurs sont très altérées -
sur de pied-droit à gauche de l'arc triomphal, la Vierge présente l'Enfant à l'adoration des fidèles: à la fois Mater Christi (Mère du Christ) et Mater Ecclesiae (Mère de l'Eglise).
(avec Jacky Micaelli, Tota pulchra es Maria, d'après un manuscrit franciscain du XVIII° s.de Corse, revu par Marcel Perez)
http://youtu.be/jJhLAND4gc0
et de l'autre côté, armé et cuirassé, Saint Michel pèse les âmes et maîtrise de sa lance le Diable
... qui ronronne comme un gentil dragon apprivoisé, fouettant l'air de sa queue: méfiance! je crois qu'il tente d'attraper la petite âme vacillante qui glisse par-dessus bord du plateau de la balance ...
silence!
Certes le peintre de Castirla n'est sans doute pas un fresquiste virtuose, mais il sait donner toute leur intériorité à ses visages et transmettre avec sincérité les messages essentiels, sans gloses superflues ...
Une petite chapelle paisible
où il fait bon revenir
et se retrouver.
Elle est située le long d'un chemin de transhumance autrefois très fréquenté, reliant la vallée du Golo à la région du Niolo, en passant par la saignée minérale de la Scala di Santa Regina...
Renseignements à la mairie de Castirla : 04 95 47 41 40
22:33 Publié dans découverte du patrimoine en Corse, fresques de corse, iconographie des saints, restauration du patrimoine | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : castirla, fresques de san michele de castirla, tétramorphe, christ pantocrator, mater ecclesiae, tota pulchra es maria, jacky micaelli | Facebook |
27/02/2012
Castirla
Hier, petite visite à Castirla, Pieve de Talcini, ancien diocèse d'Aleria
quelques images de sa petite église Santa Nunziata, avec ses bons et ses méchants ...
En vérité, celui-là, je l'avais déjà repéré il y a une quinzaine d'années: bien sûr, c'est le super méchant de service,
oui, vous l'avez reconnu, ce satané Diable, charbonneux, édenté, cornu, griffu, armé d'une queue de scorpion, bref l'Affreux de service dans son royaume de flammes,
heureusement terrassé par le Bon, le grand, le lumineux saint Michel Archange
dans sa danse victorieuse, tenant en laisse comme un méchant toutou la créature infernale dans ce beau médaillon que j'ai eu plaisir à retrouver, sur la voûte de cette église modeste: le village, conscient de l'état préoccupant de sta Nunziata, a prévu des travaux de restauration qui deviennent urgents. Le toît prend l'eau, et si tout va bien, d'ici quelque temps, après son sauvetage, il sera possible de découvrir les peintures murales qui se cachent derrière le badigeon de chaux.
Donc, une église qui honore à la fois l'Annonciation:
(au-dessus du maître-autel)
et son St Michel ( statue de bois polychrome)
avec un Diable qui a perdu ses cornes, les risques du métier!
et un saint Michel qui aurait besoin de vacances ...
Le village se vide progressivement de ses anciens et de ses familles d'origine. Difficile alors de ressentir de l'attachement pour un patrimoine qu'on ne fréquente plus guère et qui ne parle plus.
Cela dit, de bonnes nouvelles de la chapelle San Michele de Castirla:
la bâche a fait place à un toît refait sur charpente neuve: victoire!
Les travaux sont en bonne voie, et ce sera un grand plaisir de revenir visiter cette petite chapelle adorable ...
et son méditatif Christ Pantocrator ...
12:26 Publié dans corse, iconographie des saints, patrimoine des chapelles à fresques en Corse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : castirla, saint michel, talcini, fresques de castirla | Facebook |
18/08/2008
Castirla Août 2008:Brève du Purgatoire
CASTIRLA Cappella San Michele
Faut-il sauver San Michele di CASTIRLA ? ( Pieve de Talcini)
Le cimetière de CASTIRLA et la petite chapelle San Michele, chère à mon coeur, à taille humaine, évidente et fragile sous ses teghje dérangées, sa charpente ruinée par la mérule et les insectes xylophages... Dans son environnement un peu trop paisible, un peu trop silencieux, un peu trop loin de la communauté des vivants.
Chronique:
"Mgr Mascardi a visité cette chapelle en 1589 (fol. 244): "... Eglise paroissiale San Michele, annexe de Sant'Andrea d'Omessa... elle se trouve à un tiers de mille des habitations... son toit laisse passer la pluie... il y a deux portes... les murs sont pleins de trous et comportent une fenêtre en mauvais état... il y a une cloche pendue à un arbre... l'autel est placé sous une abside peinte... il y a 21 feux et 80 âmes" (cité par Geneviève MORACCHINI MAZEL dans "Les Eglises Romanes de Corse", publié avec le concours du C.N.R.S. en 1967).
"Nous supposons que la chapelle San Michele pourrait appartenir au groupe préroman le plus ancien, entre le VIIe s. et le IXe s. ( idem)
A cette époque, bien évidemment, il n'y avait pas de cimetière autour de la chapelle.
Et voici ce qu'en dit Joseph ORSOLINI, pionnier sensible et passionné dans son ouvrage " L'Art de la Fresque en Corse de 1450 à 1520" publié en 1989:
"Sauvée une première fois de la ruine en 1963 (couverture en tôles, charpente effondrée...) la toiture de la chapelle a été refaite en 1983 par l'entreprise Piacentini de Furiani, à la demande des Bâtiments de France. Son toît de "teghje" est surmonté d'un clocheton de construction tardive (XVIIIe s.) ... Les fresques (fin XVe S.) sérieusement décollées par les intempéries furent restaurées en 1964 par les Monuments Historiques (...) Aujourd'hui protégées, elles sont le symbole par excellence de la tradition picturale populaire. (...)"
Ensemble des peintures de l’abside en cul de four et de son arc triomphal, datables de la fin XVe siècle. Une iconographie bien établie dans nos "chapelles à fresques": au centre de l'abside, le Christ Bénissant, entouré du Tétramorphe. Sous ses pieds, les douze apôtres. De part et d'autre, sur l'Arc triomphal, la scène de l' Annonciation. Sur les pieds de l'Arc, à gauche, la Vierge à l'Enfant, à droite, St Michel.
L’histoire bégaye trop souvent et 25 ans après la réfection de la toiture, voici l’état effrayant de la chapelle : ce lieu où se vit encore, mais pour combien de temps ? le divin dans une expression touchante, appliquée, un peu maladroite, est à nouveau proche de la ruine. Ces dernières années, avant 2004, lors de mes visites de "la Montagne des Orgues", j'avais pris l'habitude, aussi souvent que possible, de faire découvrir ce petit sanctuaire intime, son abside peinte à hauteur d'homme où l'on tutoie sans crainte le Christ en Majesté tant son visage est proche et son humanité évidente.
Le Christ en majesté, bénissant de sa main droite, et tenant de sa gauche le traditionnel livre ouvert: "EGO SUM LUX MUNDI ET VIA VERITAS ET VITA". Il est encadré comme de juste par la représentation du tétramorphe et l'on voit derrière sa tête la Jérusalem Céleste.
Ces fresques ont déjà beaucoup souffert, lessivées par les intempéries, certaines parties se sont effacées comme le visage de Saint Michel, les orbites des yeux de certains saints personnages se sont vidées depuis longtemps de leurs prunelles, mais il reste un ensemble plein de vie qui résiste encore, mais pour combien de temps? à la dégradation générale de l'édifice.
... l'Archange Gabriel, dans la scène de l'Annonciation, écoinçon de gauche de l'Arc triomphal....
... et dans l'écoinçon de droite, la Vierge en prière reçoit la Colombe de l'Esprit Saint.
Les tentures pourpres de sa chambre close évoquent peut-être l'intimité inviolable de son ventre maternel. Le bleu de son manteau, couleur céleste, a bientôt disparu, seul reste le rouge-humanité de sa robe.
...sous les pieds de la Vierge, l'Archange St Michel, le Saint Patron de cette chapelle.
Selon l'usage, il pèse les âmes et maintient Satan sous sa lance.
Dans la partie basse de l'abside l'on peut détailler les douze apôtres, comme autant de piliers solides de l'église.
...parmi eux, Saint Barthélémy, sa peau d'écorché sur l'épaule et le couteau de son supplice à la main...
... à gauche de l'abside, sous Gabriel, la Vierge présente sur ses genoux l'Enfant Jésus à l'adoration des fidèles...
Mère de Dieu, Mère de l'Eglise. Là encore, les couleurs se sont estompées... A sa droite, la frise des apôtres en grande conversation et tenant le Livre à la main. Au-dessus de leurs têtes, on aperçoit le Lion de l'Evangéliste Marc.
Et maintenant, voici l'état actuel de la charpente, vue lors de mon dernier passage à la chapelle, le 13 AOÜT 2008. La chapelle est bien entendue fermée au public: les risques d'effondrement de la toiture sont malheureusement aujourd'hui confirmés.
La partie de droite de la charpente a déjà cédé et l'on voit le jour à de nombreux endroits. Sous l'action de la mérule ( ce champignon qui ôte toute cohésion aux fibres du bois, une véritable peste), les poutres ne peuvent plus soutenir le poids des teghje (dalles de pierre couvrant traditionnellement le toit, très lourdes). La mérule s'est installée insidieusement, profitant du glissement incontrôlé de certaines teghje, de l'absence de surveillance régulière de ce lieu, du lessivage des pluies pénétrant en force, de l'obscurité ambiante, un vrai régal pour tous les prédateurs du bois, de quel ordre qu'ils soient... Les taches blanchâtres sur les poutres signent la présence de la mérule, que j'ai appris à reconnaître grâce à un ami architecte qui faisait cette visite avec moi en 2004... Nous avions alerté alors la municipalité de Castirla qui se bat depuis pour tenter de trouver une solution à cette situation d'urgence.
Les instances sollicitées par le maire pour tenter de sauver cet édifice classé par les Monuments historiques le 22 septembre 1958, demandent à ce que soient réalisées des fouilles archéologiques avant de s'atteler à la restauration de la chapelle. L'archéologue pressentie pour ces fouilles a exprimé le désir somme toute assez humain de rester en vie, et remet son intervention à une date indéterminée, lorsque la toiture sera hors de danger... de nuire. A la suite de quoi, l'architecte en chef des M.H. demande à la mairie de Castirla de déposer le toit et de construire une charpente provisoire recouverte de tôles (retour à la case départ! ), ce qui engendre des dépenses très importantes pour cette petite commune proche de Corte. Ce qui signifie aussi que l'on devra, pour la énième fois, payer une nouvelle toiture... éphémère, celle-là, en attendant d'engager à nouveau de futures dépenses pour la reconstruction de ce toit dont rien, décidément, ne nous garantit le caractère définitif...
Il est dommage que cette chapelle n'ait pas fait l'objet d'une surveillance, après la réfection du toit en 1983. On aurait évité le pire, et allégé d'autant les dépenses de la Mairie et de l'Etat.
Ces toits de lauzes étaient autrefois régulièrement surveillés, entretenus comme l'on entretenait le toit de sa propre maison. On savait que le moindre glissement de teghje entraine forcément et rapidement des dégats, et l'on n'attendait pas pour agir, la chapelle ou l'église paroissiale étant alors vécue au quotidien. Notre problème vient de ce que ces chapelles sont éloignés "physiquement et moralement" des communautés dont elles dépendent. Toutes n'ont pas, comme à Cambia, un ange gardien qui les surveille amoureusement ...
... éparpillés au sol, des débris de la charpente...
J'ai été profondément surprise de découvrir que cette chapelle si menacée d'effondrement prochain ne faisait pas partie de la première tranche de travaux engagés par la Collectivité Territoriale de Corse: ce projet magnifique des restaurations de nos chapelles à fresques est porteur d'espoir, mais je me demande si nos responsables du Comité scientifique créé au sein de la C.T.C. pour étudier ces projets de restauration sont venus récemment sur le site de Castirla et s'ils ont connaissance de l'état aujourd'hui désespéré de cette chapelle. Castirla mérite bien autant d'amour et de soins, malgré sa modestie et sa naïveté, que celles de Sermanu, Cambia, E Valle di Campuloru, Brandu (les quatre chapelles sélectionnées pour cette première tranche)... L'urgence absolue d'une intervention saute aux yeux, et si, par malheur, la charpente vient à s'écrouler avant qu'on intervienne, il est probable que les murs suivront de près cette ruine. Ce qui serait traiter le problème par le vide.
Ceci était "une brève du Purgatoire", pavé, comme l'Enfer de bonnes intentions....
(à suivre)