Ce dimanche 7 février 2010,
visite à la chapelle San Michele,
à ALTIANI, PIEVE de ROGNA,
Canton de Bustanico,
moyenne vallée du TAVIGNANO
(Le village d'Altiani)
Une lumineuse journée de découverte improvisée et partagée en bonne compagnie des amis Nicole Munsch et Jean-Christophe Desrues!
Si l'église piévane San Giovanni Battista d'Altiani ( Piévanie de Rogna) est relativement bien connue de par sa situation - près du beau pont génois élargi "Pont'à u large" construit au-dessus du Tavignano, non loin de Corté, et visible depuis la route Corté/Aleria -, en revanche la chapelle San Michele d'Altiani demande une intention particulière ... En ce qui nous concerne, nous sommes venus sur l'invitation réitérée des amis d'Altiani, Jean B. en particulier à qui j'avais promis depuis longtemps de venir découvrir cette chapelle, et que l'association locale Campà in Altiani , créée pour la sauvegarde du patrimoine a entrepris de sauver de la ruine: on ne peut que les encourager dans leurs démarches et leur souhaîter toute l'énergie nécessaire - et il en faut ! - pour porter ce beau projet !
Ecoutons le rapport qu'en faisait Geneviève Moracchini-Mazel dans son ouvrage " Les églises Romanes de Corse" , en 1967:
" Elle se trouve à 15 minutes de marche du village et ne sert plus au culte. Sa charpente s'est effondrée il y a une quinzaine d'années mais les murs ne sont pas encore dégradés.
(...)
La nef unique se termine à l'Est par une large abside semi-circulaire voûtée en cul-de-four. Les maçonneries sont en partie crépies, en façade surtout, et sont donc peu faciles à observer . Toutefois le mur extérieur de l'abside, qui a perdu son crépissage, montre un appareil grossier de pierres éclatées plutôt que taillées qui nous rappelle celui de l'abside de San Petruculo d'Accia (fin du VI° s.)
(note: entre temps, le crépi est aujourd'hui largement tombé à l'extérieur, mais il reste en place sur le mur Sud)
Les trous de charpente sont apparents et la petite fenêtre de l'abside comporte des piédroits monolithiques et une archivolte échancrée selon le tracé d'un arc en plein cintre.
(cette fenêtre-meurtrière présente des traces de fresques que nous avons découvertes avec intérêt! Je reviendrai là-dessus plus loin)
Des dalles plus soignées et plus larges renforcent les angles S.- E. et N.-E. de la nef. Il est certain que les murs latéraux (éclairés chacun par une étroite fenêtre meurtrière rectangulaire) et la façade occidentale ont subi des réfections (vers le IX°-X° s.?).
A l'intérieur, la nef qui a 13,86 m de longueur et 6,88 m de largeur est entièrement crépie; on devine cependant que l'arc triomphal est fait de claveaux assez bien taillés? Au XVIII° s., on avait séparé la nef de l'abside par un grand mur établi à l'aplomb de cet arc et on avait disposé l'autel contre ce mur.
(la végétation a pris possession des lieux et l'eau ruisselle dangereusement sur le décor peint au-dessus de l'autel)
En 1589, Mgr Mascardi avait visité cette église alors paroissiale (fol. 157 vo): " ... elle se trouve à un demi-mille des habitations ... ses murs sont peints en partie ... elle a deux portes ... elle n'est pas assez lumineuse avec une fenêtre unique ... ses revenus atteignent 42 aurei en terre et en prémices ; on y célèbre le jour de la fête et à l'occasion des funérailles; il n'y a pas de campanile, mais une cloche est pendue à un arbre dans le cimetière ... son autel se trouve sous une abside peinte ..."
(in "Les Eglises Romanes de Corse, p. 332)
Un examen attentif révèle en effet des traces des fresques dans l'abside, derrière le mur de séparation du choeur, malheureusement trop lacunaires pour qu'on puisse se faire une idée de l'iconographie, mais qui témoignent une fois de plus de la richesse de ce que fut ce patrimoine des fresques en Corse.
(...traces ...)
(et dans l'embrasure de la fenêtre de l'abside, des éléments d'inscription ...)
élément de fresque découvert dans la fenêtre du mur nord:
une poutre, dans sa chute, s'est malencontreusement encastrée contre le décor...
Que cette chapelle soit dédiée à l'archange St Michel, notre Passeur d'âmes, explique qu'un cimetière soit mentionné en sa proximité, même si, pour l'instant on n'en a pas trouvé de restes:
" Domine Jesu Christe, Rex gloriae, libera animas omnium fidelium defunctorum de poenis inferni, et de profondo lacu: libera eas de ore leonis, ne absorbeant eas tartarus, ne cadant in obscurum: sed signifer sanctus Michael repraesentet eas in lucem sanctam . Quam Olim Abrahae promisti, et semini ejus. " ( ... Que le porte-étendard céleste les ( les âmes des fidèles défunts) introduise dans la lumière sainte promise à Abraham et à sa descendance: Offertoire de la messe des Morts).
... Ce n'est pas un petit rôle ... d'autant que à cet instant crucial ... Satan accourt, prompt de la griffe et de la dent pour saisir ces pauvres âmes défuntes ... Heureusement, San Michele veille, armé de son glaive redoutable :
... comme nous le rappelait sans doute dans toute sa gloire passée cette peinture murale au-dessus de l'autel, oeuvre du XVIII° s. dont il ne reste, hélas, que peu de choses, un élégant décor végétal, deux angelots dont le visage a viré de couleur (oxydation) ... et ce glaive de feu brandi d'une main ferme...
On retrouvera le même thème exprimé dans l'église paroissiale du village d'Altiani (je reviendrai sur cette intéressante église de l'Annonciation, hélas victime d'un "relookage latouresque" redoutable !)
St Michel (photo impossible à prendre!)
... maîtrisant l'un des plus affreux Diables de ma connaissance ... à ne pas rencontrer au coin de la vie!
Tout un monde que l'on aimerait voir restitué ... et en attendant, protégé au plus vite des intempéries ...
Sandrine L. nous a accompagnés avec beaucoup de gentillesse et de compétence sur le site: revenue vivre au village, elle retrouve et interroge ses racines. Tout autour de nous, vieux oliviers, chataîgniers, et, à flanc de côteau, terrasses enfouies sous la végétation - naguère cette terre nourrissait encore son monde: en 1901, Altiani dénombrait 690 habitants, mais combien se sont exilés dans l'espoir d' une vie meilleure? et combien ont payé le prix fort lors des grandes guerres? Ils n'étaient plus que 329 en 1921 ...
(... les Monuments aux Morts sont toujours éloquents ...)
Au-dessus de San Michel règne le domaine de la pierre, car la chapelle a été construite au pied d'un ensemble rocheux impressionnant, là où vivaient les premiers habitants du village de " u Petraghju":
... déferlements rocheux faisant souvent saillie, consolidés ça et là par des murets de pierre, l'endroit est "habité": un peu plus haut, une fois franchi le chaos de pierres, de ronces, de racines entremêlées, des restes de constructions qui signent l'occupation humaine ancienne:
Le peuplement d'Altiani ne date pas d'hier ... Au-dessus du village, Sandrine nous parle d'une voie romaine, ce qui ne nous étonne guère (petits morceaux de poterie au sol) : le site de San Giovanni de Corté n'est pas bien éloigné, où l'on situe une bourgade romaine, peut-être la cité de Venicium ... Je ne serais pas plus étonnée que cela si l'on retrouvait des traces d'un peuplement plus ancien encore dans ce bastion rocheux ...
(à suivre)