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22/03/2011

Scata: suite de la note du 11/03/11

 

SCATA, église santa Cecilia un patrimoine digne d'intérêt à sauver

Cette église a reçu au 18°s. un beau décor malheureusement repeint sans délicatesse ...

ste Cécile choeur blog.jpg

Au fond du choeur, cette représentation de la Vierge de l'Assomption, peinte par Giacomo GRANDI, malheureusement bien maladroitement "raffraichie" ...

 

Ste Cécile voûte blog.jpg

... ainsi que le médaillon de la voûte,   brutalement rebarbouillé, dommage! représentant santa Cecilia  devant "son" orgue: attribuable soit à Domenico Baino, soit à Salvatore Angeli, auteur d'un médaillon à la Collégiale de Calenzana: merci, Michel Edouard Nigaglioni, pour cette dernière suggestion.

 

Calenzana médaillon Salvatore Angeli - blog.jpg

Pour comparaison, le médaillon de Saint Blaise à Calenzana.

Décidément cette église sainte Cécile de Scata mériterait des soins appropriés: dans la note précédente, nous évoquions toutes les difficultés rencontrées par cette petite commune et pour qui le patrimoine de l'église est une surcharge de dépenses bien difficile à gérer. "Quelqu'un de la partie" (?) avait soutenu que les trois toiles de l'église ne présentaient aucun intérêt ... et pourtant ...

 

Scata Cécile visage.jpg

 

L'historien de l'art M.E. Nigaglioni rappelle que ce tableau de santa Cecilia est l'un des plus beaux du maître Marc Antonio de Santis: il est signalé et illustré dans l'ouvrage collectif sur la Corse publié par Christine Bonneton (Encyclopédie Bonneton), p.39, , dans l'Encyclopedia Corsicae (2004), dans les Cahiers Corsica (2007) ...

 

 

 

 

Scata Rosaire St François.jpg

 

... Que le Rosaire (ici le détail de saint François en prière aux pieds de la Vierge) "peint par Grandi est projeté dans le film sur la peinture baroque corse qui est diffusé en boucle dans la salle correspondante au Musée de Bastia" ... C'est l'une des nombreuses copies exécutées d'après le retable de la Vierge du Rosaire entre saint Dominique et saint François peint pour l'église San giovanni Battista à Bastia, par le peintre génois Domenico Piola (1627 - 1703):

 

Scata Rosaire Vierge et Enfant détail blog.jpg

 

"Pour l'église Santa Cecilia de Scata, Giacomo Grandi exécuta également une copie du Rosaire de Bastia. Cependant il enrichit la composition en ajoutant des guirlandes de fleurs autour des deux cartouches baroques du registre supérieur." ( Michel-Edouard Nigaglioni, article de  "La peinture bastiaise baroque: modèles et copies", in Etudes Corses, n° 50-51 Ajaccio, La Marge Edition 1998)) 

Rosaire détail avant champignons.jpg

(le Rosaire avant l'attaque des champignons)

 

  

Scata Vierge ste Lucie, St Roch et un évèque blog.jpg

... et que , comme le Rosaire, le tableau représentant santa Lucia, en compagnie de san Roccu  et un évêque (san Martinu? Sant' Agostinu?) aux pieds de la Vierge, est publié dans un article de la revue historique "Etudes Corses" en 1998:

Scata la Vierge à l'Enfant, détail.jpg

"L'église santa Cecilia de Scata conserve un retable figurant un saint évêque, saint Roch et sainte Lucie aux pieds de la Vierge à l'Enfant. Les deux personnages masulins du registre inférieur sont directement copiés sur le modèle bastiais. Deux peintres semblent être intervenus sur cette toile. L'un d'eux est aisément identifiable car on reconnait le style très particulier de Giacomo Grandi (actif en Corse dès 1746, mort en 1772) dans le visage de la Vierge." (idem)

Tout ceci pour dire que Scata fait partie de ces petites communes rurales aujourd'hui dépeuplées et désargentées qui doit gérer un patrimoine menacé mais digne d'intérêt: il serait utile d'encourager et d'aider, par tous les moyens, ces municipalités souvent découragées devant l'ampleur des dégradations d'un héritage dont elles n'évaluent pas toujours précisément la valeur patrimoniale.

 

Vous avez dit priorités?

Si, par exemple, " quelqu'un de la partie" passe faire un inventaire de l'église et note devant le maire que, tout compte fait, ces toiles ne présente pas un intérêt significatif, pourquoi voudriez-vous qu'à Scata l'on cherche à sauver ce qui a été ainsi jugé, alors que tant de priorités urgentes taraudent le conseil municipal ? Le patrimoine ne fait pas partie des priorités. Les priorités s'inscrivent dans le présent des gens des villages: leur mieux-être, la lutte pour le maintien à domicile de cette population restreinte et âgée,  la bagarre permanente contre la précarité, l'inconfort, la désertification... et vous parlez de patrimoine? Ce patrimoine qui s'inscrit, lui, soit dans un passé bel et bien fini, celui dont les anciens se souviennent avec nostalgie - cette époque où ils étaient jeunes et fringants, où l'église pleine de monde s'invitait à toutes les fêtes -  soit dans un avenir bien incertain, celui que nous laisserons à nos enfants, s'il en reste encore au village malgré les difficultés scolaires et l'absence de projet de vie ...

autel de la mort blog.jpg

Or, à Scata , tout ce patrimoine mériterait  pourtant d'être protégé  restauré, transmis : un ensemble qui fut cohérent, avec ses autels de stucs élégants (18°s.), comme ici la partie supérieure de l'autel des Ames du Purgatoire. On voit sur la droite les dégats des eaux, responsable de l'attaque des champignons sur les toiles. Maintenant que le toit est refait, les murs devraient s'assécher ...

la chaire de prêche blog.jpg

ou ici, la chaire de prêche, hélas copieusement ripolinée: à nouveau, le gouffre qui sépare restauration de rénovation.

le confessional blog.jpg

ce beau confessionnal ...

 

Scata tabernacle blog.jpg

 

Et ce bien joli tabernacle (fin 16° s.): en forme de temple à l'antique, avec son toit caractéristique en forme de pyramide et ses deux colonnes engagées, son travail mouluré sur la corniche, la porte et la base. Son décor végétal délicat sur fond vert encadre la porte portant le calice et l'hostie.  Les deux deux inscriptions traditionnelles sont encore lisibles:

"EGO SUM PANIS VIVUS" (entablement)

"HIC DEUM ADORA" (base)

 

Scata tabernacle ange latéral blog.jpg

 

Sur les côtés, deux anges en prière

tabernacle ange de gauche blog.jpg

Ces tabernacles anciens finement décorés se rencontrent encore dans certaines églises,

Gavignano tabernacle  blog.jpg

comme ici à Gavignano.

 

(à suivre)

Merci à Michel Edouard Nigaglioni pour son aide précieuse et sans faille.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

23/01/2011

Aregnu: la fête du grand Sant Antone

Ce matin à Aregno, la grande fête religieuse, vitaminée  et  populaire de Sant'Antone Abbate

dit saint Antoine "de Janvier"

(pour le distinguer de son collègue, ami et quelque peu concurrent saint Antoine de Padoue, en juin)

dit aussi saint Antoine "du cochon"

mais qu'ici, à Aregno,

on devrait plutôt nommer

le Sant'Antone "des oranges" ...

 

quelques images d'une matinée pieuse et chaleureuse grâce à tous, aux cueilleurs d'oranges, aux dames dévouées, à ces messieurs de la confrérie, à tous ces  gens, venus nombreux malgré une météo plutôt hivernale - la neige n'est pas loin sur les montagnes: cette année un plein autocar de Bastiais devaient venir se joindre à nous, mais leur déplacement a été annulé ... pour cause de neige et de verglas ...

 

 

Sant Antone des oranges blog.jpg

Au diable la mososité!

le cochon blog.jpg

le petit cochon, fidèle compagnon de saint Antoine ...

les oranges de st Antoine blog.jpg

 

un saint d'abondance pour Aregno:

Sant Antone 23 Jan 2011 blog.jpg

une invitation magnifique à donner du fruit à sa vie

 

 chaire aux oranges blog.jpg

la belle chaire de 1714

 

Toute l'église avait été décorée de bouquets d'oranges pour cette fête, comme chaque année

Une messe festive avec la participation des pères et frères des couvents  de Corbara et de Marcasso, du nouveau diacre Thierry Del Piero et animée par la confrérie d'Aregno.

l'orgue Agati Tronci blog.jpg

L'orgue Agati Tronci (1888) était de la fête ... c'est son rôle!

 

 

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départ en procession: ouch! les oranges bien juteuses, ça pèse!

 

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en route vers les ruelles ...

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le silence était requis ... mais ... entre deux prières et deux chants,  quel plaisir de se retrouver: et chez vous, comment ça va ?

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cette année encore ...

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au retour plus que quelque mètres: notre Thierry, le nouveau diacre de la région surveille de près ses enfants de choeur ...

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prêts pour la bénédiction du village

 

bénédiction du village blog.jpg

aux quatre points cardinaux

 

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la troupe réjouissante des petits enfants

retour de procession .jpg

dernières louanges à Sant'Antone et à la Vierge:

oui, cette année encore les gens d'Aregno

(et leurs voisins de Corbara, Pigna, Sant Antoninu,Catteri ... )

ont bien honoré le saint patron de leur village!

 

 

12/11/2010

Corte: l'exposition sur les Confréries de Corse

Corte, le 9 novembre dernier (enfin!),

 visite au Musée de la Corse de l'exposition

" Les CONFRERIES de CORSE,

Une société idéale en Méditerranée"

1°/ les "objets"

Une exposition qui présente dans une scénographie recherchée un ensemble bien représentatif d'oeuvres et d'objets liés au monde des confréries - encore si présent dans la Corse d' aujourd'hui . Parole d'épouse de confrère!

Santa Croce maître autel blog.jpg

le maître-autel de la Confrérie Santa Croce de Corte

M'étaient familières un grand nombre de ces oeuvres présentées, pour les avoir visitées, admirées, reconnues dans les églises ou les chapelles de confrérie de notre région, chacune ayant une histoire, un rôle à jouer, exprimant dans une grande diversité une même communauté d'esprit.

Visite d'autant plus utile qu'elle avait été préparée par la lecture du très intéressant "catalogue" conçu pour accompagner l'exposition.

On ne préserve bien que ce que l'on a appris à connaitre.

Lorsque ces "objets" regagneront leur pénates, on aimerait être sûrs que, grâce à cette exposition,  leur signification soit désormais à nouveau lisible, re-connaissable pour tous ceux qui les rencontreront à nouveau, touristes de passage ou villageois dans leur communauté où ces objets sont nés d'une certaine nécessité et pour un certain usage.

Querciolo tableau de présence des confrères.jpg

L'un des tableaux de présence de confrérie rencontrés "in situ" dans une petite église,  objet remarquable qui dit beaucoup: ce système de "pointage"  indiquant l'emplacement de quatre  réunions mensuelles , portant des listes successives  collées les unes sur les autres de noms (de générations) , implique une contrainte librement consentie, l'acceptation de la règle et l'effacement de l'individu au profit de la solidarité de la communauté (microrégionale!) des vivants. Probablement l'un des "objets" les plus parlants lorsque l'on veut évoquer le monde des confréries. Je reviendrai là-dessus plus longuement: il s'agira alors d'évoquer le rôle politique - au sens premier du mot - de la confrérie au sein de sa communauté. Autrefois.

Incinacce détail âmes du Purgatoire blog.jpg

Mais aussi solidarité avec les morts: voyez ces petites âmes du Purgatoire, en particulier celle-ci qui s'exerce à la corde à noeuds - le cordon de la robe de bure du bon  Saint Antoine de Padoue - pour s'extraire des flammes ...

Stoppia Nova bannière confrères blog.jpg

 

La bannière de confrérie (Francescu Carli, actif en Corse pendant le dernier tiers du 18°s et mort en 1821) peinte pour la confrérie  de Stoppia Nova: faire pénitence, contempler, adorer et imiter , enfin ... tenter! , et se conduire au mieux des intérêts profonds de la communauté. L'on sait que Pasquale Paoli et son frère Clemente furent confrères dans cette confrérie, mais ont- ils connu cette bannière?

***

    Qu'il soit occasionnellement visible pour certains objets, comme les claquoirs, heurtoirs, crécelles du Vendredi Saint,  palmes, tableaux de présence,  chandeliers,

 

Pietricaggio chandelier Semaine Sainte blog.jpg

(en Castagniccia, ce chandelier des Ténèbres, le petit frère de celui que vous verrez à l'exposition) 

 

Pietricaghju journal collé 1790 aile ange blog.jpg

à l'arrière des ailes de notre ange, un document collé, écrit en français et en italien daté de 1790 ...

 

 

 

... lanternes, bannières de procession, installations des sepolcri ...

 

le sepolcru de Ficaghja blog.jpg

"A sera,dopu cena, si falava in chjesa à veghnà u sepolcru canatndu "U Perdono".

A matina di u Venneri Santu, si aspettava cruciani chi falanu per "visità" u nostru belli sepolcru; facianu e so ppreghere è si ne cullavanu.

Tandu, nisunu manghava carne, ove, casgiu è mancu si biia latte; si facia Quaresimu severu."

(Petru Vachet-Natali: Monografia , Tupunumia di Ficaghja, éditions Anima Corsa)

Ici le sepolcru de Ficaghja, peint par Francescu Carli  installé pour la Semaine Sainte 2010 (vous verrez à Corte celui de San Damianu) : à l'origine, le prêtre officiait à l'intérieur de cette chapelle constituée par ces  grands panneaux peints amovibles, sur un petit autel dressé aufond de l'ensemble, derrière le panneau/antependium de la Déploration du Christ. Un bel exemple de ce patrimoine fragile et éphémère comme peut l'être un décor de théâtre démontable et à usage ponctuel : trois jours par an ... Nous qui sommes gavés d'images et de sons, nous n'avons pas même idée de l'émotion que pouvait provoquer chez les gens de Ficaghja cette mise en scène de la Passion :

Imaginez-vous un instant à cette époque - sans ce matracage audiovisuel continu qui nous pétrit les neurones aujourd'hui à longueur de journée, ( je sais,  presque impossible d'y échapper sauf dans une cellule monacale ) , pénétrant  lors de la Semaine Sainte dans la pénombre de l'église seulement éclairée, au fond, par la lueur crépitante des bougies et des lampes à huile, accueillis par ces deux redoutables personnages  moustachus gardiens du sepolcru. Dans l'odeur âcre des cierges , horreur, délices et compassion  font leur oeuvre, d'autant que tout cela se vit ensemble ...

Conditionnement redoutable, me direz-vous. Certes. Mais faut-il préférer le nôtre?

 

jeudi saint palme 3.jpg

Autre patrimoine éphémère: celui tressé pour les processions de la Cerca (ici  à l'oeuvre une jeune femme travaille au grand palme de Brandu le Jeudi Saint 2010). Le rôle, alors de la transmission...

 

vieilles mains tressant blog.jpg

La transmission par le geste: attention! ces vieilles mains sont très agiles et cela va très vite! Brando, Jeudi Saint 2010.

 

ou que ce patrimoine soit plus quotidien,  plus "habituel"  - je veux dire  que l'on ne le  regarde même plus tant on a l'habitude de le voir - comme ces autels de dévotion, leurs décors peints ou leurs toiles, souvent emberlificotés de fleurs  artificielles dans des pseudo-vases chinois, de guirlandes électriques  et de statues saint-sulpiciennes emplâtrées d'amour, ce patrimoine est en danger dès lors qu'on n'en possède plus le sens. Mais il est bien aussi en danger lorsqu'il devient uniquement esthétique et qu'il cesse de s'inscrire dans une trame humaine où l'on sent que l'on a encore sa place, que l'on soit pieux ou non. Quelque part je préfère un patrimoine qu'on tripote avec amour qu'un patrimoine mis sous cloche.

Corté Sta Croce Vierge de Miséricorde blog.jpg

même ripolinée (!) la Vierge de Miséricorde (Santa Croce) protège les confères de Corte . Un univers symbolique qui s'adresse à tous ...  Un désir de protection universellement partagé et immédiatement lisible mais aussi un ripolinage hautement symbolique: rénover n'est pas restaurer!

Le rôle d'une telle exposition ne serait-il pas avant tout de nous apprendre à re- connaître notre patrimoine matériel et immatériel pour le préserver et le transmettre aux générations qui nous suivent: pas de transmission sans connaissance, pas de connaissance sans émotion, pas d'émotion sans récepteurs désencrassés.

Encore faudrait-il s'entendre sur le sens profond de ce monde des confréries. Un monde multi-pistes, plus facile à appréhender avec les yeux, les oreilles, l'analyse historique ou ethnographique qu'avec les outils de l'affect.  Aujourd'hui, entre débâcle et nostalgie, déliquescence et reconstruction ... Un monde comme moribond qui se refuse à mourir par tous les moyens, et qui sait qu'il doit transmettre parce qu'il ressent sa légitimité mais transmettre quoi, au juste?.

Je n'ai pas encore trouvé une analyse satisfaisante du rôle des confréries d'autrefois, en particulier par leur implication dans la vie sociale et politique de leur temps, ni de cette résistance inventive des confréries d'aujourd'hui, avec leurs failles et leurs forces, oscillant entre la forme et l'esprit ... Il faut peut-être essayer de faire sortir ces confréries de la naphtaline où on les entrepose parfois sans en être conscient au risque d'en donner une image identitaire passéiste, celle dont sont friands nos amis touristes de passage ... 

L'article de Marie-Eugénie Poli-Mordiconi consacré à ce sujet dans le catalogue de l'exposition sous le titre:" Confréries et société contemporaine, ou l'histoire d'un dialogue ininterrompu", apporte des éléments de réflexion très intéressants. Cela dit, il me semble que l'inventaire des confréries de Corse d'aujourd'hui reste à faire, chacune étant porteuse de ses particularités et de son histoire, et ne pouvant rentrer dans un simple questionnaire administratif: les personnalités qui composent ces confréries ne forment pas un matériau  stable ni homogène. L'usure des bonnes volontés parfois se fera ici sentir très tôt, ailleurs au contraire, l'énergie résistante et créatrice d'un seul dynamisera un ensemble plus vaste dans une région, ou encore un certain esprit de compétition amènera à des rebondissements inattendus, à de nouvelles créations. Pourtant de plus en plus il m'apparait qu'en absence d'une  réflexion communautaire sur le véritable enjeu de la confrérie, le ciment du chant retrouvé et des gestes renoués ne suffira plus à consolider l'édifice: l'enjeu se passe ailleurs, et c'est bien cela qu'il faudrait arriver à analyser.

Parmi d'autres, une question demeure en suspens: quelle relation possible entre  démocratie contemporaine et  confraternité ? Le sous-titre de l'exposition:  "UNE SOCIETE IDEALE EN MEDITERRANEE" devrait nous ouvrir les portes d'une certaine réflexion ... à condition d'accepter de s'engager sur un terrain dépourvu de garde-fous.

 

A propos des confréries d'aujourd'hui, je vous invite à découvrir, car c'était une découverte pour moi, le beau blog des Bonifaciens et Amis de Bonifacio, de CANONICI: à propos des confréries, voir sa note des cérémonies au cimetière San Franzè de Bonifacio, 2 novembre 2010 ...

(à suivre)

 



03/10/2010

Altiani, suite et fin : deux toiles de Giacomo GRANDI et autres ...

ALTIANI, église de l'Annonciation, suite:

deux peintures de Giacomo GRANDI

1°/ La Vierge du Scapulaire avec l'Enfant Jésus

entre saint Antoine de Padoue

et saint Nicolas

 

Giacomo Grandi -Vierge du Scapulaire entre St Antoine de Padoue et St Nicolas blog.jpg

Cette toile pleine de douceur nous présente la Vierge apparaissant avec l'Enfant Jésus à Saint Antoine de Padoue et à Saint Nicolas. Une athmosphère intime règne dans cette pièce, ouverte sur un paysage familier des alentours. La Vierge d'une main délicate tend le Scapulaire à Saint Antoine, cet objet de dévotion que l'on mettait au cou des enfants pour les protéger des entreprises du Diable et de la gente malfaisante des mauvais esprits et autres sorcières malveillantes ... Pochette  (ici double et peinte) contenant des morceaux de cierge béni de la Chandeleur ... et du sel (on n'est jamais trop prudent: les sorcières, on le sait, détestent le sel)

Vierge du Scapulaire détail blog.jpg

La Vierge, toute de bienveillance, ouvre largement les bras, tout en gardant debout contre elle l'Enfant Jésus: ce  blondinet tout frisotté  pose sa menotte bien gentiment sur la tête de l'humble Saint Antoine, en prière devant un livre sacré et tout confit de tendresse. Dans l'autre main, Jésus tient le globe terrestre: le message est simple ... les hommes - et plus précisément nos bons villageois d'Altiani - peuvent s'en remettre à ces deux bons saints intercesseurs, Antoine et Nicolas.

 

Altiani Remise du Scapulaire à St Antoine Padoue et St Nicolas détail St Nicolas.jpg

De l'autre côté l'évêque Saint Nicolas de Bari regarde intensément la Vierge. Il porte un somptueux habit épiscopal, manteau chatoyant de roses rouges  par-dessus sa robe travaillée de dentelles raffinées. C'est l'Eglise glorifiée à travers la richesse et la beauté de son costume chamarré ... Ce style fleuri est l'une des marques  propres à l'inspiration de Giacomo Grandi .

Le grand saint Nicolas, si populaire dans toute l'Europe, porte la mitre, la crosse pastorale et un livre  surmonté de trois boules d'or (or donné anonymement par le bon Nicolas pour empêcher la prostitution de trois jeunes filles pauvres que leur père s'apprêtait à livrer au bordel, faute d'argent ... terrible histoire, non?). On connait aussi l'autre histoire, celles des " trois petits enfants qui s'en allaient glaner aux champs" , "mis au saloir comme des pourceaux" et ressucités par saint Nicolas... Nous la chantions tous les ans le soir du 6 décembre , en bonnes petites filles de notre papa lorrain, pour fêter dignement notre grand saint Nicolas et en espérant bien que le Père Fouettard ne viendrait pas à sa place nous tourmenter.

Giacomo Grandi -Vierge du Scapulaire entre St Antoine de Padoue et St Nicolas paysage blog.jpg

... tandis que par la fenêtre la vie continue...

 

2°/ La Mort de Saint Joseph en compagnie de la Vierge Marie et de Jésus

Altiani Mort de St Joseph Grandi blog.jpg

 Saint Joseph est au bout du rouleau, il vit ses derniers instants. A son chevet, la Vierge le soutient de ses prières et à ses côtés Jésus plein de compassion l'accompagne de sa bénédiction : ceci se passe avant le début de sa vie publique. Un angelot bouclé s'apprête à donner au vieillard l'huile de l'extrême onction . Joseph git sur son  joli lit aux pieds artistement travaillés: c'est que, toute sa vie, le bon Joseph a travaillé comme "falegname"," bancalaru", bref comme un honnête et excellent menuisier. Il a même, dit-on, travaillé jusqu'à son dernier souffle, en témoignent ses outils qui jonchent le sol: scie, hache, marteau, tenailles, rabot, équerre, compas, rien ne manque ... C'est que Saint Joseph est le patron des menuisiers, et Dieu sait s'il a du travail en cette région de Corse où poussent tant d'arbres magnifiques ...

A la tête du lit un élégant récipient qui pourrait bien être un pot de chambre: Saint Joseph n'est plus en état de se lever ... scène bien familière pour accompagner la fin de celui que l'on vénère ici aussi comme le " le patron de la Bonne Mort" : mourir dans son lit, entouré de l'amour des siens,  et muni des sacrements de l'Eglise, un espoir pour des populations soumises à bien des risques de mort subite ...

Mort de St Joseph détail outils blog.jpg

 

Giacomo GRANDI, peintre originaire de Milan, a choisi de vivre en Corse où l'on suit sa riche production picturale de 1742 à 1772. Après avoir vécu en Balagne dans le village de Monticello où il s'était marié, il se remarie en 1758 après le décès de sa première épouse avec une jeune fille de Quercitello , village qui surplombe La Porta, en Castagniccia, et y vit de nombreuses années avant de s'éteindre (1772) à Borgo où il est enterré.

 Beaucoup d'indices nous font penser que Grandi et Carli se connaissaient, Carli ayant peut-être même travaillé dans l'atelier de Grandi avant de voler de ses propres ailes: en tous cas, leur style est proche, sans toutefois se confondre. Pour l'anectote, leurs nuages en forme de galettes bretonnes semblent sortir de la même fabrique .

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   ... Dernières oeuvres ...

 

Altiani San Michele (église) copie petit.jpg

Saint Michel terrassant le Dragon de son épée de feu:

peinture anonyme du XVIII°siècle. M.E. Nigaglioni pense qu'il s'agit peut-être du "Maître des Anges Musclés" (sic !), bon peintre fort prolifique de la deuxième moitié du XVIII° que nous rencontrons souvent en Balagne.

IMG_8162.JPG

                                                                   (la sale Bête)

 

 

 En attendant de découvrir enfin dans quelque fond de tiroir de sacristie le nom de cet artiste qui ne signe jamais, mais compose toujours fort habilement ses toiles et ses séries de Chemin de Croix,  je remarque que notre saint Michel d'Altiani a bien sa place dans l'église paroissiale, doublant ainsi la dévotion  déjà en place à la chapelle romane qui lui est dédiée un peu plus bas dans la campagne. Nos amis d'Altiani ont entrepris de sauver cette chapelle aujourd'hui ruinée mais qui dut être fort belle et ornée de fresques ... dont nous avons retrouvé quelques traces, en particulier au fond de l'abside. Restes trop lacunaires pour pouvoir imaginer l'iconographie de l'ensemble. Cela dit, surmontant le maître-autel de cette chapelle romane de saint Michel, l'on aperçoit encore l'épée brandie par l'arhange:

Décor mural- l'épée de St Michel.jpg

... deux épées  qui se ressemblent étrangement!  Altiani décor mural S Michel.jpg

( l'ensemble, bien que fort dégradé, laisse voir encore ce décor fleuri et élégant)

Revenons à l'église paroissiale pour une toile accrochée en dehors de toute dévotion d'autel: sans doute un legs du cardinal Fesch, mais dont on ne saisit pas , à ce jour le sens. En tous cas, une belle toile du XVII° siècle, en mauvais état hélas.

Altiani ( sujet -) copie.jpg

Les personnages gardent beaucoup de présence,

Altiani jeune homme copie.jpg

  figés dans une gestuelle noble et efficace ... mais demeurée mystérieuse.

Voilà, mes bons amis d'Altiani! Bon courage pour votre courageuse entreprise de sauvegarde du patrimoine!

 

 

ALTIANI , avec le village, visite de la Santa Nunziata

(Je réactualise aujourd'hui, finalise et regroupe ces notes rédigées à la fin de l'été sur l'église paroissiale d'Altiani)
 
ALTIANI, Pieve de Rogna, anciennement Diocèse d'Aleria.

Ce 31 Juillet dernier, à la demande de l'active et formidable assosciation "Campa in Altiani", nous avons pu partager avec les gens d'Altiani la richesse de leur église paroissiale: un après-midi festif et animé!
 Ces notes leur  sont dédiées.
en attendant la rencontre blog.jpg*

... papotages et embrassades à l'ombre de l'église, en attendant le début des "opérations" ...
Car il s'agit bien là d'une opération de charme: les gens d'Altiani s'apprêtent à voir de près les peintures qui ornent les autels de cette belle église, hélas dénaturée par l'actif pinceau ripolinant d'un décorateur qui a sévi dans de nombreuses églises de Corse ("là où L. passe, les anges trépassent"). Qu'importe, aujourd'hui, c'est le grand jeu, on va déplacer statues et autres saints objets encombrants pour pouvoir regarder et admirer ce richissime patrimoine des peintures d' Altiani. Une occasion rare de renouer, le temps d'un exposé déambulatoire avec cette iconographie dont la plupart des gens ont perdu le sens et l'usage.

          Altiani paysage blog.jpg

J'étais venue rencontrer ce village en février 2010, un coup de coeur! Une fois enjambé le Tavignano sur le beau "Ponte à u Larice", la route grimpe par lacets jusqu'à Altiani qui domine ainsi la vallée du  haut de ses 600 m: lumière et vents assurés. J'avais en février évoqué la chapelle romane San Michele qui fait l'objet d'un solide projet de restauration, mais aujourd'hui, place à la peinture baroque de Corse! Lors de ma première visite j'avais été émerveillée de la richesse iconographique de cette église, voyez plutôt ... et n'oublions jamais que le but premier de ces peintures était d'éduquer les gens par l'image ...

I° L' ANNONCIATION ( Francescu CARLI)

 

 

     Annonciation blog.jpg

Tout d'abord, cette toile de l'Annonciation, qui domine le maître autel: c'est le patronnage de l'église. Peinture de Francescu CARLI . Né en 1735, originaire de l'état de Lucca, en Toscane, il devient l'un des peintres les plus productifs (plusieurs centaines d'oeuvres) de l'Ecole corse du XVIIIème siécle, puisque c'est en Corse qu'il a choisi de vivre, de se marier (avec une jeune fille Franceschi de San Lorenzu) et de travailler jusqu'à sa mort, en 1826 ...

Ici, L'Annonciation met en scène les trois personnages requis: traversant la nuée peuplée d'angelots, la Colombe de l'Esprit Saint est déjà à l'oeuvre, dardant le divin rayon sur la Vierge agenouillée sur son prie-Dieu à droite, une main ouverte pour l'acceptation, l'autre retournée vers le sol pour la frayeur. On peut la comprendre! Robe rose de son humanité, manteau bleu de son appartenance céleste ...

A gauche, l'archange Gabriel, le beau Messager chatoyant, d'une main tend le lys de la pureté à Marie et de l'autre brandit son index droit vers le ciel, annonçant fermement le message d'en Haut:

" Réjouis-toi, pleine de grâce. Le Seigneur est avec toi. Tu es bénie parmi les femmes. (...) Et voici u'un ange debout devant elle disait: " " Ne crains pas, Marie, tu as trouvé grâce devant le maître de toute chose. Tu concevras de son Verbe " (Protoévangile de Jacques) 

Remarquez qu'au même instant  le Verbe sort bien du bec de la Colombe...

Notez aussi ce nuage lenticulaire en forme de gâteau roulé aérodynamique sur lequel surfe Gabriel avec beaucoup d'aisance: on retrouvera cette même représentation des nuages célestes chez Giacomo Grandi, un autre peintre fort proche de Carli et présent également dans cette église. En écho, le décor végétal du prie-Dieu.

 Le style de Carli est immédiatement reconnaissable:  un univers pastel et rococo où les personnages mis en scène se meuvent avec grâce et délicatesse, des visages enfantins, des mains élégantes aux longs doigts graciles  ...

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sans oublier les humbles outils du quotidien ...        Annonciation détail panier blog jpg.jpg

Marie, surprise dans sa prière, son ouvrage à ses pieds, le couvercle du panier entrouvert:  filer, inlassablement le voile du Temple, le fil du Destin, mêler sur la trame des jours le bon et le mauvais, l'âpre et le doux, la prière et l'imprécation, racommoder la déchirure, broder l'enfance ... bref, incessant travail de femme.

II° LA VIERGE DU ROSAIRE ET LES ÂMES DU PURGATOIRE ( Francescu CARLI)

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Une représentation habituelle - on en trouve dans un très grand nombre d'églises - de cette dévotion du Rosaire ... mais pour autant savons-nous encore la lire?

 La Vierge et l'Enfant, bien installés sur leur drôle de nuage, remettent le Rosaire à  St Dominique, à gauche et Ste Catherine de Sienne, à droite: Dominique, le fondateur de l'ordre des dominicains est reconnaissable à sa robe blanche, son manteau noir, et à la petite étoile qui brille au-dessus de sa tête; il est accompagné de son chien fidèle portant le brandon allumé de l'ardeur de la foi ("Domini canes": en un temps sombre de l'Eglise, les dominicains furent les grands inquisiteurs et firent allumer des bûchers de sinistre mémoire. Paix à la mémoire des uns et des autres.) . Et de l'autre côté, la dominicaine Catherine de Sienne, reconnaissable aux stigmates qui percent ses mains ...

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         Regards tendres et gestes raffinés de gens bien éduqués, phalanges musiciennes et petits doigts en l'air de buveurs de thé ...

 Venons-en aux 15 Mystères du Rosaire qui encadrent et justifient la scène:

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Autour du visage enfantin et paisible de la Vierge et de l'Enfant, 15 tableautins pour réviser son cathéchisme en récitant le Rosaire, 10 Ave Maria pour chaque Mystère:  5 Mystères Joyeux, 5 Mystères Douloureux, 5 Mystères Glorieux, bref, en tout 150 Ave Maria (aujourd'hui il faudrait rajouter à cette iconographie les 5 Mystères Lumineux ...)

 Un investissement de temps précieux en ces temps difficiles où la survie du plus grand nombre dépendait d'une lutte acharnée avec la nature: terrains souvent en terrasses, pierreux, pentus, dont il fallait inlassablement entretenir, remonter les murs, avec ces risques imprévisibles d'une météo capricieuse, voir d"une guerre fratricide où brûlent les moissons, mais  un vrai livre ouvert de cathéchisme en images doublé d'un vrai acte de charité envers ...

 

 

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 ...  ces pauvres Âmes du Purgatoire qui grillent (pendant quelques centaines de milliers d'années, parait-il: 800.000 ans pour une peccadille!) leurs imperfections en attendant de pouvoir enfin sortir de la fournaise,  nettoyées et légères. Réciter un Rosaire fait avancer le compte à rebours de façon notoire (moins 200.000 ans, m'a-t-on dit!) et témoigne d'une réelle solidarité des vivants pour les morts ...

Je rappelle ici le rôle de  l'église du  Purgatoire : il s'agit de cette "scession de rattrapage" qui permet de débarrasser - par le feu, par l'absence - l'âme de ses scories (les péchés) pour ne garder que le métal pur de la spiritualité. C'est aussi une forme d'assurance sur l'Au-delà . Ainsi va notre pauvre humanité, toujours inquiète , édifiant inlassablement des systèmes pour se rassurer contre l'inéluctable  ... En ce qui concerne notre monde occidental, je vous renvoie aux excellents ouvrages de Jean DELUMEAU: La Peur en Occident, Le Péché et la Peur, Rassurer et protéger, l'Aveu et le Pardon" etc ... (éditions Fayard) . Cette pastorale de la Peur n'est plus guère de mise aujourd'hui: nous prenons des assurances multirisques pour la vie, la maladie, la mort, la voiture, le vol, le bris de glace, bref, nous essayons de prévoir sur un laps de temps somme toute plutôt court (une vie d'homme, bien peu de chose au regard de l'éternité) ...

Avons-nous vraiment changé  ou sommes-nous simplement devenus myopes? Je ne prendrai pas partie mais dirai seulement ceci: les bons Pères de l'Eglise qui ont développé cette pastorale par l'image étaient de fabuleux publicistes!

 (à suivre pour les autres toiles d'Altiani)