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24/01/2014

restauration des orgues historiques: déontologie

 

 Restauration des orgues historiques: je réédite cette note

A propos de la déontologie de la restauration des orgues historiques

 

 

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(Costa)

 

 

Tout d'abord ce premier texte officiel, publié par le G.P.F.O., Groupement Professionnel des Facteurs d'Orgues, dans leur revue N°26, du printemps 2005:

à retrouver sur le site:   http://gpfo.free.fr/engage.htm

GROUPEMENT PROFESSIONNEL DES FACTEURS D'ORGUES

RÉSULTATS, SERVICES, TRANSPARENCE... LA PROFESSION S'ENGAGE



LES FACTEURS D'ORGUES S'ENGAGENT À :


 QUALITÉ
  • Faire réaliser ou contrôler les travaux au sein de leur entreprise par des personnes dont la qualification a été reconnue par un diplôme spécifique de facture d'orgues, ou ayant au minimum cinq années d'expérience dans la profession.


 RESPECT DE L'INSTRUMENT
  • Respecter, dans le cadre d'une restauration, le style, les matériaux ainsi que la manière artisanale de les mettre en œuvre. Sans jamais renoncer à l'exactitude intellectuelle dans ses découvertes, la recherche du restaurateur tendra à retrouver l'esprit du créateur de l'instrument, notion primordiale dans notre patrimoine culturel français.
  • Respecter, dans le cadre d'une intervention sur un orgue réalisé par un confrère, les droits d'auteur de ce dernier.


 DEVIS -  MARCHÉS
  • Respecter les clauses techniques détaillées dans leur devis ou dans les clauses du marché. Tout changement en cours de travaux, demandé par le client ou proposé par le facteur d'orgues, fera l'objet d'un avenant signé par les deux parties. Ce devis précisera, outre l'objet du marché, la durée de validité des prix et les clauses de revalorisation.


SERVICE APRÈS-VENTE
  • Assurer le service après-vente dans le cadre d'un contrat de maintenance pour les éléments n'entrant pas dans la garantie, à savoir la justesse de l'instrument, le bon fonctionnement des moyens de transmission et la bonne alimentation.


 PRIX
  • Faire apparaître des prix détaillés pour chaque poste du devis ainsi que les conditions de paiement.


 CONDITIONS GÉNÉRALES DE GARANTIE
  • Pour garantir la conservation et le bon fonctionnement des orgues neufs, restaurés ou entretenus par les facteurs d'orgues, les conditions suivantes doivent être observées :
    1. Maintenir un environnement avec une hygrométrie stable, dont les variations sont inférieures à 30 % autour de leur valeur moyenne. En climat continental, celle-ci est d'environ 65 % d'hygrométrie relative, mais elle varie selon les régions (côtières ou de montagne par exemple).
    2. L'action du chauffage, de quelque type que ce soit, doit respecter à tout moment les conditions d'hygrométrie ci-dessus. Ceci implique de chauffer le moins possible, car que l'on chauffe vite ou lentement pendant plus de 12 heures, l'air devient très sec. Il est alors la cause de dégradations parfois irréversibles, dont les facteurs d'orgues déclinent toute responsabilité.
    3. Pour que l'accord d'un orgue soit acceptable en période de chauffage, il ne faut pas faire varier la température de plus de 2° C par heure.

***

 Puis cette Charte conçue en janvier 2005 par Laurent PLET, facteur d'orgues installé dans la région de Troyes, et qui concerne plus précisément la restauration des orgues    C'est une charte préparée avec le bureau du GPFO et les techniciens conseils. Ce texte a été officiellement adopté en Assemblée Générale du GPFO  le 27/05/2005 . IL me semble particulièrement important par sa réflexion  et son engagement.

http://lplet.org/textes/idxchar.htm

Charte
du
facteur d'orgues
restaurateur

Laurent PLET

Facteur d'orgues

Deutsche Version.




1 - LA PRUDENCE

La première règle à suivre pour une remise en état ou une restauration est d'intervenir le moins possible. Le but n'est pas d'obtenir un instrument ayant l'aspect d'un neuf, mais au contraire gardant les traces d'utilisation dès lors que cela n'altère pas son fonctionnement ni sa musicalité. En cas de démontage, toutes les précautions doivent être prises pour limiter les conséquences des changements hygrométriques. Les remplacements ne seront jamais systématiques ou « précaution ».
Je m'engage à appliquer ces règles de prudence dans tous les travaux de restauration historiques qui me seront confiés cette année


2 - LA RÉVERSIBILITÉ

Chaque intervention sur un élément historique doit être réversible, c'est-à-dire susceptible d'être corrigée pour améliorer l'approche vers le but fixé
La conservation des pièces déposées et une documentation photographique sont indispensables, mais il faut absolument essayer de laisser des éléments d'origine en fonction.
Je m'engage à proscrire tout geste ou action ne pouvant être clairement identifié et éventuellement annulé par un autre facteur d'orgues.


3 - L'HUMILITÉ

Toute modernisation d'un élément mécanique ou acoustique originel est à proscrire. L'utilisation des normes et techniques actuelles sont à éliminer pour la restauration d'un instrument ancien. Le facteur d'orgues doit adapter sa manière de travailler à celle de l'auteur, il en est de même pour le choix des matériaux. Le restaurateur s'interdit de prétendre améliorer l'œuvre ancienne même dans le cas de certains défauts mécaniques ou harmoniques ne rendant pas l'orgue inutilisable.
Je m'engage à ne pas intervenir différemment suivant ma notion de qualité de l'orgue à restaurer et à conserver intégralement les caractéristiques de cet instrument


4 - LA TRANSPARENCE

Les pièces complétées ou reconstruites doivent être identifiables par les générations suivantes. Elles seront donc datées de façon discrète et mentionnées dans le dossier de restauration. S'il n'existe pas de modèle dans l'instrument ni dans un autre orgue du même facteur, on prendra pour référence un orgue contemporain de celui à restaurer et d'une facture aussi proche que possible.
Je m'engage à permettre la reconnaissance ou la datation de tous mes apports dans l'instrument restauré


5 - LA MAINTENANCE

Une tuyauterie ancienne doit toujours être accordée avec prudence et le moins souvent possible. L'accord général sera contrôlé ponctuellement par le facteur assurant l'entretien régulier. Il ne sera refait intégralement qu'après un dépoussiérage de la tuyauterie.
Je m'engage à intervenir toujours prudemment dans un orgue historique même pour les opérations les plus simples


Ces prescriptions générales doivent guider chacune de mes interventions sur tout ou partie d'un orgue historique. Je m'engage personnellement et sur mon honneur, à ne pas y déroger ni dans l'esprit ni dans la lettre, même à la demande d'une tierce personne, et à ne pas exiger d'un autre qu'il y déroge.




À Troyes le 8 janvier 2005




Laurent Plet. Jean-Louis Pfeiffer Pascal Germain Grazyna Pawlikowski

 
Thomas Bape Jean-Claude Brion Julien Bergeron  

 

 

Quelques réflexions à propos de la restauration des orgues en Corse - et ailleurs ...

 

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Sur nos belles tribunes d’orgue, une fois enjambées - dans les escaliers ou les échelles de meunier - les déjections de rats et de chauve-souris que trouve-t-on ? …Tuyaux pliés, écrasés, mâchouillés, dispersés, mécanismes disloqués, soufflets éventrés, excréments, petits cadavres desséchés, débarras d’objets de cultes tombés en disgrâce, gravas tombés des voûtes…

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 Les facteurs d’orgue qui s’engagent dans la restauration d’un orgue historique savent bien qu’ils ne devront pas compter leur temps ni leur peine pour « récupérer » et réutiliser les moindres parties,  même apparemment ruinées .

 

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(Quelques photos de l'orgue de Ferrari, démembré, de Sainte Marie à Bonifacio)

Tous ces éléments qui constituent l’orgue et qui lui arrivent souvent dans un désordre indescriptible, en particulier lorsque l'orgue a été démonté et entreposé avec bonne volonté mais sans aucune connaissance du matériel et sans l'aide technique hautement souhaitable d'un spécialiste , laissés en vrac comme des morceaux d’un puzzle à reconstituer, sont autant de témoins précieux que le facteur d'orgues - restaurateur devra analyser avec toute la patience et la prudence requises, comme le ferait un archéologue sur un chantier de fouille.

 

Cette patience et cette prudence s’accompagneront d’une grande humilité : le facteur d’orgue doit s’effacer devant l’existant s’il veut véritablement réanimer l’orgue ancien. Faute de quoi, il se contentera de donner une fonction à l’instrument sans lui redonner son esprit d’origine. Ecoutons les réflexions d’Alain FAYE, co-restaurateur avec Alain SALS du petit orgue de l'église saint Sauveur à COSTA (Balagne), en 2004 :

                                                        

« La restauration d’un orgue ancien est pour nous une démarche à la fois historique, technique et musicale.

Elle commence par une mise en condition, qui consiste à comprendre le contexte initial dans lequel l’ouvrage a été créé. Cette démarche intellectuelle est importante : les anciens n’avaient pas les mêmes idées que nous, pas la même façon de fonctionner, n’attachaient pas la même priorité aux mêmes choses.

L’artisanat était bien structuré, il y avait toujours une continuité dans la transmission du savoir, une école. Au quotidien, certains travaux demandaient alors une main d’œuvre bien plus importante que de nos jours. L’organisation du travail, la façon de se procurer les matériaux, le contexte général : transports, économie, conditions de vie, autant de choses qui ont conditionné la création artisanale et qui n’ont rien à voir avec les valeurs auxquelles nous sommes habitués.

Le regard du restaurateur tient compte de tout cela.  Savoir lire le message des anciens artisans, parfois déconcertant, le déchiffrer sans l’interpréter hâtivement : on a vite fait de changer totalement la lettre comme l’esprit. Comprendre les transformations de l’ouvrage, comment et pourquoi il a été modifié, adapté, quand cela a-t-il été fait (…). Il est essentiel de couper tout préjugé pour ne pas trouver ce que nous voudrions bien trouver.

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le faux sommier à Costa avant restauration

Sur le plan technique, il s’agit de conserver une œuvre, physiquement, mais aussi de la restituer dans sa fonction. Ainsi, nous nous tenons strictement à l’obligation morale de transmettre et conserver l’ensemble du matériel ancien cohérent, d’empêcher sa dégradation et de le compléter à l’identique en adaptant nos techniques et savoir-faire au cas par cas.(…) La technique des anciens  est faite de savoir-faire très directs. On allait droit au but dans la plupart des cas. Ce qui n’empêche pas quelques fioritures absolument gratuites qui ne s’expliquent que par la beauté du geste.

Sachant qu’une restauration n’est pas toujours la première et encore moins la dernière, nous nous efforçons de garder identifiable ce qui a été fait précédemment ou au moins d’en conserver une trace écrite et iconographique pour mémoire. Tous les matériaux et techniques utilisés lors de nos interventions sont absolument réversibles et les matériaux  techniques utilisés sont conformes aux spécifications du CCTP.(…)

La conservation et la remise en fonction du matériel ancien est indissociable de l’objectif d’un résultat musical cohérent. L’ensemble de la démarche poursuit cette finalité. »

(2004)

 

Et à propos de déontologie:

"La déontologie est un ensemble de règles aussi bien mprales que techniques, applicables à l'exercice de notre art, aussi bien en ce qui concerne une attitude professionnelle vis-à-vis de notre clientèle et des autres professionnels qu'à l'objet même de notre travail, l'orgue en l'occurence, principalement lorsqu'il s'agit de restauration d'un patrimoine (ces règles se retrouvent dans la plupart des métiers du patrimoine)

 

Attitude du professionnel:

 

Rien de bien spécifique à la facture d'orgues: obligation de résultat, service et respect du client et des différents protagonistes d'un marché, service après-vente parfaitement assuré, recherche d'une bonne image de l'entreprise et de la corporation en général. Une attitude claire, positive et collégiale au sein de la corporation est nécessaire. Tout le monde s'y retrouve en définitive si cela se passe bien, et les travaux de facture d'orgue n'auront pas l'image de quelque chose de problématique.

Attitude du restaurateur - maintes fois définie, tient à quelques principes simples:

- conservation, transmission d'un patrimoine, éviter (retarder?) sa dégradation, physiquement.

- pas de prise de position définitive: l'expérience a montré que la restauration est sujette à des doctrines qui évoluent, donc on peut la remettre en question à un autre moment, principe de réversibilité, ne rien jeter, laisser témoins, également de certaines interventions intermédiaires s'il y a lieu, ne pas perdre de vue qu'une restauration n'est pas toujours la première, et encore moins la dernière. Après une ou deux restaurations, que restera-t-il ? On a vite fait de changer totalement la lettre comme l'esprit. Et à chaque fois se réduit la part du patrimoine lisible transmis à la génération suivante.

-dans la facture d'orgues, nous sommes tenus de restituer également une fonction, l'instrument doit être rendu en état de jouer, mais il ne faut pas perdre de vue l'idée de restituer à la lettre, donc ne rien perdre matériellement. Parfois certaines pièces semblent trop dégradées pour continuer à assurer leur fonction. Il faut alors veiller à conserver également ces pièces originales pour les garder comme témoins.

(Cela arrive peu dans l'orgue, mais souvent des instruments de musique sont conservés même sans être en état de jouer, pour ne pas subir des interventions qui nuiraient à l'intégrité de leur contenu patrimonial.)"

 

( Réflexions d'Alain FAYE, facteur d'orgues à CALLEN, écrites à notre demande en janvier 2011 pour nourrir la nôtre .)

 Quelques réflexions à propos de la restauration des orgues en Corse  (... et d'ailleurs)

 

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(Les tuyaux s'affaissent les uns sur les autres et en entraînent d'autres dans leur chute : c'est le début d'une longue agonie...)

 

La première condition - impérative celle-là-  pour obtenir une bonne restauration de l’orgue demeure avant tout l’étanchéité sans faille de son sommier : si le sommier présente des fuites, même minimes, les tuyaux ne parleront jamais parfaitement… et seront inaccordables. Un sommier bien restauré donne sa stabilité à l’ensemble de l’orgue, quels que soit sa taille et son ancienneté.

 

L’une des caractéristiques de nos instruments en Corse est la sonorité du RIPIENO (l’ensemble du plein-jeu), qui leur donne son âme à la fois majestueuse et lumineuse. Cette «  clarté » des sons qui jaillit des tuyaux lorsqu’ils sont bien restaurés (et placés sur un sommier étanche !) permet de faire chanter des musiques polyphoniques à l’orgue sans que les voix s’embrouillent dans une pâte sonore informe. On est très étonné de voir les facteurs d’orgue arriver à récupérer ces tuyaux écrabouillés, 4365b9f3c36aa49db342d8e091ee33a6.jpgcrevés, mâchouillés par les rats (qui s’aiguisent les incisives dessus !), les remettre en état de revivre et de témoigner de cette esthétique particulière. Seuls les meilleurs d’entre les artisans organiers obtiennent ces véritables résurrections grâce à une connaissance et une pratique accomplies de ce métier dans toutes ses interventions, même les plus humbles : savoir « panser » les plaies des  métaux anciens, souvent fins comme des feuilles de papier à cigarette.

 

Le temps! Une donnée qui a un coût ... Il est moins onéreux de fabriquer des tuyaux neufs que de restaurer les anciens ...

 

Un exemple des étapes de sauvetage et de restauration par Alain Sals d'un tuyau du petit orgue de Costa:

 

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La science de l’harmonisation : commence alors l’opération la plus délicate et qui signe véritablement l’excellence musicale du facteur d’orgue. Il s’agit de traiter avec douceur et délicatesse la bouche du tuyau pour le faire parler sous le vent : mal maîtrisée, cette opération peut produire des effets très désagréables, même si le tuyau est neuf . Bien gérée, une bonne harmonisation permet aux tuyaux de recevoir tout le vent dont ils ont besoin pour "parler clair". La personnalité, la sensibilité et le degré de qualification du facteur d'orgue s'expriment souvent à travers cette opération primordiale.

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(le petit orgue de Costa: anonyme du début XIX° siècle, restauration

d' Alain Faye, Alain Sals et Pierre Sibieude en 2004)

 

 

Parmi tous les choix qui seront nécessaires à une bonne restauration, une autre décision importante donnera son caractère à l’orgue : celle du tempérament.

Nos instruments les plus anciens ont souvent été restaurés avec un tempérament  mésotonique  (avec des tierces justes), ce qui donne une saveur toute particulière à l’ensemble, même si du coup ce choix restreint la quantité de musiques exploitables sur nos orgues au bénéfice de la qualité.

On le voit, le terme de restauration à l’identique implique non seulement un savoir faire sans faille mais aussi une démarche déontologique très exigeante : il est important de décider, lorsque l’on désire redonner vie à un orgue, si l’on va se contenter de reconstruire l’orgue et de lui redonner sa fonction ou si on veut aller au-delà de cette «  remise en souffle » : une restauration n’est pas une simple reconstruction. Dans une véritable restauration chaque élément récupérable sera remis en état de façon à pouvoir témoigner de l’orgue original et de l’époque de sa création… En Corse, il faut saluer la première restauration à l'identique du petit orgue de LA PORTA, en 1963 par un tout jeune homme à l'époque, Barthélémy Formentelli...

 

Il reste de nombreux orgues de grande qualité à restaurer en Corse: tous méritent le titre d'"orgues historiques", ce qui fait de l'île une exception dans le monde organistique européen. 

 

Qu'ils soient classés ou non, ces instruments doivent recevoir toute notre attention et l'on ne saurait trop croiser les regards des spécialistes en toute transparence, lors des restaurations, pour que chaque instrument demeure un livre ouvert racontant l'histoire de sa communauté... On y découvrira du reste que les anciens ne percevaient pas leurs instruments comme nous: notre esprit esthétique de consommation de biens figés dans un paraître impeccable nous empêche parfois d'admettre la vitalité faite de savoir-faire, d'intuitions géniales et parfois d'imperfections ponctuelles nées de contraintes  particulières auxquelles le facteur d'orgues local, parfois formé sur le tas,  cherchait à donner la meilleure réponse possible. Il faut avoir visité l'espace exigu d'un modeste atelier de village pour comprendre ce robuste corps à corps du facteur avec son orgue...

 

Enfin signalons qu'une bonne restauration doit pouvoir assurer dans la durée l'utilisation de l'orgue restauré, sans panne majeure, avec un suivi régulier, et avec un maximum de joies pour les utilisateurs:

 

- tout d'abord pour les communautés qui se sont engagées avec leur municipalité dans cet effort onéreux de la restauration pour que "leur" orgue, forcément le plus beau de la région! sonne à nouveau et serve, en situation liturgique, pédagogique, en concert ...

 

- mais aussi bien sûr pour les organistes qui l'utilisent: plus l'organiste responsable de l'instrument et les organistes de passage auront de plaisir à le jouer, mieux se portera l'orgue restauré, et mieux sera garantie son espérance de vie  ...

 

Elizabeth.

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(l'orgue de Muro, Pagnini 1796/ Agati- Tronci 1878, restauration Jean François Muno 1982)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

28/08/2011

le petit orgue Lazari (1761) de Belgodère - de la déontologie de la restauration des orgues historiques

Belgudè et ses orgues ...

(Je réédite cette note à l'usage des amis organistes qui ont eu l'occasion de visiter et de jouer le petit orgue Lazari de Belgodère cet été)

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En Corse la Balagne, on ne le dira jamais assez, est, avec le Cap Corse, la région la plus riche en orgues historiques ... rares sont ses villages qui n'ont pas réussi par le passé à se doter d'un orgue.

Belgodère nous réserve quelques surprises ...

 

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Farouchement gardée par le Poilu du Monument aux Morts

( encore une fois  si chargé de noms!),

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l'église paroissiale dédiée à san Tumasgiu n'accueille pas moins de trois orgues ... enfin presque...

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Le plus visible, en tribune au-dessus de la porte d'entrée, est aussi le plus moderne, puisque signé  Joseph Abbey, en 1909. C'est un modeste orgue  "à la française" de l'époque, une rareté  dans le paysage organistique de notre Balagne qui acueille uniquement des orgues de facture italo-corse  ...

En 1980 Jean-Claude Galtier fait un relevage de l'orgue et en profite pour installer un ventilateur électrique.

Un clavier (56 touches de do1 à sol 5), un pédalier de 27 touches (Do 1 à Ré 3), avec une composition classique pour ce genre d'instrument: 

une montre  8', un bourdon   8' basses et dessus, un prestant  4' basses et dessus, une voix céleste  8' à partir du do2, une trompette 8' basses et dessus, et un tremblant par cuillère.

Il accompagne les offices depuis de nombreuses années sous les doigts de sa fidèle organiste, notre amie Georgette Orsolani.

Cet orgue Abbey fut offert par la famille Malaspina qui dota alors l'église de ce nouvel instrument en remplacement du petit orgue installé dans le choeur depuis 1798 ... et sans doute quelque peu fatigué en ce début de XX° siècle ... C'était le progrès à la française !

***

Venons-en au petit orgue campé sur sa minuscule tribune dans le choeur:

 

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Côté épître, la canturia ornée  d'instruments de musique et son orgue Lazari  ... 

 

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et en face, côté évangile ... une autre canturia et son décor peint en trompe l'oeïl: le troisième orgue de Belgodère! Cette canturia servait probablement aux chantres du village.

Le facteur d'orgue lombard Giuseppe Lazari - très actif dans la Corse  des années 1747 à 1761, mais aussi en Sardaigne et à Capraia -  construit en 1761 pour le couvent des Servites de Marie de Belgodère ce petit instrument d'une taille suffisante pour accompagner la liturgie des moines. Il en coûtera 800 lires aux Pères du couvent. ( deux ans auparavant, en 1759,  Giuseppe Lazari avait construit un autre petit orgue - un "organetto" de 900 lires -  pour le couvent voisin de Tuani , à Costa - malheureusement cet instrument  a disparu )

 

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Un peu à l'extérieur de Belgodère, les ruines de l'église conventuelle des Servites et le cimetière du village.

C'était dans cette église que le petit orgue Lazari fut tout d'abord installé, très certainement derrière le maître autel, au fond du choeur, selon l'usage des couvents .

 

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détail du premier maître-autel de l'église du couvent de Belgudè,

 dédié à Santa Maria delle Grazie (1663), oeuvre du menuisier-ébéniste du village Marangiole q Arcangiole : dans le cartouche cental du fronton, le monogramme des Servites. A chacun sa signature.

 

Après la Révolution, l'orgue, selon la tradition orale , aurait d'abord été récupéré par les habitants de Palasca, village proche de Belgodère et du couvent,  qui l'avaient en partie payé , puis repris par les paroissiens de Belgodère et transféré dans l'église San Tumasgiu en 1798 : enfin placé dans le choeur côté épître, dans un espace fort exigu . Combien de temps l'orgue sonnera-t-il avant son total abandon? Nul ne le sait, mais sa dégradation doit être bien avancée lorsque la munificente famille Malaspina offre à la paroisse le nouvel orgue Abbey, plus au goût du jour. 

Commence un long oubli sur la petite tribune obscure, un festin pour les bestioles xylophages et les rats ... En 1963 une première tentative pour le soustraire à la ruine, conduit Renaissance de l'Orgue Corse à démonter l'orgue, qui restera ainsi en pièces détachées de nombreuses années.

Enfin, en 2005 la municipalité s'attelle à la restauration de l'orgue Lazari - sans demander la protection des Monuments Historiques, ce qui laisse le facteur d'orgue seul juge des choix à opérer sur ce précieux patrimoine -  et en confie le chantier au facteur d'orgue Jean-Louis Loriaut, installé à Cervione.

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les tuyaux de façade reconstruits à neuf

On peut seulement regretter que ces tuyaux de façade, tout-à-fait bien construits, ne présentent pas cet aspect artisanal qui les rendrait vivants - comme à l'identique : rabotage, raclage, brunissage à la main ... 

J.L. Loriaut confie le travail de tous les tuyaux, fabrication des tuyaux neufs  et restauration des tuyaux anciens à l'atelier de Jean-Paul Villechange ( voir le site http://Villa Tuyaux d'orgues) .

"En 2005 et 2006, Jean-Louis LORIAUT nous a apporté 183 tuyaux divers, complètement écrasés (voir photos avant restauration dans l'album). Nous avons donc restauré ces  tuyaux et construit les 118 tuyaux manquants en copie. La façade (25 tuyaux) est également neuve. Cela fait au total, 326 tuyaux de métal. Il s'agit d'un petit orgue que le facteur est en train de restaurer."

(On peut visualiser  sur le site de Villa l'album des photos concernant la restauration des tuyaux de Belgodère)

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à l'intérieur les tuyaux anciens restaurés

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à l'arrière du buffet, les anches

JL Loriaut choisit d'ajouter un sommier de 5 anches (8')  - non d'origine - qu'il place à l'arrière du buffet et qui sont commandées par les cinq dernières notes (donnant do, ré, fa, sol, la ) du pédalier. Il choisit donc de reconstruire à neuf le pédalier. On aperçoit sur la photo une partie du faux-sommier original, non réutilisé.

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le pédalier reconstruit à neuf

... pour permettre la commande des anches rajoutées:

8 touches de do1 à si1, plus les 5 touches pour les anches .

 

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le pédalier ancien, non réintégré lors de la restauration.

un accessoire, la Cornamusa (anche en métal) était commandé par une touche du pédalier.

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le clavier ancien, non réintégré lors de la restauration.

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une bien curieuse étiquette (XIX°)

trône au centre, au-dessus du vieux clavier, portant dans une graphie anachronique une date et un nom qui nous intriguent: l'orgue étant construit par Giuseppe LAZARI en 1761 et non par Giuseppe CRUDELI ...  né seulement en 1765 ! Crudeli y gagne un L supplémentaire , Lucca y perd un C ... et Giuseppe devient Joseph ...  En revanche il parait possible que  Giuseppe Crudeli ait pu faire le transfert de l'orgue en 1798.

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un détail du clavier ancien:

les touches naturelles sont plaquées  en buis et les feintes en ébène

 

 

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le clavier refait à neuf:

45 touches de do1 à do5 avec première octave courte.

 

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le tirage des jeux, vers soi

Composition du manuel -

c'est une composition classique pour un petit orgue de couvent:

Principale 8'

Ottava 4'

Decimaquinta 2'

Decimanona 1'1/3

Vigesimaseconda 1'

Vigesimanona 1/2'

Flauto in quinta 2' 2/3

Voce Umana 8'

***

Coupure en basses et dessus : si2-do3

***

Production du vent par 2 soufflets cunéiformes actionnés par des leviers, et ventilateur électrique: vue l'exiguité de la tribune, on imagine la difficulté d'actionner à la main les soufflets:

souffleurs et organistes  trop corpulents, s'abstenir!

***

Tempérament mésotonique.

***

Diapason 435,7 hz à 24 °C

***

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et la signature engagée du facteur d'orgues J.L. Loriaut, dans le secret au fond de la laye.

 

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A propos des restaurations des orgues historiques:

En annexe, à titre d'exemple et parmi d'autres, voici la réflexion sur les problèmes posés lors d'une restauration d'orgue historique de Laurent Plet, facteur d'orgues :

 

 


Est-il souhaitable d'améliorer
un orgue Monument Historique ?

Article paru dans la Revue des facteurs d'orgues francais
numéro 26 -   Printemps 2005

 

Laurent PLET

 

Facteur d'orgues



Une réflexion de principe :

Nous sommes souvent confrontés à un dilemme entre la fidélité à l'œuvre du créateur et la tentation de l'amélioration que l'on pense pouvoir y apporter. L'argument le plus souvent employé est celui selon lequel, si l'auteur avait pu connaître ce que nous connaissons maintenant de son œuvre, ou s'il avait pu disposer des moyens techniques qui sont apparus après la livraison de son orgue, il aurait certainement agi différemment et appliqué cette nouvelle méthode, amélioration etc...

L'inconvénient de ce type de raisonnement est au moins double :

Il permet d'imaginer que l'œuvre historique peut être améliorée, or cette notion de « mieux » est trop personnelle, liée à notre propre évolution, notre formation, notre culture.

Il ouvre la porte à la notion de perfection ou de qualité de l'œuvre historique alors que la première qualité d'un orgue classé est son homogénéité ou son authenticité quel que soit son style. Tel facteur historiquement reconnu (Cavaillé-Coll, Clicquot ou autres) ne risquera pas trop d'être « amélioré » mais tel « petit facteur » (et le xixe en a compté beaucoup) verra son œuvre perfectionnée sans remords à chaque intervention ou « restauration ». Que restera-t-il de l'immense diversité de notre art après deux ou trois siècles et les inévitables travaux subis ?

Nos descendants du xxiie siècle auront-ils plus de témoins authentiques de l'évolution formidable de la facture d'orgues au milieu du xixe que nous n'en avons aujourd'hui de l'orgue du xviie ?.

C'est là une de nos responsabilités de restaurateurs !

Je pense personnellement qu'il devrait être interdit d'apporter quelque amélioration que ce soit dans les cas de restauration suivants :

A. - La conservation de type muséologique.

Instrument très précieux, quel que soit son état de conservation, devant absolument être transmis aux générations futures sans aucune modification. Cet instrument fera l'objet de mesures conservatoires et d'études précises permettant éventuellement d'en effectuer une copie si on veut avoir une idée de ses possibilités musicales.

Le but des travaux est uniquement la conservation sans recherche de fonctionnalité.

B. - La restauration historique

Instrument ayant connu une ou plusieurs époques stylistiques dont la qualité de conservation des éléments permet un retour à un état organologiquement et musicalement cohérent.

Le but de la restauration est de revenir intégralement à un état ayant existé dans le passé, sans aucune modification par rapport à cet état.

Ces définitions font référence à un essai de classification des travaux de restauration d'orgues que vous trouverez dans cette même revue. On sait qu'il y a actuellement environ 10% des orgues français qui jouissent d'une protection comme Monuments Historiques (classement ou inscription à l'Inventaire Supplémentaire). Les instruments français susceptibles de répondre à cette classe A ne doivent guère être plus d'une dizaine, et j'estime que la moitié des instruments protégés, soit environ 5% des orgues français sont encore dans un état de conservation leur permettant une restauration historique (classe B).

Cette interdiction de toute amélioration ne concerne donc que très peu d'instruments mais je la crois importante pour notre devoir de mémoire.

 

À propos du rôle musical de l'orgue historique

Cependant la restauration historique doit permettre de rendre un instrument jouable, utilisable dans son rôle liturgique pour lequel il a été créé, éventuellement dans le rôle concertiste qui lui échoit maintenant systématiquement. Encore est-il souhaitable que l'on impose pas à l'instrument un répertoire pour lequel il n'a pas été conçu.

Il ne peut donc y avoir de tentative de correction ou d'amélioration du restaurateur que dans le cas d'un défaut qui rendrait l'instrument inutilisable en tout ou partie.

La lecture attentive du dernier numéro de notre Revue des facteurs d'orgues français, m'a donné l'occasion de réfléchir à cette notion d'amélioration d'orgues historiques et je me suis remémoré les différentes situations rencontrées au cours de ma courte carrière de facteur d'orgues restaurateur (en principe non encore achevée). Je me permets donc de donner ici quelques exemples de défauts rencontrés durant les différentes restaurations que j'ai pu mener à bien depuis la création de mon entreprise en 1983.

 

Exemples d'améliorations admissibles sur des orgues non classés

1) Instrument construit par Déjardin à Villers Allerand (51) en 1852, restauré en 1988. Toutes les traces et vestiges de cet orgue nous prouvaient que l'unique clavier était très court (comme un clavier d'harmonium) et que les touches appuyaient directement sur les soupapes par l'intermédiaire d'un pilotin fileté situé à l'aplomb des dièses. Il n'y avait donc aucune démultiplication de l'effort et le toucher était si dur qu'il était vraiment injouable. Sans faire disparaître aucune trace ni preuve, nous avons donc fabriqué un clavier plus long, placé en saillie par rapport à la console et avec une démultiplication normale. Cet orgue est toujours à l'heure actuelle, le seul témoin en bon état de fonctionnement de l'art de ce facteur rémois du milieu xixe siècle.

2) Instrument construit par A. Chaxel en 1824 à La-Croix-aux-Mines (88), restauré en 1993.

Nous nous trouvions devant un orgue en ruine, œuvre presque unique d'un petit facteur vosgien. Beaucoup d'éléments paraissaient hors normes ou atypiques. Je ne détaillerai pas l'ensemble de la restauration mais nous avons d'abord été obligés de reconstituer tout l'instrument tel qu'il avait été construit. Puis, nous avons, un à un, corrigé tous les défauts qui, à l'époque de sa construction, avaient entraîné une mise hors service très rapide (13 ans). Nous n'avons modifié que les défauts rendant l'orgue injouable :

Les aplombs n'ont été que partiellement repris dans la mécanique des notes.

Les sections et les rapports de tirage ont été modifiés dans la mécanique des jeux.

Les sommiers nous ont donné plus de mal. Il n'en restait que la laye et la grille avec une double table (flipots dans le sens des barrages, plus une table, collée par-dessus, dans le sens des registres). Dans un premier temps, nous avons reconstitué les chapes et les règles, avec tous les faux-équerrages existants, et restauré les parties anciennes avec trois réencollages à la colle de peau. Malgré tous nos efforts, il n'a pas été possible d'éliminer les sources d'emprunts entre les deux tables à fil croisé ; aussi, nous avons dû reconstituer une nouvelle grille, avec une seule table, en recréant tous les faux-équerrages copiés sur les chapes ! La laye ancienne est toujours à sa place, avec ses soupapes très particulières, plates et très larges.

Les tuyaux de façades, en métal très fin et très mal soudé, aplatis sur un coin de tribune, avaient été déclarés généralement irrécupérables par mes collègues. Les biseaux de plomb étaient extraordinairement fin (environ 2 mm d'épaisseur pour les tuyaux de 8 pieds). Nous les avons tous dessoudés pour permettre la remise en forme des corps et des pieds, et nous avons renforcé les plus fragiles par des cordons de soudure. Ils sont tous en place et, en douze ans, je crois n'avoir qu'une fois été obligé de soulever un tuyaux pour remonter un peu un biseau affaissé.

Cet orgue très intéressant est devenu un élément important du patrimoine organistique vosgien.

3) Instrument construit par Beaucourt et Voegeli en 1854, pour le temple de Saint-Hippolyte-du-Fort (30). Cet orgue avait du être repris environ douze ans après sa livraison, nous avons donc cherché les raisons de ce peu de fiabilité et avons supposé que les désordres mécaniques devaient provenir de la ceinture du buffet. En cette période charnière où les buffets passent de leur rôle de « porteur » à un rôle de décor (avec une charpente indépendante pour soutenir l'instrument). Beaucourt avait fait le choix de conserver le rôle porteur à son buffet, tout en ayant des sections de bois plus conformes à un rôle de décor. La résistance étant alors donnée par la largeur des planches. Ainsi, la ceinture de cet orgue, soutenant les sommiers et toute la mécanique, est composée d'une simple planche sur champ de 500 mm de large par 30 mm d'épaisseur. Nous avons donc simplement suspendu une barre d'équerres sur chaque trajet mécanique pour compenser les inévitables mouvements de la structure et cet orgue fonctionne correctement depuis.

Dans chacun de ces intruments, (comme dans tous les orgues), nous avons été confrontés à beaucoup d'autres variétés de facture, de tracés mécaniques, de tailles, de principes d'harmonie qui constitueraient des anomalies, des malfaçons, voire des défauts à corriger absolument pour rendre à nos clients un instrument de qualité irréprochable.

 

Corrections très ponctuelles admissibles dans les orgues classés

Il est à noter que les trois instruments cités plus haut ne sont pas classés comme Monuments Historiques. Seul l'orgue de La-Croix-Aux-Mines est inscrit à l'Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques, les deux autres mériteraient tout à fait cette protection, mais ne l'ont pas encore. En vingt deux ans de restauration, je n'ai jamais rencontré un orgue classé Monuments Historiques qui présente un défaut de fonctionnement si important qu'il nécessite une amélioration ou transformation. Il est probable que les instruments anciens présentant ce type de défauts (et il y en a...) n'arrivent pas à susciter suffisamment d'intéret pour obtenir leur protection au titre des Monuments Historiques.

Bien sûr, il se peut que nous trouvions un détail qui fonctionne mal et que nous apportions une solution. Je pense par exemple :

  • À des petites soupapes anti-retour pour des tuyaux communs à deux jeux dans l'orgue Cavaillé-Coll de Saint Paul de Nîmes (30) (orgue de 1849, restauré en 1999) qui ne remplissaient plus leur fonction car elles avaient trop de course et restaient ouvertes en permanence. Une simple vis comme limiteur de mouvement suffit à pallier à ce petit défaut.
  • Dans le même orgue, la basse du Cor Anglais (première appellation du Hautbois, lorsque celui-ci est présent dès le C 4 pieds) présentait de telles irrégularités d'origine dans la longueur des tiges qu'il m'était impossible de le faire fonctionner. J'ai donc laissé ouvertes les entailles de timbre pratiquées par mes prédecesseurs pour les sept ou huit premiers tuyaux, les autres ayant pu être ressoudées.
  • Un dernier exemple avec l'aigu de l'octavin du Récit de l'orgue de l'église Saint Jacques de Lunéville (54) (plan sonore ajouté par N. Jeanpierre en 1852). La position des trous harmoniques n'étaient pas encore définies de façon précise et Jeanpierre avait procédé par essais successifs, comme en témoignaient les nombreux trous rebouchés sur chaque tuyau ; puis il avait (lui ou un successeur) fini par couper la dernière octave sur le ton. Nous avons d'abord reconstitué les longueurs d'origine et replacé les trous harmoniques dans la logique de Jeanpierre. Nous nous sommes donc retrouvés dans les mêmes conditions que le facteur d'origine, avec les mêmes défauts sonores. Nous avons alors décidé avec Bertrand Cattiaux (attributaire du marché de restauration) et Christian Lutz (technicien conseil, maître d'œuvre) de reboucher ces trous et de repercer les tuyaux à la bonne place, pratiquée par Cavaillé-Coll à peu près à la même époque.

Il s'agit là d'exemples d'interventions ponctuelles pour remédier à un défaut entraînant le mauvais fonctionnement d'une pièce d'origine, mais il ne faut certainement pas aller plus loin dans les corrections, et toujours laisser dans l'instrument les traces qui permettront à nos successeurs de comprendre quel était le problème rencontré et d'effacer éventuellement notre intervention.

 

Les risques du métier de restaurateur

Il est vrai que le fait de défendre l'œuvre originale avec ses éventuelles imperfections présentent des risques non négligeables pour le facteur d'orgues restaurateur. Je vais prendre deux autres exemples dans la production du plus célèbre des facteurs français Aristide Cavaillé-Coll, connu pour l'excellence du savoir-faire de son entreprise.

1 - L'orgue de l'église Saint Jean-Baptiste de Long (80) construit en 1877 et que nous avons restauré en 1989, présente depuis sa construction une faiblesse dans l'alimentation, ce qui est plutôt rare chez Cavaillé-Coll. En fait, la taille de la soufflerie sur trois niveaux est trop juste par rapport à la consommation effective de l'instrument, au point que très rapidement, il a été nécessaire de placer sur la console un cadran à aiguille qui indique à l'organiste le niveau de remplissage des réservoirs et l'autonomie de vent encore disponible. Lors de la restauration, qui n'était en fait qu'un gros relevage, avec démontage complet de la mécanique et des postages mais maintien en place des sommiers, boîte expressive, circuit d'alimentation et buffet, nous avons conservé le ventilateur Meidinger posé dans les années 1960. En effet, nous avons constaté et prouvé qu'il fournissait déjà plus de vent que ne pouvait le faire deux jeunes souffleurs dans la force de l'âge (nous !) avec les pompes d'origine. Il suffisait donc que l'organiste ne surcharge pas sa registration et surveille son indicateur de réserve d'air et tout se passait bien. Mais c'est là une contrainte à laquelle nous ne sommes plus habitués, et il ne s'est pas passé trois années avant qu'un organiste de passage, fort mécontent de cette limite et persuadé que le restaurateur n'avait pas su régler l'alimentation, ne réussisse à forcer les panneaux du soubassement et pénétrer dans l'instrument. Là, fort de sa science, il modifia le réglage de la boîte à rideau et les soufflets ne furent plus arrêtés dans leur course ascendante que par la tension des aisnes de peau.

L'orgue fonctionna donc en surpression jusqu'à ce qu'un des fonds antisecousses (tous d'origine) ne se déchirent sous cette sollicitation extrême. L'orgue ne pouvant plus fonctionner, nous fumes appelés en dépannage, et constatâmes les dégâts. Un devis de réparation fut envoyé à la DRAC immédiatement, soulevant l'urgence du problème rencontré et ses causes, j'attends toujours la réponse...douze ans après.

Il est bien évident que je ne pouvais laisser injouable un orgue récemment restauré par mon entreprise, j'ai donc assumé la réparation, entièrement à mes frais.

On peut consulter la description technique de cet orgue dans le numéro double 55/56 de la revue « La Flûte Harmonique ».

2 - Nous restaurons en ce moment l'orgue de l'Abbaye de Royaumont (94), construit par Cavaillé-Coll pour Monsieur Marracci en 1864 ; grand-orgue de 44 jeux sur trois claviers pédalier pour grand salon (!), basé sur Montre 16 au manuel et Bourdon 32 à la pédale. Lors du déplacement à Royaumont par Gonzalès, les sommiers de Récit et Positif ont perdu leurs doubles layes, et pour rendre le toucher de ces deux plans sonores plus compatibles avec les exigences du modernisme, des petits soufflets d'assistance au décollement de soupape, ont été placés à l'intérieur des layes conservées, complètement modifiées en conséquence. La restauration historique que nous menons actuellement en collaboration avec Yves Kœnig entraîne bien évidemment la reconstitution des doubles layes disparues ; ce qui signifie que l'organiste devra à nouveau ouvrir deux à quatre soupapes pour chaque note d'un de ces claviers, par l'intermédiaire d'une bonne dizaine de mètres de vergettes et de cinq à six équerres, sans l'aide d'aucune Barker, puisqu'il n'y en a qu'une pour le Grand-Orgue et les accouplements, comme très souvent chez A. Cavaillé-Coll.

Le toucher sera lourd, c'est évident, et, dans l'esprit de certains organistes, ce sera probablement de la faute des restaurateurs (!).

 

Notre devoir de transmission

Je crois vraiment que le fait même de rechercher une amélioration du fonctionnement d'un orgue historique pour des raisons de confort, de toucher léger, de puissance sonore &c... met en danger l'historicité de l'instrument.

Si, à l'issue d'une restauration encadrée par les experts désignés par l'Etat, nous laissons dans nos instruments restaurés des traces de modification, des éléments étrangers à la facture d'origine (bien entendu toutes actions réversibles pour notre bonne conscience) sous prétexte d'amélioration, ne prenons-nous pas le risque de voir un jour dans dix, vingt, trente ans des facteurs d'orgues se sentir encore plus libres vis-à-vis de l'œuvre originelle ?

Si nous nous permettons de modifier, de « bricoler » l'œuvre originelle, quels que soient nos motifs, nous ouvrons la porte à des modifications ultérieures, peut-être plus dommageables, et en portons une part de responsabilité.

Si, au contraire, nous laissons une œuvre la plus homogène, la plus authentique possible, avec ses qualités et ses menus défauts, nous rendons beaucoup plus difficile toute modification ultérieure car toute intervention, si mineure soit-elle deviendra plus apparente.

Alors appliquons-nous à laisser des orgues authentiquement historiques, sans concession à la mode ou aux désirs de l'organiste titulaire du moment, c'est la seule voie qui nous permettra de laisser à nos descendants les quelques cinq pour cent d'orgues témoins importants de l'évolution de notre métier et de notre art.

 

 

Laurent Plet.
Facteur d'orgues restaurateur.

 

 

 

(à suivre!)