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28/08/2011

le petit orgue Lazari (1761) de Belgodère - de la déontologie de la restauration des orgues historiques

Belgudè et ses orgues ...

(Je réédite cette note à l'usage des amis organistes qui ont eu l'occasion de visiter et de jouer le petit orgue Lazari de Belgodère cet été)

Belgodère village blog.jpg

 

En Corse la Balagne, on ne le dira jamais assez, est, avec le Cap Corse, la région la plus riche en orgues historiques ... rares sont ses villages qui n'ont pas réussi par le passé à se doter d'un orgue.

Belgodère nous réserve quelques surprises ...

 

Belgodère monument morts et église blog.jpg

Farouchement gardée par le Poilu du Monument aux Morts

( encore une fois  si chargé de noms!),

Belgodère façade église blog.jpg

l'église paroissiale dédiée à san Tumasgiu n'accueille pas moins de trois orgues ... enfin presque...

orgue abbey belgodere 003 copie.jpg

Le plus visible, en tribune au-dessus de la porte d'entrée, est aussi le plus moderne, puisque signé  Joseph Abbey, en 1909. C'est un modeste orgue  "à la française" de l'époque, une rareté  dans le paysage organistique de notre Balagne qui acueille uniquement des orgues de facture italo-corse  ...

En 1980 Jean-Claude Galtier fait un relevage de l'orgue et en profite pour installer un ventilateur électrique.

Un clavier (56 touches de do1 à sol 5), un pédalier de 27 touches (Do 1 à Ré 3), avec une composition classique pour ce genre d'instrument: 

une montre  8', un bourdon   8' basses et dessus, un prestant  4' basses et dessus, une voix céleste  8' à partir du do2, une trompette 8' basses et dessus, et un tremblant par cuillère.

Il accompagne les offices depuis de nombreuses années sous les doigts de sa fidèle organiste, notre amie Georgette Orsolani.

Cet orgue Abbey fut offert par la famille Malaspina qui dota alors l'église de ce nouvel instrument en remplacement du petit orgue installé dans le choeur depuis 1798 ... et sans doute quelque peu fatigué en ce début de XX° siècle ... C'était le progrès à la française !

***

Venons-en au petit orgue campé sur sa minuscule tribune dans le choeur:

 

l'orgue Lazari  blog.jpg

Côté épître, la canturia ornée  d'instruments de musique et son orgue Lazari  ... 

 

Belgodère le  trompe l'oeïl orgue blog.jpg

et en face, côté évangile ... une autre canturia et son décor peint en trompe l'oeïl: le troisième orgue de Belgodère! Cette canturia servait probablement aux chantres du village.

Le facteur d'orgue lombard Giuseppe Lazari - très actif dans la Corse  des années 1747 à 1761, mais aussi en Sardaigne et à Capraia -  construit en 1761 pour le couvent des Servites de Marie de Belgodère ce petit instrument d'une taille suffisante pour accompagner la liturgie des moines. Il en coûtera 800 lires aux Pères du couvent. ( deux ans auparavant, en 1759,  Giuseppe Lazari avait construit un autre petit orgue - un "organetto" de 900 lires -  pour le couvent voisin de Tuani , à Costa - malheureusement cet instrument  a disparu )

 

Belgodère ruines couvent blog.jpg

Un peu à l'extérieur de Belgodère, les ruines de l'église conventuelle des Servites et le cimetière du village.

C'était dans cette église que le petit orgue Lazari fut tout d'abord installé, très certainement derrière le maître autel, au fond du choeur, selon l'usage des couvents .

 

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détail du premier maître-autel de l'église du couvent de Belgudè,

 dédié à Santa Maria delle Grazie (1663), oeuvre du menuisier-ébéniste du village Marangiole q Arcangiole : dans le cartouche cental du fronton, le monogramme des Servites. A chacun sa signature.

 

Après la Révolution, l'orgue, selon la tradition orale , aurait d'abord été récupéré par les habitants de Palasca, village proche de Belgodère et du couvent,  qui l'avaient en partie payé , puis repris par les paroissiens de Belgodère et transféré dans l'église San Tumasgiu en 1798 : enfin placé dans le choeur côté épître, dans un espace fort exigu . Combien de temps l'orgue sonnera-t-il avant son total abandon? Nul ne le sait, mais sa dégradation doit être bien avancée lorsque la munificente famille Malaspina offre à la paroisse le nouvel orgue Abbey, plus au goût du jour. 

Commence un long oubli sur la petite tribune obscure, un festin pour les bestioles xylophages et les rats ... En 1963 une première tentative pour le soustraire à la ruine, conduit Renaissance de l'Orgue Corse à démonter l'orgue, qui restera ainsi en pièces détachées de nombreuses années.

Enfin, en 2005 la municipalité s'attelle à la restauration de l'orgue Lazari - sans demander la protection des Monuments Historiques, ce qui laisse le facteur d'orgue seul juge des choix à opérer sur ce précieux patrimoine -  et en confie le chantier au facteur d'orgue Jean-Louis Loriaut, installé à Cervione.

tuyaux de façade neufs blog.jpg

les tuyaux de façade reconstruits à neuf

On peut seulement regretter que ces tuyaux de façade, tout-à-fait bien construits, ne présentent pas cet aspect artisanal qui les rendrait vivants - comme à l'identique : rabotage, raclage, brunissage à la main ... 

J.L. Loriaut confie le travail de tous les tuyaux, fabrication des tuyaux neufs  et restauration des tuyaux anciens à l'atelier de Jean-Paul Villechange ( voir le site http://Villa Tuyaux d'orgues) .

"En 2005 et 2006, Jean-Louis LORIAUT nous a apporté 183 tuyaux divers, complètement écrasés (voir photos avant restauration dans l'album). Nous avons donc restauré ces  tuyaux et construit les 118 tuyaux manquants en copie. La façade (25 tuyaux) est également neuve. Cela fait au total, 326 tuyaux de métal. Il s'agit d'un petit orgue que le facteur est en train de restaurer."

(On peut visualiser  sur le site de Villa l'album des photos concernant la restauration des tuyaux de Belgodère)

tuyaux  derrière façade orgue lazari belgodere blog.jpg

à l'intérieur les tuyaux anciens restaurés

les anches blog.jpg

à l'arrière du buffet, les anches

JL Loriaut choisit d'ajouter un sommier de 5 anches (8')  - non d'origine - qu'il place à l'arrière du buffet et qui sont commandées par les cinq dernières notes (donnant do, ré, fa, sol, la ) du pédalier. Il choisit donc de reconstruire à neuf le pédalier. On aperçoit sur la photo une partie du faux-sommier original, non réutilisé.

le pédalier neuf blog.jpg

le pédalier reconstruit à neuf

... pour permettre la commande des anches rajoutées:

8 touches de do1 à si1, plus les 5 touches pour les anches .

 

orgue Lazari pédalier ancien Belgodère  blog.jpg

le pédalier ancien, non réintégré lors de la restauration.

un accessoire, la Cornamusa (anche en métal) était commandé par une touche du pédalier.

orgue Belgodère Lazari clavier ancien blog.jpg

le clavier ancien, non réintégré lors de la restauration.

étiquette blog.jpg

une bien curieuse étiquette (XIX°)

trône au centre, au-dessus du vieux clavier, portant dans une graphie anachronique une date et un nom qui nous intriguent: l'orgue étant construit par Giuseppe LAZARI en 1761 et non par Giuseppe CRUDELI ...  né seulement en 1765 ! Crudeli y gagne un L supplémentaire , Lucca y perd un C ... et Giuseppe devient Joseph ...  En revanche il parait possible que  Giuseppe Crudeli ait pu faire le transfert de l'orgue en 1798.

orgue Belgodère clavier détail blog.jpg

un détail du clavier ancien:

les touches naturelles sont plaquées  en buis et les feintes en ébène

 

 

clavier neuf blog.jpg

 

le clavier refait à neuf:

45 touches de do1 à do5 avec première octave courte.

 

tirarage des jeux blog.jpg

 

le tirage des jeux, vers soi

Composition du manuel -

c'est une composition classique pour un petit orgue de couvent:

Principale 8'

Ottava 4'

Decimaquinta 2'

Decimanona 1'1/3

Vigesimaseconda 1'

Vigesimanona 1/2'

Flauto in quinta 2' 2/3

Voce Umana 8'

***

Coupure en basses et dessus : si2-do3

***

Production du vent par 2 soufflets cunéiformes actionnés par des leviers, et ventilateur électrique: vue l'exiguité de la tribune, on imagine la difficulté d'actionner à la main les soufflets:

souffleurs et organistes  trop corpulents, s'abstenir!

***

Tempérament mésotonique.

***

Diapason 435,7 hz à 24 °C

***

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et la signature engagée du facteur d'orgues J.L. Loriaut, dans le secret au fond de la laye.

 

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A propos des restaurations des orgues historiques:

En annexe, à titre d'exemple et parmi d'autres, voici la réflexion sur les problèmes posés lors d'une restauration d'orgue historique de Laurent Plet, facteur d'orgues :

 

 


Est-il souhaitable d'améliorer
un orgue Monument Historique ?

Article paru dans la Revue des facteurs d'orgues francais
numéro 26 -   Printemps 2005

 

Laurent PLET

 

Facteur d'orgues



Une réflexion de principe :

Nous sommes souvent confrontés à un dilemme entre la fidélité à l'œuvre du créateur et la tentation de l'amélioration que l'on pense pouvoir y apporter. L'argument le plus souvent employé est celui selon lequel, si l'auteur avait pu connaître ce que nous connaissons maintenant de son œuvre, ou s'il avait pu disposer des moyens techniques qui sont apparus après la livraison de son orgue, il aurait certainement agi différemment et appliqué cette nouvelle méthode, amélioration etc...

L'inconvénient de ce type de raisonnement est au moins double :

Il permet d'imaginer que l'œuvre historique peut être améliorée, or cette notion de « mieux » est trop personnelle, liée à notre propre évolution, notre formation, notre culture.

Il ouvre la porte à la notion de perfection ou de qualité de l'œuvre historique alors que la première qualité d'un orgue classé est son homogénéité ou son authenticité quel que soit son style. Tel facteur historiquement reconnu (Cavaillé-Coll, Clicquot ou autres) ne risquera pas trop d'être « amélioré » mais tel « petit facteur » (et le xixe en a compté beaucoup) verra son œuvre perfectionnée sans remords à chaque intervention ou « restauration ». Que restera-t-il de l'immense diversité de notre art après deux ou trois siècles et les inévitables travaux subis ?

Nos descendants du xxiie siècle auront-ils plus de témoins authentiques de l'évolution formidable de la facture d'orgues au milieu du xixe que nous n'en avons aujourd'hui de l'orgue du xviie ?.

C'est là une de nos responsabilités de restaurateurs !

Je pense personnellement qu'il devrait être interdit d'apporter quelque amélioration que ce soit dans les cas de restauration suivants :

A. - La conservation de type muséologique.

Instrument très précieux, quel que soit son état de conservation, devant absolument être transmis aux générations futures sans aucune modification. Cet instrument fera l'objet de mesures conservatoires et d'études précises permettant éventuellement d'en effectuer une copie si on veut avoir une idée de ses possibilités musicales.

Le but des travaux est uniquement la conservation sans recherche de fonctionnalité.

B. - La restauration historique

Instrument ayant connu une ou plusieurs époques stylistiques dont la qualité de conservation des éléments permet un retour à un état organologiquement et musicalement cohérent.

Le but de la restauration est de revenir intégralement à un état ayant existé dans le passé, sans aucune modification par rapport à cet état.

Ces définitions font référence à un essai de classification des travaux de restauration d'orgues que vous trouverez dans cette même revue. On sait qu'il y a actuellement environ 10% des orgues français qui jouissent d'une protection comme Monuments Historiques (classement ou inscription à l'Inventaire Supplémentaire). Les instruments français susceptibles de répondre à cette classe A ne doivent guère être plus d'une dizaine, et j'estime que la moitié des instruments protégés, soit environ 5% des orgues français sont encore dans un état de conservation leur permettant une restauration historique (classe B).

Cette interdiction de toute amélioration ne concerne donc que très peu d'instruments mais je la crois importante pour notre devoir de mémoire.

 

À propos du rôle musical de l'orgue historique

Cependant la restauration historique doit permettre de rendre un instrument jouable, utilisable dans son rôle liturgique pour lequel il a été créé, éventuellement dans le rôle concertiste qui lui échoit maintenant systématiquement. Encore est-il souhaitable que l'on impose pas à l'instrument un répertoire pour lequel il n'a pas été conçu.

Il ne peut donc y avoir de tentative de correction ou d'amélioration du restaurateur que dans le cas d'un défaut qui rendrait l'instrument inutilisable en tout ou partie.

La lecture attentive du dernier numéro de notre Revue des facteurs d'orgues français, m'a donné l'occasion de réfléchir à cette notion d'amélioration d'orgues historiques et je me suis remémoré les différentes situations rencontrées au cours de ma courte carrière de facteur d'orgues restaurateur (en principe non encore achevée). Je me permets donc de donner ici quelques exemples de défauts rencontrés durant les différentes restaurations que j'ai pu mener à bien depuis la création de mon entreprise en 1983.

 

Exemples d'améliorations admissibles sur des orgues non classés

1) Instrument construit par Déjardin à Villers Allerand (51) en 1852, restauré en 1988. Toutes les traces et vestiges de cet orgue nous prouvaient que l'unique clavier était très court (comme un clavier d'harmonium) et que les touches appuyaient directement sur les soupapes par l'intermédiaire d'un pilotin fileté situé à l'aplomb des dièses. Il n'y avait donc aucune démultiplication de l'effort et le toucher était si dur qu'il était vraiment injouable. Sans faire disparaître aucune trace ni preuve, nous avons donc fabriqué un clavier plus long, placé en saillie par rapport à la console et avec une démultiplication normale. Cet orgue est toujours à l'heure actuelle, le seul témoin en bon état de fonctionnement de l'art de ce facteur rémois du milieu xixe siècle.

2) Instrument construit par A. Chaxel en 1824 à La-Croix-aux-Mines (88), restauré en 1993.

Nous nous trouvions devant un orgue en ruine, œuvre presque unique d'un petit facteur vosgien. Beaucoup d'éléments paraissaient hors normes ou atypiques. Je ne détaillerai pas l'ensemble de la restauration mais nous avons d'abord été obligés de reconstituer tout l'instrument tel qu'il avait été construit. Puis, nous avons, un à un, corrigé tous les défauts qui, à l'époque de sa construction, avaient entraîné une mise hors service très rapide (13 ans). Nous n'avons modifié que les défauts rendant l'orgue injouable :

Les aplombs n'ont été que partiellement repris dans la mécanique des notes.

Les sections et les rapports de tirage ont été modifiés dans la mécanique des jeux.

Les sommiers nous ont donné plus de mal. Il n'en restait que la laye et la grille avec une double table (flipots dans le sens des barrages, plus une table, collée par-dessus, dans le sens des registres). Dans un premier temps, nous avons reconstitué les chapes et les règles, avec tous les faux-équerrages existants, et restauré les parties anciennes avec trois réencollages à la colle de peau. Malgré tous nos efforts, il n'a pas été possible d'éliminer les sources d'emprunts entre les deux tables à fil croisé ; aussi, nous avons dû reconstituer une nouvelle grille, avec une seule table, en recréant tous les faux-équerrages copiés sur les chapes ! La laye ancienne est toujours à sa place, avec ses soupapes très particulières, plates et très larges.

Les tuyaux de façades, en métal très fin et très mal soudé, aplatis sur un coin de tribune, avaient été déclarés généralement irrécupérables par mes collègues. Les biseaux de plomb étaient extraordinairement fin (environ 2 mm d'épaisseur pour les tuyaux de 8 pieds). Nous les avons tous dessoudés pour permettre la remise en forme des corps et des pieds, et nous avons renforcé les plus fragiles par des cordons de soudure. Ils sont tous en place et, en douze ans, je crois n'avoir qu'une fois été obligé de soulever un tuyaux pour remonter un peu un biseau affaissé.

Cet orgue très intéressant est devenu un élément important du patrimoine organistique vosgien.

3) Instrument construit par Beaucourt et Voegeli en 1854, pour le temple de Saint-Hippolyte-du-Fort (30). Cet orgue avait du être repris environ douze ans après sa livraison, nous avons donc cherché les raisons de ce peu de fiabilité et avons supposé que les désordres mécaniques devaient provenir de la ceinture du buffet. En cette période charnière où les buffets passent de leur rôle de « porteur » à un rôle de décor (avec une charpente indépendante pour soutenir l'instrument). Beaucourt avait fait le choix de conserver le rôle porteur à son buffet, tout en ayant des sections de bois plus conformes à un rôle de décor. La résistance étant alors donnée par la largeur des planches. Ainsi, la ceinture de cet orgue, soutenant les sommiers et toute la mécanique, est composée d'une simple planche sur champ de 500 mm de large par 30 mm d'épaisseur. Nous avons donc simplement suspendu une barre d'équerres sur chaque trajet mécanique pour compenser les inévitables mouvements de la structure et cet orgue fonctionne correctement depuis.

Dans chacun de ces intruments, (comme dans tous les orgues), nous avons été confrontés à beaucoup d'autres variétés de facture, de tracés mécaniques, de tailles, de principes d'harmonie qui constitueraient des anomalies, des malfaçons, voire des défauts à corriger absolument pour rendre à nos clients un instrument de qualité irréprochable.

 

Corrections très ponctuelles admissibles dans les orgues classés

Il est à noter que les trois instruments cités plus haut ne sont pas classés comme Monuments Historiques. Seul l'orgue de La-Croix-Aux-Mines est inscrit à l'Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques, les deux autres mériteraient tout à fait cette protection, mais ne l'ont pas encore. En vingt deux ans de restauration, je n'ai jamais rencontré un orgue classé Monuments Historiques qui présente un défaut de fonctionnement si important qu'il nécessite une amélioration ou transformation. Il est probable que les instruments anciens présentant ce type de défauts (et il y en a...) n'arrivent pas à susciter suffisamment d'intéret pour obtenir leur protection au titre des Monuments Historiques.

Bien sûr, il se peut que nous trouvions un détail qui fonctionne mal et que nous apportions une solution. Je pense par exemple :

  • À des petites soupapes anti-retour pour des tuyaux communs à deux jeux dans l'orgue Cavaillé-Coll de Saint Paul de Nîmes (30) (orgue de 1849, restauré en 1999) qui ne remplissaient plus leur fonction car elles avaient trop de course et restaient ouvertes en permanence. Une simple vis comme limiteur de mouvement suffit à pallier à ce petit défaut.
  • Dans le même orgue, la basse du Cor Anglais (première appellation du Hautbois, lorsque celui-ci est présent dès le C 4 pieds) présentait de telles irrégularités d'origine dans la longueur des tiges qu'il m'était impossible de le faire fonctionner. J'ai donc laissé ouvertes les entailles de timbre pratiquées par mes prédecesseurs pour les sept ou huit premiers tuyaux, les autres ayant pu être ressoudées.
  • Un dernier exemple avec l'aigu de l'octavin du Récit de l'orgue de l'église Saint Jacques de Lunéville (54) (plan sonore ajouté par N. Jeanpierre en 1852). La position des trous harmoniques n'étaient pas encore définies de façon précise et Jeanpierre avait procédé par essais successifs, comme en témoignaient les nombreux trous rebouchés sur chaque tuyau ; puis il avait (lui ou un successeur) fini par couper la dernière octave sur le ton. Nous avons d'abord reconstitué les longueurs d'origine et replacé les trous harmoniques dans la logique de Jeanpierre. Nous nous sommes donc retrouvés dans les mêmes conditions que le facteur d'origine, avec les mêmes défauts sonores. Nous avons alors décidé avec Bertrand Cattiaux (attributaire du marché de restauration) et Christian Lutz (technicien conseil, maître d'œuvre) de reboucher ces trous et de repercer les tuyaux à la bonne place, pratiquée par Cavaillé-Coll à peu près à la même époque.

Il s'agit là d'exemples d'interventions ponctuelles pour remédier à un défaut entraînant le mauvais fonctionnement d'une pièce d'origine, mais il ne faut certainement pas aller plus loin dans les corrections, et toujours laisser dans l'instrument les traces qui permettront à nos successeurs de comprendre quel était le problème rencontré et d'effacer éventuellement notre intervention.

 

Les risques du métier de restaurateur

Il est vrai que le fait de défendre l'œuvre originale avec ses éventuelles imperfections présentent des risques non négligeables pour le facteur d'orgues restaurateur. Je vais prendre deux autres exemples dans la production du plus célèbre des facteurs français Aristide Cavaillé-Coll, connu pour l'excellence du savoir-faire de son entreprise.

1 - L'orgue de l'église Saint Jean-Baptiste de Long (80) construit en 1877 et que nous avons restauré en 1989, présente depuis sa construction une faiblesse dans l'alimentation, ce qui est plutôt rare chez Cavaillé-Coll. En fait, la taille de la soufflerie sur trois niveaux est trop juste par rapport à la consommation effective de l'instrument, au point que très rapidement, il a été nécessaire de placer sur la console un cadran à aiguille qui indique à l'organiste le niveau de remplissage des réservoirs et l'autonomie de vent encore disponible. Lors de la restauration, qui n'était en fait qu'un gros relevage, avec démontage complet de la mécanique et des postages mais maintien en place des sommiers, boîte expressive, circuit d'alimentation et buffet, nous avons conservé le ventilateur Meidinger posé dans les années 1960. En effet, nous avons constaté et prouvé qu'il fournissait déjà plus de vent que ne pouvait le faire deux jeunes souffleurs dans la force de l'âge (nous !) avec les pompes d'origine. Il suffisait donc que l'organiste ne surcharge pas sa registration et surveille son indicateur de réserve d'air et tout se passait bien. Mais c'est là une contrainte à laquelle nous ne sommes plus habitués, et il ne s'est pas passé trois années avant qu'un organiste de passage, fort mécontent de cette limite et persuadé que le restaurateur n'avait pas su régler l'alimentation, ne réussisse à forcer les panneaux du soubassement et pénétrer dans l'instrument. Là, fort de sa science, il modifia le réglage de la boîte à rideau et les soufflets ne furent plus arrêtés dans leur course ascendante que par la tension des aisnes de peau.

L'orgue fonctionna donc en surpression jusqu'à ce qu'un des fonds antisecousses (tous d'origine) ne se déchirent sous cette sollicitation extrême. L'orgue ne pouvant plus fonctionner, nous fumes appelés en dépannage, et constatâmes les dégâts. Un devis de réparation fut envoyé à la DRAC immédiatement, soulevant l'urgence du problème rencontré et ses causes, j'attends toujours la réponse...douze ans après.

Il est bien évident que je ne pouvais laisser injouable un orgue récemment restauré par mon entreprise, j'ai donc assumé la réparation, entièrement à mes frais.

On peut consulter la description technique de cet orgue dans le numéro double 55/56 de la revue « La Flûte Harmonique ».

2 - Nous restaurons en ce moment l'orgue de l'Abbaye de Royaumont (94), construit par Cavaillé-Coll pour Monsieur Marracci en 1864 ; grand-orgue de 44 jeux sur trois claviers pédalier pour grand salon (!), basé sur Montre 16 au manuel et Bourdon 32 à la pédale. Lors du déplacement à Royaumont par Gonzalès, les sommiers de Récit et Positif ont perdu leurs doubles layes, et pour rendre le toucher de ces deux plans sonores plus compatibles avec les exigences du modernisme, des petits soufflets d'assistance au décollement de soupape, ont été placés à l'intérieur des layes conservées, complètement modifiées en conséquence. La restauration historique que nous menons actuellement en collaboration avec Yves Kœnig entraîne bien évidemment la reconstitution des doubles layes disparues ; ce qui signifie que l'organiste devra à nouveau ouvrir deux à quatre soupapes pour chaque note d'un de ces claviers, par l'intermédiaire d'une bonne dizaine de mètres de vergettes et de cinq à six équerres, sans l'aide d'aucune Barker, puisqu'il n'y en a qu'une pour le Grand-Orgue et les accouplements, comme très souvent chez A. Cavaillé-Coll.

Le toucher sera lourd, c'est évident, et, dans l'esprit de certains organistes, ce sera probablement de la faute des restaurateurs (!).

 

Notre devoir de transmission

Je crois vraiment que le fait même de rechercher une amélioration du fonctionnement d'un orgue historique pour des raisons de confort, de toucher léger, de puissance sonore &c... met en danger l'historicité de l'instrument.

Si, à l'issue d'une restauration encadrée par les experts désignés par l'Etat, nous laissons dans nos instruments restaurés des traces de modification, des éléments étrangers à la facture d'origine (bien entendu toutes actions réversibles pour notre bonne conscience) sous prétexte d'amélioration, ne prenons-nous pas le risque de voir un jour dans dix, vingt, trente ans des facteurs d'orgues se sentir encore plus libres vis-à-vis de l'œuvre originelle ?

Si nous nous permettons de modifier, de « bricoler » l'œuvre originelle, quels que soient nos motifs, nous ouvrons la porte à des modifications ultérieures, peut-être plus dommageables, et en portons une part de responsabilité.

Si, au contraire, nous laissons une œuvre la plus homogène, la plus authentique possible, avec ses qualités et ses menus défauts, nous rendons beaucoup plus difficile toute modification ultérieure car toute intervention, si mineure soit-elle deviendra plus apparente.

Alors appliquons-nous à laisser des orgues authentiquement historiques, sans concession à la mode ou aux désirs de l'organiste titulaire du moment, c'est la seule voie qui nous permettra de laisser à nos descendants les quelques cinq pour cent d'orgues témoins importants de l'évolution de notre métier et de notre art.

 

 

Laurent Plet.
Facteur d'orgues restaurateur.

 

 

 

(à suivre!)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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