En écho des sepolcri du Rustinu et de Castagniccia
ce Vendredi Saint 18 avril 2014
à l'attention des amis qui partagèrent
cette belle " journée des sepolcri" et de ceux qui ne purent venir
FRASSU, église St Côme et St Damien

Nous commençons cette journée lumineuse avec la rencontre de la petite église Saints Côme et Damien de Frassu qui, cet été 2013, était encore en travaux sous ses échafaudages . Des travaux qui ont permis de dégager ce qui reste des murs romans avec leurs belles dalles de revêtement. Je rappelle que Frassu n'a été rattaché à la commune de Pastureccia di Rustinu que le 14/04/1857, formant ainsi, avec les communautés des hameaux de Gratte et Casa Pitti la commune de Castellu di Rustinu.

Au-dessus de la porte d'entrée, et remplaçant le tympan roman initial, cet énigmatique blason de stuc (photo prise avant la restauration de la façade) datant probablement du XVIII°s. : un chapeau d'évêque à trois rangées de pompons surmonte la tiare papale, la crosse et les clés de St Pierre, ainsi deux palmes de martyres (St Côme et St Damien?). Ce blason date peut-être de l'époque où fut agrandie et modifiée l'église romane, avec en particulier la construction côté sud d'une deuxième nef dotée d'une porte et communiquant avec l'église: des objets tels que bâtons de procession et bannières pourraient témoigner en faveur d'un espace dédié à la confrérie de Frassu.
Ce vendredi nous avions parmi nous notre amie Bernadette Conrad . Outre sa parfaite connaissance des plantes, en digne fille de Marcelle Conrad, la grande dame de la botanique corse (cf la publication par Bernadette Conrad de la nouvelle édition des "Promenades en Corse parmi ses fleurs et ses forêts" de Marcelle Conrad:
http://elizabethpardon.hautetfort.com/archive/2014/01/12/temp-1366f8b4f96390b6bb6341939c2f8.
...),
il faut souligner que Bernadette Conrad s'intéresse également depuis fort
longtemps aux relations étroites des anciens corses avec leurs précieuses
alliées les abeilles.
C'est dans ce cadre qu'elle évoqua pour nous l'hypothèse de la présence,
autrefois, d'une ruche intérieure (comme on en trouve dans les murs des
maisons anciennes) aménagée dans le mur sud, avec piste d'envol à
l'extérieur encore visible avant que l'on ne recrépisse ce mur.
Hypothèse très intéressante et vraisemblable de l'usage d'une ruche dans
l'enceinte d'une église en vue de la récolte de la cire pour fabriquer les
cierges ...
***
Un petit détour du côté des abeilles et des hommes
L'on ne sauvegarde bien que ce que l'on utilise ou à défaut, que l'on
comprend. Ces aménagements fréquents dans le monde ancien de la
Corse sont de type variés mais ont tous la même fonction, que la ruche
soit à l'intérieur de la maison ou que l'on crée une "maison des abeilles".
Je prends pour exemple de ces aménagements de ruches le site de
Giustiniani,antique communauté proche de Speluncatu en Balagne
( merci à Edouard Flachpour ses bonnes photos ) : dans une "maison des
abeilles", ces ruches intérieures,aménagées dans un mur:

une maison des abeilles,

aux murs aménagés en rucher:

à l'intérieur de la maison, ces sortes de niches percées d'un orifice,

communiquant, à l'extérieur, avec la piste d'envol des abeilles ...
Pour en savoir plus sur ces aménagements, vous pouvez consulter par
exemple ce site:
http://www.itarkeo.com/murs_abeilles.php
***
Revenons à nos sepolcri.
Nous avions ce jour-là rendez-vous avec Marie-Laure S.B. qui avait
accepté de remonter le sepolcru avec l'aide du fidèle Toussaint Quilici,
"saint patron" de la Pieve du Rustinu, sur laquelle il a, avec ses
amis,rédigé un ouvrage précieux et dense d'informations :
http://elizabethpardon.hautetfort.com/archive/2011/12/03/decouvrir-la-pieve-du-rustinu-avec..
Marie-Laure était accompagnée de deux dames âgées de sa famille que
nous avons pu, à loisir, interroger sur les usages de la Semaine Sainte du
temps de leur jeunesse ... Une rencontre très chaleureuse et enrichissante,
qu'elles en soient remerciées! ( nous nous donnons alors rendez-vous
l'après-midi pour voir le grand sepolcru de Ficaghja que ces dames ne
connaissent pas)

Le sepolcru de Frassu s'installe dans une chapelle latérale, adossé
à la chaire de prêche,
gardé par les traditionnels
soldats romains sauce
mauresque, avec son arc
présentant les "Arma
Christi" (les instruments de
la Passion), et, dessous,
abaissant l'ouverture de la
chapelle où git le Christ en
croix, un panneau central
orné de deux anges et du
Saint Sacrement : on pénètre
alors à genoux dans cet
espace délimité pour la
prière et la méditation
devant le crucifix déposé
devant le bel autel de stuc.
.
Chaque famille apportait sa lampe à
huile pour éclairer la chapelle du
sepolcru : une lampe ouvragée, en
verre moulé (qu'on achetait, me dit
Michel- Edouard Nigaglioni, sur
catalogue: "en France, les maisons
Portieux et Vallerysthal en faisaient de
nombreux modèles ") réservée à cet
usage exclusif du reposoir de la
Semaine Sainte.
A l'entrée du reposoir veillent nos deux gardiens du sepolcru:
le costaud de gauche ,
et celui de droite
Notre peintre anonyme du XIX° s. montre un talent certain dans l'expression de ces deux visages, beaucoup moins caricaturaux que de coutume.
A-t-il portraituré des habitants de Frassu ?

Toujours est-il qu'ici ces deux gardes n'ont pas cette férocité "mauresque" que l'on peut voir ailleurs,
je trouve même leur visage empreint d'une certaine humanité et d'un zeste de mélancolie.


au centre , au-dessus de l'ouverture, l'invitation à l'adoration du Saint Sacrement.

et, dans l'arc triomphal qui ferme la chapelle, la représentations des Arma Christi , les instruments de la Passion déclinés en bouquet: lance, échelle, éponge imprégnée de vinaigre, marteau, clous, tenailles, roseau, colonne, voile de Véronique, coq ... tout est dit!

sur le voile de Véronique (qui tient du linceul), le beau visage du Christ, les yeux clos, couronné d'épine.

et, pris sur le vif dans la basse-cour voisine, un coq vigoureux donne le LA aux larmes de St Pierre.
***
La fresque de la Passion
à San Tumasgiu di Pastureccia
(fin XV°/début XVI° s.)
Pour l'ensemble de la chapelle, voir les notes depuis 2011:
http://elizabethpardon.hautetfort.com/archive/2011/02/26/san-tumasgiu-di-pastureccia-castel...
http://elizabethpardon.hautetfort.com/archive/2011/02/27/les-fresques-de-san-tumasgiu-di-pa.
http://elizabethpardon.hautetfort.com/archive/2011/03/02/3-les-fresques-de-san-tumasgiu-sui.
http://elizabethpardon.hautetfort.com/archive/2013/09/20/san-tumasgiu-di-pastureccia-breve-..

Une bonne surprise nous attend : après de longs mois de léthargie pendant lesquels la pluie a continué de ruisseler sur les fresques, les choses semblent enfin bouger : on a installé les échafaudages qui présagent une prochaine action de mise hors d'eau du toit. L'ami Toussaint Quilici m'apprend qu'on a finalement renoncé à pratiquer des fouilles archéologiques dont le montant étaient exorbitant et dont le projet retardait, malgré l'urgence et ce depuis de longs mois, la restauration de San Tumasgiu.
L'espoir renait. En revanche la chapelle ne sera plus visitable avant quelque temps, aujourd'hui les fresques sont bâchées en attendant la réfection du toit. Un nouvel appel d'offres devrait avoir lieu pour le programme de restauration des fresques. On a beaucoup perdu en cinquante années d'intempéries et d'incurie : il serait intéressant de savoir si de vieilles photos des années 60 existent encore qui pourraient témoigner de détails aujourd'hui disparus.
Pour le plaisir, un nouveau regard sur "la bande dessinée" de la Passion,
réalisée sur le mur nord de la chapelle, et qu'il faut lire depuis le haut à
droite vers la gauche, puis de la gauche vers la droite.

Tout d'abord, la dernière Cène, avec les visages animés des apôtres.
Ce que je vois:
en haut à droite, le jeune Saint Jean se penche, la main sur l'épaule de celui qui me semble bien être Jésus. Les mains parlent aussi clairement que les mots: "Ce n'est pas moi", disent, incrédules, celles des apôtres du bas, en réponse l'annonce faite par le Christ :

"En vérité, en vérité, je vous le dis, l'un de vous me livrera"
"Les disciples se regardaient les uns les autres, ne sachant de qui il parlait. Un de ses disciples, celui que Jésus aimait, se trouvait à table tout contre Jésus; Simon-Pierre lui fait signe et lui dit: "Demande de qui il parle." Celui-ci, se penchant alors vers la poitrine de Jésus, lui dit: " Seigneur, qui est-ce? " (...)
Evangile selon Saint Jean
"Ils parviennent à un domaine appelé Gethsémani, et Jésus dit à ses disciples: "Restez ici tandis que je prierai." Puis il prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il commença à ressentir effroi et angoisse. Et il leur dit: "Mon âme est triste à en mourir; demeurez ici et veillez." Etant allé un peu plus loin, il se prosterna contre terre et il priait pour que cette heure passât loin de lui. Et il disait "Abba (Père!) tout t'est possible éloigne de moi cette coupe; cependant, pas ce que je veux, mais ce que tu veux!". Il revient et les trouve en train de dormir . (...)"
Evangile selon Saint Marc.
On peut reconstituer mentalement une partie de la lacune: sur la droite, un ange tendait peut-être un calice à Jésus.

le visage de Jésus

le visage de Jacques ?
Celui, endormi, de Pierre

On a perdu celui de Jean, effacé, entre Pierre et Jésus

l'arrestation de Jésus: il me semble que l'on assiste au baiser de Judas

la comparution de Jésus devant Caïphe, le Grand-Prêtre (vêtu de jaune) du Sanhédrin

la flagellation

Visage du Christ flagellé

la crucifixion:
"Stabbat Mater Dolorosa
Juxta Crucem lacrymosa
Dum pendebat Filius"

le Christ en croix

le visage de la Vierge

au-dessus de la crucifixion un écrit

qui reste à déchiffrer

enfin, sur le pied droit de l'arc triomphal,
ce dernier visage :
" Ecce Homo"
***
Eglise Santa Maria de Castellu di Rustinu
le sepolcru:

ce que vous n'avez pas vu ... à retrouver sur la note :
http://elizabethpardon.hautetfort.com/archive/2012/02/03/le-sepolcru-de-castellu-sort-de-l-...
(à suivre! dès que je peux, pour le reste de la journée ...)