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06/12/2010

le mot joie, avec Philippe Jaccottet

 

 

Sous le nuage blog.jpg

 

Ainsi écoute-t-on la voix de ces moines

qui vivaient sur le toit du monde

au fond de temples pareils à des forts

dressés sur le passage des vents inconnus

dont leurs conques ramassent la violence.

 

Leur gong tonne

ou c’est le glacier qui se fend.

 

Eux-mêmes chantent de la voix la plus puissante

et la plus basse jamais entendue,

on croirait des bœufs ruminant leurs psaumes, attelés à plusieurs pour labourer sans relâche

le champ coriace de l’éternité.

 

Erraient-ils, à tirer leur charrue à soc de glacier

de l’aube au soir ?

 

Leurs voix à la mesure des montagnes

les tenaient-elles en respect ?

 

On les écoute maintenant de loin,

nous les bègues à la voix brisée,

dispersée comme paille au moindre souffle.

 

(Philippe JACCOTTET: Pensées sous les nuages - le mot joie, dans Poésie Gallimard, p.130) 

Vallica nuage 1 blog.jpg

(le Monte Padre et son visiteur)

06/11/2010

Cimetière: Bonifaziu

Le cimetière marin de Bonifacio,

( quelques pas avec Jean Tardieu, Philippe Jaccottet, Jean-Baptiste Stachino et Paul Valéry)

ville des morts vue sur la mer blog.jpgle 20 septembre dernier, la ville des morts, vue sur la mer

" Choeur d'enfants

(à tue-tête et très scandé)

Tout  ça qui a commencé

il faut bien que ça finisse:


la maison zou l'orage

le bateau dans le naufrage

le voyageur chez les sauvages.


ce qui s'est manifesté

il faut que ça disparaisse:


feuilles vertes de l'été

espoir jeunesse et beauté

an-ci-en-nes vérités.

 

Bonifacio cimetière ruelle blog.jpg

Moralité.

Si vous ne voulez rien finir

évitez de rien commencer.

Si vous ne voulez pas mourir,

quelques mois avant de naître

faites-vous décommander"

( Jean TARDIEU dans"Chansons avec ou sans musique",

Le fleuve caché , édition Poésie Gallimard)

Bonifacio édredon fleuri blog.jpg

petite tombe sous sa couette fleurie:

"S'il se pouvait (qui saura jamais rien?)

qu'il ait encore une espèce d'être aujourd'hui,

de conscience même que l'on croirait proche,

serait-ce donc ici qu'il se tiendrait,

dans cet enclos, non pas dans la prairie?

Se pourrait-il qu'il attendît ici

comme à un rendez-vous donné "près de la pierre"

qu'il eût l'emploi de nos pas muets, de nos larmes?

Comment savoir? Un jour ou l'autre, on voit

ces pierres s'enfoncer dans les herbes éternelles,

tôt ou tard il n'y a plus d'hôte à convier

au repère à son tour enfoui,

plus même d'ombres dans nulle ombre."

(Philippe Jaccottet: "A la lumière d'hiver"

édition nrf, Poésie Gallimard)

Bonifacio tombe Libre blog.jpg

et celle là, dans un coeur:

"LIBRE"


En fait dans notre errance au cimetière, je cherchais un nom, celui de l'ancien organiste de Sainte Marie Majeure, J.B.  STACHINO, rencontré chez lui vers 1988 à Bonifacio. Alors très âgé - plus de quatre vingt dix ans - il nous avait reçus  très gentiment, nous montrant le Cahier d'orgue manuscrit de son père, à qui il avait succédé dans sa charge d'organiste à Ste Marie. Témoignage précieux d'un répertoire joué au XIX° siècle à Bonifacio : entre deux messes, entre deux hymnes, des transcriptions d'airs d'opéras à la mode mises à la sauce liturgique, pour des entrées et des sorties tonitruantes, des offertoires musclés, des élévations sentimentales, des communions guillerettes, bref, un univers musical bien éloigné de l'esprit de nos concerts actuels mais certainement moins fade que la soupe insipide que l'on doit trop souvent servir aux messes d'aujourd'hui ...

Stacchino, page de garde blog.jpg


Puis il s'était mis à son vieil harmonium asthmatique, pédalant avec la dernière énergie pour plaquer de ses mains immenses quelques grands accords fièvreux  : tout ce qui lui restait de ce monde ancien où la vie musicale des gens de Bonifacio passait par l'église ... Je rappellerai seulement que Bonifacio était riche au début du XX°s. de ses quatre orgues de facture italienne, hélas  tous hors d'usage actuellement :

- Saint Dominique (orgue classé aujourd'hui): L.De Ferrari 1843. Cet orgue comporte des éléments du XVIII° s et l'on nourrit des espoirs de le voir restauré dans les années à venir.

- Saint Erasme : A. De Ferrari ?

- Saint François: L. et G. De Ferrari 1852

- Sainte Marie Majeure: L. et G. De Ferrari 1842.  

Cet orgue que jouaient les Stachino père (Lazare) et fils (Jean-Baptiste) avait été remanié à plusieurs reprises: actuellement il git dans un  état  alarmant, démonté et entreposé dans l'église saint Dominique ... de quoi se retourner dans sa tombe!

Bonifacio orgue ste Marie étiquettes et autres blog.jpg

faux sommier,  étiquettes de registre ...

 
 
 

Bonifacio abrégé ste Marie blog.jpg

abrégé ...

 

Bonifacio orgue  ste Marie clavier blog.jpg

le clavier (refait) de 54 notes (pas d'octave courte),

et les grandes mains fantômes de Lazare et Jean Baptiste dessus ...

Bonifacio tuyaux orgue ste Marie blog.jpg

... tuyaux ... misère de misère!

 

Tombe famille Stacchino blog.jpg

Est-ce une tombe de la famille de "notre" Stacchino? Toujours est-il que cette rencontre reste accrochée dans ma mémoire comme une présence douce-amère et tisse des liens avec ce cimetière de Bonifacio ...

 

Bonifacio cimetière forum blog.jpg

un forum des morts

 

Bonifacio faste passé blog.jpg

 

fragile pertpétuité


(...) "Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change!

Après tant d'orgueil, après tant d'étrange

Oisiveté, mais pleine de pouvoir,

Je m'abandonne à ce brillant espace,

Sur les maisons des morts mon ombre passe

Qui m'apprivoise à son frêle mouvoir (...)

 

Bonifacio éternité sanglée blog.jpg

 

 éternité sanglée


(...) Les morts cachés sont bien dans cette terre

Qui les réchauffe et sèche leur mystère.

Midi là-haut, Midi sans mouvement

En soi se pense et convient à soi-même ...

Tête complète et parfait diadème,

Je suis en toi le secret changement. (...)


 

Bonifacio falaises blog.jpg

 

(...) Le vent se lève! ... Il faut tenter de vivre!

L'air immense ouvre et referme mon livre,

La vague en poudre ose jaillir des rocs!

Envolez-vous, pages tout éblouies!

Rompez, vagues! Rompez d'eaux réjouies

ce toit tranquille où picoraient des focs!"

(Paul VALERY: LE CIMETIERE MARIN)

 

 




 

 

 

 

 

 

 

 

 

22/10/2010

Petite séquence autour d'Eve

San Quilicu Eve blog copy.jpg

Eve, San Quilicu di Cambia

 

A la nostalgie

 

Tombée du paradis en deuil et pour ces crimes

Navrée ton oeil profond sous le poids des cheveux

Vêtue ou dévêtue de ces malheurs affreux

Tu es femme d'un grand silence et d'un poil pur

Aime ou sois éloignée d'aimer

(...)

 

(Pierre-Jean JOUVE: Matière céleste, édition Poésie Gallimard)

14:11 Publié dans poésie | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |

24/04/2010

la chapelle privée des Raffali à Stazzona

Dernièrement, après les festivités du lundi de Pâques à Piedicroce,

cette rencontre crépusculaire

avec Jean Grosjean

tombeau Raffali 2 blog.jpg
cachée, enfouie, oubliée,
la chapelle privée de la famille Raffali à Stazzona:
" La faille des nues qui brille à ras des forêts
rallume sous un vieux buisson la feuille morte.
Ah combien le fascinateur se dissémine
en des lueurs que devient la motte ou la touffe!
*
Le soir traîne sur des affleurements de roche,
les clartés pendent par gouttes à des ramilles,
les brumes blêmies vont errantes sur la terre.
Je suis trouvé par les plus intimes des gloires.
 
tombeau Raffali arbres sur le toit.jpg
(...) " La nuit même ne s'en vient pas sans avec elle
la pâleur lunaire à travers la toile d'ombre
ou, plus proche encor mais à peine perceptible,
le passage de l'effraie blanche sous mon crâne.
 
tombeau Raffali autel blog.jpg
Splendeurs éparses qui m'avez choisi pour temple,
vous m'occupez l'ême et le corps de fond en comble.
Le moindre écart serait maintenant sacrilège.
Ma joie de ne savoir que vous pleure et demeure.
*
Les jours s'en vont au fond des vergers qu'ils fleurissent
mais la lune brouillée de bruine sur les toits
est la seule amie de village à nous attendre
 le long des hauts fumiers carrés qu'elle caresse
*
tombeau Raffali autel profil.jpg
Lampe tenace au plafond des pluies ténébreuses,
 tu es le dieu du bonheur et des arbres morts,
la clarté des morts dans leur tombe et dans notre âme.
*
Qui sait jusqu'où ni quel soir tu vas nous conduire?
Le ciel est si trouble et la terre si douteuse!
Toi qui parcours les brouillards que nous habitons,
qui sait si tu ne franchis pas les triples portes?
*
tombeau Raffali lanternon blog.jpg
Chauleuse des coteaux épars, à toi nos vitres,
à toi le coffre au bout du plancher. Quand le vent
te poncerait comme une effigie, que d'oboles
dans les flaques pour soudoyer le factionnaire!
*
Les déploiements de drapeaux du ciel et des arbres,
le chant des oiseaux, et des brises dans la nue,
et tomber au creux d'un sommeil qui nous dénoue!
*
Le corps s'encombre comme un grenier de moulin
puis l'âme en farine est la proie des charançons
dans le noir boisseau d'un sepulcre à sa mesure
sous le naïf et lugubre printemps des autres.
 
 
tombeau Raffali détail lanternon.jpg
 
L'amour plus semblable à l'automne qu'à nos oeuvres
renverse l'or des forêts, délave l'azur
pour combler de plaisir et d'hiver son amante
puis il passe sur les primevères des tombes.
*
Nos gestes cloués dans la terre s'y dissolvent,
nos songes mêmes sont évaporés dans l'air,
tout nous oublie, aimée, mais le dieu que nous fûmes
défera le monde à sa guise sans cesser."
*
 
Jean GROSJEAN, Hiver, nrf Poésie Gallimard
crépuscule sur morosaglia.jpg
 
Merci à Jean-Christophe Desrues pour ses indications enthousiastes qui m'ont permis de voir cette  chapelle funéraire octogonale de la famille Raffali, encore debout, magnifique dans sa présence nue et la perfection de son discours architectural , mais si proche de la ruine, avec ces arbres qui poussent leurs racines sous l'édifice et sur le toit, l'eau qui s'engouffre par les vitres cassées du lanternon, l'humidité détruisant la cohésion des murs et menaçant les restes du décor peint .

Patrimoine privé de notables mais mémoire communautaire ... J'ignore encore s'il s'agit bien de la famille de cette dynastie d' artistes stucateurs - les RAFFALI -qui ont façonné le regard et accompagné la religiosité des gens dans toutes ces églises admirables de cette région ... Le décor du lanternon n'est pas anodin.
Agir quand il est encore temps, à condition de reconnaître cette part commune de notre histoire.
HODIE MIHI CRAS TIBI !
(à suivre!)

13/02/2010

L'HIVER, avec Jehan RICTUS

... avec JEHAN-RICTUS ( 1867/1933)
L' HIVER
gare 2.jpg
(et la neige d'hier)
Merd' Vlà l'Hiver et ses dur'tés,
V'là l'moment de n'pus s'mettre à poils :
V'là qu'ceuss' qui tiennent la queue d' la poêle
Dans l' Midi vont s'carapater!
V'là l'temps ousque jusqu'en Hanovre,
Et d'Gibraltar au Cap Gris-nez,
Les Borgeois, l' soir, vont plaind' les Pauvres
Au coin du feu ... après dîner!
°°°
Et vlà l' temps ousque dans la Presse,
Entre un ou deux lanc'ments d'putains,
On va r'découvrir la Détresse
La Purée et les Purotains!
°°°
Les jornaux, mêm' ceuss qu'a d'la guigne,
A côté d'artiqu's festoyants
Vont êt' pleins d'appels larmoyants,
Pleins d' sanglots ... à trois sous la ligne !
°°°
Merd', vlà l'Hiver, l'Empereur de Chine
S'fait flauper par les Japonais !
Merd' vlà l'Hiver! Maam' Sév'rine
Va rouvrir tous ses robinets !
°°°
C'qui va s'en évader des larmes !
C'qui va en couler d' la piquié !
Plaind'les Pauvr's c'est comme vendr'ses charmes
C'est un vrai commerce, un méquier !
°°°
Ah! c'est qu'on est pas muff en France,
On n' s'occup' que des malheureux;
Et dzimm et boum ! la Bienfaisance
Bat l'tambour su' les Ventres creux !
°°°
L' Hiver les murs sont pleins d'affiches
Pour Fêt's et Bals de charité,
Car poyur nous s'courir, eul' mond' riche
Faut qu'y gambille à not' santé!
(Gabriel RANDON, dit Jehan RICTUS, dans l'anthologie de la Poésie française de Max Pol Fouchet, édition Sehers)
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A propos de Gabriel RANDON (JEHAN- RICTUS)  allez donc visiter la belle note trouvée sur:
ornithorynque.hautetfort.com
qui cite Léon Bloy:
"Jehan Rictus est un de ces monstres de mélancolie et de pitié qui ne connaissent pas Dieu et qui crèvent de l'amour de Dieu. Voilà tout. L'espèce n'en est pas très rare." (Léon Bloy, " le dernier poète catholique" dans les dernières colonnes de l'Eglise)
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