14/05/2018
les exilés de l'Enfer: "Lasciate ogni speranza voi ch'entrate" , où l'Enfer de Dante s'invite à San Tumasgiu di Pastureccia...
Les exilés de l'Enfer
à la chapelle San Tumasgiu di Pastureccia,
Castellu di Rustinu
Où l'Enfer de Dante s'invite à San Tumasgiu di Pastureccia
Une découverte majeure
à San Tumasgiu di Pastureccia:
sur le mur sud ,
la fresque de l'Enfer nous révèle un message jusqu'ici ignoré:
..."Per me si va nella città dolente"...
La chapelle San Tumasgiu di Pastureccia, à Castellu di Rustinu, bien connue des amateurs de fresques en Corse, montre la seule scène d'Enfer (ou de Purgatoire infernalisé ?) à notre connaissance sur l'île. Un Enfer peint sur le mur sud de la chapelle et qui jouxte la représentation de six saints protecteurs, Marie-Madeleine et François, Lucie et St Antoine Abbé, Catherine d'Alexandrie et Jean-Baptiste.
La chapelle ne va pas bien et attend désespérément depuis trop longtemps sa restauration. Le toit a été enfin refait et ne fuit plus, mais de nombreuses années ont laissé les fresques lessivées par le ruissellement des pluies parfois torrentielles: espérons qu'enfin prochainement se décidera et se réalisera enfin le sauvetage de cet ensemble exceptionnel ...
Un débat agite tous ceux qui fréquentent San Tumasgiu s'agit-il d'une représentation de l'Enfer ou du Purgatoire ? La question se pose car les âmes condamnées aux tourments ne semblent pas toujours bien affectées par leur peine.
Dans la partie basse de la scène, des chaudrons où mijotent les âmes bien au chaud et que touillent méchamment les diables de service: ces âmes ne semblent pas vraiment désespérées et attendent plutôt patiemment la fin de leur passage en cuisine .
Ne serait-ce pas plutôt une vision du Purgatoire ? Il est plausible que l'ensemble des fresques de San Tumasgiu ait été commandité par les franciscains, dont on voit le saint fondateur immédiatement à gauche et "au contact" de cette scène, seulement séparé par un décor de papier plié:
Le Poverello est en compagnie d'une grande sainte pécheresse, la belle Marie-Madeleine. Le message est clair: vous pouvez vivre dans le monde, succomber aux multiples tentations qui guettent l'humanité, si, à l'exemple de François et Marie-Madeleine, vous rencontrez et épousez le message divin, si vous l'acceptez au risque de tout perdre et si vous vous convertissez en passant par la porte étroite d'un repentir sincère et d'un changement radical de vie, vous serez sauvés et gagnerez la vie éternelle: message d'espérance!
St François montre ici de son index tendu que la rédemption passe par la Croix et la Passion du Christ, cette Passion qui se trouve justement représentée sur le mur nord qui fait face :
(le mur nord de la chapelle San Tumasgiu)
Or, à la suite de St François, les franciscains développèrent cette pastorale de la rédemption plus que celle de la terreur . C'est sans doute pour cela que l'on ne trouve guère d'images infernales dans nos fresques insulaires, puisque, on le sait, l'implantation très ancienne de l'Ordre des Frères Mineurs s'est développée en Corse au cours des siècles de façon spectaculaire au point d'imprimer durablement la mentalité religieuse de tout un peuple. Qu'en était-il en 1503, date évoquée par les anciens du village qui se souvenaient de l'avoir lue, avant son effacement.
Purgatoire ou Enfer?
Voyez ce beau spécimen de diable :
Je crains qu'il ne s'agisse ici tout de même plutôt de l'Enfer ...
Un enfer où chacun trouve la mesure de sa punition: ici un diable entreprenant s'occupe du péché de luxure.
et là, de la goinfrerie ...
L'enfer serait-il, entre autres, un au-delà effroyable de la satiété, du trop-plein,
bref, de la sur-consommation des plaisirs?
Vers le haut le grand Lucifer dévore ses victimes... par la bouche d'en haut et par celle d'en bas! Il n'aurait pas sa place au Purgatoire, dont le rôle "rassurant" est de purger les fautes par le feu et, les âmes ainsi allégées de leurs scories, de leur ouvrir le chemin du Paradis . Lucifer, en revanche, est bien le personnage central de l'Enfer, lui, l'ange lumineux et beau, déchu, transformé en monstrueuse créature toute puissante et jamais assouvie ...
Une iconographie tôt présente de l'autre côté de la mer:
Ainsi avec ce terrible Lucifer ventripotant et vorace de la fresque du Jugement dernier de Giotto di Bondone, à la chapelle Scrovegni de Padoue, en 1306 : Giotto (1267-1337), l'exact contemporain de Dante Alighieri (1265 - 1321) ...
A la droite du Christ, les Elus, à sa gauche, les Damnés ...
Pour nous, à gauche de la croix, bien ordonnés et tranquilles , les saints qu'il faut suivre, prier, écouter pour éviter d'aller à droite, en enfer. Un enfer dont les portes sont toujours grandes ouvertes avec un fort appel de fournaise aspirante ... et du monde, du monde, du monde en désordre : l'enfer, c'est le chaos.
Un siècle plus tard, même iconographie à Bologne, à la Basilique San Petronio, Cappella Bolognini, l'Enfer peint par Giovanni da Modena, en 1406 . Même monstrueux Lucifer avalant et ... expulsant les damnés: tiens, je vois un visage au niveau de son bas-ventre, la bouche-anus vomissant sa victime ... Ce visage nous rappelle que le ventre est, parait-il, notre deuxième cerveau.
Venons-en à la découverte récente qui éclaire d'un jour nouveau cet ensemble:
Notre ami Toussaint Quilici, le gardien des lieux, m'a envoyé tout récemment ce message et le récit de sa formidable découverte qu'avec sa permission je partage avec vous ici:
" Toussaint Quilici
Castellu di Rustinu le 29/01/2016
Déroulement d'une découverte fortuite
Inscriptions inconnues dans les fresques (scène du Purgatoire) de San Tumasgiu de Pastureccia
Essai d' interprétation
La chapelle de San Tumasgiu de Pastoreccia, située sur la commune de Castellu di Rustinu, est bien connue par la richesse et la finesse de son programme iconographique.
L'édifice de type roman, bien appareillé en moellons de schiste local, a gardé toute la sobriété etl'élégance de l'architecture romane avec une abside bien orientée à l'est. Une désastreuse restauration (à l’explosif dans les années 1930), a amputé d'un tiers la longueur de la nef côté ouest. Depuis lors, aucun programme de restauration, sérieux et efficace, n'a été envisagé pour freiner la lente et inexorable dégradation des fresques.
Le site est grandiose avec la proximité du château médiéval de Rustinu, la vue plongeante sur la Vallée du Golu et les majestueux sommets de Popolasca et du Patru.
-----------------
La dernière semaine du mois de janvier dernier, la collectivité territoriale de Corse a mandaté un bureau d'étude spécialisé dans la gestion des sites et monuments historiques, afin de procéder à une évaluation de l'état des fresques et réaliser des relevés précis.
Un échafaudage a été dressé devant les différents décors peints, permettant l'accés aux parties hautes.
Comme d'habitude, dès qu'une opération scientifique est programmée dans la pieve je prends contact avec les maitres d'oeuvres afin de participer (dans la mesure de mes compétences) au bon déroulement de l'étude en échangeant de la documentation et des points de vue.
Le contact étant ainsi établi on me propose de grimper en haut de l'échafaudage pour examiner des inscriptions graphiques très dégradées à peine lisibles sur la scène du purgatoire qui se trouvent en haut de la colonne qui surplombe les deux premiers chaudrons des péchés capitaux, qui coïncide avec l'entrée du purgatoire. L'usure des surfaces peintes ne nous permet pas une lecture lisible de ce
qui semble être un texte assez long serré dans la mince largeur de cette colonne (ne laissant la place qu'à six lettres par lignes) estimée à 20 centimètres.
Un mitraillage de photos s'ensuit avec beaucoup d'émotions et interrogations...
De retour à la maison avec le précieux butin, commence un long examen des clichés où s'entremêlent les premières avancées et les imparables régressions concernant la transcription du texte.
La fresque du purgatoire de Pastureccia a souffert du temps et il est difficile de lire avec précision l'ensemble de ce panneau. Le salpêtre a estompé et altéré plusieurs lettres du texte, ce qui rend la lisibilité et la compréhension difficile.
Cependant, un mot assez intelligible ETTERNO que je lis d'abord inferno me fait penser à l'enfer de Dante (la Divine Comédie). Consultant le chant III Porte et vestibule de l'enfer de Dante (ce qui correspond à l'emplacement du texte: juste à l'entrée du purgatoire de San Tumasgiu), tout devient clair: pour inferno on doit lire ETTERNO et les mots suivants se révèlent enfin comme suit :
Dante
La Divine Comédie
L’Enfer
Chant III
Porte et vestibule de l'Enfer
Au début de ce chant c'est la porte de l'enfer elle-même qui semble prendre la parole et dit (la dernière phrase étant la plus connue):
Per me si va nella città dolente,
per me si va ne l'etterno dolore,
per me si va tra la perduta gente.
Giustizia mosse il mio alto fattore
fecemi la divina podestate,
la somma sapïenza e 'l primo amore.
Dinanzi a me non fuor cose create
se non etterne, e io etterno duro.
Lasciate ogne speranza, voi ch'intrate.
Traduction:
Par moi on va vers la cité dolente;
Par moi on va vers l'éternelle souffrance;
Par moi on va chez les âmes errantes.
La Justice inspira mon noble créateur.
Je suis l'oeuvre de la Puissance Divine,
de la Sagesse Suprême et de l'Amour.
Avant moi, rien ne fut créé
sinon d'éternel. Et moi, je dure éternellement.
Vous qui entrez, abandonnez toute espérance.
(l'analyse de la scène de l'Enfer: le texte apparait à gauche en haut de la colonne. Dessin de Toussaint Quilici)
Voici ce que je lis depuis le début du texte:
PER ME SI
VA NELA
CITTA DO
LENTE PER
ME SI
VA NEL
ETTERNO
DOLORE
PER ME
SI VA TRA
LA PERDUTA
GENTE
Je continue à travailler sur ce panneau, il ne s'agit là que d'un début. Mais de toute évidence notre texte, avec un début bien lisible jusqu'à PERDUTA GENTE est identique à celui de Dante: la porte de l'enfer, et placé précisément devant l'entrée du purgatoire de San Tumasgiu.
Le début du texte se trouve très haut sur le mur gouttereau sud, au niveau de la tête de St François d'Assise (qui se trouve sur la gauche), le rendant invisible depuis le sol.
Après PERDUTA GENTE, les quelques lettres encore assez bien lisibles confirment la continuité et identité du poème. L'espace qu'elles occupent correspond à la longueur qui est nécessaire pour y placer les autres mots jusqu'à CH' ENTRATE (fin du poème du chant III).
Ce n'est qu'un début d'étude, je communiquerai les compléments dès que possible.
Ci -joint d'autres photos du purgatoire, réalisées depuis l'échafaudage, qui vues de près sont assez,inédites.
Un damné dévoré par Lucifer
(toutes ces dernières photos ont été prises par Toussaint Quilici, monté sur un échafaudage. D'en bas, ces détails et inscriptions ne sont absolument pas visibles ...)
Merci, Toussaint, pour ce travail et cette belle intuition qui permettent d'inscrire désormais la chapelle San Tumasgiu di Pastureccia dans l'univers de Dante Alighieri, l'immense poète de la Renaissance
"Noi siam venuti al loco ov 'io t' ho detto, Nous sommes arrivés au lieu où je t'ai dit
che tu vedrai le genti dolorose, que tu verrais la race douloureuse
ch'hanno perduto il ben dell' intelleto." de ceux qui ont perdu le bien de l'intelligence."
A la suite de la découverte de notre ami Toussaint Quilici, je suis retournée en bonne compagnie refaire quelques photos de l'Enfer à San Tumasgiu. Ici un visage plongé dans un profond désespoir.
L'Enfer, c'est, somme toute, la destruction par un monde amoral - dont nous faisons sans doute partie - de toute espérance. Une énergie vitale pour chaque homme. Au contraire, le désespoir déshumanise celui qu'il atteint, le met hors circuit, l'expulse hors des frontières du supportable, le propulse sur les routes de tous les dangers jusqu'à rencontrer la porte de l'Enfer, mais transforme aussi les spectateurs tièdes, indécis, indifférents, ou lâches de ce désespoir, en démons cruels, cornus, fourchus, poilus, grimaçants, voraces ... Je propose ici une lecture un peu détournée, en écho à l'actualité : la frontière du bien et du mal reste poreuse! Les images de nos églises, comme les rêves, agitent notre inconscient et nous devrions toujours reconnaître une parcelle de nous dans chacun des protagonistes, fût-il harmonieux et paisible ou grinçant et puant.
Toujours est-il que la chapelle de San Tumasgiu di Pastureccia est, comme nous l'avons dit et du moins à notre connaissance, la seule en Corse à nous proposer une vision de l'Enfer . Voici à nouveau quelques images de ce programme infernal ( visite ce jeudi 18 février). La fresque, bien que très dégradée, reste lisible encore. A gauche de l'Enfer, comme une forteresse protectrice, six saints : en bas, Marie-Madeleine, Lucie, Catherine d'Alexandrie; en haut, François, Antoine Abbé, Jean-Baptiste. Jouxtant l'Enfer, au contact, deux saints particulièrement humains car ils ont vécu dans le monde avant de se laisser embraser par l'amour divin: la belle pécheresse Marie-Madeleine, et le Poverello François d'Assise, deux modèles proches de nous et réconfortants qui filtrent la frontière ... pour tenter de retenir du bon côté les malheureux candidats à l'exil, de les convaincre de rester dans ce monde où l'espérance a sa place.
Ces six saints sont représentés dans toute leur dignité et leur noblesse, chacun tenant paisiblement sa place dans une sorte de niche bien définie par des piliers. De l'autre côté, c'est une autre histoire! Avant même le franchissement de la porte de l'Enfer, les démons viennent harponner les âmes, et, passée la porte, c'est un bouillonnement de flammes, une sarabande infernale, grouillante, gesticulante de bourreaux et de suppliciés: le chaos de l'Enfer, quoi! En haut de la porte, un grand diable bleu arrache le corps d'un damné que lui fait passer son collègue extra-muros : c'est ici que se lit cette inscription récemment découverte par notre ami Toussaint Quilici,
un texte difficilement lisible sur cette fresque et qu'il a l'intuition magnifique de relier à la Divine Comédie de Dante Alighieri, et précisément au Chant III de l'Enfer:
" Bien que Dante et Virgile aient franchi la porte de l'enfer, ils ne sont pas encore chez les damnés proprement dits. Ils n'y seront qu'après avoir passé l'Achéron et même après avoir quitté le premier cercle, qui est le Limbe. Cette sorte de vestibule où ils pénètrent d'abord est occupé par les lâches et par une catégorie d'anges mal connus des théologiens: les anges neutres, que l'on a rencontrés dans la légende du Voyage de saint Brandan. Mais comme il n'est pas prouvé que Dante ait connu ce récit, on ne sait trop où il a puisé cette conception: l'aurait-il imaginée en attribuant à des anges la faute qu'il fustige chez les hommes avec tant de mépris ? La question reste sans réponse.
(...) Le supplice des lâches est en étroit rapport avec leur attitude pendant leur vie: ils n'ont pas voulu faire l'effort nécessaire pour prendre parti entre le bien et le mal (...) Le mépris ne les accable pas seulement du ciel et de la terre; de l'enfer même, il monte vers ces misérables "
(Annotation au début du Chant III de l'Enfer sur le "Vestibule des Lâches" d'Alexandre Masseron, dans sa belle édition bilingue de la Divine Comédie, et qui en a établi le texte, l'a traduit, présenté et annoté pour le Club français du Livre, en 1963). En voici à nouveau le texte:
" PER ME SI VA NELLA CITTA DOLENTE, Par moi l'on va dans la cité dolente,
PER ME SI VA NELL'ETERNO DOLORE, Par moi, l'on va dans l'éternelle douleur,
PER ME SI VA TRA LA PERDUTA GENTE. Par moi l'on va parmi la gent perdue.
GIUSTIZIA MOSSE IL MIO ALTO FATTORE; La Justice inspira mon sublime artisan;
FECEMI LA DIVINA POTESTATE, La divine Puissance m'a faite,
LA SOMMA SAPIENZA E IL PRIMO AMORE. Et la Sagesse suprême et le premier Amour.
DINANZI A ME NON FUR COSE CREATE Avant moi il ne fut rien créé
SE NON ETERNE, ED IO ETERNO DURO sinon d'éternel, et moi je dure éternellement.
LASCIATE OGNI SPERANZA VOI CH'ENTRATE! Vous qui entrez, laissez toute espérance !
Queste parole di colore oscuro Ces paroles de couleur sombre,
vid'io scritte al sommo d'una porta: je les vis écrites au haut d'une porte:
perch'io: "Maestro, il senso lor m'è duro." aussi je dis: Maître, leur sens m'est dur."
Ed egli a me, come persona accorta: Il me répondit, en homme informé de mes pensées:
"Qui si convien lasciare ogni sospetto; " Ici il faut bannir toute crainte;
ogni viltà convien che sia morta. il faut qu'ici soit morte toute lâcheté.
Noi siam venuti al loco ov 'io t' ho detto, Nous sommes arrivés au lieu où je t'ai dit
che tu vedrai le genti dolorose, que tu verrais la race douloureuse
ch'hanno perduto il ben dell' intelleto." de ceux qui ont perdu le bien de l'intelligence."
Je me suis souvent posé de nombreuses questions autour de ce mur: dans la chronologie de ces deux fresques, par exemple, laquelle fut réalisée la première? Et puis dans la réalisation: pourquoi, dans le bas de l'Enfer, toute une partie semble seulement ébauchée ?
Ici, l'on voit le premier jet dessiné de l'artiste, avec un diable tout juste esquissé sur "l'intonaco" (l'enduit terminal) Qu'est-il arrivé ? Serait-il possible que les explosifs (que l'on aurait, parait-il , utilisé, sous la conduite de l'Inspecteur des Monuments historiques de l'époque dans les années 1930 pour éliminer un quart de la chapelle côté ouest , mais oui!) aient dégradé la fresque au point qu'elle a perdu par endroits ses couleurs? Peu vraisemblable. L'hypothèse de l'inachèvement parait la bonne, mais alors, pourquoi ? à quelle date ?
Ici, la base de la scène de l'Enfer, avec ses chaudrons montés sur pieds et portant le nom des sept péchés capitaux bien remplis d'âmes pas si tourmentées que ça:
Superbia (l'orgueil),
Avaritia (l'avarice), Lusuria (la luxure), Ira (la colère) ... il nous manque, probablement disparus avec la destruction du mur, Gula (la gourmandise), Acedia (la paresse) et Invidia (l'envie)... Que chacun se reconnaisse!
A y regarder de plus près, nous avons peut-être une réponse à notre question chronologique (merci à Sandra d'avoir attiré notre attention sur cet élément):
L'enduit du chaudron "Superbia", à l'extrême gauche de l'Enfer se prolonge par-dessus le motif de papier plié qui sépare l'Enfer des six Saints ... Ce qui semble signifier que la scène de l'Enfer est postérieure à l'image des saints! Et ce qui pourrait également expliquer en partie que la réalisation cette scène infernale ait pu, on ne sait pour quelle raison, être brutalement interrompue. Que s'est-il passé, dans ce début du XVI° siècle, pour que le fresquiste interrompe, par la force des choses, son oeuvre ?
A la base de la porte, regardez bien, on croit apercevoir comme des statues sculptées,
et un grand diable rouge armé d'un hachoir s'apprête à trancher la tête qui sort à peine du mur.
Dans cet enchevêtrement de bourreaux et de victimes, ce diable -ci est bien simiesque, avec ses pouces opposables des pieds
La luxure a entraîné en enfer ces deux damné(e)s retourné(e)s à l'état bestial de quadrupède:
... et tandis que ce diable chevauche ce(tte )damné(e), un autre lui enfonce un poignard dans le derrière ...
Ici, un autre démon aux traits barbaresques agrippe un damné,
et là un méchant diable rouge à la queue dressée s'apprête à éviscérer cette pauvre femme à sa merci...
Gula! Gula! Gula! Gavage éternel ...
Dans le haut de la fresque ...
les inscriptions: à gauche, dans la porte, le texte "lisible", à droite sous le bras du personnage étranglé par un démon, un autre texte difficilement reconnaissable ...
toujours dans le haut de la fresque, une tête de monstre armée de dents pointues comme un requin dévore un damné, dont il ne reste plus que les fesses et les jambes
tandis que ce grand démon s'attaque à cette autre âme perdue ...
Au centre de la fresque, le monstrueux et vorace Lucifer et sa brassée de damnés, avalant et expulsant inlassablement ses victimes, une parodie de l'Alpha et de l'Omega ...
tandis que flotte dans les flammes cette grande tête mélancolique
"si j'aurais su, j'aurais pas v'nu ! "
(Tigibus, dans la Guerre des boutons de Louis Pergaud):
"Le riche répliqua: "Eh bien! père, je te prie d'envoyer Lazare dans la maison de mon père. En effet, j'ai cinq frères: qu'il leur porte son témoignage, de peur qu'eux aussi ne viennent dans ce monde de torture!"
Abraham lui dit: "Ils ont Moïse et les Prophètes: qu'ils les écoutent!
-Non, père Abraham, dit-il, mais si quelqu'un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront."
Abraham répondit: "S'ils n'écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu'un pourra bien ressusciter d'entre les morts: ils ne seront pas convaincus." "
Evangile selon St Luc (16, 19-31)
En attente de sauvetage!
3°/San Tumasgiu di Pastureccia, les murs sud et nord.
3°/San Tumasgiu di Pastureccia, les murs sud et nord.
LE MUR SUD
Le mur sud a reçu un décor de fresques qui s'interrompt brusquement à la porte d'entrée latérale: on a malheureusement sans doute perdu une partie de cet ensemble.
LES SAINTS INTERCESSEURS
Jouxtant saint Michel et son inquiétante pesée des âmes, voici un espace intermédaire qui nous indique la voie à suivre et nous place sous la protection de ces saints, trois femmes et trois hommes, campés bien droits dans leurs niches encadrées de piliers. Intercession salutaire de ces saints et message d'espoir ...
Saintes Catherine d'Alexandrie, Lucie et Marie-Madeleine
Les trois saintes occupent la partie inférieure de cet ensemble et, malgré la dégradation nous pouvons reconnaître de gauche à droite:
... tout d'abord sainte Catherine d'Alexandrie, princesse martyre reconnaissable au baton de son supplice: nous avons perdu la roue dentée sur laquelle elle fut rouée de coups et déchiquetée. Cette sainte légendaire subit le martyre pour avoir tenu tête aux philosophes et orateurs convoqués en vain pour l'éloigner de sa foi chrétienne ... L'exemple de la rigueur d'une grande intellectuelle donc, dotée d'un courage bien agaçant pour cet empereur Maxence qui voulait la détourner de ses voeux au Christ et l'épouser...
Puis vient Sainte Lucie au beau visage mélancolique: elle tient d'une main une coupe contenant ses yeux arrachés, et de l'autre le couteau de son supplice. C'était à Syracuse sous Dioclétien en 304. Son nom, qui indique la lumière (lux), fait d'elle une sainte bien précieuse pour guérir tous les maux qui menacent de cécité les pauvres gens ... Une sainte omni-présente dans nos églises de Corse.
Enfin, notre chère Marie-Madeleine tenant sous le bras le vase contenant l'onguent précieux dont elle parfuma les pieds du Christ - au grand scandale des apôtres qui ne comprennent pas un tel gaspillage - pieds aimés qu'elle essuya de sa blonde chevelure dénouée ... Cette fois-ci, l'exemple de l'amour fait personne qui obtient par le repentir le pardon de sa vie dissolue: espoir!
A l'étage supérieur trois saints d'importance: à gauche le pauvre saint Jean-Baptiste n'est plus reconnaissable que par son vêtement d'ermite du désert: un manteau en peau de chameau. Son effigie est si altérée que l'on n'aperçoit plus qu'à peine un livre et la croix qui est d'ordinaire l'un de ses attributs . Les deux saints suivants se lisent plus facilement:
Saint Antoine Abbé, l'ermite du désert, appuyé sur son bâton en tau (je ne vois plus la clochette). Il a l'allure vénérable d'un vieillard à la chevelure et la barbe blanches, au front dégarni, au visage recuit dans la solitude du désert, plus de cent ans dit-on (251/356). Un exemple impressionnant de longévité dans la sainteté malgré ces fameuses tentations qui l'assaillirent sans relâche au cours de sa longue vie: une mine d'inspiration pour les peintres!
Sur leur droite, le visage juvénile de saint François, les mains transpercées des stigmates. Sa présence ici nous indique une dévotion bien particulière, véhiculée par les nombreux franciscains établis dès le XIII°s. sur l'île. Les fresques de notre chapelle San Tumasgiu ont-elles été commanditées par les franciscains ? Toujours est-il que toute son iconographie relève de la pastorale diffusée par les franciscains: la rédemption plus forte que la peur ...
Et pourtant!
L'ENFER
Succédant à l'espace des saints intercesseurs, voici la seule scènographie de l'enfer représentée - à notre connaissance - sur les fresques de Corse. Un monde agité et tourmenté qui contraste avec la stabilité digne de nos saints.
On a du reste l'impression que cette représentation s'interrompt brutalement à gauche
La vérité est qu'on ne semble pas s'ennuyer en enfer ...
Une armée d'affreux démons s'affairent autour des damnés, à chacun sa spécialité. Ici, l'on traite la goinfrerie: voilà où conduit trop de gourmandise. L'enfer, c'est la satiété, qu'on se le dise! Notre société gavée ferait bien d'y réfléchir.
La luxure: "que reste-t-il, de nos amours ?" hélas! bonnes gens, prenez garde, les "feux de l'amour" se sont transformés en supplices ardents ... la bestialité jusqu'à en perdre la conquête de la verticalité humaine .
Dans la fournaise de ce monde suractif, plus de méditation possible, ce n'est plus le moment. C'est le passage à l'acte répétitif, sans imagination, sans délectation, sans repos, sans espoir ...
Et pourtant ...
Dans ces chaudrons sur le registre inférieur de l'Enfer, qui portent les noms des péchés capitaux: avaritia, lusuria, ira, superbia ..., surveillés et touillés par les démons, je trouve bien paisibles ces visages presque souriants: ne serait-ce pas une version infernalisée du Purgatoire, et nos âmes mises à la casserolle n'attendent-elles pas la fin de leur purgation, grâce à l'entremise des bons saints protecteurs ?
Peut-être prennent-elles patience et espèrent-elles leur salut malgré leur souffrance en contemplant la Passion de leur Sauveur, sur le mur d'en face ?
***
LE MUR NORD:
SCENES DE LA PASSION
Cette paroi Nord a terriblement souffert, mais ce peu qui nous reste témoigne de la grande intériorité de cet artiste inspiré .
En haut à droite, la Cène. Le fresquiste choisit de raconter l'instant où Jésus annonce que l'un de ses disciples va le trahir ce soir même: sur la table, le pain et un flacon de vin. Jean se penche vers Jésus - effacé en partie -
De l'autre côté de la table, les apôtres, saisis de profil , la main sur la poitrine s'interrogent dans un grand trouble.
Suit la scène du Jardin des Oliviers:
Dans l'angoisse de ce qu'il devoir advenir, Jésus veille seul, entouré de ses disciples endormis.
Suivent l'arrestation de Jésus et sa comparution devant Caïph (ou Pilate?)
la flagellation ...
... et enfin cette bouleversante Crucifixion. Derrière la croix, les murailles de Jérusalem. Au pied de son fils à l'agonie, la Mère , mains serrées sur un geste d'affliction:
"Stabat Mater Dolorosa
Juxta Crucem lacrymosa
Dum pendebat Filius"
les yeux ouverts sur l'abîme intérieur, muette dans sa douleur:
"Vidit suum dulcem Natum
Moriendo desolatum
Dum emisit spiritum"
et le Christ semble dédier son dernier regard à sa Mère
et le regard du Fils, jusqu'au bout, dans un beau visage marqué par la souffrance et la compassion.
Lui fait pendant, non loin de là, sur le pied droit à gauche de l'arc triomphal, sous l'archange Gabriel de l'Annonciation, ce visage épuisé du Christ aux yeux clos, ce qui nous reste d'une scène ultime: Ecce Homo? Mise au tombeau ?
***
Enfin signalons, dans l'abside, quelques visages surgis d'un programme de fresques antérieures
Voilà ce qu'il falloir au plus vite restaurer, sans rien ajouter. Les artistes qui auront la charge de cette restauration vont vivre de longs moments dans l'intimité de cette chapelle ... Je leur (nous) souhaite toute la sérénité nécessaire pour renouer le dialogue avec le maître fresquiste de cette fin du XV°s. et apprivoiser l'absence de toutes ces figures définitivement détruites qui nous manquent aujourd'hui.
Ces fresques souffrent depuis trop longtemps l'abandon, elles se dégradent chaque année un peu plus et leur témoignage bouleversant s'efface irrémédiablement: qu'attend-on pour les sauver ?
2°/Les fresques de la chapelle San Tumasgiu di Pastureccia
(suite des notes consacrées à San Tumasgiu )
2°/Les fresques de la chapelle San Tumasgiu di Pastureccia (fin XV°, début XVI° s.)
(en attente de leur restauration prochaine)
à Castellu di Rustinu (Pieve du Rustinu)
***
Malgré les mutilations barbares dont elle a été victime (cf note précédente), cette chapelle conserve sa sérénité méditative : c'est toujours avec une émotion intacte que nous pénétrons ici, comme pour un rendez-vous amoureux et le sentiment obscur d'y rejoindre un centre.
Même blessées, dégradées, effacées, délavées, ces peintures nous rejoignent, nous parlent, nous relient.
L'ABSIDE
l'ensemble de l'abside
approchons ...
***
LE CHRIST PANTOCRATOR
Au centre de l'abside, vertical comme un arbre cosmique reliant la terre au ciel,
le Christ Pantocrator occupe en majesté sur son trône l'espace central de cette voûte céleste: " Ne jurez pas! ni par le ciel, parce qu'il est le trône de Dieu, ni par la terre, parce qu'elle est l'escabeau de ses pieds" ( Evangile de saint Matthieu, chapitre 5)
Encadré par une chevelure longue et une barbe blanches bien soignées, son visage est jeune, représentation parfaite et lisible par tous de cette double présence du Père et du Fils. Il nous tient sous son regard où que nous soyions dans la chapelle. Un regard intérieur, impartial, presque mélancolique: c'est qu'il est aussi le Juge de la fin des temps. Il nous bénit des trois doigts levés de sa main droite, évoquant la réalité de la Trinité et dans sa main gauche, tient posé sur ses genoux le Livre des Ecritures: "EGO SUM LUX MUNDI ET VIA VERITAS E(T) V(ITA)". Ce Livre que nous retrouvons dans nombre de nos chapelles à fresques ...
" Thomas lui dit: " Seigneur , nous ne savons pas où tu vas. Comment en connaitrions-nous le chemin? Jésus lui dit:
" Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne va au Père que par moi.
Si vous me connaissez, vous connaitrez aussi mon Père.
Dès maintenant vous le connaissez et vous l'avez vu"
Evangile selon Saint Jean 14
Derrière sa tête, les murailles de la nouvelle Jérusalem, la Jérusalem Céleste décrite dans l'Apocalypse de saint Jean, la cité de Dieu, celle qui n'abrite aucun temple car " son temple, c'est le Seigneur, le Dieu Tout-Puissant, ainsi que l'agneau" (Apocalypse de saint Jean, XXI, 22-23). Une cité carrée à laquelle répond le carré du Livre tenu par le Christ, le Livre de la Révélation qui rompt la ronde sans fin des cycles des vies.
De part et d'autre de la tête du Christ, deux anges musiciens font résonner la musique céleste pour l'éternité. Au sol, la perspective fuyante des carreaux anime la profondeur de l'ensemble.
L'ange de gauche joue une sorte de luth
L'ange de droite sonne un cornet, ce merveilleux instrument au son fragile et sensible, si proche de la voix: à l'époque de cette fresque, c'est un instrument privilégié de la musique religieuse. Un étendard pend sous son bras: la croix de saint Georges, emblême de la ville de Gênes ... la Corse de cette époque est génoise.
***
LE TETRAMORPHE
De part et d'autre de ses genoux, la représentation zoomorphe et symbolique u Tétramorphe, ou ... ce qu'il en reste: quatre créatures ailées proclamant la Parole:
l'Aigle de Saint Jean, portant accroché à la patte le phylactère représentant son évangile
le Taureau de saint Luc
l'Ange ou plus exactement l'Homme ailé de Matthieu
Nous avons perdu (dans les explosions de 1930 ?) le Lion de saint Marc.
Autour du TETRAMORPHE :
Le Christ est entouré du Tétramorphe, la personnification zoomorphe, ailée, symbolique des quatre Evangélistes . Un peu de révision, en passant par les traditions ésotériques, de ces quatre éléments qui apparaissent dans l'Apocalypse de Saint Jean, hérités des civilisations égyptiennes et mésopotamienne, et en particulier de la vision d'Ezechiel dans l'Ancien Testament :
- Le Taureau (ou le Boeuf) de Saint Luc : aux premiers versets de son évangile, Saint Luc fait allusion à Zacharie qui offre un sacrifice à Dieu. Ici, le sacrifice et la Mort (le taureau, animal royal du sacrifice dans l'antiquité), la terre, la résistance. Symbole du corps et des forces de l'Homme.
- Le Lion de Saint Marc : la Résurrection, le feu, la force, le mouvement.
« Commencement de l'Évangile de Jésus Christ, fils de Dieu. Selon qu'il est écrit dans Isaïe le prophète : « Voici que j'envoie mon messager en avant de toi pour préparer ta route. Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur… » » (Mc 1, 1-3). Symbole du cœur et des passions.
- L''Homme ailé de Saint Matthieu : l'Ange de la Naissance, l'intuition de la vérité. Cet évangile s'ouvre sur la généalogie de Jésus, en commençant par Abraham. Symbole de l'esprit, et des pensées.
- L'Aigle de Saint Jean : son évangile, le dernier livre du Nouveau Testament, commence par le mystère céleste. C’est l’évangile le plus visionnaire, il évoque l'Ascension, l'air, l'intelligence, l'action. Symbole de l'âme.
Selon Saint Jérôme de Stridon (mort en 420), les quatre Vivants rassemblés autour de la figure du Christ évoquent les quatre moments essentiels de la vie du Christ:
Le Verbe de Dieu s'est incarné (l'Homme), il a été tenté au désert (le lion), il a été immolé (le taureau) et il est monté au ciel (l'aigle).
Le Tétramorphe chrétien hérite d'une longue tradition dans l'Antiquité qui passe par l'Egypte et surtout irrigue la Mésopotamie, dont les visions inspireront celles du prophète Ezéchiel.
Le Christ Pantocrator et le Tétramorphe sont évoqués dans les Visions prophétiques de l’Apocalypse de Saint Jean :
(…) « Après cela, je regardai, et voici, une porte était ouverte dans le ciel. La première voix que j'avais entendue, comme le son d'une trompette, et qui me parlait, dit: Monte ici, et je te ferai voir ce qui doit arriver dans la suite. Aussitôt je fus ravi en esprit. Et voici, il y avait un trône dans le ciel, et sur ce trône Quelqu'un était assis. Celui qui était assis avait l'aspect d'une pierre de jaspe et de sardoine; et le trône était environné d'un arc-en-ciel semblable à de l'émeraude. Autour du trône je vis vingt-quatre trônes, et sur ces trônes vingt-quatre vieillards assis, revêtus de vêtements blancs, et sur leurs têtes des couronnes d'or. Du trône sortent des éclairs, des voix et des tonnerres. Devant le trône brûlent sept lampes ardentes, qui sont les sept esprits de Dieu. Il y a encore devant le trône comme une mer de verre, semblable à du cristal. Au milieu du trône et autour du trône, il y a quatre Vivants constellés d'yeux devant et derrière.
Le premier Vivant est semblable à un lion, le second Vivant est semblable à un jeune taureau, le troisième Vivant a le visage d'un homme, et le quatrième Vivant est semblable à un aigle en plein vol. Les quatre êtres vivants ont chacun six ailes, et ils sont remplis d'yeux tout autour et au dedans. Ils ne cessent de dire jour et nuit: Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu, le Tout Puisant, qui était, qui est, et qui vient! Quand les êtres vivants rendent gloire et honneur et actions de grâces à celui qui est assis sur le trône, à celui qui vit aux siècles des siècles, les vingt-quatre vieillards se prosternent devant celui qui est assis sur le trône et ils adorent celui qui vit aux siècles des siècles, et ils jettent leurs couronnes devant le trône, en disant: Tu es digne, notre Seigneur et notre Dieu, de recevoir la gloire et l'honneur et la puissance; car tu as créé toutes choses, et c'est par ta volonté qu'elles existent et qu'elles ont été créées. » (Apocalypse de Saint Jean – 4)
***
LES APÔTRES
A l'étage inférieur, sous les pieds du Christ, la série, hélas, très lacunaire des apôtres. Ils sont les piliers de l'Eglise: un collège de douze apôtres solidaires, où le malheureux traître de service, Judas, a été remplacé par Matthias.
A droite de la fenêtre , l'on reconnait la présence juvénile de saint Jean l'Evangéliste. Alors que les autres personnages tiennent leur livre fermé, lui a ouvert le sien, et le calame à la main ...
... il semble prêt à écrire, suspendu à la révélation divine.
A sa gauche, quatre apôtres difficilement identifiables, si ce n'est, à droite, celui de St Barthélémy, l'écorché vif portant sa peau sur l'épaule ...
***
L'ANNONCIATION
De part et d'autre de l'abside, dans les écoinçons de l'arc, la représentation de l'Annonciation.
Voici le récit de l’Annonciation dans l’Evangile selon Saint Luc:
Au sixième mois [de la conception de Jean-Baptiste, le fils d'Elisabeth, cousine de Marie], l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth, vers une vierge qui était fiancée à un homme de la maison de David, nommé Joseph; et le nom de la vierge était Marie. Etant entré où elle était, il lui dit: " Salut, pleine de grâce! Le Seigneur est avec toi. Mais à cette parole elle fut bouleversée, et elle se demandait ce que signifiait cette salutation. L'ange lui dit: "Rassure-toi, Marie, car vous tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu concevras, et enfanteras un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé F ils du Très-Haut; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père; il règnera à jamais sur la maison de Jacob, et son règne n'aura point de fin. « Mais Marie dit à l'ange: " Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point l'homme? " L'ange lui répondit: " L'Esprit-Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c'est pourquoi l'enfant sera saint et sera appelé Fils de Dieu. Et voici qu'Elisabeth, ta parente, vient, elle aussi, de concevoir un fils dans sa vieillesse, et elle en est à son sixième mos, elle qu’on appelait la stérile ; car rien ne sera impossible pour Dieu. " Marie dit alors: " Je suis la servante du Seigneur: qu'il m’advienne selon ta parole! " Et l'ange la quitta."
Saint Luc, 1-38
Dans l'écoinçon de gauche, l'archange Gabriel venu du (bleu du ) ciel, dans sa robe blanche immaculée, ornée d'une belle écharpe décorée de riches motifs, agenouillé, brandissant en sa main gauche le lys symbole de la pureté et du messager divin, salue la Vierge de sa main droite: magnifique! ici les carreaux rouges et blancs répondent aux ornements de la ceinture ...
Dans l'écoinçon de droite, la Vierge enclose dans sa chambre tendue de rouge, agenouillée près de son prie-Dieu où repose la parole de son acceptation:
"Ecce Ancilla Domini, fiat mihi secundum voluntas sua"
("Marie dit : Voici la Servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta Parole"
(mais ici, l'on croit lire "Ecce Angile Domini ...?)
La Colombe de l'Esprit Saint est déjà à l'oeuvre, elle a traversé l'espace clos de la chambre, rouge comme le secret inviolable du ventre maternel de Marie: "Vas spirituale". De même que les vêtements de la Vierge proclament sa double appartenance: le rouge de sa robe évoque la part d'humanité de sa maternité, et le bleu de son manteau sa part céleste ...
***
SAN MICHELE
Sur le pied-droit à droite de l'arc, sous la Vierge de l'Annonciation, voici un acteur essentiel de cette chapelle: saint Michel Archange saisi ici dans sa double fonction de Général en chef des milices célestes et de "psychopompe" passeur et peseur d'âmes.
Flamboyant sur un fond ocre rouge il porte la cuirasse étincelante de son emploi guerrier, cotte de maille, jambières, et maintient fermement de sa main droite sous sa lance Satan (ou ce qu'il en reste ...).
De sa main gauche, il pèse:
Hélas, hélas, hélas! Nous n'irons pas tous (du moins pas directement! ) au Paradis...
La petite âme qui monte, bien accrochée à sa balance, peut se réjouir d'avoir fait le bon choix: de la sainte vie chrétienne sans concession ou du martyre ... Ce n'est pas le cas pour l'âme pêcheresse de droite, qui bascule déjà par-dessus bord et dégringole : proie facile, lorgnée par le Diable et ses milices infernales, emberlificotée dans la nasse de ses innombrables péchés, savoir quel sera son sort?
Heureusement pour elle, cette fresque a été peinte à la fin du XV°s. ou au début du XVI° s. , ce qui lui laisse encore quelque espoir: c'est que, depuis le XIII°s., l'idée du Purgatoire a pris forme dans les mentalités religieuses, idée généreuse en soi, conçue pour être rassurante, exalter l'incommensurable bonté divine, mais si vite phagocytée par de nombreux appétits trop humains, récupérée, objet de marcketting juteux ...
Quoi qu'il en soit, notre petite âme pécheresse n'ira peut-être pas en enfer, car cette pastorale en images des fresques de san Tumasgiu semble être diffusée par le monde franciscain, si actif en Corse, pastorale de la Rédemption plus que de la Damnation.
Soulignant et reliant les différents éléments de l'abside, un motif de papiers pliés ocre rouge et blanc concourt à l'unité de l'ensemble.
(à suivre)
Rappel: à retrouver
le beau livre didactique de Joseph Orsolini publié en 1989:
Je signale ici également l'approche intéressante de François Xavier Ajaccio, livre publié en 2016:
En annexe du Tétramorphe, la Vision d'Ezéchiel:
(extrait du site:http://ufo-scepticisme.forumactif.com/t3536-la-vision-d-ezechiel-du-nouveau )
Ézéchiel ( VIᵉ siècle av. J.-C. : On lui attribue le livre d'Ézéchiel, le troisième dans l'ordre canonique des grands prophètes.
"[… ] La trentième année, le cinquième jour du quatrième mois, comme j'étais parmi les captifs du fleuve du Kebar, les cieux s'ouvrirent, et j'eus des visions divines. Le cinquième jour du mois, c'était la cinquième année de la captivité du roi Jojakin, la parole de l'Éternel fut adressée à Ézéchiel, fils de Buzi, le sacrificateur, dans le pays des Chaldéens, près du fleuve du Kebar ; et c'est là que la main de l'Éternel fut sur lui. Je regardai, et voici, il vint du septentrion un vent impétueux, une grosse nuée, et une gerbe de feu, qui répandait de tous côtés une lumière éclatante, au centre de laquelle brillait comme de l'airain poli, sortant du milieu du feu. Au centre encore, apparaissaient quatre animaux, dont l'aspect avait une ressemblance humaine. Chacun d'eux avait quatre faces, et chacun avait quatre ailes. Leurs pieds étaient droits, et la plante de leurs pieds était comme celle du pied d'un veau, ils étincelaient comme de l'airain poli. Ils avaient des mains d'homme sous les ailes à leurs quatre côtés; et tous les quatre avaient leurs faces et leurs ailes. Leurs ailes étaient jointes l'une à l'autre; ils ne se tournaient point en marchant, mais chacun marchait droit devant soi. Quant à la figure de leurs faces, ils avaient tous une face d'homme, tous quatre une face de lion à droite, tous quatre une face de bœuf à gauche, et tous quatre une face d'aigle. Leurs faces et leurs ailes étaient séparées par le haut; deux de leurs ailes étaient jointes l'une à l'autre, et deux couvraient leurs corps. Chacun marchait droit devant soi; ils allaient où l'esprit les poussait à aller, et ils ne se tournaient point dans leur marche. L'aspect de ces animaux ressemblait à des charbons de feu ardents, c'était comme l'aspect des flambeaux, et ce feu circulait entre les animaux; il jetait une lumière éclatante, et il en sortait des éclairs. Et les animaux couraient et revenaient comme la foudre. Je regardais ces animaux; et voici, il y avait une roue sur la terre, près des animaux, devant leurs quatre faces. A leur aspect et à leur structure, ces roues semblaient être en chrysolithe, et toutes les quatre avaient la même forme; leur aspect et leur structure étaient tels que chaque roue paraissait être au milieu d'une autre roue.
En cheminant, elles allaient de leurs quatre côtés, et elles ne se tournaient point dans leur marche. Elles avaient une circonférence et une hauteur effrayantes, et à leur circonférence les quatre roues étaient remplies d'yeux tout autour. Quand les animaux marchaient, les roues cheminaient à côté d'eux; et quand les animaux s'élevaient de terre, les roues s'élevaient aussi. Ils allaient où l'esprit les poussait à aller; et les roues s'élevaient avec eux, car l'esprit des animaux était dans les roues. Quand ils marchaient, elles marchaient; quand ils s'arrêtaient, elles s'arrêtaient; quand ils s'élevaient de terre, les roues s'élevaient avec eux, car l'esprit des animaux était dans les roues. Au-dessus des têtes des animaux, il y avait comme un ciel de cristal resplendissant, qui s'étendait sur leurs têtes dans le haut. Sous ce ciel, leurs ailes étaient droites l'une contre l'autre, et ils en avaient chacun deux qui les couvraient, chacun deux qui couvraient leurs corps. J'entendis le bruit de leurs ailes, quand ils marchaient, pareil au bruit de grosses eaux, ou à la voix du Tout Puissant ; c'était un bruit tumultueux, comme celui d'une armée; quand ils s'arrêtaient, ils laissaient tomber leurs ailes. Et il se faisait un bruit qui partait du ciel étendu sur leurs têtes, lorsqu'ils s'arrêtaient et laissaient tomber leurs ailes ... ».
[Une vision pour le moins complexe: vu du petit bout de la lorgnette, je ne sais si notre prophète Ezéchiel consommait quelques herbes très spéciales ou champignons hallucinogènes avant de plonger dans ses visions, mais, sur grand écran, cela devrait surpasser les réalisations les plus folles de science-fiction d'aujourd'hui. Toujours est-il qu'ici souffle en force l'Esprit ]
Et la Vision de Saint Jean, dans l'Apocalypse:
"J’eus ensuite une vision. Voici : une porte était ouverte au ciel, et la voix que j’avais naguère entendu me parler comme une trompette me dit : Monte ici, que je te montre ce qui doit arriver par la suite. À l’instant, je tombai en extase. Voici, un trône était dressé dans le ciel, et, siégeant sur le trône, Quelqu’un… Celui qui siège est comme une vision de jaspe et de cornaline; un arc‐en‐ciel autour du trône est comme une vision d’émeraude. Vingt-quatre sièges entourent le trône, sur lesquels sont assis vingt-quatre Vieillards vêtus de blanc, avec des couronnes d’or sur leurs têtes. Du trône partent des éclairs, des voix et des tonnerres, et sept lampes de feu brûlent devant lui, les sept Esprits de Dieu. Devant le trône, on dirait une mer, transparente autant que du cristal. Au milieu du trône et autour de lui, se tiennent quatre Vivants, constellés d’yeux par‐devant et par‐derrière. Le premier Vivant est comme un lion; le deuxième Vivant est comme un jeune taureau ; le troisième Vivant a comme un visage d’homme ; le quatrième Vivant est comme un aigle en plein vol. Les quatre Vivants, portant chacun six ailes, sont constellés d’yeux tout autour et en dedans. Ils ne cessent de répéter jour et nuit : « Saint, Saint, Saint, Seigneur, Dieu Maitre-de-tout, Il était, Il est et Il vient »."
(Ap 4, 1-8)
L'héritage chrétien du Tétramorphe: ici, au Musée Cluny
1°/San Tumasgiu di Pastureccia - Castellu di Rustinu
A l'intention des amis de la FAGEC, je republie cette note ancienne de 2011 ...
hélas, peu de choses ont changé depuis, sinon que Toussaint Quilici a publié son travail!
En attendant la restauration prochaine de
1°/ la chapelle San Tumasgiu di Pastureccia,
à Castellu di Rustinu.
Pieve di Rustinu.
La chapelle est située dans un site admirable au-dessus de la vallée du Golu, que domine sur son éperon vertigineux le Pinzu di Castellu di Rustinu, fief au XI° siècle des Marquis de Massa de Corse ... Au fond de ce vaste paysage, la pieve de Caccia. Nos belliqueux marquis pouvaient surveiller les moindres mouvements de passage entre la côte orientale et la côte occidentale ...
... du haut de leurs donjons. Ce site fait l'objet depuis des années de fouilles sous la conduite de l'archéologue Daniel Istria.
(merci aux amis pour leurs photos, ce jour-là)
Avec lui, notre ami Toussaint Quilici travaille depuis des décennies sur sa pieve du Rustinu et l'on attend avec impatience la publication de ses travaux. En attendant il partage volontiers sa passion pour notre plus grand plaisir!
La chapelle construite en contre-bas de ce site stratégique -sans aucun doute utilisé dès la préhitoire ( j'y ai ramassé une pointe de flèche) - est beaucoup plus ancienne que le Castellu. Geneviève Moracchini-Mazel propose une datation entre le VII° et le IX° s., l'appareil des murs étant plutôt composé de pierres éclatées dans son ensemble (cf. "Les églises romanes de Corse, p.296, G. Moracchini-Mazel, publié avec le concours du CNRS en 1967 ).
Le cimetière qui l'enserre est, comme tous les cimetières de Corse, de création récente (décrets de Napoléon). A l'origine l'on enterrait les morts de cette région dans l'arca : cette crypte creusée sous le sol de la chapelle accueillait les défunts pour un repos éternel sanctifié par le lieu. Le caractère sacré de cet antique usage a certainement contribué à la survie de la chapelle ... encore que ... dans les années 1930, la chapelle fut la victime d'une étrange intervention des Monuments Historiques de l'époque qui aboutit à la mutilation d'un tiers de notre chapelle:
Plan de de la chapelle San Tumasgiu avant sa démolition, publié par G.Moracchini Mazel dans l'ouvrage cité ci-dessus, et conservé aux archives des Monuments Historiques.
A l'origine la nef unique de cette chapelle mesurait 14,30m et la porte occidentale devait être de belles proportions, si l'on en juge par les éléments de l'archivolte qui nous restent. En 1925, la charpente s'écroule et l'on appelle les Monuments Historiques au chevet de ce monument remarquable. L'architecte de l'administration des MH décide, cela parait incroyable! non pas de reconstruire la charpente à l'identique, mais de ne préserver que la partie de la chapelle comportant un décor... Il détruit donc allègrement un tiers de l'édifice - parait-il qu'il aurait même utilisé les explosifs pour aller plus vite (mémoire orale des anciens du village), les murs se révélant trop solides pour la barre à mine! Quoi qu'il en soit, à mon avis le cher homme doit être entrain de mijoter pour quelque temps encore dans ces terribles flammes du Purgatoire dont on dit qu'elles "purgent" toutes les imperfections: il y sera, je n'en doute guère, en bonne et nombreuse compagnie, à commencer par celle de nos chers hommes de pouvoir.
Bref il reconstruit avec les pierres récupérées un mur occidental aveugle. Les fresques, si explosifs il y eut, durent passablement souffrir de l'opération.
La porte latérale du mur Sud (à gauche de laquelle l'on aperçoit les deux éléments de l'archivolte de la porte occidentale) nous intrigue par l'inscription de son tympan:
qui donne une date tardive: 1470, date que l'on va retrouver inscrite au fond d'une niche aménagée à l'intérieur du mur Nord/Est et à l'extérieur de la fenêtre meurtière de l'abside. Une date qui semble évoquer un évènement ou des remaniements importants.
Une découverte récente (2002) éclaire peut-être cette époque:
Lors des importants travaux engagés sur cette chapelle pour la mettre hors d'eau, l'on a entrepris de refaire le sol, qui jusque là était quelque peu périlleux et défoncé (l'ossuaire de l'arca étant dessous). Dans la foulée l'équipe a voulu rénover également l'autel et remplacer le ciment par la chaux. Cette opération, où du reste l'autel initial a été rabaissé, a permis une divine découverte, celle de ce reliquaire du XV°s. caché dans une niche formée de trois pierres plates à l'intérieur de l'autel. : "Il s'agit d'une pièce de bois (de la taille de la paume d'une main) sculptée sur ses bords du sceau de l'évêque d'Accia, Antonius Bonumbra, et d'une empreinte centrale richement décorée d'un dais gothique, précise Richard Girolami. L'ensemble est recouvert de cire d'abeille, dans laquelle l'artisan a d'ailleurs laissé quelques empreintes digitales" .
Radiographié, le reliquaire a révélé son précieux contenu: quatre dents dont deux calcifiées ...
Cet évêque Antonius Bonumbra semble avoir été un proche du franciscain Francesco della Rovere, devenu le redoutable pape Sixte IV: tous deux étaient originaires de Savone. Son petit diocèse d'Accia, comportant les deux pieve du Rustinu et de l'Ampugnani, reconstitué au XII°s. pour faire la parité des six diocèses de l'époque entre Pisans et Génois (Accia durera jusqu'au XVI°s. date où il sera absorbé par le diocèse de Mariana), avait sa cathédrale minuscule au sommet (1700 m) du San Pedrone, la montagne tutélaire de cette région. Antonius Bonumbra exerça sa charge épiscopale à l'évêché Accia entre 1466/67 et 1480.
Est-ce à cette occasion que l'évêque A. Bonumbra entreprit des travaux dans la chapelle, dont la date apparaitrait sur le tympan: " le 22 juin 1470 ... suivie du nom, semble-t-il "anton bonom...": en tous cas il place le reliquaire dans l'autel, évènement d'une grande importance symbolique qui renforce la sainteté du lieu ...
Entrons enfin
et découvrons et redécouvrons ... dans la pénombre de San Tumasgiu , au pied de l'abside en cul de four, l'autel (aujourd'hui rabaissé) qui abritait le reliquaire dans le secret de sa maçonnerie.
( ce jour là quelques gouttes de pluie tachent l'objectif)
(à suivre pour la visite des fresques! )
10:59 Publié dans chapelle San Tumasgiu di Pastureccia, chapelles romanes corses, Enfer, San Tumasgiu di Pastureccia | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
01/05/2014
Echos de la journée sepolcri en Castagniccia du 18/4/2014
En écho des sepolcri du Rustinu et de Castagniccia
ce Vendredi Saint 18 avril 2014
à l'attention des amis qui partagèrent
cette belle " journée des sepolcri" et de ceux qui ne purent venir
FRASSU, église St Côme et St Damien
Nous commençons cette journée lumineuse avec la rencontre de la petite église Saints Côme et Damien de Frassu qui, cet été 2013, était encore en travaux sous ses échafaudages . Des travaux qui ont permis de dégager ce qui reste des murs romans avec leurs belles dalles de revêtement. Je rappelle que Frassu n'a été rattaché à la commune de Pastureccia di Rustinu que le 14/04/1857, formant ainsi, avec les communautés des hameaux de Gratte et Casa Pitti la commune de Castellu di Rustinu.
Au-dessus de la porte d'entrée, et remplaçant le tympan roman initial, cet énigmatique blason de stuc (photo prise avant la restauration de la façade) datant probablement du XVIII°s. : un chapeau d'évêque à trois rangées de pompons surmonte la tiare papale, la crosse et les clés de St Pierre, ainsi deux palmes de martyres (St Côme et St Damien?). Ce blason date peut-être de l'époque où fut agrandie et modifiée l'église romane, avec en particulier la construction côté sud d'une deuxième nef dotée d'une porte et communiquant avec l'église: des objets tels que bâtons de procession et bannières pourraient témoigner en faveur d'un espace dédié à la confrérie de Frassu.
Ce vendredi nous avions parmi nous notre amie Bernadette Conrad . Outre sa parfaite connaissance des plantes, en digne fille de Marcelle Conrad, la grande dame de la botanique corse (cf la publication par Bernadette Conrad de la nouvelle édition des "Promenades en Corse parmi ses fleurs et ses forêts" de Marcelle Conrad:
une maison des abeilles,
à l'intérieur de la maison, ces sortes de niches percées d'un orifice,
communiquant, à l'extérieur, avec la piste d'envol des abeilles ...
Pour en savoir plus sur ces aménagements, vous pouvez consulter par
exemple ce site:
http://www.itarkeo.com/murs_abeilles.php
***
Revenons à nos sepolcri.
et celui de droite
Notre peintre anonyme du XIX° s. montre un talent certain dans l'expression de ces deux visages, beaucoup moins caricaturaux que de coutume.
A-t-il portraituré des habitants de Frassu ?
Toujours est-il qu'ici ces deux gardes n'ont pas cette férocité "mauresque" que l'on peut voir ailleurs,
je trouve même leur visage empreint d'une certaine humanité et d'un zeste de mélancolie.
au centre , au-dessus de l'ouverture, l'invitation à l'adoration du Saint Sacrement.
et, dans l'arc triomphal qui ferme la chapelle, la représentations des Arma Christi , les instruments de la Passion déclinés en bouquet: lance, échelle, éponge imprégnée de vinaigre, marteau, clous, tenailles, roseau, colonne, voile de Véronique, coq ... tout est dit!
sur le voile de Véronique (qui tient du linceul), le beau visage du Christ, les yeux clos, couronné d'épine.
et, pris sur le vif dans la basse-cour voisine, un coq vigoureux donne le LA aux larmes de St Pierre.
***
La fresque de la Passion
à San Tumasgiu di Pastureccia
(fin XV°/début XVI° s.)
Pour l'ensemble de la chapelle, voir les notes depuis 2011:
Une bonne surprise nous attend : après de longs mois de léthargie pendant lesquels la pluie a continué de ruisseler sur les fresques, les choses semblent enfin bouger : on a installé les échafaudages qui présagent une prochaine action de mise hors d'eau du toit. L'ami Toussaint Quilici m'apprend qu'on a finalement renoncé à pratiquer des fouilles archéologiques dont le montant étaient exorbitant et dont le projet retardait, malgré l'urgence et ce depuis de longs mois, la restauration de San Tumasgiu.
L'espoir renait. En revanche la chapelle ne sera plus visitable avant quelque temps, aujourd'hui les fresques sont bâchées en attendant la réfection du toit. Un nouvel appel d'offres devrait avoir lieu pour le programme de restauration des fresques. On a beaucoup perdu en cinquante années d'intempéries et d'incurie : il serait intéressant de savoir si de vieilles photos des années 60 existent encore qui pourraient témoigner de détails aujourd'hui disparus.
Pour le plaisir, un nouveau regard sur "la bande dessinée" de la Passion,
réalisée sur le mur nord de la chapelle, et qu'il faut lire depuis le haut à
droite vers la gauche, puis de la gauche vers la droite.
Tout d'abord, la dernière Cène, avec les visages animés des apôtres.
Ce que je vois:
en haut à droite, le jeune Saint Jean se penche, la main sur l'épaule de celui qui me semble bien être Jésus. Les mains parlent aussi clairement que les mots: "Ce n'est pas moi", disent, incrédules, celles des apôtres du bas, en réponse l'annonce faite par le Christ :
"En vérité, en vérité, je vous le dis, l'un de vous me livrera"
"Les disciples se regardaient les uns les autres, ne sachant de qui il parlait. Un de ses disciples, celui que Jésus aimait, se trouvait à table tout contre Jésus; Simon-Pierre lui fait signe et lui dit: "Demande de qui il parle." Celui-ci, se penchant alors vers la poitrine de Jésus, lui dit: " Seigneur, qui est-ce? " (...)
Evangile selon Saint Jean
"Ils parviennent à un domaine appelé Gethsémani, et Jésus dit à ses disciples: "Restez ici tandis que je prierai." Puis il prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il commença à ressentir effroi et angoisse. Et il leur dit: "Mon âme est triste à en mourir; demeurez ici et veillez." Etant allé un peu plus loin, il se prosterna contre terre et il priait pour que cette heure passât loin de lui. Et il disait "Abba (Père!) tout t'est possible éloigne de moi cette coupe; cependant, pas ce que je veux, mais ce que tu veux!". Il revient et les trouve en train de dormir . (...)"
Evangile selon Saint Marc.
On peut reconstituer mentalement une partie de la lacune: sur la droite, un ange tendait peut-être un calice à Jésus.
le visage de Jésus
le visage de Jacques ?
Celui, endormi, de Pierre
On a perdu celui de Jean, effacé, entre Pierre et Jésus
l'arrestation de Jésus: il me semble que l'on assiste au baiser de Judas
la comparution de Jésus devant Caïphe, le Grand-Prêtre (vêtu de jaune) du Sanhédrin
la flagellation
Visage du Christ flagellé
la crucifixion:
"Stabbat Mater Dolorosa
Juxta Crucem lacrymosa
Dum pendebat Filius"
le Christ en croix
le visage de la Vierge
au-dessus de la crucifixion un écrit
qui reste à déchiffrer
enfin, sur le pied droit de l'arc triomphal,
ce dernier visage :
" Ecce Homo"
***
Eglise Santa Maria de Castellu di Rustinu
le sepolcru:
ce que vous n'avez pas vu ... à retrouver sur la note :
(à suivre! dès que je peux, pour le reste de la journée ...)
17:00 Publié dans chapelle San Tumasgiu di Pastureccia, chapelles romanes corses, fresques de corse, ruchers anciens de corse, sepolcri de Corse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : frassu, castellu di rustinu, pastureccia, sepolcri de corse | Facebook |