18/01/2013
Le chef-d'oeuvre de Francesco Giavarini à Costa
Une oeuvre à découvrir en Balagne:
dans le petit village de Costa, Pieve de Tuani,
cette modeste église San Salvatore abrite une oeuvre remarquable :
Francesco Giavarini réalise vers les années 1818- 20 cet étonnant décor peint qui mériterait un programme de sauvegarde et de restauration. Souhaitons que la communauté de Costa puisse, dans un temps proche, trouver les moyens de mettre hors de danger cet ensemble remarquable :
le village de Costa a su, en 2004, et ce, malgré la modestie de ses moyens, faire restaurer cet délicieux petit orgue anonyme du début XIX° siècle. Espérons que l'ensemble du décor peint de Giavarini connaîtra un sort aussi enviable: un dossier est d'ors et déjà en cours pour refaire le toît, ce qui en soi est déjà une prouesse financière pour une toute petite commune (même si les subventions montent à 80%, les 20 % restant à la charge de la communauté pèsent lourd).
Francesco Giavarini est, nous dit Michel-Edouard Nigaglioni (Encyclopédie des peintres actifs en Corse, éd. Piazzola), un "peintre décorateur et peintre de chevalet né en 1781 dans le village de Ciamannacce (Corse-du-Sud). Il s'installe à Bastia , où en 1820 il épouse Marie-Jeanne Bourgeois. Giavarini est l'auteur de décors de grande envergure, tel celui de l'église d'Oletta (signé et daté de 1817) et celui de la cathédrale de Cervione (signé et daté de 1828 (...)".
L'église de Notre-Dame du Carmel à Stoppia Nova (actuellement en restauration), hameau de Quercitellu (Castagniccia) possède un chemin de croix intéressant, peint en 1824 par Giavarini.
Rappelons qu'il est aussi l'auteur des grandes toiles des volets de l'orgue de Corbara (signées et datées de 1819).
Des similitudes dans les décors des deux orgues de Costa (décor du doreur Bernardo Zigliara, en 1819) et de Corbara évoquent fortement des contacts étroits entre ces deux communautés qui semblent avoir fait travailler à la même époque ces deux artistes, Zigliara et Giavarini.
Francesco Giavarini réalise à Costa un décor monumental de grande qualité où se mêlent harmonieusement baroque et néoclassicisme.
Occupant le centre de la voûte, le médaillon du Christ du Sacré Coeur - un coeur brûlant et rayonnant d'amour, couronné d'épines et surmonté de la croix pour une dévotion largement diffusée par la France au XIX°siècle : Giavarini illustre les consignes de son temps.
Encadré, côté choeur, par la scène de la Décollation de Saint Jean-Baptiste.
Giavarini honore sans doute ici la demande de ses commanditaires qui souhaitent donner une place importante à St Jean-Baptiste: l'ancienne église de la Piève de Tuani, dédiée à San Giovanni Battista, dont il ne subsiste aujourd'hui que les murs, fut reconstruite vers le XIV° siècle en remplacement d'une église romane pisane du XI° siècle, qui elle-même aurait remplacé une église paléo-chrétienne. Cette église en ruines se trouve donc sur le territoire de Costa, tout à côté de l'ancien couvent franciscain observantin de Toani, et fort proche du village. Une façon pour les gens de ce petit village de Costa de signifier leur importance dans la Piève, face aux communautés voisines beaucoup plus importantes d' Occhiatana, Belgodère, Ville di Paraso et Speloncato. D'autant que Costa n'a gagné son indépendance sur son voisin Occhiatana que tardivement, devenant vicairie en 1774, et commune distincte à la Révolution française.
De l'autre côté de la voûte, vers l'orgue, cette représentation des trois Vertus théologales:
l'Espérance et son attribut, l'ancre: on est ancré dans la vie chrétienne par une foi solide.
la Foi, voilée, car elle n'a pas besoin de voir pour croire, porte ses attibuts: la croix du Christ et le calice du salut.
la Charité: elle allaite un orphelin ...
Sur les côtés de la voûte, au-dessus de fenêtres en trompe-l'oeïl et alternant avec des motifs végétaux et floraux, des médaillons accueillent des saints, une véritable galerie de portraits:
Saint Aloysius, alias le jeune Saint Louis de Gonzague
Saint Pie V, le pape dominicain, mystique et visionnaire, en fonction lors de la Bataille de Lépante qui opposa la coalition chrétienne au monde ottoman en 1571.
Saint Grégoire le Grand: la colombe de l'Esprit Saint inspire ses écrits, et le Livre ouvert témoigne qu'il est Docteur de l'Eglise.
L'apôtre Saint Paul: visage passionné et barbe ardente, armé du glaive de son martyre et du Livre.
Lui faisant face, de l'autre côté de la nef, le médaillon de Saint Pierre, hélas trop dégradé pour être ici présenté.
Saint Dominique, créateur de l'ordre des dominicains et de la dévotion du Rosaire.
Saint Philippe Néri et son coeur brûlant d'amour: le village voisin de Speloncato abrîtait une congrégation d'Oratoriens, créée par ce grand saint du XVI° siècle, mystique et charitable.
Saint Michel Archange, le peseur d'âmes et le grand pourfendeur de Satan:
je ne résiste pas à l'envie de vous le montrer de plus près, tant il est beau malgré les dégradations dues à l'humidité.
Par ailleurs, Francescu Giavarini a réalisé cette très jolie chaire de prêche en bois polychrome,
qui accueille , outre le motif central " JHS" (Jesus Salvator Hominum) cher aux Jésuites et aux Franciscains, le portrait des quatre Evangélistes et de leur symboles du Tétramorphe:
Saint Marc et son Lion fidèle
Saint Luc et le Taureau
Saint Matthieu et l'Ange, qu'il écoute manifestement!
Saint Jean l'Evangéliste et l'Aigle: jeune, inspiré ( exilé à Patmos, une figure resplendissante - ici le rayon - lui ordonne d'écrire l'Apocalypse) , il rédige l'Evangile le plus spirituel : "Au commencement était le Verbe ...". L'aigle, son compagnon, comme les trois autres attributs des évangélistes, est l'un des animaux de la vision du prophète Ezéchiel:
Au commencement de sa prophétie, Ezéchiel (Ez 1, 1-14) décrit sa vision :
« le ciel s'ouvrit et je fus témoin de visions divines » (Ez 1, 1). « Au centre, je discernais quelque chose qui ressemblait à quatre êtres vivants » (Ez 1, 5).
« Ils avaient chacun quatre faces et chacun quatre ailes (...) leurs sabots étaient comme des sabots de bœuf » (Ez 1, 6-7).
« Quant à la forme de leurs faces, ils avaient une face d'homme, et tous les quatre avaient une face de lion à droite, et tous les quatre avaient une face de taureau à gauche, et tous les quatre avaient une face d'aigle. » (Ez 1, 10).
On ignore tout de cette commande, les archives paroissiales ayant disparu, mais on peut penser que la population de Costa a dû se sentir fière d'une telle réalisation pour sa petite église. Souhaitons seulement que les descendants puissent sauver ce patrimoine exemplaire et menacé.
A propos du Tétramorphe:
Cette représentation du Tétramorphe est très présente, tant dans les chapelles à fresques (voir par exemple: elizabethpardon.hautetfort.com/restauration-du-patrimoine/ - 117k ) soit dans les églises baroques où on la retrouve fréquemment peinte dans les décors plafonnants ...
comme par exemple ici à Nocariu Supranu (Castagniccia), dans la petite chapelle Santa Barbara où notre Saint Marc se retrouve en compagnie d'un gros matou sympathique en guise de Lion,
et où Saint Luc maîtrise avec peine la cabrette-taurillonne fantasque qui lui tient lieu de Taureau ...
Non, non, ce n'est plus Giavarini, mais de l'art populaire et bien savoureux!
23:43 Publié dans artistes de corse, corse, décors monumentaux en Corse, iconographie des saints, patrimoine de corse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : francescu giavarini, costa, sacré coeur de jésus, décollation de jean-baptiste, vertus théologales, tétramorphe, ezéchiel, pie v, st philippe neri | Facebook |