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09/03/2018

3- l'énigme de San Rodrigo de Cordoba: suite et rebondissement imprévu

Où St Laurent et St Rodrigue font connaissance à Cassanu grâce à un ex-missionnaire du Tibet (réédition)

Murillo c.1650-55 Gemaeldegalerie Alte Meister Dresden Allemagne, détail.jpg

Dans la note précédente, je m'étais penchée sur les aventures du Saint Rodrigue de Murillo au XIX° siècle, se laissant copier, parmi toutes les admirables et nombreuses  toiles de la Galerie espagnole de Louis-Philippe au Musée du Louvre, entre 1838 et 1848, avant de disparaître à Londres et de réapparaître quelques années plus tard à la Gemäldegalerie Alte Meister de Dresden ...

La copie très fidèle de cette toile, présente à Cassano, me posait quelques problèmes: il fallait tout d'abord que je vérifie la date de cette copie en la regardant de plus près , ainsi que la signature:

Cassano St Rodrigue signature copiste 1842.jpg

Ce que j'avais pris pour 1832 s'avéra 1842, donc en pleine période de ce Musée espagnol du Louvre. D'autre part la signature du copiste devenait lisible: L. Jassogne . Comment ce rare saint andalou avait pris place à Cassanu restait une énigme, et il me semblait devoir ne laisser aucune piste possible de côté d'une relation de ce village avec l'Espagne ou l'Amérique du Sud - les Corses étant de grands et intrépides voyageurs, on le sait!

 Une chose m'intriguait encore: à Cassanu, la tradition voulait que ce saint diacre martyre fût Saint Laurent, et non Saint Rodrigue, dont personne n'avait entendu parler. J'avais remarqué, en comparant les deux toiles, un détail troublant: si le Saint Rodrigue de Murillo a bel et bien la gorge tranchée, celui de Cassanu, pourtant assez fidèlement copié par ailleurs jusque dans les détails, ne comportait plus cette blessure.

 

          Cassanu - San Lorenzu-Rodrigo détail.jpg

la balafre qui déchire le tableau n'a rien à voir avec la décollation de Saint Rodrigue ...

Oubli de Jassogne? Cela ne collait pas avec la minutie du peintre copiste, soucieux de restituer les moindres détails, à défaut de pouvoir transmettre l'ardeur mystique de Murillo.

Et voici ce que, ce matin aux aurores je découvre, grâce à la magie d'internet! en recherchant qui pouvait être ce Jassogne, en 1842: dans un dossier de la base Arcade, l'on apprend que ce Jassogne, l'auteur, honore une commande d'un Saint Laurent faite en 1841/42 par l' Abbé Bastianelli, ex-missionnaire au Tibet ...

Voir la notice des Archives Nationales AR 101942 - cote F/21/0342 -dossier 21.

Et voilà l'une des clefs du mystère, du moins je le pense: le peintre Jassogne reçoit commande d'un St Laurent en 1841/42. Où pourrait-il bien en trouver un qui ferait l'affaire ? Allons au Louvre! Justement, à cette fameuse Galerie espagnole nouvellement ouverte depuis trois ans, il y a ce beau diacre martyre peint par Murillo, vous savez Murillo, le moins dérangeant des peintres espagnols pour le goût français : Saint Rodrigue de Cordoue, dites-vous? Bah! la belle affaire, on arrangera la chose à moindre frais en effaçant la blessure et voilà un Saint Laurent tout-à-fait présentable, même si le gril de son martyre manque à l'appel. J'ignore si notre Abbé Bastianelli y a trouvé à redire, en tous cas voici sans doute comment notre Saint Lorenzo/Rodrigo a trouvé place dans le choeur de l'église de Cassano. Après tout, rien ne ressemble plus à un diacre qu'un autre diacre ...

Mais qui est donc cet Abbé Bastianelli ? Missionnaire aventurier au Tibet au XIX° siècle ... voilà encore bien autre chose! Je ne connais pas encore son prénom ... Serait-il un Lorenzo à défaut d'être un Rodrigo ?

Cette petite enquête de Cassanu m'a fait entrevoir d'autres relations imprévisibles entre la Corse, Murillo, Séville ... La prochaine fois, sans quitter la Pieve de Pino, nous irons du côté de Montemaggiore.

A suivre!

 

 

 

10/02/2013

Montemaggiore et les Âmes du Purgatoire

Où l'ombre de Don Miguel Mañara Vincentello de Leca y Colona (1627 - 1679) s'égare bien malgré lui à Montemaggiore et  rencontre son avatar Don Juan 

Montemaggiore village blog.jpg

Ces jours-ci, le village de Montemaggiore, tout voisin de Cassano, commune de Montegrosso, Pieve de Pino. Balagne.

Tout d'abord, je vous engage à une lecture passionnante, celle du long article écrit par notre ami Alfredo ORTEGA: " La Corse et Don Juan: la légende noire de Miguel Mañara" pour l'Adecec, à retrouver sur le site:

La Corse et Don Juan: la légende noire de Miguel Mañara

 
 
et je vous invite également à revisiter le documentaire réalisé par Paul Rognoni pour FR3 (Mareterraniu ): "Miguel Mañara, Ange ou Dom Juan"  - 
 
 Miguel Manara, Ange ou Dom Juan - Mareterraniu Productions
mareterraniu.com/?p=Documentaires&i...Miguel-Manara.
 
 
 
Si Prosper Mérimée ne mentionne pas l'épisode corse de Montemaggiore dans sa version de son Don Juan, il n'en reste pas moins à l'origine de la légende noire du don Juan corse lorsqu'il rédige "Les Âmes du Purgatoire" en 1834 : il connaissait bien  l'Espagne où il séjourne pour la première fois en 1830,  et où il fait la connaissance de la famille des Montijo, dont il deviendra un ami proche: Eugénie de Montijo, la future Impératrice des français, épouse de Napoléon III, n'a alors que quatre ans .
Dans sa nouvelle, il transforme le nom de Mañara en Maraña, et comme le signale l'ami Ortega, " Mérimée n'ignore pas que maraña en espagnol, veut dire embrouillamini, tout comme enmarañar, c'est embrouiller".
 
 Nous voilà avertis.
 
Je suis moi-même partie sur la trame d'une maraña aux fils embrouillés en regardant la copie du Don Rodrigo de Cordoba de Murillo. Dans cette enquête j'ai fait la rencontre imprévue de Esteban Bartolomé Murillo et de son cher ami Don Miguel Mañara, deux personnages de la Séville du XVII° siècle,  tout-à-fait historiques, remarquables et bien documentés. En ce qui concerne le vrai Don Miguel Mañara, je renvoie à nouveau, en résumé,  à l'excellent article d'Alfredo Ortega,  mais aussi au livre d'Enriqueta Vila Vilar: "LES CORZO ET LES MAÑARA , les Corses de Séville dans le commerce des Indes", Editions Alain Piazzola - 2004. Histoire de ces familles corses partant à l'aventure pour  réaliser leur destin sur des terres étrangères parfois si lointaines, suivant le sillage de Christophe Colomb, courageux, commerçants surdoués,  ambitieux, en quête de reconnaissance et d'ascension sociale et qui trouvent à Séville le creuset idéal de leur anoblissement ...
L' on apprendra, entre autres, que , construisant l'église (inaugurée en 1674) de la Caridad , institution hospitalière et charitable créée par Don Miguel Mañara, il va faire appel aux meilleurs artistes de l'époque pour enflammer la dévotion des Sévillans, et parmi eux, au plus sévillan des artistes de l'époque, à son ami Murillo, "qui fut le parrain de deux de ses fils" (A. Ortega). L'histoire ne dit pas si mon Santo Rodrigo de Cordoba faisait partie de cette aventure ...
 
Bref, le véritable Don Miguel Mañara est déjà un personnage d'une telle étoffe baroque et charismatique  qu'il n'était sans doute pas besoin de le charger d' un double mythique... Cela dit, revenons à Montemaggiore, lieu du forfait incestueux prêté par Esther Van Loo à son Don Juan lorsqu'elle rédige en 1950 son fantasque  "Le vrai Don Juan, Don Miguel de Mañara" .
 
Bref, dans cet embrouillamini don-juanesque, nous retiendrons de Mérimée qu'il fait démarrer sa nouvelle avec la contemplation par le petit Juan Maraña d'un tableau des Âmes du Purgatoire qui l'impressionne fortement et l'accompagne au fil de l'histoire,  entraînant in fine sa spectaculaire conversion.
 
Dans la très belle et souffrante église Saint Augustin de Montemaggiore, parmi les oeuvres les plus intéressantes,  il y a une toile  ...  qui n'a certainement pas inspiré le Don Juan de Mérimée! mais que je veux évoquer ici:

Montemaggiore - autel du Rosaire.jpg

l'autel du Rosaire et ses stucs raffinés datables, d'après notre amie Caroline Paoli,  des années 1770/1780 et "attribuables à l'un des frères Cagliata, Antonio ou Giuseppe, très actifs entre ces deux dates et originaire de Lunigiana.

 

Montemaggiore - Rosaire et Âmes du Purgatoire blog.jpg

accueille cette toile peinte et repeinte par des auteurs anonymes :

Remise du Rosaire Montemaggiore blog.jpg

au centre du tableau,. le sujet de la donation du Rosaire par la Vierge et l'Enfant à St Dominique et Ste Catherine de Sienne est tout-à-fait conforme à la norme. 

Tout autour du motif central, les quinze mystères du Rosaire déroulent leur efficace catéchisme:
 
Annonciation Rosaire Montemaggiore blog.jpgmystères douloureux Rosaire Montemaggiore.jpg

mystères glorieux blog.jpg

Tandis que sous cet ensemble habituel l'on découvre la raison de cette dévotion: il s'agit bien d'aider à la délivrance de ces  pauvres âmes du Purgatoire par la récitation du Rosaire. Je vous laisse découvrir le récit savoureux qu'en fait notre peintre anonyme de Montemaggiore:

Montemaggiore Âmes du Purgatoire -Rosaire copy.jpg

 

 Ne dirait-on pas une plaisante publicité pour quelque chaude station balnéaire?

bain de flammes blog.jpg

Rien de très terrifiant dans ce bain de flammes ... on est bien loin de la description fantasmée de Mérimée:

" Il y avait dans l’oratoire de la comtesse de Maraña un tableau dans le style dur et sec de Moralès, qui représentait les tourments du purgatoire. Tous les genres de supplices dont le peintre avait pu s’aviser s’y trouvaient représentés avec tant d’exactitude, que le tortionnaire de l’Inquisition n’y aurait rien trouvé à reprendre. Les âmes en purgatoire étaient dans une espèce de grande caverne au haut de laquelle on voyait un soupirail. Placé sur le bord de cette ouverture, un ange tendait la main à une âme qui sortait du séjour de douleurs, tandis qu’à côté de lui un homme âgé, tenant un chapelet dans ses mains jointes, paraissait prier avec beaucoup de ferveur. Cet homme, c’était le donataire du tableau, qui l’avait fait faire pour une église de Huesca. Dans leur révolte, les Morisques mirent le feu à la ville ; l’église fut détruite ; mais, par miracle, le tableau fut conservé. Le comte de Maraña l’avait rapporté et en avait décoré l’oratoire de sa femme. D’ordinaire, le petit Juan, toutes les fois qu’il entrait chez sa mère, demeurait longtemps immobile en contemplation devant ce tableau, qui l’effrayait et le captivait à la fois. Surtout il ne pouvait détacher ses yeux d’un homme dont un serpent paraissait ronger les entrailles pendant qu’il était suspendu au-dessus d’un brasier ardent au moyen d’hameçons de fer qui l’accrochaient par les côtes. Tournant les yeux avec anxiété du côté du soupirail, le patient semblait demander au donataire des prières qui l’arrachassent à tant de souffrances. La comtesse ne manquait jamais d’expliquer à son fils que ce malheureux subissait ce supplice parce qu’il n’avait pas bien su son catéchisme, parce qu’il s’était moqué d’un prêtre, ou qu’il avait été distrait à l’église. L’âme qui s’envolait vers le paradis, c’était l’âme d’un parent de la famille de Maraña, qui avait sans doute quelques peccadilles à se reprocher ; mais le comte de Maraña avait prié pour lui, il avait beaucoup donné au clergé pour le racheter du feu et des tourments, et il avait eu la satisfaction d’envoyer au paradis l’âme de son parent sans lui laisser le temps de beaucoup s’ennuyer en purgatoire."

 

à suivre!