01/10/2012
la chapelle de saint Jean à Belgodère
Reprise de la note de l'an dernier:
( journées du Patrimoine 2011: les voyages du Patrimoine ...
ce dimanche 17 septembre, l'année dernière, suite de la balade patrimoniale à Belgodère)
La chapelle saint Jean "Ante Portam Latinam"
Cet oratoire, construit en 1711, est dédié à saint Jean l'Evangéliste,
ainsi qu'en témoigne cette peinture inspirée par la Légende Dorée, illustrant le supplice de st Jean, plongé comme un homard dans un chaudron d'huile bouillante devant la Porte latine (l'une des portes de Rome) pour avoir refusé à l'empereur Domitien de sacrifier aux dieux: Jean est représenté dans l'attitude du martyr en prière, protégé par la Vierge et l'Enfant, puisqu'il sortira indemne de cette cuisson. L'artiste le représente déjà âgé: il lui restera pourtant de nombreuses années à vivre, en exil à Patmos où il rédigera son Evangile et son Apocalypse. Il est ici en compagnie de st Antoine de Padoue.
... détail de la même scène peinte par Quentin Metsys (Anvers, Triptyque de st Jean, 1511) ...
Cette chapelle oratoire est devenue l' annexe de l'église paroissiale de St Thomas depuis 1825 et en ce dimanche 17 septembre, justement, l'on va y célébrer la fête de Notre-Dame des Sept Douleurs, la grande dévotion du village, héritage du couvent des Servites de Marie de Belgodère ...
"Ah mère, toi qui es le refuge des malheureux, donne-nous une seule de tes larmes pour purifier nos âmes et prête-nous une de tes épées pour nous permettre de chasser à l'heure de notre mort, les ennemis qui voudraient notre perte" (in: Les Servites de Marie, p. 779)
Fêtée chaque année le 3ème dimanche de septembre, voici la signification des 7 glaives:
1°/ la prophétie du vieillard Siméon lors de la présentation au Temple:" un glaive de douleur transpercera ton coeur"
2°/ la Fuite en Egypte
3°/ la disparition de Jésus qui dispute avec les docteurs du Temple
4°/ le Portement de croix
5°/ la Crucifixion
6°/ la Descente de croix
7°/ la Mise au tombeau
La chapelle fleurie accueille aujourd'hui cette magnifique statue de la Vierge, réalisée en bois polychrome par Agostino de Negri, un célèbre sculpteur génois de Camogli, en 1695. La Vierge est représentée dans l'attitude d'une Assomption, mais le visage douloureux et la poitrine transpercée des sept glaives de douleur, emblématiques des Servites (les Serviteurs des Douleurs de Marie).
Dans l'excellent ouvrage collectif paru en 2000: "Les Servites de Marie en Corse", édité chez Alain Piazzola, l'on pourra lire ( "Annales" de l'Ordre) le récit mouvementé du voyage miraculeux de la statue, arrivée saine et sauve entre deux journées de piraterie barbaresque. Embarquée sur son bateau le 6 mai 1695 par le capicorsin Andrea Santoni de Centuri, elle arrive le 19 mai à Centuri:
" Il faut en effet savoir que le 16 mai, jour de lundi, en pleine mer, entre les îles de Capraia et Gorgone, des barbaresques avaient attaqué un navire et l'avaient conduit en captivité. Le jour de mercredi, c'est à dire le 18 mai, des Turcs avaient de la même façon conduit en captivité un navire qui se dirigeait vers la Corse, et pourtant, entre temps, le 17 mai, jour de mardi, notre navire qui transportait la statue de la mère de Dieu, la Vierge Douloureuse, le long des mêmes côtes où les Turcs avaient commis tant de forfaits, échappa à tout danger." (in :Les Servites de Marie, p. 778)
Ce récit en dit long sur les dangers qui guettaient quiconque devait prendre la mer: le voyage entre la Terre ferme ou les côtes françaises et la Corse était soumis aux incertitudes les plus inquiétantes, tempêtes ou actes de piraterie . Dans cette Méditerranée de la fin du XVII° s. le commerce des marchandises comme des oeuvres pieuses continuait d'engager la vie des patrons de navires qui craignaient à chaque instant voir se profiler les voiles des corsaires de tout poil ...
Toujours est-il que cette statue miraculée et miraculeuse va être logée, dans un premier temps dans l'autel majeur de l'église Nostra Signora delle Grazie des Servites, que nous avons vue aujourd'hui transférée à l'église paroissiale St Thomas (voir la note précédente sur ces journées). Quelque temps plus tard, la somptuosité de la statue de la Vierge des Douleurs entraîna la construction d'un nouvel autel encore plus digne d'elle:
Cet autel, daté de 1704, un chef-d'oeuvre de menuiserie, d'ébénisterie, d'inventivité époustouflantes, a été transféré à son tour dans la chapelle st Jean, lors de la ruine de l'église conventuelle. Il a fallu l'adapter à la largeur moindre de cette chapelle et rogner ses ailes de quelques quarantes centimètres.
Au sommet, le fronton interrompu met en exergue une gloire rayonnante avec le coeur de Marie transpercé des sept glaives, emblème des Servites, tandis que deux anges drus et nus en maintiennent les rayons.
Les ailes accueillent deux peintures, rognées elles aussi et en mauvais état, du napolitain Marc Antoine de Santis: ici, à gauche, San Pelegrino Laziosi ( canonisé en 1684)
à droite, San Giovacchino de Sienne, fondateur de l'ordre des Servites.
L'ensemble, classé Monument Historique, fait l'objet d'une étude en vue de sa restauration: il faut dire que c'est certainement l'un des autels les plus extraordinaires de toute la Corse, qui témoigne d'une maîtrise parfaite des matériaux et des techniques: moulures, cannelures, bois tournés, sculptures en haut et bas relief, les anges en ronde-bosse ... Une fantaisie colorée qui nous évoque l'art d'Amérique latine plus que celui, plus sobre, d'Italie.
Détail d'une colonne "en candélabre" encadrant le baldaquin central qui doit recevoir la statue de la Vierge: profusion de feuillages, de cornes d'abondances, de serpents, d'oiseaux... une fantaisie colorée qui nous évoque l'art d'Amérique latine plus que celui, plus sobre, d'Italie.
Les anges ... parlons-en! Dans les Annales de l'ordre, on en évoque 36: il en reste 18, en partie aujourd'hui déposés dans l'attente de leur restauration ...
quelques portraits:
Ces anges qui reprendront un jour leur service divin, joyeux en prière, musique, danse ...
Cet ensemble nous fait fortement penser à une oeuvre du Cap Corse, la chaire de prêche de l'église paroissiale San Cipriano de Morsiglia, réalisée par le sculpteur virtuose Giovanni Pellegrini, actif à la fin du XVII° siècle:
détail de la chaire de San Cipriano Morsiglia.
Vous pouvez retrouver cette oeuvre en allant voir la note:
Morsiglia, la chaire de prêche de San Cipriano - note du 8/3/2010
(à suivre!)
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