12/05/2018
A Castellu Rostinu, la Chapelle San Tumasgiu, le Pape François, le Pariarche Kyrill et Poutine ...
A propos de notre prochaine visite, lundi 21 mai, des chapelles romanes dotées de fresques avec la FAGEC, je partage avec vous cette intéressant éclairage de notre ami Toussaint Quilici sur un personnage de belle étoffe aventurière, l'évêque Antonio Bonumbra, évêque du minuscule diocèse d'Accia de 1467 à 1480, et actif sur la chapelle San Tumasgiu di Pastureccia, qui fera l'objet de notre première visite:
LA CHAPELLE SAN TUMASGIU, LE PAPE FRANCOIS, LE PATRIARCHE KYRILL ET POUTINE
J'imagine votre surprise en voyant dans ce titre l'association de ces trois personnalités contemporaines avec notre chapelle San Tumasgiu di Pastureccia, non il ne s'agit pas d'une imposture ou d'un canular, mais d'un fait historique réel qui nous est révelé par des sources inédites, et par la lecture du tympan gravé de San Tumasgiu (situé au dessus de la porte d'entrée de la chapelle).
Suite à la découverte du reliquaire dans l'autel de la chapelle San Tomà de Pastureccia portant le nom et les armes d'Antonio Bonombra (ou Bonumbra) évêque d'Accia à partir de 1466, il a été possible de déchiffrer l'inscription (soulignée en blanc sur la photo) sous le millésime MCCCCLXX (1470 le 22 juin) indiquant le nom de l'évêque anto bonombra, jusque là restée assez obscure.
Cette inscription portant le nom de l'évêque semble confirmer qu'il a consacré cette année là quelque restauration ou construction dans notre chapelle.
Antonio Bonombra remplace Gian Andria de Bussi en 1466 à la tête du diocèse d'Accia ( petit diocèse regroupant seulement deux pievi,le Rustinu et l'Ampugnani). La Corse possédait alors cinq diocèses: Ajaccio, Aléria, Mariana, Nebbio, et Sagona. Afin de départager Gênes et Pise ( en nombre de diocèse) espérant ainsi calmer les velléités de ces deux républiques qui se disputent alors la suzeraineté de l'île, le Pape Innocent II crée en 1133 celui d'Accia qui revient à Gênes avec Mariana et Nebbio.
Notre évêque semble obtenir plusieurs faveurs et missions de confiance de son compatriote Savonais: Francesco della Rovere qui sera élu Pape en 1471 sous le nom de Sixte IV. Récolteurs des dîmes insulaires dues à la chambre apostolique, et surtout missioné pour accompagner à Moscou en 1472 la princesse Zoé Paléologue, nièce du dernier empereur byzantin, qui devait épouser le grand prince, et futur tsar Ivan III.
Durant son épiscopat dans le diocèse d' Accia, Bonombra se déplacait de lieu en lieu et devait avoir plusieurs résidences (cf.Antoine Franzini cahier corsica). Cependant, il semble avoir fixé sa résidence dans une maison de Pastureccia, son notaire Vinciguerra Cacexius établissait un acte de procédure au nom de l'évêque le 3 février 1468: «Datum pastoretie, in domo nostre residentie». Le 9 mai, Bonombra citait à comparaître un prévenu ( depuis Belgodere de Bagnaia): « comparire debiate in pastorecia overo unde tando faremo nostra residentia», le menaçant de « citendovi a la porta di Sancto Stefano de Rostino» (cf. Geo Pistarino), chapelle ruinée se trouvant dans l'actuelle maison familiale Orsini le Casinu...
Le 08.02.2016 a eu lieu à la Havane une rencontre entre le représentant de l'église Catholique, le pape François, et le représentant de l'église Orthodoxe, le patriarche Kirill.
Le président Poutine aurait parlementé par deux fois avec le Pape François et encouragé cette rencontre historique entre les deux églises.
Le journaliste Ptr. Romanov sur le site SPUTNIK relate cette réunion en faisant un rappel historique sur le grand schisme ( séparation) entre ces deux églises, et la tentative d'implantation de la religion catholique avec la visite de Bonombra à Moscou à l'occasion du mariage d'Ivan III avec Sophie Paléologue: extraits ci dessous.
Sputnik est une agence de presse multimédia internationale lancée officiellement par le gouvernement russe le 10 novembre 2014, au sein de Rossiya Segodnya ,. Sputnik remplace l'agence d'informations RIA Novosti. Proposant d'apporter « un regard russe sur l'actualité », elle diffuse dans 31 langues
«L'Église orthodoxe a expliqué la raison formelle de son brusque changement de position, en soulignant que toutes les controverses et divergences traditionnelles subsistaient. Les orthodoxes accusent depuis longtemps le Vatican de prosélytisme, c'est-à-dire d'entreprendre des tentatives pour convertir et répandre le christianisme catholique romain en Russie. Nous rappelons un épisode des temps anciens du tsar Ivan III, qui désireux de renforcer son image avait projeté d'épouser Sophie [alias Zoé, avant son mariage en Russie] Paléologue, nièce du dernier empereur byzantin Constantin XI. Le pragmatique Ivan avait décidé de prendre cette mesure non sans hésitation et en fait ses soupçons n'étaient pas vains. A la tête du convoi de la future épouse, le représentant du pape Antonio Bonombra portait une grande croix catholique, avec lequel il se préparait à entrer officiellement dans la capitale orthodoxe. Outre Sophia Paléologue, Rome semblait vouloir amener à Moscou l'idée de l'unité catholique. Le problème fut donc résolu radicalement: le boyard Fedor lo Zoppo, sous le commandement d'Ivan III, arracha de force la croix de l'envoyé du pape à 15 milles de Moscou.
Le vieux problème de l'unité porte encore aujourd'hui gravement atteinte aux relations entre l'Église orthodoxe russe et le Vatican, notamment en ce qui concerne les événements en Ukraine. Comme indiqué lors de la conférence de presse de l'Eglise orthodoxe russe consacrée à la réunion historique, l'Eglise catholique grecque ukrainienne a exaspéré la rhétorique russophobique et les attaques contre les orthodoxes. Je soupçonne que le Vatican n'est pas aussi responsable, plutôt l'atmosphère russophobique créée en Ukraine. Je suppose que l'Église orthodoxe russe le pense aussi».
Le 20 juin, le Bonombra reçut 600 ducats d'or pour les frais de la mission et de sa suite, dans laquelle se trouvaient un certain nombre d'Italiens. Le défilé est parti de Rome le 26 Juin, l'itinéraire a été marquée par des étapes à Sienne, Bologne, Vicence, Nuremberg, Lübeck, Revel (Tallinn) et Pskov. A peine entré sur le territoire Russe il refusa de vénérer les icônes, arrivé plus tard aux portes de Moscou, il a pu entrer dans la ville avec la procession (le 12 novembre) à condition (suite à ce refus) de ne pas porter les signes solennels que son titre comportait.
Décidément, la chapelle San Tumasgiu ne cesse de nous surprendre par ces différentes révélations historiques et archéologiques. L'évêque Bonombra a laissé son empreinte sur le reliquaire et le tympan de la chapelle, il est émouvant de savoir qu'il résida épisodiquement à Pastureccia, consacra S.Tumasgiu, puis s'en alla jusqu'à Moscou pour une importante mission apostolique. Il mourut en 1480 et sera remplacé le 13 avril de cette année par le ligure Bartolomeo Pammoleo, les fresques seront commanditées sous cet épiscopat. Cf. V.Poli dans les Annales de la Corse, 15 sept 1929 précise: «on ne distingue plus que les lettres O.P.D.I ( peut être Opus Dei) avec la date 1509».
TOUSSAINT QUILICI.
Bravo et merci cher Toussaint pour ce travail où se mêlent, comme toujours, petite et grande histoire!
Je complète pour l'occasion cette note avec la présentation du fameux reliquaire découvert fortuitement en 2001 lors des travaux effectués alors sur la chapelle. Cette découverte a été publiée dans le Cahier Corsica n°212 (en 2003), aux côtés d'autres "Découvertes archéologiques fortuites en Corse"
Au cours des travaux, il fut décidé de rabaisser d'une trentaine de centimètres le maître-autel , après l'avoir déchaussé de sa table. Quelle ne fut pas la surprise des ouvriers de découvrir dans la maçonnerie et jusque-là ignorée, une cachette formée de deux lauzes opposées formant une niche où se découvrit ce reliquaire ...
Ecoutons Geneviève Moracchini-Mazel:
" De couleur brune, ce reliquaire parait être constitué d'une boîte en bois recouverte de cire (...). A l'intérieur, la radiographie a révélé la présence de dents et peut-être d'ossements minuscules.
Sur sa face plate supérieure, on observe l'empreinte de douze cachets circulaires presque identiques- mais de dimensions inégales- disposés autour d'un motif ovale qui lui-même se divise en deux parties. En haut, sont représentés trois personnages nimbés, placés sous des dais (...) imitant les architectures et les menuiseries gothiques, ce qui laisse à penser que l'artiste s'est inspiré de la composition d'in triptyque. En bas, sous ce pseudo-triptyque, se trouve un personnage revêtu d'une robe longue qui est coiffé d'une mitre et porteur d'un bâton peu visible (cassé?) dans la main gauche. (...)
D'autres cachets-sceaux sont imprimés dans la tranche inférieure de l'objet. (...° Une inscription, peu lisible dans sa totalité, court autour du cercle. Sur certaines de ces empreintes la lecture est claire: ANTONIUS BONU ...
(...) Il n'est pas douteux qu'il s'agisse des armoiries de l'évêque d'Accia Antonio Bonumbra et que c'est bien lui qui s'est fait figurer debout sous le pseudo-triptyque. L'identification des trois personnages sous les dais est simple. Il s'agit, au centre, de la Vierge à l'Enfant avec, à sa gauche, S Pietro (avec les chefs), et à sa droite, S Giovanni Battista (vêtu de peaux de bêtes)."
La découverte de ce reliquaire a permis de rendre enfin lisible l'inscription du tympan de la chapelle:
le tympan surmontant la porte sud de San Tumasgiu:
MCCCCLXX...XXII Ju... (..)Anton Bonom(...), soit la date du 22 juin 1470 et le nom d’Antonius Bonombra, évêque d’Accia (photo tirée de l'excellent site de Claudine Levie et Philippe Deltour: http://corse-romane.eu/castello-di-rustino-toma-y/)
Enfin, comment ne pas sonner l'alarme sur l'état des fresques de la chapelle San Tumasgiu, toujours pas restaurées, alors qu'elles devaient faire partie de la première tranche des restaurations des chapelles à fresques en Corse: que se passe-t-il ? pourquoi laisse-t-on se dégrader l'un des plus beaux et riches (en iconographie) joyaux de ce patrimoine des chapelles à fresques ? Nous avons choisi de commencer le 21 mai par San Tumasgiu pour éclairer ce désastre en cours.
http://elizabethpardon.hautetfort.com/archive/2011/02/27/les-fresques-de-san-tumasgiu-di-pastureccia.html
http://elizabethpardon.hautetfort.com/archive/2011/03/02/3-les-fresques-de-san-tumasgiu-suite-et-fin.html
Et pour en savoir un peu plus, vous pourrez lire utilement cette étude de Pierre Bertoncini:
http://www.culture.gouv.fr/content/download/92061/687385/version/1/file/Ethno_Bertoncini_%202014_577_4partie1.pdf
14:25 Publié dans Antonio Bonumbra évêque d'Accia | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : reliquaire de san tumasgiu | Facebook |
27/02/2011
1°/San Tumasgiu di Pastureccia -Castellu di Rustinu
En attendant la restauration prochaine de
1°/ la chapelle San Tumasgiu di Pastureccia,
à Castellu di Rustinu.
Pieve di Rustinu.
La chapelle est située dans un site admirable au-dessus de la vallée du Golu, que domine sur son éperon vertigineux le Pinzu di Castellu di Rustinu, fief au XI° siècle des Marquis de Massa de Corse ... Au fond de ce vaste paysage, la pieve de Caccia. Nos belliqueux marquis pouvaient surveiller les moindres mouvements de passage entre la côte orientale et la côte occidentale ...
... du haut de leurs donjons. Ce site fait l'objet depuis des années de fouilles sous la conduite de l'archéologue Daniel Istria.
(merci aux amis pour leurs photos, ce jour-là)
Avec lui, notre ami Toussaint Quilici travaille depuis des décennies sur sa pieve du Rustinu et l'on attend avec impatience la publication de ses travaux. En attendant il partage volontiers sa passion pour notre plus grand plaisir!
La chapelle construite en contre-bas de ce site stratégique -sans aucun doute utilisé dès la préhitoire ( j'y ai ramassé une pointe de flèche) - est beaucoup plus ancienne que le Castellu. Geneviève Moracchini-Mazel propose une datation entre le VII° et le IX° s., l'appareil des murs étant plutôt composé de pierres éclatées dans son ensemble (cf. "Les églises romanes de Corse, p.296, G. Moracchini-Mazel, publié avec le concours du CNRS en 1967 ).
Le cimetière qui l'enserre est, comme tous les cimetières de Corse, de création récente (décrets de Napoléon). A l'origine l'on enterrait les morts de cette région dans l'arca : cette crypte creusée sous le sol de la chapelle accueillait les défunts pour un repos éternel sanctifié par le lieu. Le caractère sacré de cet antique usage a certainement contribué à la survie de la chapelle ... encore que ... dans les années 1930, la chapelle fut la victime d'une étrange intervention des Monuments Historiques de l'époque qui aboutit à la mutilation d'un tiers de notre chapelle:
Plan de de la chapelle San Tumasgiu avant sa démolition, publié par G.Moracchini Mazel dans l'ouvrage cité ci-dessus, et conservé aux archives des Monuments Historiques.
A l'origine la nef unique de cette chapelle mesurait 14,30m et la porte occidentale devait être de belles proportions, si l'on en juge par les éléments de l'archivolte qui nous restent. En 1925, la charpente s'écroule et l'on appelle les Monuments Historiques au chevet de ce monument remarquable. L'architecte de l'administration des MH décide, cela parait incroyable! non pas de reconstruire la charpente à l'identique, mais de ne préserver que la partie de la chapelle comportant un décor... Il détruit donc allègrement un tiers de l'édifice - parait-il qu'il aurait même utilisé les explosifs pour aller plus vite (mémoire orale des anciens du village), les murs se révélant trop solides pour la barre à mine! Quoi qu'il en soit, à mon avis le cher homme doit être entrain de mijoter pour quelque temps encore dans ces terribles flammes du Purgatoire dont on dit qu'elles "purgent" toutes les imperfections: il y sera, je n'en doute guère, en bonne et nombreuse compagnie, à commencer par celle de nos chers hommes de pouvoir.
Bref il reconstruit avec les pierres récupérées un mur occidental aveugle. Les fresques, si explosifs il eut, durent passablement souffrir de l'opération.
La porte latérale du mur Sud (à gauche de laquelle l'on aperçoit les deux éléments de l'archivolte de la porte occidentale) nous intrigue par l'inscription de son tympan:
qui donne une date tardive: 1470, date que l'on va retrouver inscrite au fond d'une niche aménagée à l'intérieur du mur Nord/Est et à l'extérieur de la fenêtre meurtière de l'abside. Une date qui semble évoquer un évènement ou des remaniements importants.
Une découverte récente (2002) éclaire peut-être cette époque:
Lors des importants travaux engagés sur cette chapelle pour la mettre hors d'eau, l'on a entrepris de refaire le sol, qui jusque là était quelque peu périlleux et défoncé (l'ossuaire de l'arca étant dessous). Dans la foulée l'équipe a voulu rénover également l'autel et remplacer le ciment par la chaux. Cette opération, où du reste l'autel initial a été rabaissé, a permis une divine découverte, celle de ce reliquaire du XV°s. caché dans une niche formée de trois pierres plates à l'intérieur de l'autel. : "Il s'agit d'une pièce de bois (de la taille de la paume d'une main) sculptée sur ses bords du sceau de l'évêque d'Accia, Antonius Bonumbra, et d'une empreinte centrale richement décorée d'un dais gothique, précise Richard Girolami. L'ensemble est recouvert de cire d'abeille, dans laquelle l'artisan a d'ailleurs laissé quelques empreintes digitales" .
Radiographié, le reliquaire a révélé son précieux contenu: quatre dents dont deux calcifiées ...
Cet évêque Antonius Bonumbra semble avoir été un proche du franciscain Francesco della Rovere, devenu le redoutable pape Sixte IV: tous deux étaient originaires de Savone. Son petit diocèse d'Accia, comportant les deux pieve du Rustinu et de l'Ampugnani, reconstitué au XII°s. pour faire la parité des six diocèses de l'époque entre Pisans et Génois (Accia durera jusqu'au XVI°s. date où il sera absorbé par le diocèse de Mariana), avait sa cathédrale minuscule au sommet (1700 m) du San Pedrone, la montagne tutélaire de cette région. Antonius Bonumbra exerça sa charge épiscopale à l'évêché Accia entre 1466/67 et 1480.
Est-ce à cette occasion que l'évêque A. Bonumbra entreprit des travaux dans la chapelle, dont la date apparaitrait sur le tympan: " le 22 juin 1470 3 ... suivie du nom, semble-t-il "anton bonom...": en tous cas il place le reliquaire dans l'autel, évènement d'une grande importance symbolique qui renforce la sainteté du lieu ...
Entrons enfin
et découvrons et redécouvrons ... dans la pénombre de San Tumasgiu , au pied de l'abside en cul de four, l'autel (aujourd'hui rabaissé) qui abritait le reliquaire dans le secret de sa maçonnerie.
( ce jour là quelques gouttes de pluie tachent l'objectif)
(à suivre pour la visite des fresques! )
12:21 Publié dans chapelle San Tumasgiu di Pastureccia, corse, décors monumentaux en Corse, fresques de corse, patrimoine des chapelles à fresques en Corse, restauration du patrimoine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : castellu di rustinu, san tumasgiu di pastureccia, chapelle à fresques, geneviève moracchini mazel, reliquaire de san tumasgiu, daniel istria | Facebook |