OLETTA: le couvent Saint François
Aujourd'hui propriéte privée, c'est l'une des plus anciennes fondations franciscaines (le 3ème de l'île au chapitre de Narbonne de 1260). Reconstruit en 1390, il va raconter l'histoire de la Corse... Les chroniques rapportent qu'au XVème siècle, le prêtre officiait avec deux pistolets posés sur l'autel: insécurité extérieure et intérieure... Plus tard le couvent va illustrer l'une des plus fortes pages des guerres d'indépendance de la Corse: plusieurs consultes s'y tiennent (1745, 1747, 1750, 1753), témoignant de l'implication du monde franciscain au côté de la jeune nation corse en gestation au XVIIIème siècle. En 1758, Pascal PAOLI va y installer avec le soutien des moines l'imprimerie nationale: "a Stamperia della verita" d'où sortiront gazette officielle, ouvrages philosophiques, théologiques et historiques. Parmi ceux-là, la célèbre "Giustificazione della revoluzione di Corsica", l'oeuvre de l'abbé Gregorio SALVINI.
Après de nombreux pourparlers, le 15 mai 1768, le Traité de Versailles signe le cessation effective par la République de Gênes de la Corse à la France. Le sous-titre du traité dit précisément: "Conservation de l'île de Corse à la République de Gênes". En fait personne n'est dupe, les Gênois se savent incapables pour une longue durée indéterminée de rembourser la dette des frais d'occupation de l'île par les français .
" La République décide alors de céder la Corse à la France à une seule condition, qui en dit long sur ses craintes, "l'étouffement total, pour ainsi dire, du peuple de Corse" à jamais confiné à l'intérieur de ses montagnes" (proposition du 4 juillet 1767: cf. Histoire de la Corse, chapitre de Fernand Ettori, éditions Privat).
Ecoutons le commentaire de Jacques Gregori (Nouvelle histoire de la Corse, éditions Jérôme Martineau):
"Que signifiait donc ce traité, sinon que Gênes vendait la Corse à la France pour deux millions de livres payables en dix ans?"
et, citant VOLTAIRE dans son Siècle de Louis XV:
" ... C'était en effet céder à jamais la Corse, car il n'était pas probable que les Génois fussent en état de racheter ce royaume; et il était encore moins probable que, l'ayant racheté, ils pussent le conserver contre toute une nation qui avait fait serment de mourir plutôt que de vivre sous le joug de Gênes. Ainsi donc, en cédant la vaine et fatale souveraineté d'un pays qui lui était à charge, Gênes faisait en effet un bon marché; et le roi de France en faisait un meilleur ... Il restait à savoir si les hommes ont le droit de vendre d'autres hommes; mais c'est une question qu'on n'examinera jamais dans aucun traité."
Toujours est-il qu'en 1768 le couvent est aux mains des français et que les moines sont forcés de l'abandonner... et qu'il retrouve aujourd'hui une nouvelle vie, laïque cette fois. Notons que l'église du couvent d'Oletta, comme la plupart des églises de couvent de Corse, était dotée d'un orgue, disparu.
Notre amie Maryse Guérini, nous attendait à l'église Saint André qu'elle avait ouverte et illuminée pour notre visite: une grande et belle église, construite entre 1777 et 1810, et riche de patrimoine. Elle remplace une église plus ancienne dédiée elle aussi à san Andria, autrefois en contrebas du village ( sans doute détruite aux alentours de 1790). Quelques pierres réutilisées évoquent cet ancien sanctuaire:
dont ce tympan décoré en plat relief, au-dessus de la porte d'entrée: un vigoureux cep de vigne (qui s'en étonnera dans cette région de vignobles ? ), et, à gauche, un personnage brandissant ce qui semble être soit un poisson, soit un glaive (qui s'apprête peut-être alors à accomplir la vendange mystique: voir la note du 29/4/2009 sur ce thème à Murato); à droite de la vigne, difficilement identifiable, une sorte de tronc d'arbre orné d'une gravure serpentine et entouré d'étranges feuilles-ailes-mains; au pied de l'arbre ainsi qu'au pied de la vigne, l'évocation d'une eau courante; enfin, cabré ou volant? un cheval ailé ...
A l'intérieur, ce beau décor mural que l'on doit à Francescu Giavarini (signé et daté de 1817): un bon peintre corse, né à Ciamannacce, en Corse du Sud (merci à Michel Edouard Nigaglioni!). Je fréquente bien volontiers ce peintre: il a décoré la charmante église San Salvadore de Costa (où je joue régulièrement le petit orgue restauré), peint les volets d'orgue de Corbara (1819), l'église de Cervione etc...
L'église accueille le tableau miraculeux de "Notre-Dame de la Pitié", auquel l'on attribue de nombreux miracles:
"Un jour, alors que Maria était entrain de pétrir la pâte des gâteaux de Pâques, elle s'entend appeler par son nom:
- Maria, ton fils brûle- Elle se précipite vers le berceau enflammé et étreint son fils sur son coeur"
La peinture de la Vierge avait prévenu Maria et ses yeux avaient pleuré: depuis, une fête triennale réunit les fidèles d'Oletta pour commémorer l'évènment et prier la Vierge miraculeuse. C'est même à l'occasion de l'une de ces messes ( à laquelle le Père Pinelli alors archiprêtre de Calvi, m'avait conviée pour tenir l'orgue) , que j'ai rencontré pour la première fois et Maryse Guérini, aujourd'hui l'organiste en titre de St André, et le bel orgue pistoiais des Agati-Tronci, de 1888:
le tirage des jeux indique un instrument bien fourni... avec de nombreux "jeux de concert", anches, clochettes, banda militari... au goût de l'époque.
Relevé par Jean-Louis Loriaut il y a quelques années, c'est un instrument qui a la chance de parler "en situation" de façon régulière sous les doigts de Maryse Guérini et sous ceux des organistes invités en concert. C'est avec plaisir que je l'ai rejoué pour les amis de Speloncato. Pendant que j'explore l'instrument et sa riche palette sonore, les amis peuvent continuer de regarder les nombreuses oeuvres peintes de l'église:
entre autres , ce Retable signé de Giovan Michele Romano (autour de 1540): la Vierge allaite l'Enfant Jésus entre Sainte Réparata et Saint André. Au-dessus, de part et d'autre de Dieu bénissant, les deux figures de l'Annonciation, Gabriel et Marie.
Ici se finit la matinée de notre balade dans le Nebbiu:
Après un repas sympathique sur la place de l'église,
Où Paul immortalise la pause prandiale bien gagnée et animée
discussion avec Edouard sur quelques points épineux de l'histoire de la Corse
avec le gang des instits Marie-France, Hélène, Colette, et notre Archiviste de Speloncato, François: nous avons rendez-vous dès que possible en début d'après-midi avec MURATO et les amis Magnan et Grazziani...
(à suivre)