16/09/2008
la BD sainte de la Passion: Journées du Patrimoine 2008
Sa mission inavouée, pour lui, le franciscain ligure d'Imperia: remettre au pas ces Corses turbulents et ingérables, les faire rentrer dans le giron de Gênes ... ce qui fait de lui une sorte d' agent-double sexagénaire très efficace sous son habit de moine. Nous reparlerons de cet évènement une autre fois, ce saint visiteur méritant d’être rencontré de plus près, tant il a marqué de son influence la dévotion populaire à l’époque : ce franciscain au verbe inspiré a développé cette vénération du Chemin de Croix en Corse, qui aujourd’hui encore se déroule dans nos églises avec une si grande ferveur, traditions et confréries à l'appui. Pour aider le peuple à vivre pleinement la Passion du Christ et "encadrer" cette dévotion, saint Leonard a encouragé la réalisation de « séries » de peintures représentant les quatorze stations du Chemin de Croix. La pédagogie par l'image, d'autant plus fortement vécue qu'elle est déambulatoire et chantée : le corps et l'esprit en mouvement.
IIème Station: Jésus reçoit la Croix sur ses épaules.
Le drame se met en place: acteurs, spectateurs, costumes identifiant les protagonistes...
IIIème station, Jésus tombe pour la première fois sous le poids de la croix: allez, chien, lève toi!
IVème Station:Jésus rencontre sa Mère très affligée.
La Vierge, reconnaissable à son manteau bleu, se fait bousculer par la soldatesque. Derrière elle, Marie-Madeleine tient à la main le flacon de parfum. A droite, un féroce soldat fait avancer Jésus enchainé en le fouettant. Dialogue de proximité entre la Mère et le Fils, inscrit dans un cercle de silence.
Toujours la IVème station, ailleurs: la Vierge, pâmée, impuissante, reçoit en plein coeur la souffrance dynamique du Fils qui marche vers son destin, ployé sous le poids de la Croix: entre eux, le vide et déjà l'absence.
Vème station: Simon de Cyrène aide Jésus à porter la croix
VI ème station: sainte Veronique, bravant le danger, se fraye un chemin entre les gardes et essuie le visage de Jésus.
Dernièrement j'ai circulé avec un passionné de tauromachie qui m'a signalé que ce geste de pieuse compassion a donné son nom à une célèbre passe : " la Véronique ", où le torero présente sa muleta face au taureau... J'avoue mon incompétence en la matière, mais je dois dire que cette remarque a fait remonter en moi un fort souvenir: c'était le mois de juin 1989, nous étions, Pierre et moi en chemin à pied vers St Jacques de Compostelle, arrêtés pour une étape à Burgos. Il y avait ce soir là une corrida dans les arênes et Pierre m'avait convaincue que c'était l'occasion ou jamais d'assister à ce genre de choses, ce qui, honnêtement, ne m'attirait franchement pas du tout et même m'angoissait d'avance. Je ne veux pas ici raconter cette expérience particulière, sinon dire la perception physique, électrique, très chaude, de la foule excitée (ce que je n'avais plus ressenti depuis mai 68), se levant comme un seul homme à certaines passes, hurlant ses insultes lorsque dans l'arène est apparu un taureau qui refusait le combat malgré les blessures et qu'il avait fallu sortir avec l'aide de ces dames génisses... Tout ce que je sais, c'est que le petit appareil photo que j'avais acheté pour cette route de saint Jacques m'a lâché là, pendant cette corrida, et que je n'ai donc pris aucune photo de notre périple, seulement dessiné et écrit chaque soir... C'était mieux comme ça.
Ce tableautin fait partie de la très belle série d'un Chemin de Croix peint par Giacomo GRANDI en 1757. Restauré par Ewa POLI.
Une 7ème station très méchante ! Le plus acharné, le plus grotesque et bestial ( barbaresque, bien sûr) en a perdu son froc (…et toute dignité !), mais pas son bonnet : il s'est drapé dans le manteau rouge (du Christ en dérision) qui lui cache "les parties honteuses". Les autres méchants, gardes romains à la solde du Mal, cuirasses et âmes noires, tourmentent aussi avec une rare violence le pauvre Jésus tombé sous le poids de la Croix : pourtant celui-ci, fidèle à son image, ne cesse de sourire doucement... Derrière, le spectateur enturbanné et impuissant (que nous sommes), Simon le Cyrenéen ... Choisissez vite votre camp!
(Chemin de Croix de Giacomo Grandi).
XIème Station:Jésus est cloué sur la Croix.
Dans ce tableautin d'une autre main que les précédents, le peintre semble avoir croqué quelques villageois de Castagniccia, une région réputée pour ses menuisiers (le chataîgnier y est roi: du reste je parie que la Croix a été taillée dans l'un d'eux). Regardez: le petit garçon bien dru sur ses jambes aide son papa en lui tenant gentiment le panier d'outil... Ici le pinceau de l'artiste se fait moins agressif, plus quotidien...
Ailleurs, la même scène de crucifixion, mais évoquée de façon plus violente: les "méchants" bourreaux au visage basanné (l'autre!) se contorsionnent tandis que les "bons" assistent, impuissants, et restent sobres... L'index tendu du soldat au premier plan à droite souligne l'irrémédiable exécution du décret. Derrière lui, la foule des spectateurs...
Cette entreprise a enflammé l’imagination des peintres locaux qui ont su traduire avec force la dramaturgie de ces stations. Avec force, certes, mais aussi avec quelques fantaisies et quelques règlements de compte avec « l’autre », celui du mauvais côté du miroir, de la mer, celui qui razzie les villages, massacre, pirate, dont on garde des souvenirs douloureux au point aujourd'hui encore de traiter les enfants non baptisés de … « turcs » ! Et on force le trait des « méchants », délit de "sales gueules" basannées, grimaçants comme des diables, comme des turcs, des sarrasins, des maures, comme l’autre, quoi ! La règle étant que, comme dans toute bonne bande dessinée, l’on distingue du premier coup d’oeïl les bons (nous) des méchants (les autres).
Jésus se doit d’être paisible malgré la souffrance. Son visage reste humain en toute occasion, voire souriant : car il s’agit bien là d’exprimer son humanité face à la barbarie. Sa mère et les saintes femmes, elles aussi, gardent un maintien d’une grande dignité malgré la douleur. Leur gestuelle théâtralisée ne fait qu’exprimer des sentiments nobles et partagés par tous (nous) . En revanche les bourreaux se doivent d'être bestiaux et manifestement cruels...
XIIIème Station: Jésus est déposé de la Croix.
Ici il n’y a plus de place pour les méchants : voyez comme Joseph d’Arimathie retient dans ses dents le suaire… Saint Jean reçoit les jambes du Christ. Marie Madeleine baise ses pieds. La Vierge souffre et prie… Les visages sont graves et enfantins, signature particulière de ce bon peintre local d'origine toscane (né en 1735 à Lucques) qui fit en Corse sa carrière d'artiste et sa vie ( marié à une corse de de San Lorenzo, en Castagniccia, il y finira ses jours en 1821). Il a beaucoup oeuvré dans les églises et "produit" de nombreux Chemins de Croix de cette facture efficace et populaire... Et quand je parle de produire, c'est qu'il fut particulièrement productif!
XIV ème Station: Jésus est mis au tombeau. A nouveau Giacomo Grandi, et ses drapés tourbillonnants. Tout le poids du Christ plombant le linceul porté par les hommes. Aux femmes, les langes du nouveau-né, aux hommes les langes du mort . Aux hommes, l'action, aux femmes, la compassion? N'est-ce pas un peu vite dit? Je reviendrai là-dessus.
(à suivre)
10:24 Publié dans patrimoine populaire de Corse, semaine sainte en corse | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : peinture populaire, corse, semaine sainte, chemin de croix | Facebook |