06/02/2009
Balade hivernale dans le Boziu et la Castagniccia
Ce matin de début février, nous profitons de cette accalmie du mauvais temps pour décider une libre escapade vers le Boziu et la Castagniccia. En montant par les routes sinueuses et gorgées d'eau, sur les bas-côtés encore de la neige. Aujourd'hui nous n'irons pas à Sermanu ni à Favalellu: nous souhaîtons rencontrer l'église pievane de Sant'Andrea actuellement en cours de restauration, et que je ne connais que par l'ouvrage de Raoul PIOLI (merci Colette!). Je n'ai pas réussi à joindre l'ami Jérôme SANGUINETTI qui y travaille, mais nous tentons la balade bien volontiers dans cette haute pieve du Boziu si chargée d'histoire, si riche de patrimoine: chants polyphoniques, musique instrumentale, églises, chapelles à fresques... Site admirable: au loin, dans le cirque majestueux des montagnes enneigées, un rai de lumière éclaire ce matin, la ville de Cortè.
Isolée à 870 m d'altitude, possiblement à l'emplacement d'une première église romane, l'église ( bénie en 1722) dresse son campanile aérien (37,82 m) au-dessus des hameaux d'Arbitro, Rebbia, Poggio, Piedilacorte...
Spacieuse - large nef unique, transept et choeur - et glaciale. Et encore, nous disent les restaurateurs emmitouflés, ce n'est rien par rapport aux jours précédents: il faut avoir le courage chevillé au corps pour travailler dans ce froid humide. Malgré les travaux en cours (sur le choeur, le maître-autel), les échaffaudages et le bâchage protecteur des oeuvres , l'ensemble apparait richement décoré: Pietro SICURI, le peintre décorateur "nativo di Parma" arrivé en Corse vers 1860, qui signe ici son oeuvre en 1863, s'est marié, semble-t-il à une jeune fille de la région. Nous le connaissons bien aussi en Balagne où il a exercé son métier jusqu'en 1905... C'est un peintre talentueux et qui ne craint pas les couleurs vives:
On retrouve ici les motifs habituels des draperies colorées et rayées, et ces bleus enfin rendus accessibles et industrialisés, au XIXème siècle, issus des découvertes chimiques de l'époque: dans les périodes antérieures, les bleus rares et chers, obtenus à partir de la poudre de lapis-lazuli s'utilisaient avec parcimonie. A l'époque de Sicuri, c'est l'explosion des couleurs et les peintres s'en donnent à coeur joie, n'hésitant pas, du reste à recouvrir les anciens décors de leur nouvelle palette ...
A propos... Ewa POLI, à qui l'on doit la précieuse étude préalable des décors de l'église, a fait ressurgir ceci:
... un pur miracle! Ewa avait sondé quelques centimètres carrés au hasard sur l'un des murs, et voici l'ange venu à elle, nous suppliant: nous sommes tous là, sous les enduits, sous les repeints, sauvez nous de l'oubli! Douceur du modelé. Mélancolie. Perfection du trait, sans repentir. Un siècle sépare ces anges... Qui ne rêverait de connaître le reste? Espérons, pour le patrimoine de la Corse, que ces témoignages délicats rencontrent des volontés et des financements suffisants pour revivre avec tout le soin requis.
Il faudra revenir à l'issue de ce chantier, découvrir les oeuvres peintes sur les autels, actuellement cachées.
Un objet monumental en bois peint attire notre attention:
u venetru,
c'est-à-dire le catafalque, monumental, monté sur roulettes pour être déplacé à l'occasion dans le transept. Dis-moi comment on t'enterre et je te dirai qui tu es! Ce n'est plus le modeste cataletu, souvent ancien, que nous rencontrons le plus souvent dans nos églises (ce "berceau des morts", comme j'aime à le nommer et qui me parait si paisible). Non, ici, la mise en scène me parait démesurée et sombre outre mesure... ça sent l'enterrement de première classe. D'autant plus que, nous dira ce monsieur du village rencontré au dehors, selon "l'importance" du mort, le nombre et la grandeur des cierges allumés tout autour faisaient hiérarchie. Chère et piteuse humanité! Au-dessus du monument, dans la chapelle qui l'accueille, cette inscription surmontant une tête de mort plantée sur tibias:
Aujourd'hui, il ne semble plus y avoir de confrérie (si j'en crois ce même monsieur). Pourtant un tableau en piteux état évoque la Confrérie du lieu. En voici un détail - pardon pour le flou de la photo! que je trouve magnifiquement expressif. Serait-ce l'autoportrait du peintre??
Nous reviendrons...
CAMBIA, San QUILICU: voir les notes et photos des 28/01/2008; 31/01/2008; 6/02/2008
Enfin San Quilicu. Madeleine Allegrini a eu le chantier de restauration des fresques ( Première tranche des restaurations des fresques en Corse): sera-t-elle là?
Une affiche plantée dans le paysage annonce l'importance du chantier:
Charles Angeli, le cher gardien des lieux, nous informe que les travaux de Madeleine prendront en avril et que les fresques ne sont pas visibles pour l'instant. Après un bon moment passé à bavarder dans la chaleur de sa cheminée, nous descendons vers San Quilicu par la "ricciata" aménagée par les bons soins de Charles et de sa famille. Et soudain Pierre découvre...
... et dans la lumière rasante de cet après-midi de février ...
...nos bons ancêtres...
Pierre est sous le charme: beauté des murs, des shistes blonds, de la statuaire. A l'intérieur, comme prévu, nous ne verrons pas les fresques. En revanche le carrelage moderne a été enlevé et l'on a retrouvé les belles dalles anciennes, ainsi que les deux trappes d'arca:
ici, au pied de l'autel, l'arca des enfants: nul ne peut mieux que San Quilicu, petit saint martyre (3 ans, dit-on!) et fils de sainte Julitte, convenir pour protéger les enfants morts prématurément.
Nous quittons à regret San Quilicu, mais je veux montrer maintenant à Pierre sa petite soeur Santa Maria, sobre mais belle,
sa cloche,
et son menhir figé sur un cri:
et abondamment graffité... Un peu plus loin nous irons voir a Petra frisgiata, l'une des dalles gravées ( la plus grande ) de cette extraordinaire région de Cambia: préhistoire, histoire, traditions agropastoral sur ces chemins immémoriaux de transhumance arrêtent pour nous le temps présent... Dans le silence de cette fin d'après-midi, le sacré imprègne chênes et pierres.
Il nous reste une dernière visite à faire au retour avant de rentrer à la maison: je veux voir où en est la chapelle San Michele de Castirla. La saga de cette petite chapelle, je vous l'ai racontée cet été. Je sais qu'on a, en attendant la reconstruction définitive du toît, mis en urgence une bâche solide pour tenter de protéger la chapelle...
Dans la dernière lueur de cette belle journée, la voilà. Si fragile.
Voir la note dans les archives du 18/08/2008...
On a étayé la charpente minée par la mérule et l'impéritie de certains. Nous avons eu ce jour là une conversation très éclairante avec Charles Angeli: il nous montrait une grande dalle de schiste ancienne, de celles qui recouvrent le toit de sa maison (une trentaine de tonnes pèsent sur la solide charpente), et nous faisait remarquer les aspérités à la surface de ces dalles débitées à la main. Les risques de glissement de ces pierres rugueuses sont moindres qu'avec les lauzes usinées à la machine. La suite, on la connait, trop de toits refaits avec ces lauzes trop fines (pour le poids), trop lisses, encollées, mal surveillées...
Aujourd'hui à Castirla la dangerosité est évidente: défense d'entrer sous peine de prendre le toit sur la tête...
J'espère que dès les beaux jours les travaux du toit commenceront: devraient suivre les fouilles archéologiques et enfin la restauration des fresques. Cette chapelle fait partie, je crois, de la deuxième tranche de restauration des chapelles à fresques initiée par la Collectivité Territoriale de la Corse. Souhaitons que la communauté de Castirla manifeste avec force son attachement à ce patrimoine si émouvant et fragile... Nous ne sommes pas ici dans le domaine de la rentabilité financière, et dans cette période incertaine de l'économie mondiale, souhaitons aussi que soient malgré tout sauvés ces frêles témoins de la dévotion populaire...
17:50 Publié dans patrimoine | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : patrimoine corse, boziu, castagniccia, chapelle romane, fresques, chantiers de restauration | Facebook |