La chapelle à fresques de
Santa Maria Assunta di U Favalellu
(réédition de cette note déjà ancienne: nous envisageons une journée prochaine autour des chapelles à fresques du Boziu et de Castagniccia, à suivre ...)
Pieve di Boziu : ce mercredi 3 septembre 2008, après-midi lumineux et calme sur la place de Santa Maria Assunta di U Favalellu.
Nous sommes attendues, l'amie Colette et moi, et gentiment accueillies par l'épouse du Maire de Favalellu. Cette église romane, contrairement à la plupart des chapelles à fresques, n'est pas retirée à l'écart du village: au coeur de la communauté, au bord de la route, à côté de la mairie, elle vit...
... d'une vie sereine de petite église de village vouée aux messes, baptêmes, mariages, enterrements... la vie, quoi!
La blancheur de la nappe d'autel, les cierges, les fleurs, les statues, l'ameublement... filtrent le regard.
Dans d'autres chapelles, c'est dans le silence et l'obscurité qu'il faut apprivoiser le privilège de la rencontre. Ici, le murmure de la dévotion précède le concert spirituel des fresques.
La toiture en tuiles mécaniques a été remplacée par une couverture en teghje (dalles de schiste), et il a fallu aussi éliminer la gangue de ciment fort à la mode il n'y a pas si longtemps, et si destructrice pour les décors muraux... Il reste encore beaucoup à faire, mais les responsables de cette communauté sont bien conscients aujourd'hui de l'enjeu patrimonial de leur chapelle.
Nous voici maintenant au coeur des fresques qui animent l'abside en cul de four...
Datables de la fin XV° Siècle, elles expriment, malgré de nombreuses lacunes, une iconographie familière: au centre, le Christ en Majesté nous bénit de sa main droite, les trois doigts levés évoquant le mystère de la Trinité, et tient dans sa main gauche le livre ouvert comme de coutume sur le texte "EGO SUM LUX MUNDI ET VIA VERITAS". Derrière sa tête, la Jerusalem Céleste, très effacée, et de part et d'autre la représentation du Tétramorphe: l'Ange de Mathieu, le Taureau de Luc, le Lion de Marc, l'Aigle de Jean...
ici, l'Ange symbolisant l'Evangile de Mathieu. Regard perdu dans un visage au bord de la mélancolie. L'index désigne l'Evangile annonçant la naissance de Jésus.
... Au-dessus, à sa gauche dans l'écoinçon de l'Arc triomphal, la figure attendue de l'Archange Gabriel brandissant le lis dans son annonce à Marie. Visage modelé, grâce du mouvement dans une robe raffinée...
malheureusement cette Annonciation a perdu l'image de la Vierge dans l'écoinçon de droite...
Sous la figure de Gabriel, le personnage de Saint Bernardin de Sienne (1380/ 1440) en pleine prédication, ce grand saint franciscain à la profonde spiritualité et vénéré à Favalellu: sa place d'honneur ici, peu de temps après sa canonisation, souligne l'importance prépondérente du monde franciscain en Corse. Sous ses pieds, des carreaux décorés à la façon des majoliques de la Renaissance.
Je suppose que lui faisait peut-être pendant, à droite de l'Arc, la représentation habituelle de Saint Michel Archange terrassant Satan et pesant les âmes?
Sous les pieds du Christ, la conversation des apôtres: ici Jacques le Mineur, Simon, Philippe (distingué pour une raison que j'ignore par son livre ouvert), et André. Tous ces visages sont empreints d'une gravité spirituelle, les regards tendus vers un intérieur invisible pour qui ne fait pas silence. Beauté des drapés, musicalité des couleurs alternées, sobriété élégante des gestes.
En conscience, impassible et digne, St Pierre, de sa grosse clef, ouvre ou ferme les portes du Paradis...
Saint André et un autre jeune apôtre, au visage presque féminin: le seul représenté de face. Tous deux ont perdu leurs prunelles, sans doute peintes "a secco".
le jeune visage concentré de Saint Jean: lèvres closes, sous l'arc sérieux des sourcils le regard médite.
Le mur Nord de l'église a été ouvert pour créer une chapelle latérale: dans l'opération on a perdu l'iconographie qui l'ornait: ici il reste un élément d'une scène représentant sans doute l'arrestation de Jésus au Jardin des Oliviers, avec de jolies gambettes habillées à la mode Renaissance... Cela sent la Toscane...
Je quitte aujourd'hui l'évocation de Favalellu avec cette magnifique présence intériorisée du Christ en Majesté: là aussi, gravité contemplative. Pas trace de mièvrerie. Je l'aime. Ce regard s'adresse à toi et t'englobe dans sa création. Attentif.
"L'oeïl écoute".