10/11/2009
l'Office des Morts des Confréries
Offiziu di i Morti
19:40 Publié dans patrimoine de la solidarité humaine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : confréries, rituels de la mort, corse, bannières de la mort, office des morts | Facebook |
28/11/2008
La Résistance de Martin Ambrosini et la transmission du chant religieux de Speloncato
Un passage transitoire de la transmission du chant à Speloncato:
de gauche à droite: Jacques PAPI, Eric PAPI, Augustin PARDON, Martin AMBROSINI.
Mardi 25 au petit matin, vers 5h, Martin Ambrosini, enfant de Speloncato, s'est éteint. Il avait 86 ans. Sur cette photo... la première qui me soit remontée de mon bazard de photos..., prise il y a une douzaine d'années, Martin, à droite, chante la messe de Speloncato en compagnie de Jacques Papi, de son fils Eric Papi, de mon jeune (et alors lycéen) fils Augustin Pardon. Une répétition, entre autres, de la transmission du chant religieux de Speloncato. Jacques nous a quittés il y a plusieurs années déjà, nos deux plus jeunes ne sont plus actifs à Speloncato, Martin est parti hier matin.
Le chant reste, et la mémoire des belles figures qui l'ont revivifié. Le chant reste : mieux, il continue de revivre et de s’enrichir grâce à la Confrérie Sant’Antone Abbate, reconstituée en 2001 dans la foulée de cette réappropriation initiée avec le fidèle, le juste, le droit, le colèreux, le généreux Martin.. Ce projet improbable à l'époque de vouloir réveiller dans sa communauté le chant traditionnel de Speloncato fut alors rendu possible par la conjonction de deux événements proches dans le temps :
1°/ Tout d'abord l'enregistrement fait in extremis à Bastia, en 1986, par l'Abbé Gérard SQUARCIONI - alors curé de la paroisse- et Jean-Dominique POLI des deux frères COLOMBANI, le Chanoine et l'ancien chantre de Speloncato, tous deux décédés peu après, des chants, du moins du versu en seconde, de la messe des vivants et celle des morts. Voix de personnes âgées, déjà éloignées du bord de la vie villageoise, fil fragile de la mémoire de ce qui fut la fierté de Speloncato. A cet enregistrement, il faut ajouter celui, beaucoup plus ancien, fait par Felix Quilicci en 1949: lacunaire par le nombre des chants , mais ô combien dense quant à son contenu! Les chantres de l'époque y chantent en polyphonie, entre autres, un extraordinaire LIBERA ME DOMINE, qui saisit par sa vitalité et peut dérouter les tenants d'un Libera Me plus coutumier, plus sombrement pietoso... Impression de liberté tonique: à les entendre, je les vois arpenter au quotidien les chemins raides qui grimpent de la plaine au village...
- Martin, né à côté de l'église, me disait que sa jeunesse s'était passée dans cette étroite connivence de l'église et des champs: chaque jour, avant de descendre en plaine, il allait à l'église comme on embrasse sa mère au saut du lit, et le soir de même au retour. Ce double enracinement ne l'a jamais empêché de s'engager très jeune pour les idées qu'il pensait justes: résistant pendant la guerre, solidaire en pensée, en parole et par action. Est-il besoin d'ajouter qu'il est resté jusqu'à la fin de ses jours fidèle à ses engagements : Martin, le résistant, le charitable pourfendeur d'iniquités -
2°/ La restauration, en 1991, par Antoine MASSONI, de l'orgue Crudeli de la Collégiale. A cette époque, Gérard Squarcioni m'avait demandé d'accepter la charge d'organiste à Speloncato. Ce que j'ai bien volontiers accepté tout en mettant une condition: que l'on mette en chantier avec tous les volontaires de l'époque, la renaissance du chant polyphonique de Speloncato. Il me semblait que cette réappropriation d'un double et somptueux patrimoine, celui du chant et celui de l'orgue était riche de sens pour nous tous. Dans cette synergie des années 90, l'enthousiasme et l'engagement de personnalités aussi diverses a fait merveilles: la mémoire de Martin, mais aussi du jeune Pierre DOTTORI, et des femmes du village, Marie QUILICCI, Josette GIOVANSILY, nous ont permis d'avancer, d'enrichir ce qui n'avait pas été enregistré. Aux côtés de Martin, qui n'avait jamais été chantre, notre cher Jacques PAPI, plus habitué dans sa jeunesse à pratiquer la sérénade que le chant de messe, mais qui trouvait là une belle occasion de chanter généreusement et avec quel naturel ! un "répertoire" différent, où la langue latine lui jouait parfois des tours étranges... L'air, ça allait, les paroles c'était moins évident: combien de fois au début, chez certains, ai-je entendu, dans le Gloria, à la place de "propter magnam gloriam tuam" un "Prosper (youp la boum!) magnam etc..." qui me laissait rêveuse. J'ai vite compris que chacun s'approprie les choses à sa façon, je ne fais du reste pas autrement. Le chant, fût-il sacré, est comme la vie: une auberge espagnole où chacun apporte un peu de sa tambouille personnelle.
A leurs côtés aussi, Pierre Dottori, fou de chant et amoureux de son village, Eric Papi, le fils de Jacques, et puis aussi le tout jeune Julien Gray, un lycéen lorrain surdoué et engagé, et mon Augustin qui n'avaient tous deux encore guère de poils au menton. A leurs côtés aussi, et peut-être devrais-je dire, d'abord, "notre missionnaire" Santu MASSIANI, descendant fidèlement à toutes les répétitions de son Ghjunsani voisin, compagnon de la première heure, artisan du chant communautaire dès l'aube du renouveau à Pioggiola, à Olmi Cappella, renouant les fils embrouillés du monde ancien, les retissant inlassablement dans la trame effilochée de nos jours...
Martin, dans sa restitution des chants, était parfois en divergence avec l'enregistrement des frères Colombani, ce qui faisait parfois débat houleux: les arcanes de la mémoire peuvent se révéler contradictoires et impérieux...
Mon cher Martin, où que tu sois, repose en paix. Tu as longuement servi "ton" église, comme sacristain et plus, car il y avait affinité profonde, : d'un amour jaloux et exigeant, avec ton caractère bouillonnant, "soupe au lait", sauvant comme tu le pouvais ce patrimoine menacé de disparition par l'évolution du temps, l'inconscience et l'incurie de quelques uns, l'acceptation fataliste par d'autres de la chronique annoncée de l'agonie lente de cet héritage effacé en quelques décennies. Même si une partie de ta vie active s'est faite, comme pour beaucoup de gens dans les villages, en dehors de ton village, propulsé à la fin de la guerre comme tant d'autres enfants de Speloncato à Lyon, tu étais à jamais pétri de ta terre natale, enfant modeste de ce village, crapahutant dans la campagne avec les enfants de ta génération, vivant à la saison chaude dans ces paillers au sol de terre battue pour travailler sur place aux champs, aux bêtes...
L'image imprimée au plus profond de toi était encore celle d'une communauté solidaire et respectueuse et c'est bien ce qui m'a touché chez toi, avec cette franchise et cette simplicité qui n'évitaient pas les coups de gueule mais faisaient de notre amitié, en dépit de nos différences d'âge, d'origine etc... un terrain solide pour travailler à retrouver ensemble du sens à une commune humanité. Il était question là d'une fraternité naturelle et toute bête, plus que d'institution. Plus que dans la forme, tu étais dans l'esprit.
Je raconterai une autre fois cette aventure du chant renoué avec l'aide de tant de belles personnes. Juste un souvenir particulièrement précieux: était-ce en 1992 ? Je n'ai pas trop la mémoire des dates. Toujours est-il que nous avions décidé de célébrer "entre nous" , pour la première fois depuis tant d'années, le Vendredi Saint et de rechanter tous ces chants qui accompagnaient traditionnellement la Passion à Speloncato. A cette époque, la confrérie n'était recréée, mais se faisait jour une intention puissante de renouer, à travers ce chant, avec la communauté, celle des anciens et celle d'aujourd'hui. Pas de prêtre. Tu chantais "Ti adoro, o Gesu Bono" et "Gesu Gesu, mio bene..." et, avec ceux qui l'avaient travaillé, "la Vita di Gesu" exhumée auprès de Marie et de Josette... et le "Stabbat Mater", et avec tous, le "Perdono" etc... Ce soir là, l'église était pleine, malgré le froid, et l'on a alors, avec une imperfection évidente, et une émotion et une fierté encore plus tangibles contribué à ce petit miracle qui peut tirer les individus de devant leur petit écran et les aider à s'ancrer dans un monde où chacun se sent relié à l'autre dans une reconnaissance commune.. RESISTANCE.
Enfin la Confrérie de Speloncato, dont tu rêvais depuis son abandon en 1970, est renée le 15 Août 2001, sous l'impulsion de Pierre Dottori et des jeunes et moins jeunes du village: tu en as été le premier Prieur, on te le devait bien, toi qui avais porté et réassemblé tant de petites et grosses pierres ramassées sur les sentiers de ta mémoire.
Tu as vu: mardi soir les confrères de Speloncato et ceux de Costa, Ghjunsani, Nessa t'ont rendu l'hommage fraternel de l'Office des Morts à la Casazza di Santa Catalina, l'église pour laquelle tu t'es tant battu, souffrant de la voir "retourner au siècle" (euphémisme), et aujourd'hui rendue à son usage de confrérie. Un Office que tu méritais de droit et que tu as dû écouter et regarder de là haut avec plaisir, tout en, je te connais, rouscaillant peut-être au passage sur tel ou tel détail, sacré Martin! Il n'empêche, ils ont fait des progrès, ces petits, tu ne trouve pas? Et tu l'as entendu, ce Libera me d'ici, comme ils le sortent aujourd'hui! Raphaël s'en est imprégné autant qu'il a pu... Nous a-t-il fait transpirer, ce chant: c'est que vous aviez tous en tête le Libera me "habituel", celui qu'on entend dans les enregistrements les plus courants de "la" tradition, comme si tous les villages devaient chanter le même versu et se conformer à une seule tradition! Enfin, tu vois, ça avance, même si ça n'est pas facile et même si tu ne reconnais peut-être pas tous ces chants: l'important est que ça continue au milieu des tiens, et non pas dans un laboratoire de musicologues... Et puis il faut du temps pour se repenser en commun...
Et mercredi après-midi, pour ton enterrement, l'église était si pleine de gens amicaux, le choeur bien habité de confrères, les chants de la messe des morts de Speloncato étaient bien beaux, tranquilles comme il faut, un vrai bercement comme je l'aime: je suis sûre que tu en as été heureux comme tu nous a rendus heureux de le faire pour toi ... Pour les tiens, qui sont dans la peine, une reconnaissance et un réconfort apaisants. Pour ta communauté, un acte qui resserre les liens et un signe que le chant, forgé au fil des jours au sein du village, peut devenir un outil de la cohésion sociale.
Merci Martin. Pour moi, tu m’as donné à Speloncato une famille de cœur. Tu fais partie de ces gens qui nous enracinent à la Corse plus sûrement que tous les discours, fussent-ils généreux. Notre affection accompagne Vitto, ton épouse si forte, et tes enfants, Maryse et Joël, et tes petits enfants, Arnaud et Olivier, Jérôme et Julien dont je sais le chagrin énorme - Julien qui t’a accompagné d'un amour fusionnel et a tant reçu de toi, juste parmi les justes, passeur d’âme parmi les passeurs. Te voilà aujourd'hui libéré de ton corps meurtri et diminué des derniers mois et tu viens de rejoindre mon petit Panthéon lumineux des gens aimés et bienveillants qui veillent sur nous au quotidien.
Gilbert, le Prieur actuel de la Confrérie de Speloncato, a évoqué ta disparition, lors de l'Office chanté en ton honneur, en parlant de toi comme d'un arbre qui a cessé de respirer: mon cher Gilbert, permets-moi de penser au contraire que Martin plonge aujourd'hui ses racines dans la lumière hors du temps.
10:08 Publié dans patrimoine de la solidarité humaine | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : chants polyphoniques de corse, tradition des messes corses, chant communautaire | Facebook |
18/11/2008
Volterra , les Etrusques et la "Compagnia della Misericordia"
18:47 Publié dans patrimoine de la solidarité humaine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : confréries, charité, solidarité, organisation sociale, italie, corse | Facebook |