06/12/2015
6 décembre fête de St Nicolas: San Nicolau di Moriani
Aujourd'hui 6 décembre,
l'on fête le grand saint Nicolas de Myre et de Bari,
avec la rencontre de l'extraordinaire décor foisonnant
de l'église paroissiale
de San Nicolao di Moriani,
Piève de Moriani, Diocèse de Mariana,
(prochainement restauré on l'espère:
la commune a déjà fait les travaux de restauration de l'extérieur et s'apprête à s'atteler à l'intérieur )
et les oeuvres d' Ignazio Saverio Raffali et Luigi Polleri
l'un de ces beaux villages insoupçonnables depuis la côte touristique,
surplombant la côte orientale du haut campanile de sa grande église paroissiale
l'église côté chevet
La façade accueille les deux saints patrons de la paroisse:
A gauche notre bon St Nicolas
à droite le grand St Pierre ...
" L'église San Nicolao, paroisse actuelle, est citée dans le cartulaire de Monte-Cristo. Curieusement le lieu-dit San Pietro désigne les alentours de l'église San Nicolao. Peut-être était-ce le vocable de la chapelle ruinée qu'on voit à côté de San Nicolao et qui par la suite aurait servi de confrérie. (...)
(Geneviève Moracchini-Mazel, Les églises romanes de Corse, p. 233)
Voilà une communauté a priori bien protégée!
(plaque commémorative dans l'église San Nicolao)
...ce qui malheureusement ne lui a pas épargné les pertes nombreuses et cruelles de la guerre de 1914 ...
Une église dotée d'un décor monumental foisonnant, vitaminé, une vraie cure de jouvence!,
où règne en maître St Nicolas (et sa légende de l'ogre- boucher cannibale ):
La complainte de saint Nicolas
(recueillie par Gérard de Nerval en 1842):
Il était trois petits enfants
Qui s'en allaient glaner aux champs.
S'en vont au soir chez un boucher.
« Boucher, voudrais-tu nous loger ?
Entrez, entrez, petits enfants,
Il y a de la place assurément.»
Ils n'étaient pas sitôt entrés,
Que le boucher les a tués,
Les a coupés en petits morceaux,
Mis au saloir comme pourceaux.
Saint Nicolas au bout d'sept ans,
Saint Nicolas vint dans ce champ.
Il s'en alla chez le boucher :
« Boucher, voudrais-tu me loger ? »
« Entrez, entrez, saint Nicolas,
Il y a d'la place, il n'en manque pas. »
Il n'était pas sitôt entré,
Qu'il a demandé à souper.
« Voulez-vous un morceau d'jambon ?
Je n'en veux pas, il n'est pas bon.
Voulez vous un morceau de veau ?
Je n'en veux pas, il n'est pas beau !
Du p'tit salé je veux avoir,
Qu'il y a sept ans qu'est dans l'saloir.
Quand le boucher entendit cela,
Hors de sa porte il s'enfuya.
« Boucher, boucher, ne t'enfuis pas,
Repens-toi, Dieu te pardonn'ra. »
Saint Nicolas posa trois doigts.
Dessus le bord de ce saloir :
Le premier dit: « J'ai bien dormi ! »
Le second dit: « Et moi aussi ! »
Et le troisième répondit :
« Je croyais être en paradis ! »
Revenons à notre san Nicolao di Moriani:
le maître-autel ouvre largement les bras de ses gradins pour vous accueillir: voici l'oeuvre roborative d'un enfant de la Castagniccia, le maître stuccateur Ignazio Saverio Raffalli "le Vieux", originaire de Piedicroce, et qui le signe en mars 1767.
Au revers de l'autel , au milieu des graffiti,
on retrouve la date
et,
sur la cuve de l'autel, la signature de Raffali sous la forme de la marguerite, omniprésente dans ses créations.
A l'angle de l'autel, comme écrasé, ce diablotin cornu roule des yeux
d'un air bien mauvais!
Caractéristiques aussi, les petits personnages malicieux, déhanchés,
nichés aux angles de l'autel,.
En médaillon, au centre de la cuve, l'image charmante des trois petits enfants de la légende barbotant dans leur saloir comme vos garnements dans leur baignoire.
Au fond de l'abside, sous les deux saints patrons Nicolas et Pierre, peints par Luigi Polleri (auteur de l'ensemble des décors peints: le choeur en 1812, les murs de la nef 1826, la voûte en 1829), et entre les deux fenêtres, l'emplacement actuellement vide et réservé au polyptyque - restauré en 2011 par Maria Teresa Donetti , toujours en dépôt au Musée de Bastia en attendant la restauration de l'église :
(d'après une photo)
Ce retable, oeuvre du florentin Raffaelle de Rossi a fait l'objet d'une exposition à Bastia au Palais des Gouverneurs en avril/ mai 2011:
" Le retable de San Nicolao, oeuvre d'un atelier ligure pour la Corse du XVI° siècle".
Commandé dans la première moitié du XVI° s. à l'origine pour orner l'arrière de la table de l'autel majeur (la "pala d'altare") de San Nicolau, il va être déplacé après la reconstruction de l'église au milieu du XVIII°s et en particulier l'édification du nouvel autel baroque d'I.S. Raffali: ayant perdu sa prédelle, on le place désormais dans le mur de l'abside où il reste, en bien mauvais état, scellé jusqu'à sa restauration ... qui lui a rendu tout son éclat.
La Vierge et l'Enfant, trônant sur un nuage au milieu de deux anges bucinateurs au-dessus d'un paysage montagneux en bord de mer, accompagne de sa protection les deux patrons de l'église, St Nicolas et St Pierre, tandis que, sur les pilastres, veillent les Saints Jean, Reparata, Lucie et Blaise; sur le registre supérieur, des anges musiciens accompagnent Dieu le Père bienveillant et bénissant ...
Le charmant décor peint de Luigi Polleri baigne l'église dans une tonalité souriante qui résonne en écho d'une autre oeuvre exubérante:
la belle chaire à prêcher baroque, du même Ignazio Saverio Raffalli,
datée du 29 mai 1740 .
Peints sur la chaire, ce Christ aux outrages,
cette Vierge de Douleur
cet ange fleuri ...
Au-dessus de la chaire, un joli abat-voix,
orné de la Colombe de l'Esprit Saint dans une gloire rayonnante et bordée de fort jolies fleurettes ...
et, représentant le prédicateur, ce religieux franciscain aux mains éloquentes, saisi en plein prêche ... enfin, je l'imagine!
Partout, dans cette église, dès qu'on lève les yeux, des surprises :
comme ce sage angelot perché sur sa corniche,
absorbé dans sa lecture
ou cette voûte de chapelle latérale peuplée de personnages à demi-nus et de chérubins en relief dans un éden végétal : des stucs de la seconde moitié du XVII° s émergeant des rinceaux de Polleri ...
avec au centre, cet ange qui brandit un cimeterre qui tient fermement dans son autre main quelque chose où je crois voir un petit serpent à crête de coq, un basilic ? à moins que cela ne soit une palme ? Toujours est-il que notre ange porte sur la tête une drôle de coiffe en forme de coussin sur laquelle il semble sur le point de pratiquer un sacrifice ...
mble être un petit serpent avec une crête de coq, un basilic ( la lutte de St Michel Archange contre le Mal?) Sur sa tête une sorte de coussin bizarre ...
ou ces curieux anges brandissant une lance contre deux dragons menaçants,
et tenant un blason très particulier, déjà rencontré dans l'église san Nicolau d'Olmi Cappella ... un phénix renaissant des flammes et regardant le soleil .
Et disserterons-nous sur sexe des anges?
ou cette petite dame feuillue,
bref, de quoi alimenter la rêverie de quelques fidèles distraits !
A propos des artistes stucateurs, peintres décorateurs à l'oeuvre dans l'église:
Ignazio Saverio Raffali : C'est le fils de Giovanni Raffalli "le vieux", originaire de Piedicroce en Castagniccia, né en décembre 1715 ou début 1716.
" L'activité d'Ignazio Saverio Raffalli" le vieux"est attestée jusqu'en 1777, année où il travaille sur le chantier de l'église de Tallone. Il est le membre le plus productif de la dynastie des Raffalli dont l'activité va s'exercer pendant près de 150 ans"
"(...) Les Raffalli et leurs divers élèves vont mettre au point et faire évoluer un style décoratif original. Un style éloigné de ce que l'on retrouve en Italie, en France ou en Espagne à la même époque, mais qui s'insère néanmoins dans le mouvement du Baroque international. "
( Michel Edouard Nigaglioni, l'Encyclopédie des peintres actifs en Corse, édition Piazzola)
Aloysius Polleri, alias Giacomo Luigi Polleri.
Voici ce qu'en dit notre ami M.E. Nigaglioni :
" Peintre décorateur né à Gênes (Ligurie, Italie) le 8 mars 1780. Il est établi très jeune à Bastia où il est probablement l'élève du peintre génois Giuseppe Wannenes. Luigi Polleri est le fils du doreur Giuseppe Polleri dont la présence en Corse est attestée dès 1802. (...) Luigi Polleri est l'auteur de décors peints dans lesquels on dénote une influence du style Louis XVI. (...)" Il est mort à Bastia le 24 décembre 1853.
(le Saint Nicolas de Sermanu peint à fresque entre 1450 et 1458 )
(à suivre !)
Pour en savoir plus sur le grand saint Nicolas, un saint qui m'importe, en bonne fille de lorrain (st Nicolas est le patron de la Lorraine ... et je devais, si j'avais été un garçon, porter ce nom ...) :
- ce qu'en dit la Légende dorée de Jacques de Voragine :
https://fr.wikisource.org/wiki/La_L%C3%A9gende_dor%C3%A9e/Saint_Nicolas
- et le long article de Wikipedia:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_de_Myre
- Louis Réau, dans son Iconographie de l'Art chrétien, lui consacre de longues pages: saint Nicolas demeure l'un des saints les plus populaires dans le monde chrétien, appartenant à la fois à l'Eglise grecque et à l'Eglise latine.
"Les pélerins et les chevaliers qui allaient s'embarquer à Brindisi pour la Terre Sainte ne manquaient pas de venir faire leurs dévotion à saint Nicolas de Bari dont le corps distillait une myrrhe parfumée qu'ils recueillaient précieusement dans des ampoules de plomb: c'est ce qu'on appelait la manne de saint Nicolas. Le pélerinage de Bari était d'autant plus fréquenté qu'il se conjuguait avec celui de saint Michel au Monte Gargano, situé à peu de distance sur la côte d'Apulie."
"Il est le patron des écoliers (...)
Prie pour nous, saint Nicholas
Qui les trois clercs ressuscitas"
Il est invoqué par les filles à marier (...) en souvenir des bourses qu'il offrit discrètement à trois pucelles qui, faute de dot, ne trouvaient pas d'épouseurs. " Saint Nicolas, comme dit la chanson, marie les filles avec les gars."
Patron des filles, saint Nicolas,
Mariez-nous, ne tardez pas !"
Le saint Nicolas d'Altiani, peint par Giacomo Grandi:
sur son livre les trois boules d'or évoquent les trois bourses données par le saint pour doter les trois pauvres jeunes filles vouées à la prostitution par leur père, faute de dote ...
"Il est aussi (...) le saint tutélaire des marins, de tous ceux "qui vont par eau et craignent le naufrage" parce qu'il a le pouvoir d'apaiser les tempêtes.(...) Mais ce n'est pas tout. Une douzaine de corporations se plaçaient sous son patronage: les avocats, procureurs et basochiers du palais, les prêteurs sur gage; les tonneliers [eh oui! le tonneau où barbotent nos trois petits enfants!], marchands de vin, jaugeurs et déchargeurs de vin; les grainetiers et les débardeurs de blé; les bouchers; les parfumeurs, les apothicaires et épiciers. (...)
Saint Nicolas passait en outre pour protéger contre les voleurs les trésors confiés à sa garde. (...)
Enfin la légende des trois officiers injustement emprisonnés lui avait valu la reconnaissance des prisonniers et des victimes d'erreurs judiciaires."
22:03 Publié dans saint Nicolas, Saints de Corse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : san nicolau di moriani, luigi polleri, ignaziosaverio raffalli | Facebook |