La belle Scandula mérite-t-elle son label ?
Les espaces protégés sont un des piliers de la sauvegarde de la nature et du paysage. En 1965, le Conseil de l’Europe a créé le Diplôme européen des espaces protégés pour reconnaître la valeur exceptionnelle de certains sites et l’importance de les préserver. La décision d’attribution de ce diplôme est prise après une évaluation soignée des sites concernés, pour saluer la qualité des efforts de protection et de sauvegarde. Cela suppose que des mesures soient prises pour assurer la protection à long terme des espaces concernés. Il y a aujourd’hui 74 espaces protégés, répartis dans 29 pays, titulaires de ce Diplôme européen.
Le Diplôme européen des espaces protégés est d’abord octroyé pour cinq ans et peut, ensuite, être renouvelé pour des périodes de dix ans. Un système de protection approprié doit être mis en place pour préserver leurs valeurs scientifiques, esthétiques et culturelles : dans tous les cas, la conservation à long terme des valeurs naturelles et paysagères doit être assurée et faire l’objet, de manière exemplaire, de la gestion correspondante.
Dans les cas extrêmes, le non-renouvellement du diplôme est la sanction logique du non‐respect des conditions d’octroi essentielles du Diplôme européen. En cinquante ans de mise en œuvre de cette distinction, le Conseil de l’Europe n’a qu’une seule fois dû prendre une décision aussi grave. Il s’agissait du Parc national des Pyrénées (France), où des constructions totalement incompatibles et explicitement proscrites lors de l’octroi du Diplôme européen avaient été réalisées.
Dans d’autres cas, le Diplôme européen n’est pas renouvelé tant que certaines conditions essentielles (comme l’adoption officielle d’un nouveau plan de gestion) ne sont pas remplies.
La menace de retrait du Diplôme européen a un impact notable et bénéfique face aux dangers qui pourraient menacer l’intégrité d’un site. Elle peut inciter à atténuer des risques et encourager les responsables à améliorer leur gestion. Elle confère au Diplôme européen sa force et son prestige. La perte du Diplôme européen a un fort retentissement dans l’opinion publique.
Qu’en est-il à Scandula ?
En France, seulement cinq autres sites (la Réserve nationale de Camargue, le Parc National de La Vanoise, le Parc national de Port Cros, le Parc national du Mercantour, le Parc national des Ecrins) détiennent ce diplôme européen des espaces protégés.
Zonage actuel de la Réserve Naturelle de Scandula
En 2010, la Direction de la culture et du patrimoine culturel et naturel pour la réattribution du diplôme européen a rendu un rapport intitulé «Projet de Résolution concernant le renouvellement du Diplôme européen des espaces protégés à la réserve naturelle de Scandula (France) »
Le renouvellement, jusqu’au 21 septembre 2020, du Diplôme européen des espaces protégés décerné à la réserve naturelle de Scandula a été rassorti de deux conditions et de 7 recommandations.
Ces conditions n’ont pas été remplies
- Entreprendre d’ici 2012 le projet d’extension de la réserve naturelle de Scandula qui devra consister en un élargissement conséquent de la partie marine du site et plus particulièrement de sa zone intégrale. … Des études sont en cours mais n’ont pas encore abouti.
En attendant prendre des mesures pour diminuer l’impact des mouillages sur l’herbier de Posidonie. Il n’y a pas eu de mesures nouvelles depuis 2010.
- Renforcer la réglementation de manière à mieux contrôler les activités touristiques notamment nautiques, sources de dérangement pour les espèces, en particulier certaines espèces de poissons et le balbuzard, et anticiper les effets sur les milieux naturels de nouvelles activités économiques. La réglementation n’a pas été modifiée. Pire, les sources de dérangement sont beaucoup plus nombreuses avec un impact extrêmement néfaste. Dix sociétés supplémentaires se sont installées en 2018 avec 4 à 5 bateaux chacune et plusieurs rotations par jour. On compte aujourd’hui 417 dérangements par jour sous les nids de balbuzards avec pour conséquence la mort des poussins dans les nids avant leur possible envol. C’est dans la réserve naturelle de Scandula où la fréquentation touristique est la plus élevée et la plus pressante que le taux de productivité de jeunes par site de nidification est le plus bas.
Interdire de toute urgence la pratique du jet-ski dans la réserve, qu’elle soit encadrée ou individuelle. Mesure refusée par la DDTM.
Les 7 recommandations n’ont pas été suivies
- Finaliser au plus tard d’ici fin 2011 et mettre en œuvre dans les meilleurs délais le nouveau plan de gestion en y insérant des recommandations et des objectifs portant sur un contrôle efficace des nouvelles activités émergentes et des activités déjà existantes. Plan finalisé et validé, mais non applicable faute de moyens humains et financiers.
- Poursuivre les efforts engagés pour donner au gestionnaire les moyens financiers lui permettant de mener une gestion ambitieuse à la hauteur de la renommée et du caractère exceptionnel du site ; augmenter le budget de fonctionnement ainsi que le budget affecté aux travaux scientifiques. Non fait.
- Tendre vers une augmentation des ressources issues de la Taxe Barnier (taxe participative à la gestion de l’environnement des sites protégés marins) par une révision de cette dernière qui pourrait porter sur l’extension du paiement, sans distinction, à tous les visiteurs du site, sur l’augmentation de son montant, sur la révision du mode de prélèvement ainsi que le contrôle du nombre de visiteurs comptabilisés sur les bateaux des sociétés de promenade en mer. Non fait.
- Continuer de s’appuyer sur les travaux du Comité scientifique pour atteindre une gestion efficace du site ; continuer à faire jouer à la réserve son rôle de référence en l’insérant dans des programmes internationaux. Non fait.
- Approfondir et élargir les études notamment sur les changements climatiques engendrant un impact sur les biocénoses et les écosystèmes tant marins que terrestres : exporter les méthodes et les résultats pour contribuer à apporter des solutions aux problématiques environnementales en Méditerranée. Non fait.
- N’autoriser la pêche qu’avec des engins d’une forte sélectivité en supprimant à moyen ou long terme la pêche au trémail dans des zones peuplées par des forêts de Cystoseira profondes et autres espèces comprises entre moins 30 et moins 90 mètres et tout autre engin (existant ou à venir) impactant les écosystèmes marins. Non fait.
- Poursuivre et intensifier la sensibilisation des sociétés de promenade en mer au respect de l’environnement dans la réserve de Scandula ; sans changement de comportement constaté dans un délai donné, les sociétés seraient contraintes de contourner la zone intégrale. Non fait.
Scandula risque donc aujourd’hui de se voir retirer son Diplôme européen. Le joyau ne mérite plus son prestigieux label.
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