Avec 1 350 000 soldats tués, la France est ressortie meurtrie de la Grande Guerre. La Corse, comme toutes les régions rurales, a connu la mobilisation d’une grande part de ses hommes, dont beaucoup sont venus nourrir les rangs de l’infanterie, et dont beaucoup ne sont pas revenus. Combien ? Après la guerre, le nombre de 30 000, voire 40 000 morts, sera longtemps avancé. «Tout à fait surestimé», affirme l’historien Jean-Paul Pellegrinetti, qui évoque une fourchette comprise entre 10 000 et 12 000 morts. Cet écart substantiel n’étonne guère l’historien Nicolas Offenstadt :«Il y avait déjà à l’époque de très forts clivages régionaux. Et avec le temps, ces chiffres sont devenus un enjeu de mémoire. En Corse, les nationalistes n’ont cessé de mettre en avant l’idée que l’Etat colonial avait spécifiquement envoyé les insulaires à la mort». L’affaire est à ce point sérieuse qu’au milieu des années 1990, les gendarmes corses ont même fait l’index des monuments aux morts pour obtenir un décompte précis. La Corse n’a pas été la seule région à mettre en avant le sang versé. En Bretagne, les indépendantistes ont également contribué à entretenir la polémique, sur la base d’estimations peu fiables. Le mémorial de Sainte-Anne-d’Auray évoque ainsi les 240 000 morts bretons de la Grande Guerre. Peu importe que nul historien n’y prête le moindre crédit, le chiffre est régulièrement brandi : en novembre 2008, des militants d’Adsav, le Parti du peuple breton, se sont retrouvés à Sainte-Anne-d’Auray «afin de rendre hommage aux 240 000 Bretons sacrifiés par la France». On a même assisté à une joute entre Corses et Bretons, les deux revendiquant la tête du classement des régions les plus meurtries. Sur Internet, un site nationaliste corse rend ainsi hommage aux 30 000 poilus tombés lors de la Grande Guerre : «La Corse a été le "département français" qui a eu le plus de morts. La Bretagne comptait en 1914, 3,2 millions d’habitants et a eu 125 070 tués. La Corse en 1914 comptait, elle, 280 000 habitants et a eu 30 000 morts. Est-il besoin de faire un dessin ?» Un dessin, non. Mais un calcul, peut-être.
La chose n’est pas aisée. «Il est impossible de trancher précisément, explique l’historien Antoine Prost, la meilleure base serait d’avoir le nombre de morts par zone de recrutement». Un travail titanesque qui ne sera jamais mené. Une autre méthode, moins satisfaisante, permet pourtant de se faire une idée. Elle consiste à exploiter la base de données «Mémoire des hommes morts pour la France» du ministère de la Défense qui recense nommément - et par lieu de naissance - les 1,3 million de soldats tombés au combat. On peut ainsi calculer le nombre de décès par département de naissance et rapporter ce nombre aux populations départementales du recensement de 1911. Deux historiens, Yann Lagadec et Jean Yves Le Naour, se sont livrés à ce calcul. Il en ressort que le département qui a payé le plus lourd tribut à la Première Guerre mondiale est en réalité la Lozère : 6 239 natifs du département sont tombés, soit 5,08% de la population de 1911. Suivent la Mayenne (4,48%), la Vendée (4,37%) puis les Côtes-d’Armor (4,26%). La Corse est plus loin. Contrairement à l’idée reçue, véhiculée à son insu par Jerôme Cahuzac, elle est 45e sur 87 départements, avec 3,41%, à peine plus que la moyenne nationale (3,06%)."
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