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01/08/2007

Orgues: restauration ou reconstruction des orgues historiques de Corse

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Quelques réflexions à propos de la restauration des orgues en Corse.

 

Sur nos belles tribunes d’orgue, une fois enjambées dans les escaliers les déjections des rats et chauve-souris que trouve-t-on ? …Tuyaux pliés, écrasés, mâchouillés, dispersés, mécanismes disloqués, soufflets éventrés, excréments, petits cadavres desséchés, débarras d’objets de cultes tombés en disgrâce, gravas tombés des voûtes…

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 Les facteurs d’orgue qui s’engagent dans la restauration d’un orgue historique savent bien qu’ils ne devront pas compter leur temps ni leur peine pour « récupérer » et réutiliser les moindres parties,  même apparemment ruinées : tous ces éléments qui constituent l’orgue et qui lui arrivent souvent dans un désordre incroyable comme des morceaux d’un puzzle à reconstituer sont autant de témoins précieux qu’il devra rechercher et analyser avec patience et prudence comme le ferait un archéologue sur un chantier de fouille. Cette patience et cette prudence s’accompagneront d’une grande humilité : le facteur d’orgue doit s’effacer devant l’existant s’il veut véritablement réanimer l’orgue. Faute de quoi, il se contentera de redonner une fonction à l’orgue sans lui redonner son âme d’origine. Ecoutons les réflexions d’Alain FAYE, co-restaurateur avec Alain SALS du petit orgue de l'église saint Sauveur à COSTA (Balagne), en 2004 :

                                                        

« La restauration d’un orgue ancien est pour nous une démarche à la fois historique, technique et musicale. Elle commence par une mise en condition, qui consiste à comprendre le contexte initial dans lequel l’ouvrage a été créé. Cette démarche intellectuelle est importante : les anciens n’avaient pas les mêmes idées que nous, pas la même façon de fonctionner, n’attachaient pas la même priorité aux mêmes choses. L’artisanat était bien structuré, il y avait toujours une continuité dans la transmission du savoir, une école. Au quotidien, certains travaux demandaient alors une main d’œuvre bien plus importante que de nos jours. L’organisation du travail, la façon de se procurer les matériaux, le contexte général : transports, économie, conditions de vie, autant de choses qui ont conditionné la création artisanale et qui n’ont rien à voir avec les valeurs auxquelles nous sommes habitués. Le regard du restaurateur tient compte de tout cela.  Savoir lire le message des anciens artisans, parfois déconcertant, le déchiffrer sans l’interpréter hâtivement : on a vite fait de changer totalement la lettre comme l’esprit. Comprendre les transformations de l’ouvrage, comment et pourquoi il a été modifié, adapté, quand cela a-t-il été fait (…). Il est essentiel de couper tout préjugé pour ne pas trouver ce que nous voudrions bien trouver.

            e27af3c9385a3f2c4f821f84676c1a81.jpgle faux sommier à Costa
avant restauration

Sur le plan technique, il s’agit de conserver une œuvre, physiquement, mais aussi de la restituer dans sa fonction. Ainsi, nous nous tenons strictement à l’obligation morale de transmettre et conserver l’ensemble du matériel ancien cohérent, d’empêcher sa dégradation et de le compléter à l’identique en adaptant nos techniques et savoir-faire au cas par cas.(…) La technique des anciens  est faite de savoir-faire très directs. On allait droit au but dans la plupart des cas. Ce qui n’empêche pas quelques fioritures absolument gratuites qui ne s’expliquent que par la beauté du geste. Sachant qu’une restauration n’est pas toujours la première et encore moins la dernière, nous nous efforçons de garder identifiable ce qui a été fait précédemment ou au moins d’en conserver une trace écrite et iconographique pour mémoire. Tous les matériaux et techniques utilisés lors de nos interventions sont absolument réversibles et les matériaux  techniques utilisés sont conformes aux spécifications du CCTP.(…) La conservation et la remise en fonction du matériel ancien est indissociable de l’objectif d’un résultat musical cohérent. L’ensemble de la démarche poursuit cette finalité. »

Alain FAYE, facteur d'orgues à CALLEN

  Des tuyaux et des hommes…

 Les tuyaux s'affaissent les uns sur les autres et en entraînent d'autres dans leur chute : c'est le début d'une longue agonie...

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La première condition - impérative celle-là-  pour obtenir une bonne restauration de l’orgue demeure avant tout l’étanchéité sans faille de son sommier : si le sommier présente des fuites, même minimes, les tuyaux ne parleront jamais parfaitement… et seront inaccordables. Un sommier bien restauré donne sa stabilité à l’ensemble de l’orgue, quels que soit sa taille et son ancienneté.

 

L’une des caractéristiques de nos instruments en Corse est la sonorité du RIPIENO (l’ensemble du plein-jeu), qui leur donne son âme à la fois majestueuse et lumineuse. Cette «  clarté » des sons qui jaillit des tuyaux lorsqu’ils sont bien restaurés (et placés sur un sommier étanche !) permet de faire chanter des musiques polyphoniques à l’orgue sans que les voix s’embrouillent dans une pâte sonore informe. On est très étonné de voir les facteurs d’orgue arriver à récupérer ces tuyaux écrabouillés, 4365b9f3c36aa49db342d8e091ee33a6.jpgcrevés, mâchouillés par les rats (qui s’aiguisent les incisives dessus !), les remettre en état de revivre et de témoigner de cette esthétique particulière. Seuls les meilleurs d’entre les artisans organiers obtiennent ces véritables résurrections grâce à une connaissance et une pratique accomplies de ce métier dans toutes ses interventions, même les plus humbles : savoir « panser » les plaies des  métaux anciens, souvent fins comme des feuilles de papier à cigarette, mais aussi prendre le temps de forger les clous à l’ancienne…

 

Un exemple des étapes de sauvetage et de restauration par Alain Sals d'un tuyau du petit orgue de Costa:

 

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La science de l’harmonisation : commence alors l’opération la plus délicate et qui signe véritablement l’excellence musicale du facteur d’orgue. Il s’agit de traiter avec douceur et délicatesse la bouche du tuyau pour le faire parler sous le vent : mal maîtrisée, cette opération peut produire des effets très désagréables, même si le tuyau est neuf !, et le tuyau peut « octavier » par exemple, comme lorsqu'on souffle très fort dans une flûte à bec…Bien gérée, une bonne harmonisation permet aux tuyaux de recevoir tout le vent dont ils ont besoin pour "parler clair". La personnalité, la sensibilité et le degré de qualification du facteur d'orgue s'expriment souvent à travers cette opération primordiale...

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Parmi tous les choix qui seront nécessaires à une bonne restauration, une autre décision importante donnera son caractère à l’orgue : celle du tempérament.

Nos instruments ont souvent été restaurés avec un tempérament  mésotonique  (avec des tierces justes), ce qui donne une saveur toute particulière à l’ensemble, même si du coup ce choix restreint la quantité de musiques exploitables sur nos orgues au bénéfice de la qualité.

On le voit, le terme de restauration à l’identique implique non seulement un savoir faire sans faille mais aussi une démarche déontologique très exigeante : il est important de décider, lorsque l’on désire redonner vie à un orgue, si l’on va se contenter de reconstruire l’orgue et de lui redonner sa fonction ou si on veut aller au-delà de cette «  remise en souffle » : une restauration n’est pas une simple reconstruction. Dans une véritable restauration chaque élément récupérable sera remis en état de façon à pouvoir témoigner de l’orgue original et de l’époque de sa création… En Corse, il faut saluer la première restauration à l'identique du petit orgue de LA PORTA, en 1963 par un tout jeune homme à l'époque, Barthélémy Formentelli...

 

Il reste de nombreux orgues de grande qualité à restaurer en Corse: tous méritent le titre d'"orgues historiques", ce qui fait de l'île une exception dans le monde organistique européen. Qu'ils soient classés ou non, ces instruments doivent recevoir toute notre attention et l'on ne saurait trop croiser les regards des spécialistes en toute transparence, lors des restaurations, pour que chaque instrument demeure un livre ouvert racontant l'histoire de sa communauté... On y découvrira du reste que les anciens ne percevaient pas leurs instruments comme nous: notre esprit esthétique de consommation de biens figés dans un paraître impeccable nous empêche parfois d'admettre la vitalité faite de savoir-faire, d'intuitions géniales et parfois d'imperfections ponctuelles nées de contraintes particulières auxquelles il fallait trouver la meilleure réponse possible. Il faut avoir visité l'espace exigu d'un modeste atelier de village pour comprendre ce robuste corps à corps du facteur avec son orgue...

 

 

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Tous nos voeux, par exemple de voir restauré à l'identique le petit orgue d'Algajola...

 

 

 

 

 

 

 

... en attendant de l'entendre,  réintégré sur sa magnifique tribune sculptée ( et à l'origine polychrome...) de l'église saint Georges...

 

 

 

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