22/05/2018
2/ La chapelle San Quilicu di Cambia: les fresques
La chapelle San Quilicu di Cambia
2°/ partie: les fresques (XVI° siècle)
Derrière l'autel moderne au massif pied de bois, les fresques peintes dans l'abside en cul de four, en partie occultées par l'ensemble de stuc plus tardif (17°s) du maître-autel flanqué de ses ailes.
Madeleine Allegrini a réalisé dernièrement la restauration de ces fresques de San Quilicu, leur restituant leur fraîcheur: on peut lui envier ces longs moments passés dans l'intimité de cette chapelle, malgré le froid et la solitude ...
Il règne ici un esprit d'enfance. Ici plus qu'ailleurs, c'est une profusion de personnages et de décors fleuris planant dans une atmosphère de tendresse absolue. Oeuvre d'artiste populaire qui veut bien faire, essaie de se plier aux exigences iconographiques des commanditaires, s'embrouille parfois dans les consignes, mais témoigne de l'essentiel malgré les maladresses ou les erreurs, fait voler ses anges façon Chagall dans des nuées d'étoiles, parsème les robes de sapôtres de fleurettes, de rinceaux.
"Le Trône de Grâce" (sic)
Vision de la Trinité
Au centre de l'abside, au-dessus de la fenêtre meurtrière, et à l'emplacement traditionnel du Christ Pantocrator, c'est ici un mystèrieux "Trône de Grâce" de la Trinité entouré d'anges gracieux : dans sa mandorle, sous la colombe de l'Esprit Saint, Dieu le Père tient en son giron son Fils crucifié.
Sans doute à la demande du commanditaire, l'artiste a représenté la Trinité et non pas, comme dans d'autres chapelles de Corse ( Pastureccia, Sermanu, Valle di Campuloru, Castirla, Favallelu, Gavignanu...) le seul Christ Pantocrator.
De celui-ci, il a tout de même étrangement emprunté la silhouette générale et majestueuse, la taille imposante et le livre traditionnel ("EGO SUM LUX MUNDI ET VIA VERITAS") mais ce doux vieillard au regard empreint de mansuétude, aux sourcils interrogatifs, à la bouche bien dessinée sous un nez aquilin, à la barbe blanche et à la calvitie avancée, qui vous bénit du coeur de l'abside est bien Dieu le Père, tenant sur ses genoux le Fils en Croix, la tête inondée de l'Esprit Saint. sous sa forme de colombe. Le message de la Trinité est on ne peut plus clair. Le bleu intense du fond de la mandorle soulignée d'une guirlande végétale fait efficacement ressortir l'ensemble.
Et de part et d'autre, le Soleil et la Lune... petite erreur de notre fresquiste, la Lune (l'Ancien Testament) et le Soleil (le Nouveau Testament) ont échangé leur place : le Nouveau Testament éclairant l'Ancien Testament et la place de droite étant toujours privilégiée, la lune devrait être à la gauche de la Trinité et le soleil à sa droite ... Mais, en vérité, qui trouvera à redire?
Bien rond, sanguin et ardent, mais le regard étrangement lointain, le Soleil du Nouveau Testament
... et coiffée de son croissant, exsangue , mélancolique et pâle, la Lune de l'Ancien Testament
D'un graphisme un peu maladroit, le Christ en croix dans le giron du Père, comme l'enfant Jésus dans le giron de sa Mère.
Là aussi, l'artiste s'applique à dire les choses: le sang jaillit des plaies du Crucifié couronné de longues épines acérées.
A propos du "Trône de Grâce", connaissez-vous celui de l'église paroissiale de Palasca?
Palasca, la Trinité entourée d'anges récoltant le sang du Christ dans des calices.
Ici, Dieu le Père nimbé de lumière et coiffé d'une tiare papale, soutient la Croix et présente son Fils avec toute la dignité requise: la Colombe de l'Esprit Saint plane entre sa barbe et le Christ ...
Le Tétramorphe - et les anges
Petit rappel à propos du Tétramorphe ("quatre formes"):
C'est la représentation symbolique des quatre Evangélistes. Une vision qui plonge ses racines dans la nuit des temps du monde ancien , fluctue, s'enrichit au cours de l'aventure humaine et des civilisations, donnant en tous cas à l'homme cette assise solide du chiffre quatre: le carré ( cf. la muraille carrée de la Jérusalem céleste), les quatre bras de la croix, les quatre saisons, les quatre points cardinaux, les quatre fleuves du Paradis, les quatre lettres du nom de Dieu YHVH ( Y: l'homme; H: le lion; W: le taureau; H: l'aigle) , les quatre prophètes (Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, Daniel) et les quatre docteurs de l'Eglise (Augustin, Ambroise, Jérôme, Grégoire le Grand), les quatre Evangélistes, etc ... pour ne parler que du monde judéo-chrétien, car ce chiffre symbolique se retrouve sur tous les continents, nourrit la cosmologie de toutes les civilisations ...
L'Evangéliste Saint Mathieu: l'Ange, la plume et le Livre à la main. A son côté, un ange délicat et blond acclame la mandorle de la Trinité.
De l'autre côté de la mandorle, l'Evangéliste Saint Jean : l'Aigle, perché sur le Livre et un autre ange à la robe fleurie. Les sortes d'étoiles aux pieds des anges évoquent les nuées célestes ...
Sous l'Evangéliste Mathieu, le Lion de Saint Marc: "Oups!", petit problème d'étiquetage!
Et ici, bien sûr, le Taureau de Saint Luc et l'Aigle de Saint Jean : notre fresquiste n'avait peut-être pas bien entregistré la consigne ...
Un peu de révision, donc...
Dans l'interprétation christique d'Honorius d'Autun (XII°s.):
"Christus erat homo nascendo,
Vitulus moriendo,
Leo resurgendo,
Aquila ascendendo"
Saint Matthieu : le Christ nait homme (Mathieu commence son Evangile avec le récit de la naissance de Jésus)
Saint Luc : Il est Taureau en mourant (l'animal privilégié des sacrifices)
Saint Marc : Il est Lion en ressucitant
Saint Jean : Il est Aigle en montant vers son Père ( symbole de l'ascension de l'esprit vers le ciel)
Ce Tetramorphe est représenté traditionnellement dans l'abside de nos chapelles de Corse, entourant ou accompagnant le Tout-Puissant , "Celui qui siège sur le trône" (Jean):
"Autour du trône se tiennent quatre Vivants, constellés d'yeux par devant et par derrière. Le premier Vivant est comme un lion; le deuxième Vivant est comme un jeune taureau; le troisième Vivant a comme un visage d'homme; le quatrième Vivant est comme un aigle en plein vol. Les quatre Vivants, portant chacun six ailes, sont constellés d'yeux tout autour et par dedans" (...) qui " ne cessent de répéter jour et nuit: "Saint, Saint, Saint, Dieu maître de tout, il était, il est et il vient"
(La vision de saint Jean)
Et, dans leur nuage étoilé, ces anges éperdus d'amour,
dans leur belle robe à fleurettes
adorent
Et les autres ...
(à suivre!)
11:56 Publié dans chapelle San Chirgu de Cambia, Christ Pantocrator, fresques de corse, Trône de Grâce | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : san quilico, castagniccia, fresques de san chirgu, tetramorphe | Facebook |