29/03/2012
L'expression de l'esprit baroque dans les églises de Corse: une balade avec les lycéens de Balagne
Découverte du patrimoine baroque des églises de Balagne avec les lycéens d'Ile Rousse:
Ce jeudi 29 mars, les élèves de seconde du lycée de Balagne iront à la rencontre de l'esprit baroque de nos églises de Balagne: parfaitement préparés par leur professeur d'histoire, Madame Marika Agostini qui est à l'initiative de ce projet, cet après-midi viendra compléter leur approche déjà solide du sujet, avec la découverte festive du Baroque dans tous ses états, architecture, stucs, peintures ... et musique, puisque les orgues historiques seront de la fête.
la façade de l'église San Salvatore de Costa, sobre et unissant deux édifices mitoyens: l'église et la confrérie.
(vue d'ensemble de l'église de Costa,vers le choeur)
Au programme, la minuscule église san Salvatore de Costa (Pieve de Tuani, diocèse de Mariana ed'Accia) , construite dans la seconde moitié du XVIII° s), avec son incroyable décor plafonnant du corse Francesco GIAVARINI (début XIX°s.),
(vue de la voûte, vers l'orgue: fenêtres et rideaux en trompe-l'oeïl, motifs végétaux: un art baroque qui perdure même s'il glisse vers le néo-classicisme )
http://youtu.be/ZnIcQVjz-Tk
et son petit orgue anonyme du début XIX° siècle, restauré en 2004, sur sa précieuse tribune baroque de bois galbé, dorée à la feuille et délicatement décorée, oeuvre présumée d'Anton Giuseppe SALADINI, ébéniste virtuose de Speluncatu ( 1763/ 18441) et de Bernardo ZIGLIARA pour le décor (signé et daté en 1819).
et la confrérie du Rosaire, attenante à l'église, avec son très bel autel de stuc, oeuvre en 1778 d'Antonio SARTORI delle VILLE, un italien d'origine milanaise élève et suiveur de l'école de peintre-stucateur des Raffalli de Piedicroce (Castagniccia) , qui entre en apprentissage en 1770 auprès du maître stucateur Domenico Impernetti (lui même formé par les Raffali) lors de la campagne de décor de la Collégiale Santa Maria Assunta de Speloncato, toute proche.
Il faut souligner la continuité d'un art appris par des corses, les Raffali de Piedicroce, auprès de grands maîtres stucateurs venus oeuvrer en Corse au début du XVIII° s. de Lombardie (Domenico Baino, Angela Maria Fontana) ou de Suisse (les frères Lucchini), puis transmis quelques décennies plus tard, à un jeune italien ...
Cet autel de Sartori delle Ville marque une évolution du baroque par rapport aux oeuvres de ses maîtres: une certaine raideur s'instaure dans le discours, les rampants du fronton brisé basculent vers le cartouche central, l'expression se durcit... Par comparaison, voici deux autels de la Collégiale de Speloncato, réalisés par ses maîtres :
l'autel-retable dédié à San Filippo Neri en extase devant la Vierge, érigé en 1767 par Ignazio Saverio Raffali, en compagnie de deux "élèves", dont Domenico Impernetti: notons la présence des colonnes torses, réalisés, comme le reste, en stuc, à l'imitation du marbre.
tout comme le petit monde animé du fronton: anges en ronde-bosse, installés en amortissement et enseignement par l'image: le coeur emblème de San Filippo Neri, mis en exergue dans le médaillon central, tandis que, pour bien rappeler le message, l'ange de droite brandit lui aussi un coeur : mes amis pédagogues le savent, "bis repetita placent", il faut répéter les choses plusieurs fois pour que "ça rentre". L'art baroque dans les églises s'inscrit dans cette pédagogie et les messages sont multipliés à l'envie. Ainsi en est-il des nombreux anges et angelots qui peuplent les églises baroques de Corse. Le message de l'époque est clair: on n'arrivera pas au paradis sans l'aide de ce monde ailé et intermédiaire ... Leur nombre est impressionnant dans chaque église et leur comptage vous garantit un bon torticolis.
Autre image récurente: la Colombe de l'Esprit Saint, qui accompagne presque toujours et annonce une dévotion à la Vierge Marie. C'est une référence à l'Annonciation. Regardez bien, elle est présente sous le coeur enflammé du médaillon central.
et, toujours à Speloncato, l'autel de l'Immaculée Conception, érigé le 7 octobre 1770 par Domenico Impernetti, passé maître stucateur, avec son élève Antonio delle Ville ... Malheureusement ici la cuve de l'autel baroque a été détruite et remplacée, ce qui nous fait perdre un élément important de la structure baroque initiale. Malgré cette perte, l'ensemble de l'architecture reste délicieux, et extrêmement rythmé : volutes, colonnes torses, pilastres, entablements, médaillons, rampants ... l'art baroque est une musique fantasque qui conduit le regard et l'âme vers le haut.
et son fronton.
Ne croyez pas que les pots de fleurs soient purement ornementaux, non, ils s'inscrivent dans la pédagogie du regard, car il ne s'agit pas de simples fleurettes, ce sont des roses, la fleur emblématique de la Vierge, et c'est une sorte de message "subliminal" complémentaire de l'image principale exprimée dans le médaillon central supérieur: la Colombe de l'Esprit Saint qui plonge, rayonnante, vers la Vierge ... Dans le médaillon inférieur, on retrouve un autre message important: le A et M entrelacés désigant à nouveau la Vierge Marie par la salutation Ave Maria, surmontée ici d'une couronne.
Il faut rappeler cette époque tourmentée de l'histoire de la Corse : nous sommes au lendemain de la bataille de Ponte Novu qui signe la fin de l'indépendance de la Nation Corse qui s'était placée sous la protection de la Vierge - Reine de la Corse -, et le culte marial prend un essort considérable pendant tout ce XVIII°siècle : dans la Corse d'aujourd'hui, l'hymne du Diu Vi Salve Regina témoigne de cette réalité.
Muro : le discours élaboré d'une façade baroque accomplie: trois niveaux allant en se rétrécissant, scandés par des pilastres, des niches, des statues, conduisent le parcours du regard et enseignent le fidèle. Ici l'aspiration vers le haut, vers le ciel, est particulèrement puissante.
La grande église de la Santa Nunziata de Muro ( Pieve de sant Andrea, diocèse de Mariana ed'Accia): reconstruite ( après la destruction de la première église, en 1743) au milieu du XVIII°s. "à la moderne": une louange baroque commencée au XVIII° s. et qui enchante toujours en plein XIX° s. " A la moderne": une nef élargie pour recevoir une nombreuse population, redistribuant l'espace au détriment des chapelles latérales, qui perdent la profondeur initiale qu'elles devaient avoir dans l'église du XVII°s.; un choeur rétréci par rapport à la nef, et un décor foisonnant qui chante la louange divine et enseigne le peuple.
l'autel des Âmes du Purgatoire: le décor festif de la Mort
crâne et tibias font partie de la fête, tout comme les flammes, en amortissement des colonnes. Un dialogue mouvementé entre les éléments de l'architecture et les messages de la piété baroque, où chacun joue sa partition pour la plus grande gloire divine ...
et son orgue Pagnini XVIII°/ Agati-Tronci XIX° siècle, logé dans un élégant ensemble tribune/buffet où l'on retrouve le travail d'A.P. Saladini.
Enfin, Corbara:
Vue de haut de la Collégiale de la Santa Nunziata de Corbara , l'une des quatre de Corse, dont trois en Balagne ( Speloncato, Corbara, Calenzana) et une dans le Cap Corse ( Luri) : signe de richesse de ces deux régions.
On remarque la hauteur trompeuse de la façade par rapport au corps de l'édifice, et le haut campanile: ces deux éléments, ainsi que l'enduit éclatant signalent de loin l'égise parmi les maisons du village: "regardez comme je suis grande et belle!".
la façade de la Collégiale Santa Nunziata de Corbara: élevée sur deux niveaux surmontés d'un édicule au centre du fronton, rythmés par des pilastres, annonçant un volume composé d'une nef centrale et de deux collatéraux. La scène de l'Annonciation racontée par des sculptures de marbre: l'ange Gabriel, Marie et la colombe de l'Esprit Saint.
Enfin, à l'intérieur, la lumineuse Collégiale Santa Nunziata de Corbara ( Pieve d'Aregno, diocèse d'Aleria) et, dialoguant de part et d'autre de la nef, le majestueux maître-autel baroquissime,
en marbre de Carrare de Pietro Cortesi: une richesse inouïe pour une église de village! sous son dais et le décor à larges rideaux en trompe-l'oeïl du XIX° siècle (une mise en scène théâtrale caractéristique de l'esprit baroque) et, de l'autre côté de la nef, non moins majestueux,
l'orgue imposant Saladini/Agati-Tronci XIX° siècle, restauré et relevé en 2011: on vient de retrouver le décor d'origine qui s'apparente directement à celui du petit orgue de Costa. Voir la note:
http://elizabethpardon.hautetfort.com/archive/2011/11/28/l-orgue-de-corbara-retrouve-son-eclat.html
et que le festin baroque commence!
Faut-il rappeler que toutes ses églises avaient une voix, celle de l'orgue, qui dialoguait avec la voix des chantres, chaque communauté de la Balagne mettant son point d'honneur à chanter différemment de sa voisine (et mieux, si possible!) : un véritable patrimoine immatériel que certains villages ont su sauver et remettre en vie, en particulier grâce au renouveau des confréries . Quant à la musique de l'orgue, elle exprime toutes les nuances de la sensibilité baroque, toutes les émotions, allant de l'intime au solennel, de la tristesse à la joie. Dans leurs polyphonies, orgues et chants participent à l'expression d'une même piété issue du Concile de Trente : c'est " l'art de la Contre-Réforme", qui sollicite tous les sens pour élever l'homme vers Dieu.
Je vous propose en annexe de retrouver deux vidéos intéressant notre sujet:
la première , enregistrée pour l'émission de FR3 Stantari
http://ma-tvideo.france2.fr/video/iLyROoafIUfF.html
la seconde, enregistrée pour France 2, et l'émission des Racines et des Ailes, évoque plus précisément les problèmes de la restauration de ce patrimoine baroque:
http://patrimoine.blog.pelerin.info/2009/08/07/video-le-tresor-fragile-des-eglises-baroques-en-corse/
(le sommet de l'autel de stuc de l'Annonciation à Corbara: dans le fronton interrompu, l'édicule où se déroule la scène de l'Annonciation, et tout autour s'affairent les anges: assis sur les rampants, l'un sagement médite sur un livre de prière, l'autre vous interpelle; au-dessus du fronton interrompu de l'édicule, en écho, deux angelots tiennent la couronne de la Vierge, tandis que volètent dans le ciel de l'arc, tenant une guirlande de roses ...)
Bibliographie:
enfin, l'on peut retrouver beaucoup d'informations nourries d'archives dans les ouvrages didactiques de Nicolas Mattei,
1/ Les églises baroques de Corse, à la recherche d'un langage oublié, CRDP de Corse, 1998
2/Le baroque religieux corse, éditions Albiana, 2009
et divers cahiers de la Fagec :
3/ Cahiers n°172-173-174-175. L'art baroque en Corse.
4/ Cahier Corsica n° 191: Les Raffali de Piedicroce d'Orezza peintres stucateurs dans les églises de Corse aux XVIII° et XIX° siècles, de Caroline Paoli
5/ Cahiers Corsica n° 228-229-230-231 : Colorations extérieures des monuments baroques , de Rino Fontana et Monique Traeber-Fontana
11:26 Publié dans corse, l'art baroque en corse, orgues historiques de Corse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : architecture et décors baroques en balagne, balagne, costa, muro, corbara, découverte du baroque corse, orgues historiques de corse | Facebook |