03/11/2018
le Carnaval de Castiglione, évocation
A l'attention des amis du Festival d'automne de la ruralité, je rediffuse cette note ancienne:
le Carnaval à Castiglione,
(pieve de Ghjuvellina)
"a Caccia amorosa"
"la chasse amoureuse"
Avec les enregistrements faits par l'ami ethnomusicologue Bernardu Pazzoni, des airs de Castiglione, et qui étaient joués au violon lors du carnaval:
www.youtube.com/watch?v=1Q-iGJt5T5E
www.youtube.com/watch?v=DhSxgRInhFI
http://www.dailymotion.com/video/xpj2lx_scurtiscella-di-castiglioni-village-corse-b-pazzoni-violon_music#.UekNTDxOKM8
(photo de C. Goergen)
le village de Castiglione sous ses impressionnantes Aiguilles de Rundinaia et le sommet de a Cima a i Mori (2180 m), construit à flanc de montagne au-dessus du vide: sous le village, des grottes, dont "a rotta di a sabara" dont on on raconte volontiers qu'elle traverse tout le massif - et qui est le paradis des chauves-souris endémiques et des spéléologues aventureux ...
( avec a scuttiscia di Piedigrisgiu et le violon de Bernardu Pazzoni: http://www.youtube.com/watch?v=C4dCN2IASH8
Le Carnaval de Castiglione s'est arrêté avant la seconde guerre. J'ai eu plus d'une fois l'occasion d'en parler avec Monsieur J.B. Cristini, le dernier protagoniste qui y avait participé, jeune garçon - et qui depuis, nous a quittés - il y a tout juste un an, à l'âge vénérable de 94 ans. Les anciens du village -aujourd'hui disparus, m'ont toujours dit que c'était un évènement qu'on attendait avec impatience chaque année: du dimanche au Mardi-Gras, trois jours d'un vrai carnaval libérateur, exutoire où se vidaient dans la fête et les danses les tensions quotidiennes des uns et des autres, et d'où l'on ressortait avec quelques bleus et quelques bosses mais gonflé d'énergie pour affronter dès le Mercredi des Cendres l'entrée dans le Carême.
Le Carnaval de Castiglione a été décrit en 1975 par Paulu Maestracci, l'ancien instituteur et violoneux de ce village et publié dans le Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse en 1981:
"BSSHNC N°674-675.
Courrier des lecteurs , p.137 à 142
SCÊNES VILLAGEOISES D'AUTREFOIS :
CARNAVAL À CASTIGLIONE
PAUL MAESTRACCI
Cette fête de toute la population du village, oubliée depuis une quarantaine d'années, n'a pas sa pareille dans toute la région. Elle est marquée par une très belle attraction qui tire son origine de l'époque lointaine et particulièrement tourmentée ou les Corses eurent à lutter contre les Arabes qui furent appelés chez nous, comme partout où ils essayèrent de s'installer, "les Maures" ( « I Mori », « I Turchi », « I Sarracini » N.D.L.D.).Nos aïeux de Castiglione, qui étaient doués, il faut le reconnaître d'une grande imagination, pensèrent à ces Maures contre lesquels leurs ancêtres avaient si vaillamment combattu pour s'offrir le jour du Mardi Gras un magnifique spectacle.
La fête commence le dimanche précédent, dès le matin. Toute une population s'affaire sur la place de l'église, on range des tables,
des bancs, des chaises on commence déjà à apporter quelques beignets et des bouteilles de vin du terroir. Dés que tout est en place, la jeunesse ouvre le bal. On danse au son du violon des polkas, des mazurkas, des scottish, des valses et l'on exécute aussi une sorte de marche rythmée appelée la "chasse amoureuse". ("a caccia amorosa")
Une police composée de trois guetteurs parcourt déjà les rues du village. Ces policiers sont enveloppés de peaux de bêtes ( I Pelliccioni), ils portent nouée autour de la taille une corde à laquelle pendent des guirlandes de clochettes, leur mission consiste à rechercher tout jeune homme qui aurait quitté la place ou tel autre qui pour n'importe quelle raison ne s'y serait pas encore rendu. Le rappel à l'ordre que le fautif reçoit de la part du guetteur est exemplaire ; ce dernier lui envoie violemment sur la tête, le dos ou le visage, un sac contenant une bonne quantité de cendre et qui fait partie de son équipement. La sanction ne s'arrête pas là ; il est traduit aussitôt après devant un tribunal composé de trois hommes d'âge avancé, et qui siège sur la place ; les trois juges
condamnent le délinquant à fournir au banquet deux ou trois bouteilles de vin.
Donc, le dimanche, bal toute la journée et, la nuit, les danseurs infatigables s'en donnent à cœur joie, sous la présidence de sa majesté Carnaval, espèce d'énorme épouvantail plein de paille tassée, les bras en croix, ayant pour visage un masque aux couleurs éclatantes et surmonté d'un immense chapeau. Ce bonhomme empaillé trône sur une pierre située au coin nord-est de la place que l'on appelle ici a petra di u rè.( on posait le bonhomme Carnaval sur le rocher et on chantait:
" Torna, torna, o Carnavà,
Chi in trionfu ti vulemu pirtà
Si a donna accusente
Durmeremu tutti inseme")
Le lundi, même ambiance, bal ininterrompu toute la journée ainsi que la nuit, de pleins paniers de beignets au fromage et des bouteilles de rosé garnissent maintenant les tables rangées dans les coins ou sur la petite esplanade surélevée que forme la pierre du roi. Les nombreux danseurs tournent à qui mieux mieux au son d'une musique purement corse ; ils s'arrêtent un instant, parfois, pour goûter les beignets ou se désaltérer.
Tous les danseurs garçons et filles sont présents ; cela prouve que le service des guetteurs est parfaitement assuré. Le son de leurs nombreuses clochettes ne cesse de faire un tintamarre monstre dans les rues du village, parfois un bruit sourd retentit; c'est celui d'un sac de cendre qui, ayant loupé sa cible, est allé s'écraser contre un mur. Les jeunes hommes, dès le dimanche, sont tenus de ceindre un de leurs bras d'un ruban très apparent ; ils sont considérés alors comme guerricelli on dirait en français guérilleros.
On sent qu'une chose qui sort de l'ordinaire se prépare, on commence à chuchoter : une telle sera la signora, autrement dit la reine de la fête, un tel le Maure noir, tel autre le Maure blanc, garçons et filles, après deux nuits sans sommeil, continuent leurs danses endiablées, mais attendent fébrilement la sensationnelle attraction que ces trois personnages vont présenter le lendemain.
Le mardi matin arrive : toute la population est en liesse jeunes et vieux ne pensent plus qu'au moment féerique au cours duquel se déroulera, l'après-midi, le scénario orchestré de main de maître.
Que va-t-il se passer? La signora est enfin désignée par un petit comité le choix se porte toujours sur une jeune fille qui sait bien courir. La voilà donc qui arrive sur la place à l'entoure de 14 h le visage radieux, toute de blanc vêtue avec un col bordé de dentelle ; un large ruban blanc ceint sa taille et des feuilles de lierre disposées en forme de cœur garnissent sa jupe. Elle commence tout de suite à exécuter quelques danses avec différents cavaliers.
Qui est cette signora ? Eh bien, c'est la reine du bal, de la fête, celle que tout le monde s'est donné pour souveraine en ce jour d'euphorie générale. Elle préside aux destinées d'une cour peu soucieuse du protocole mais ô combien sympathique! Elle est adulée par tous ; les guérilleros, en particulier, la couvent des yeux chacun brûle du désir de faire avec elle quelques pas de danse.
Mais en même temps que la signora arrivent sur la place le Maure blanc et le Maure noir et deux autres hommes bizarrement accoutrés. L'un est un chien , couvert de peaux de chèvres il a l'air très méchant et pousse des aboiements féroces quand un monsieur se permet de faire des avances à la reine.L'autre, c'est son maître ( u patrone). Il retient les exubérances de sa bête à l'aide d'une chaîne de fer qui s'attache au collier que l'homme chien porte à son cou.
Et les deux Maures? qui sont-ils? Que vont-ils faire? Le petit comité, qui a désigné la signora, le chien et son maître, choisit en même temps ces deux autres membres de la troupe qui en sont les personnages les plus importants et les plus hauts en couleurs. Ce choix s'avère particulièrement difficile car les deux jeunes hommes doivent avoir des corps d'athlètes et montrer de réelles dispositions pour la course à pieds, mais on a toujours trouvé dans notre village deux robustes gaillards pour jouer ces rôles.
La tenue des deux maures ressemble étrangement à celle de deux danseurs d'opéra, pantalons collants, vestons moulant la taille, l'un évidemment est tout habillé de blanc et l'autre, au contraire, tout en noir.Le maure blanc a saupoudré son visage de farine tandis que l'autre a noirci le sien de charbon. Chacun d'eux porte autour de la tête un ruban noir sur la nuque ; ce ruban est de la même couleur que le déguisement du personnage.
Chaque Maure tient dans sa main, en guise d'épée, une longue broche, l'un et l'autre marchent autour de la place en levant vers le ciel ces épées par des mouvements rythmés de leurs bras et on voit les deux tisonniers monter et descendre en cadence, parfois s'entre choquer, produisant alors un bruit sec qui fait tressaillir.Que viennent faire ces deux Maures le jour du Carnaval à Castiglione? Voilà la question! On suppose que ce divertissement doit être la mise en scène un récit imaginé de toutes pièces pour rappeler les faits et gestes des guerriers arabes lors de leurs incursions dans l'île, ou bien alors la parodie d'un fait authentique qui se serait passé au cours de cette même période de l'histoire de la Corse. Toujours est-il que ces deux Maures sont de passage à Castiglione à la fin du Mardi gras ; ils arrivent sur la place de l'église, on les accueille sans chaleur ; sans doute n'inspirent-ils pas trop de confiance toutefois ils ne sont pas éconduits, mais on peut remarquer que les guérilleros sont déjà sur pied de guerre
A un moment donné, le Maure noir commence à courtiser la signora qui est l'objet de l'adoration de tous et cette dernière se laisse prendre au jeu à tel point que, bientôt, elle quitte avec lui la place ; le Maure blanc leur emboîte le pas et tous trois descendent dans le bas du village pour emprunter le chemin du Pughjolu qui est celui qui desservait Castiglione avant la construction de la route carrossable.
(Vu du Poste des Maures ... Castiglione prêt pour l'attaque!)
Au bord de ce chemin et à l'endroit où il disparaît, derrière la colline qui fait face au village, se trouve une baraque en pierres sèches avec un toit de terre en forme de placette. Cette grange ou bergerie représente le "château" ou les Maures ont élu provisoirement domicile. La rustique bâtisse se voit très bien de la place de l'église. Avant donc de disparaître au tournant du chemin, les deux Maures invitent la signora à grimper sur cette terrasse (10 ou 12 m2) et là tous les trois exécutent une espèce de quadrille. On voit toujours les broches s'élever en l'air, s’entrecroiser et la Signora passer et repasser sous cet arc de fer. Peut-être cette démonstration est-elle de leur part une façon meilleure qu'une autre de souhaiter la bienvenue à leur hôtesse. A la voir danser de si bon cœur, on devine qu'elle est tout heureuse avec ses nouveaux compagnons. De la place, la foule qui n'a plus sa reine observe dans un morne silence ce spectacle pourtant ravissant. Cette danse campagnarde constitue le premier tableau de l'attraction.
Entre temps, le chien, son maître et un homme habillé en vieille femme corse, sans doute une confidente de la signora, se rendent sur la grande route, la suivent jusqu’au tournant du ruccidellu et de là gagnent une aire qui est à 4 ou 5 m en contrebas. Ils y rencontrent les deux Maures et la signora qui les attendent. la vieille femme a apporté un panier contenant des beignets et une ou deux bouteilles de vin. Les six membres de la troupe maintenant au complet prennent en ce lieu où l'on a battu tant de blé, sous un soleil complice de février leur repas champêtre.
Mais que se passe-t-il tout à coup? Voilà qu'en un clin d'œil, la place de l'église se transforme en camp retranché. Les guericelli ou guérilleros vont au lieu dit Cateragghiu et se postent le long d'un mur perpendiculaire à la grand-route. Qui attendent-ils? Eh bien les Maures! Ces derniers, non contents de leur conquête amoureuse ont projeté, durant leur pique-nique, de tenter un coup de main contre la place de l'église et s'en rendre maîtres afin d'emporter à la barbe de tous les courtisans de la reine, une bonne part des friandises qui s'y trouvent et qu'ils ont dû apprécier.Le clou de l'attraction va maintenant se dérouler. Le repas fini, les Maures montent sur la route, vont plus haut sur des terrains en pente, choisissent chacun un chemin différent pour mieux combiner leur attaque pour le moment on ne voit rien ; tout se passe derrière la colline qui fait face au village. Les deux chemins sont à peu près parallèles et séparés sur toute leur longueur par une distance d'environ 5 ou 6 m ; ils traversent des enclos et aboutissent au mur derrière lequel les guérilleros font le guet.
L'instant tant attendu est enfin arrivé! On voit se profiler sur la crête la silhouette des Maures. Ils courent à toutes jambes sur ces pistes encombrées de cistes et de pierres arrivent enfin au mur gardé, l'escaladent; les défenseurs essaient de les en empêcher ; un simulacre de combat a lieu ; les uns et les autres franchissent le mur dans les deux sens pas mal de fois. Soudain, une détonation déchire l'air ; personne n'est atteint mais cela indique que les Maures sont décidés à aller sur la place de l'église et puiser à pleines mains dans les paniers au savoureux contenu. Alors, comme on les sait très véloces,
c'est la course effrénée des guérilleros; vers le village. Le chien, son maître, la signora et la vieille femme suivent tant bien que mal cette folle équipée.
Cette scène, constituant la péripétie sportive, est celle que les enfants préfèrent.Les Maures arrivent parmi les premiers sur la place de l’église, cherchent les paniers de beignets et les bouteilles de vin que des mains prévoyantes ont entassés sur des tables occupant l'esplanade de la pierre du roi. Ces tables se trouvent derrière cinq ou six hommes alignés qui essaient de les dissimuler mais, surtout, de les défendre en tenant, à bout de bras, une poutre que, parfois, ils hissent bien haut. Si l'un des attaquants parvient à franchir cet ultime rempart, ils auront alors, tous les deux, partie gagnée.
Grâce à leur ruse et à leur agilité, les deux Maures arrivent toujours à s'agripper à la poutre, parfois même à s'y percher malgré les secousses qu'on lui imprime. Cette poutre sans cesse mouvante, manœuvrée par des bras vigoureux, semble tanguer sur des vagues et les deux gymnastes, se mettant respectivement à califourchon à chaque extrémité, en profitent pour faire une partie de
balançoire.
Mais ensuite l'un deux, du fait de la négligence simulée ou non d'un défenseur, réussit, en allongeant le bras et non sans efforts désespérés à chiper sur une table quelques morceaux de gâteaux.
C'est alors la grande bousculade; des glissades se produisent ; chacun se précipite sur l'auteur du larcin qui demeure insaisissable car la tradition veut que le geste qu'il vient d'accomplir symbolise, ce qui paraît à peine croyable, la victoire des Maures. Cette scène est très spectaculaire et très comique.
Peu après le calme se fait sur la place, les guérilleros retrouvent leurs cavalières et le bal va bientôt recommencer; mais les Maures n’en sont pas pour autant au bout de leurs peines.
Le violoneux se lève, fait le tour de la place en jouant des airs de circonstance, puis s'arrête dans un coin où la signora et ses partenaires vont nous offrir leur dernier numéro. Ils vont répéter le même quadrille que celui qu'ils ont dansé sur la terrasse de la maisonnette de campagne. Les deux Maures se placent assez près l'un de l'autre, tournent en sens inverse, marchent en cadence en levant haut les genoux. Les seuls sons qui sortent de leurs bouches sont des "brr! Brr! Brr!" répétés. Les épées sont encore dressées vers le ciel ; elles tournent elles aussi, vont, viennent, s'entrecroisent de temps en temps pour former de nouveau un arc de fer sous lequel la signora, souriante, aime tant à passer en balançant gracieusement ses bras et caressant du regard le spadassin couleur d'ébène.
(tableau de Paulu Maestracci illustrant la danse des deux Maures et de la Signora: Paulu Maestracci s'est représenté lui-même au violon jouant scottisch et contre-danses ...)
Mais voici qu'un coup de feu crépite, probablement tiré par un guérillero jaloux ; le Maure noir s'affale ; les spectateurs qui font cercle sont pétrifiés. Le Maure blanc toujours sur un pas de quadrille, le visage plein de tristesse, contourne le corps étendu tandis que la signora, visiblement consternée,s'approche du cadavre de son amant, s'incline et glisse entre ses lèvres un morceau de sucre. Aussitôt le "mort" revient à lui et le bal, qui avait cessé, reprend de plus belle, jusqu'au lendemain. Ce tableau tient lieu d'épilogue avec son instant dramatique.
Mais après la paix revient une paix, véritable cette fois, qui ne sera remise en cause que 12 mois après.
Bien des années ont passé sans que cette admirable attraction, comme on n'en voit pas beaucoup en Corse, vienne agrémenter les Mardis Gras à Castiglione.
Serons-nous longtemps encore privés d'un aussi merveilleux divertissement? Nul ne peut le dire.
Actuellement en tout cas, nous ne pouvons, au village, qu'évoquer avec une certaine mélancolie le souvenir de ces six personnages qui ont enchanté notre jeunesse.(Juin 1975) "
Ce beau témoignage - d'autant plus précieux qu'il émane du violoneux qui l'animait - nous parle d'un temps où il y avait encore au village de nombreuses forces vives (autour de 330 habitants en 1850, encore 200 h. vers 1925 pour chuter, après la guerre en 1946 à 86 h, et aujourd'hui à 34 h.), et où la fête paroxysmique du Carnaval prenait tout son sens dans cet environnement rude de la Ghjuvellina.Toutes les personnes interrogées disent avec une fierté légitime que ce carnaval attiraient de nombreuses personnes extérieures au village, "i furesteri", que l'on invitait fermement du reste à payer leur tribut à la fête sous forme de bouteilles de vin ...
Un Carnaval qui investit le territoire autour du village et requiert de solides qualités physiques, sans lesquelles on ne peut guère survivre dans ces montagnes escarpées, aujourd'hui prisées des sportifs. Carnaval "mauresque", ce qui ne nous surprend pas ici, sous a Cima a i Mori - avec une signora qui manifestement préfère son amoureux le Moru neru à tous les jeunes guerriccelli du village et "flirte" à leur nez et à leur barbe sans que la communauté y trouve à redire (le tître même de sa danse "a caccia amorosa", la chasse amoureuse est tout un programme )... seulement en ce Mardi-Gras! Il parait que le curé n'était pas trop d'accord, mais qu'il n'était plus le maître pendant trois jours. Carême viendrait bien assez tôt.
Paulu Maestracci ne mentionne pas dans son récit les préparatifs par tous du carnaval au moins un mois auparavant, des costumes faits de chiffons recyclés, vêtements trop usagés pour être encore rapetassés, des peaux de sangliers ou de chèvres (pour i Pellicioni, les sbires chargés de faire la police du carnaval à coups de sacs de cendre qu'ils portent à la taille), de sonnailles, de cornes ...
La signora était donc habillée d'une belle robe blanche ornée de lierre: cette "Hedera helix" n'est décidément pas une plante anodine. A la fois symbole d'immortalité, par la persistance de son feuillage vert, le lierre sert aussi de parure aux satyres et aux silènes, à Dionysos (avec les thyrses de son cortège, bâtons sacrés où s'enroulent feuilles de vigne et lierre) et évoque pour le moins la joie débordante de vivre. Et si l'on ajoute sa force vitale, qui lui permet de vivre enlaçant sans fin sa spirale (helix) au tronc des arbres morts, le lierre symbolise également une sorte de victoire de l'âme sur la mort. Oui, un choix fort, à Castiglione, entre deux mondes. Enfin, dans cette mascarade du carnaval la pure et blanche signora, jetant son dévolu sur u Moru neru, le Maure noir, semble vouloir s'acoquiner avec la face obscure de l'âme du village, la part du diable - ou, pour le moins, avec une force instinctive au détriment de la quête spirituelle qui reprendra ses droits, dès le lendemain, pendant le Carême.
On confectionnait donc u Rè (Carnaval), qui devait finir, comme il se doit après de nombreuses péripéties musclées, brûlé dans la nuit du Mardi-Gras. Monsieur Cristini disait aussi que dans la vitalité des danses qui duraient toute la nuit, nourries de délicieux gâteaux (e fritelle) et généreusement arrosées, de nouveaux couples se formaient pour le meilleur avenir de la population du village: l'arrêt du carnaval coïncide avec la chute démographique du village ...
Enfin comment ne pas évoquer, après ce Carnaval, l'entrée dans le Carême, temps de pénitence et de restrictions (ça, on connaissait bien à Castiglione!) qui va aboutir quarante jours plus tard à la Semaine Sainte? Monsieur Cristini, qui avait endossé le rôle de "u cane" durant le Carnaval, fut aussi l'un des derniers participants de la Passion qui était vécue au village (il se souvenait avoir fait l'ange) comme un véritable Mystère, joué par les villageois et déroulant dans la plus grande ferveur ses prières et ses chants devant le poignant décor peint du Sepolcru,
(anonyme, début XIX° siècle)
gardé par ses deux féroces gardes "mauresques"
le tout...
dans l'une des plus étonnantes petites églises que je connaisse, amoureusement entretenue et bichonnée par les dames du village ...
avec sa "tribune d'orgue" qui abrîte un vieil harmonium
et, entourée du Roi David et du petit saint Antoine de Padoue, notre bonne patronne de la musique, sainte Cécile, enturbannée comme une sultane mauresque ...
Enfin, je vous invite à découvrir l'excellent article d'Agnès Rogliano concernant le carnaval en Corse en recherchant le lien suivant:
revel.unice.fr/loxias/index.html?id=2697
et pour la découverte de cet extraordinaire massif granitique, visitez donc le site :
http://jerome.rattat.free.fr/Page_Cima_Mori/Page_Page_Cima_Mori.html )
10:56 Publié dans a caccia amorosa, Castiglione, moresca | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnaval, castiglione, carnaval de corse, mauresque, sepolcru de la semaine sainte, agnès rogliano, claude gordoen, bernardu pazzoni, paul maestracci, cima a i mori | Facebook |