01/11/2017
les fresques de la chapelle San Michele de Castirla
les fresques de la chapelle San Michele de Castirla
Pieve de Talcini
(je réactualise ici une note ancienne)
restaurées en 2012, en écho futur au commentaire que j'en ferai demain auprès des villageois de Castirla après la messe des Défunts dite à la chapelle:
merci à Monsieur le maire de son invitation!
Voici ce que disait Mgr MASCARDI de cette petite chapelle après sa visite en 1589 (fol 244) _ cité par Geneviève Moracchini Mazel, p. 329 de son ouvrage (hélas épuisé) sur les églises romanes de Corse:
" ... Eglise paroissiale San Michele, annexe de Sant'Andrea d'Omessa ... elle se trouveà un tiers de mille des habitations ... son toit laisse passer la pluie ... il y a deux portes ... les murs sont pleins de trous et comportent une fenêtre en mauvais état ... il y a une cloche pendue à un arbre ... l'autel est placé sous une abside peinte ... il y a 21 feux et 80 âmes".
J'avais signalé en Août 2008 l'état inquiétant de cette petite chapelle préromane en son cimetière ( une première fois sauvée de la ruine en 1963, première restauration des fresques en 1964, puis toiture refaite en 1984 ...)
Entre temps les volontés conjuguées de la Municipalité de Castirla et de la Collectivité Territoriale de Corse ont permis de restituer l'intégrité et tout le charme de cette modeste chapelle. La charpente (qui s'était effondrée sous l'action des intempéries et de la mérule) a été à nouveau refaite, elle a reçu une nouvelle couverture de teghje, l'extérieur et l'intérieur nous accueillent aujourd'hui à nouveau avec grâce et simplicité.
Dans l’abside l’on découvre une fresque certes naïve dans sa réalisation, mais qui maîtrise parfaitement la teneur des messages délivrés :
Ce que l'on découvre en entrant, vers l'abside, côté est
et vers la porte ouest
Les fresques ( fin XV° siècle) restaurées en 2012 :
(par l'atelier Paillard Boyer de Montpellier)
l'ensemble des fresques:
Dans l'abside en cul de four, au registre inférieur, le niveau des hommes, la série des douze apôtres dont on peut encore lire certains noms; au-dessus, pieds nus en dedans le personnage central du Christ en majesté, entouré du Tétramorphe (les quatre Evangélistes), Dans l'arc triomphal, la traditionnelle représentation de l'Annonciation; sous l'Ange Gabriel, Marie tient l'Enfant Jésus sur ses genoux; sous la Vierge de l'Annonciation, Saint Michel, le saint patron de la chapelle.
au centre, le "Christ Pantocrator" : le Christ en majesté
Le Christ Pantocrator : bénissant de sa main droite, pouce, index et majeur levés- le geste de la bénédiction "latine". Dans cette représentation du Christ en majesté, telle qu'on le retrouve habituellement peint au centre des absides de nos chapelles à fresques, ce geste de bénédiction délivre en outre le message trinitaire, bénédiction donnée par le Père, le Fils et l'Esprit Saint. Il est le Logos incarné : « Au commencement était le Verbe (le Logos), et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. » (Première ligne du Prologue de l’évangile selon Saint Jean).
Assis sur un trône, il tient sur ses genoux le Livre divin ouvert sur cette parole :
" EGO SUM LUX MUNDI ET VIA VERITAS ET VITA" :
« Thomas lui dit: Seigneur, nous ne savons où tu vas; comment pouvons-nous en savoir le chemin? Jésus lui dit: Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Et dès maintenant vous le connaissez, et vous l'avez vu… » (Saint Jean 14- 6)
" EGO SUM LUX MUNDI ET VIA VERITAS ET VITA"
Le Christ est entouré du Tétramorphe, la personnification zoomorphe, ailée, symbolique des quatre Evangélistes . Un peu de révision, en passant par les traditions ésotériques, de ces quatre éléments qui apparaissent dans l'Apocalypse de Saint Jean, hérités des civilisations égyptiennes et mésopotamienne, et en particulier de la vision d'Ezéchiel dans l'Ancien Testament :
(la vision cosmique d'Ezéchiel: les 4 Vivants tirant le char divin ont chacun 4 faces : homme, taureau, lion et aigle ...) - gravure de 1571
Au registre inférieur les évangélistes « terrestres » :
- Le Taureau (ou le Boeuf) de Saint Luc : aux premiers versets de son évangile, Saint Luc fait allusion à Zacharie qui offre un sacrifice à Dieu. Ici, le sacrifice et la Mort, la terre, la résistance.
- Le Lion de Saint Marc: la Résurrection, le feu, la force, le mouvement.
Au registre supérieur les évangélistes « célestes » :
- L'Ange (ou l'Homme ailé) de Saint Matthieu: l'Ange de la Naissance, l'intuition de la vérité. Cet évangile s'ouvre sur la généalogie de Jésus, en commençant par Abraham.
- L'Aigle de Saint Jean (ici très effacé, hélas): son évangile (l’Apocalypse), le dernier livre du Nouveau Testament, commence par le mystère céleste. C’est l’évangile le plus visionnaire, il évoque l'Ascension, l'air, l'intelligence, l'action.
Le Christ Pantocrator et le Tétramorphe sont évoqués dans les Visions prophétiques de l’Apocalypse de Saint Jean :
(…) « Après cela, je regardai, et voici, une porte était ouverte dans le ciel. La première voix que j'avais entendue, comme le son d'une trompette, et qui me parlait, dit: Monte ici, et je te ferai voir ce qui doit arriver dans la suite. Aussitôt je fus ravi en esprit. Et voici, il y avait un trône dans le ciel, et sur ce trône Quelqu'un était assis. Celui qui était assis avait l'aspect d'une pierre de jaspe et de sardoine; et le trône était environné d'un arc-en-ciel semblable à de l'émeraude. Autour du trône je vis vingt-quatre trônes, et sur ces trônes vingt-quatre vieillards assis, revêtus de vêtements blancs, et sur leurs têtes des couronnes d'or. Du trône sortent des éclairs, des voix et des tonnerres. Devant le trône brûlent sept lampes ardentes, qui sont les sept esprits de Dieu. Il y a encore devant le trône comme une mer de verre, semblable à du cristal. Au milieu du trône et autour du trône, il y a quatre Vivants constellés d'yeux devant et derrière.
Le premier Vivant est semblable à un lion, le second Vivant est semblable à un jeune taureau, le troisième Vivant a le visage d'un homme, et le quatrième Vivant est semblable à un aigle en plein vol. Les quatre êtres vivants ont chacun six ailes, et ils sont remplis d'yeux tout autour et au dedans. Ils ne cessent de dire jour et nuit: Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu, le Tout Puisant, qui était, qui est, et qui vient! Quand les êtres vivants rendent gloire et honneur et actions de grâces à celui qui est assis sur le trône, à celui qui vit aux siècles des siècles, les vingt-quatre vieillards se prosternent devant celui qui est assis sur le trône et ils adorent celui qui vit aux siècles des siècles, et ils jettent leurs couronnes devant le trône, en disant: Tu es digne, notre Seigneur et notre Dieu, de recevoir la gloire et l'honneur et la puissance; car tu as créé toutes choses, et c'est par ta volonté qu'elles existent et qu'elles ont été créées. » (Apocalypse de Saint Jean – 4)
Au registre inférieur, sous le Christ, et derrière l'autel, alternant sur fond ocre rouge ou blanc, les douze apôtres, représentés en pied et curieusement proportionnés, raccourcis, espace oblige. Leurs visages animés, dialoguant, de trois quart, semblent suspendus à leur vision intérieure, et leurs mains prêchent et dialoguent: chacun tient précieusement le Livre ...
certains portent leur nom au-dessus de leur tête, comme ici Saint Philippe et Saint Matthieu
Saint André et Saint Taddée,
Saint Jacques le Mineur
Saint Jacques le Majeur et un autre apôtre
Saint Pierre et ses clefs sous le pied nu du Christ
un autre apôtre, enseignant, index levé
et encore celui-ci: le juvénile Saint Jean, me semble-t-il, l'apôtre bien aimé sous l'autre pied du Christ ...
Saint Barthélémy, impressionnant écorché, armé du couteau de son supplice,
et portant sur son épaule son double: sa peau ...
Les prunelles se sont parfois effacées, sans doute initialement peintes "a secco"
L'Annonciation
De part et d’autre de l'arc triomphal, dans les écoinçons, la traditionnelle représentation de l'Annonciation, très effacée :
à gauche, l’Archange Gabriel, le lys à la main (la fleur du messager, et symbole de la pureté), fait son annonce à Marie: sa main gauche, poing fermé, a quelque chose de presque violent, le message ne laisse pas de place au doute et encore moins à la négation - Marie, même craintive, ne peut pas se refuser.
A droite, agenouillée sur son prie-Dieu, habillée de sa traditionnelle robe rouge et drapée dans son manteau bleu, Marie reçoit. Le rouge de la robe évoque pour moi le ventre fécondé de la Vierge (son humanité), tandis que le manteau bleu symbolise sa nature céleste et pure, le bleu étant une couleur extrêmement chère à produire à cette époque, et donc réservée au plus grand.Tous deux sont représentés dans la chambre close de la Vierge, symbolisée par une tenture rouge, et évoquant la pureté inviolable de Marie. En même temps que la parole du messager Gabriel, la Colombe de l’Esprit Saint a pénétré cet espace clos et elle est déjà à l’œuvre dans l’intimité de Marie.
(avec Josquin Desprez: Gaude Virgo, Mater Christi)
https://youtu.be/rdZWmiYmlYc
Sur le piédroit à gauche de l’arc triomphal, sous l'Archange Gabriel, Marie tient l'Enfant Jésus sur ses genoux. La Vierge présente l'Enfant à l'adoration des fidèles : à la fois Mater Christi (Mère du Christ) et Mater Ecclesiae (Mère de l'Eglise).
(avec Jacky Micaelli, Tota pulchra es Maria, d'après un manuscrit franciscain du XVIII° s.de Corse, revu par Marcel Perez)
http://youtu.be/jJhLAND4gc0
Sur l’autre piédroit de l’autre côté de l’arc, sous la Vierge de l'Annonciation, Saint Michel, le saint patron de la chapelle, noble guerrier armé et cuirassé, pèse les âmes et maîtrise de sa lance le Diable : une représentation omniprésente dans toutes nos chapelles à fresques. Saint Michel est le chef des milices célestes et le grand peseur d’âmes des chrétiens.
Sous la lance de Saint Michel, Satan, toujours actif: il ronronne comme un gentil dragon apprivoisé, fouettant l'air de sa queue: méfiance! je crois qu'il tente d'attraper la petite âme vacillante qui glisse par-dessus bord du plateau de la balance ...
silence!
Certes le peintre de Castirla n'est sans doute pas un fresquiste virtuose, mais il a su donner toute leur intériorité à ses visages et transmettre avec sincérité les messages essentiels, sans gloses superflues ...
Une petite chapelle paisible
où il fait bon revenir
et se retrouver.
Elle est située le long d'un chemin de transhumance autrefois très fréquenté, reliant la vallée du Golo à la région du Niolo, en passant par la saignée minérale de la Scala di Santa Regina...
Renseignements à la mairie de Castirla : 04 95 47 41 40
14:01 Publié dans fresques de corse, tetramorphe | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook |
Commentaires
Merci encore pour cette journée avec vous et pour le travail fait de retranscription avec image!
Magnifique
Jean Marie
Écrit par : Imhoff | 01/11/2017
Merci encore pour cette journée avec vous et pour le travail fait de retranscription avec image!
Magnifique
Jean Marie
Écrit par : Imhoff | 01/11/2017
je vous suis avec plaisir depuis un certain temps ( même si je suis bien loin de Corse !!!) mais j'aime particulièrement ce travail sur cette magnifique petite chapelle que je ne verrais probablement jamais !
je tenais à vous remercier très sincèrement pour le plaisir que vous m'avez donné avec ce texte et ces photos.
respectueusement,pace e salute
Écrit par : monique frigara | 01/11/2017
Merci encore pour cette journée avec vous et pour le travail fait de retranscription avec image!
Magnifique
Jean Marie
Écrit par : Imhoff | 03/11/2017
Les commentaires sont fermés.