Les vignobles dévastés
La xylella fastidiosa n’est pas une maladie nouvelle ! Elle apparaît, pour la première fois en 1882, dans le Sud de la Californie, près de Los Angeles, où elle attaque la vigne et dévaste les vignobles. Transmise déjà par la cicadelle, elle produit un gel qui empêche l’eau de circuler dans les tissus végétaux, provoquant, ainsi, leur dessèchement. Appelée « maladie de Pierce », du nom du professeur qui l’étudie, l’épidémie gagne, au début des années 1930, le Nord de la Californie et ravage La Napa Valley, une des régions viticoles les plus importantes et les plus prestigieuses des Etats-Unis. Comme il s’avère impossible d’éliminer cet agent pathogène, les viticulteurs américains apprennent à vivre avec ! Dès les années 70, la xylella infecte mortellement d’autres plantes et cause des maladies appelées la « phoney disease » pour les pêchers ou le « leaf scorch » pour le laurier-rose et les plantes ornementales, et se propage dans 27 Etats américains. Elle atteint l’Amérique du Sud où elle touche le café au Costa-Rica, les agrumes au Brésil et en Argentine. En 2012, plus de 60% des orangers et deux millions de citronniers de la région de Sao Paulo sont infectés. Les mandariniers, eux, résistent à la bactérie. Nul ne sait pourquoi !
Trop d’incertitudes
Il faudra plus d’un siècle aux scientifiques pour réussir à isoler la cellule de la xylella et à l’étudier, elle leur donne tellement de fil à retordre qu’ils l’affublent de l’adjectif « fastidiosa », la fastidieuse ! Les 200 chercheurs, réunis en symposium à Gallipoli, espèrent « trouver des idées nouvelles » pour lutter contre la maladie et proposer des solutions à mettre en œuvre. Mais personne ne se fait trop d’illusions, car en dépit des avancées déjà réalisées, trop peu de chercheurs et de laboratoires y travaillent, faute de fonds disponibles ! Les crédits alloués sont dérisoires face à l’ampleur de la catastrophe qui s’annonce. Et ce que l’on sait déjà contient plus d’incertitudes que de certitudes ! On sait, depuis peu, que l’efficience de la transmission varie selon la plante, l’insecte et le génotype de la bactérie. Plus de 13 espèces d’insectes sont des vecteurs de transmission potentiels. Mais, la propagation de la xylella ne se résume pas à la présence de cicadelles infectées, elle dépend d’une conjonction de facteurs environnementaux, surtout climatiques. « La diffusion exponentielle de la bactérie se fait d’arbre en arbre par de multiples vecteurs et par différents génotypes. La maladie peut toucher toutes les plantes. Elle s’étend, aujourd’hui, jusqu’à Taïwan et menace l’Europe et la Chine. Mais, comme elle change radicalement d’un lieu à un autre, on ne comprend pas pourquoi elle se diffuse ou pas, alors que les conditions climatiques sont similaires », explique le professeur Purcell de l’université de Californie, spécialiste mondial de la xylella.
Un climat propice
« Un climat humide et chaud est plus favorable à la transmission et à l’explosion de l’infection. Plus le temps est chaud, plus la maladie se propage, alors que le froid tend à la limiter. La bactérie peut, déjà, être présente dans un lieu, ne pas s’exprimer et être soudain révélée par une hausse des températures », poursuit H.D. Coletta Filho, responsable des recherches à l’Institut agronomique de Campinas au Brésil. En même temps, l’hiver n’a pas stoppé l’épidémie en Floride ! En bref, comme le résume le professeur Domenico Bosco, chercheur au département des sciences de l’agriculture, de la forêt et de l’alimentation à l’université de Turin : « Nul ne peut savoir si la maladie va ou non se développer dans une région, ni quelle plante elle va infecter ! Elle peut toucher, dans un endroit, la vigne et, dans un autre, l’olivier ! » D’où la complexité de l’incertitude sur les risques éventuels de diffusion et la difficulté de trouver des réponses pour éradiquer ou simplement contenir le fléau.
Peu de réponses
Une incertitude d’autant plus inquiétante que tous les scientifiques présents au symposium ne cachent, ni leur scepticisme, ni leur pessimisme. « La xylella est une bactérie qui fonctionne sur le même mode qu’une bactérie humaine et comporte les mêmes risques de transmission et la même difficulté, voire l’impossibilité, d’obtenir une réponse définitive d’un point de vue scientifique », prévient Marina Bardi, coordinatrice du Comité scientifique international qui se réunira, de nouveau, le 30 octobre à Rome. D’où la nécessité d’évaluer en permanence l’efficacité des mesures prises afin de les réajuster : ce sera le rôle du Comité. Aucun scientifique n’élude le risque de propagation du fléau en Europe, notamment en Corse, en Sardaigne et en Sicile. « C’est évidemment une probabilité comme pour les bactéries humaines, comme pour toute bactérie et toute maladie ».
Les herbicides en question
Un collectif d’associations de défense de la santé publique des citoyens pointe du doigt « l’utilisation massive, sans aucun contrôle, des herbicides et pesticides dans l’agriculture locale, qui ont préparé le terrain à l’expansion de la xylella. Les herbicides détruisent les plantes et engendrent un milieu favorable aux bactéries ». Un avis que ne partage pas Daniel Sainte-Beuve, responsable des filières végétales auprès de l’ODARC, mandaté pour évaluer la situation dans les Pouilles et le risque potentiel pour la Corse. « C’est un point de vue. Quand les plantes sont affaiblies, les herbicides accentuent, éventuellement, cette faiblesse. Les plantes sont plus facilement attaquées et deviennent plus vulnérables aux pathologies. Cela peut être un facteur favorisant, mais pas un facteur déterminant ». Ce collectif assure que le retour aux pratiques antiques se révèle un bon traitement contre la xylella. « Il se peut que ces pratiques rendent les arbres un peu plus résistants parce qu’ils sont sans doute plus âgés et en bonne condition agronomique, mais ils seront inéluctablement attaqués par la xylella. Peut-être le sont-ils déjà ! Peut-être, sur eux, la maladie évolue-t-elle un peu moins vite ! », riposte l’expert de l’ODARC.
Des plants transgéniques
Pour tous les scientifiques présents, le seul moyen d’interrompre le cycle de la maladie est d’abattre les arbres atteints et de désinfecter les outils utilisés. Pour éviter la diffusion, les mesures préconisées sont toutes aussi pauvres : du monitoring pour contrôler l’évolution, des interventions pour éradiquer la cicadelle, vecteur de propagation, et la mise en quarantaine des régions sinistrées. Ensuite, que faire sur les zones contaminées ? L’Institut agronomique de Campinas teste des « nurseries saines » où les plantes poussent dans des conditions très protégées. Ce qui permettrait de faire chuter le taux d’infection. Pour d’autres, la survie de l’agriculture passe par les plants transgéniques. « Il faut trouver de nouvelles variétés plus résistantes pour sauver l’agriculture », affirme le professeur Purcell. Une issue, qui selon Daniel Sainte-Beuve, connaît des limites : « Des travaux, menés en Amérique du Sud, ont détecté une variété grecque d’olive qui serait, apparemment, résistante à la bactérie. Cette variété pourrait être cultivée, même dans une région contaminée. L’inconvénient est que chaque variété fournit un type différent d’huile. Perdre cette richesse patrimoniale, c’est perdre également une richesse au niveau des qualités organoleptiques de l’huile ». En plus, nul ne peut savoir si cette variété résistante sera, un jour, contaminée ou restera une porteuse saine.
N.M
La propagation de l’épidémie de la xylella ne se résume pas à la présence de la cicadelle, dans un lieu, mais à une conjonction de facteurs : présence de l’insecte, génotype, prédisposition du lieu, climat, saison, moment opportun… D’où l’incertitude sur les risques éventuels de diffusion et la complexité des réponses à trouver pour éradiquer le fléau. Domenico Bosco, chercheur au département des sciences de l’agriculture, de la forêt et de l’alimentation à l’université de Turin et spécialiste mondial de l’infection des Pouilles, explique, à Corse Net Infos, qu’il est, aujourd’hui, impossible d’éradiquer la xylella et que rien ne peut certifier qu’elle n’atteindra pas la Corse, malgré les mesures de confinement, où qu’elle n’y est pas déjà.
- Quels sont les facteurs qui interviennent dans l’extension du fléau ?
- Ce n’est pas seulement un problème d’espèce de cicadelle. Bien sûr, la cicadelle intervient comme vecteur, mais l’efficacité de la transmission dépend de l’ensemble du système : la variété de la plante, l’espèce de cicadelle et du génotype de la bactérie. Il est possible qu’un vecteur soit très efficace dans la transmission d’un certain génotype de la bactérie à une certaine plante, mais soit très peu efficace dans la transmission de la même bactérie à une autre plante. Il faut, donc, considérer l’ensemble du système.
- Un éventuel traitement ne devient-il pas, dans ce cas, complexe à trouver ?
- En principe, oui ! Mais, peut-être que la situation dans la région des Pouilles, comme l’a remarqué le professeur Martelli, peut être gérée parce qu’il semble que la xylella infecte surtout les oliviers et que le vecteur à même de transmettre la bactérie pathogène ne s’attaque qu’aux oliviers. Dans ce cas, on peut intervenir avec des insecticides et, peut-être, obtenir des résultats. Si xylella attaque toutes les plantes herbacées, le vecteur devient de nombreuses espèces. Là, la situation serait très difficile à gérer parce qu’on ne peut pas tout contrôler.
- Est-ce le cas dans les Pouilles ?
- On n’en est pas encore sûr ! Cela ne fait qu’un an que la présence de xylella a été détectée. Il faut encore faire des études, mais selon des études préliminaires, il semble que seuls, l’olivier et la Cicadella Philaenus spumarius sont les principaux acteurs. On peut, donc, intervenir.
- Les principaux, mais pas les seuls. La propagation menace l’Europe. Peut-on la stopper ?
- En principe, la propagation est possible partout, mais c’est aussi une question de climat. L’histoire de l’épidémie de xylella aux Etats-Unis nous a appris que l’on peut trouver la bactérie dans des régions qui connaissent un climat assez sévère. Mais, les épidémies se sont seulement déclarées dans des régions bénéficiant d’un climat assez favorable, comparable au moins au climat méditerranéen, même plus chaud que certaines régions de la Méditerranée. En effet, le Salento a un climat très favorable. Il ne connaît, pendant l’hiver, pratiquement aucune interruption de végétation, ce qui fait que la Cicadelle vectrice est présente toute au long de l’année tandis que, plus au Nord, un climat plus frais, l’hiver, peut arrêter la diffusion de la maladie.
- La Cicadelle a une faible autonomie de déplacement, quelques centaines de mètres. Mais, poussée par le vent, peut-on la retrouver dans les îles voisines, comme la Sicile, la Sardaigne ou la Corse ?
- Cette espèce de Cicadelle est très commune. On peut la trouver un peu partout en France. Mais le problème est différent pour la Cicadelle infectée. La maladie ne surgit que si tous les acteurs de la maladie sont réunis dans le même endroit, soit la bactérie, soit la Cicadelle infectée. Les Cicadelles infectées, qui se trouvent dans la région des Pouilles, ne peuvent pas se déplacer sur de longues distances. Leur diffusion par le vent n’ayant pas été étudiée, personne ne peut répondre aujourd’hui. Ce qui est possible, c’est que la Cicadelle voyage par avion, cette possibilité existe déjà avec les Etats-Unis ou le Brésil où la maladie est présente depuis longtemps. En général, la maladie se déplace avec les plantes qui arrivent des pépinières. Le commerce longue distance est le principal moyen de diffusion. Début octobre, de nouveaux plants de café, importés du Costa Rica et infectés par la xylella, ont été découverts dans le port de Rotterdam. Ce n’est qu’une fois que la maladie est importée que les insectes indigènes peuvent créer des épidémies.
- Le contrôle est-il possible ?
- Oui ! Il y a des contrôles aux frontières et des règlements qui, bien sûr, ne sont pas efficaces à 100 %. Leurs limites sont les mêmes que pour tous les pathogènes, pour tous les insectes qui sont des ravageurs de l’agriculture.
- Le confinement des zones infectées est-il efficace ?
- C’est la meilleure chose que l’on peut faire ! Aujourd’hui, l’éradication de la xylella est impossible. Partout, dans toutes les autres régions du monde, comme à Taïwan, où xylella a été importée, le pathogène n’a jamais pu être éradiqué ! Il faut, donc, tenter d’isoler la maladie, la confiner dans un endroit en mettant en place un cordon sanitaire pour au moins retarder, et même peut-être stopper, la diffusion. Je peux imaginer que, dans un futur proche, le Salento continue d’être une région infectée, mais que la maladie reste isolée dans cette région, peut-être pas pour l’éternité, mais pour plusieurs années.
- A condition qu’il n’y ait plus d’exportation de plantes contaminées. Comment s’en assurer ?
- La Communauté européenne et les autorités phytosanitaires italiennes sont concernées. Des règlements sont, déjà, en route. D’autres le seront bientôt pour empêcher tout commerce de plantes à partir des pépinières de cette région. Mais, on ne peut pas garantir 100 % d’efficacité. Il suffit d’acheter une plante dans un pot et de la transporter dans une voiture… C’est une question de probabilité ! Si on empêche le grand commerce, la probabilité de diffusion va sensiblement diminuer.
- La probabilité de diffusion n’est-elle pas d’autant plus importante que l’infection peut être transmise par d’autres plantes ?
- C’est, en effet, possible ! Les chercheurs de Bari ont, déjà, démontré, que la xylella n’a pas seulement infecté l’olivier, mais aussi d’autres plantes, non pas herbacées, mas des petits arbres ornementaux. Mais le commerce, d’une part, et la contamination de plantes indigènes d’une autre région par des plantes infectées venues d’ailleurs, d’autre part, sont deux questions différentes. Nous pensons que xylella a été introduite, plusieurs fois en Europe, ces dernières années, mais elle n’a trouvé que, l’an dernier, des conditions pour créer des épidémies. Donc, c’est toujours une question de probabilité !
- La xylella peut-elle déjà être présente en Corse sans qu’elle ait encore trouvé les conditions pour s’exprimer ?
- Oui ! C’est possible que des plantes infectées soient déjà importées, mais que la situation environnementale et les insectes vecteurs ne soient pas favorables au développement de la maladie.
- L’infection peut-elle déjà exister, masquée, et le dessèchement des plantes attribué à tort à un autre facteur ?
- Ce n’est pas difficile à vérifier par les services phytosanitaires. Il suffit d’échantillonner des feuilles et de faire des analyses moléculaires ou sérologiques pour vérifier si les symptômes sont ou non associés à la présence de la xylella.
- Quel est le temps de latence de la maladie ?
- Un temps de latence existe pour les plantes, mais pas du tout pour les insectes. Dès que l’insecte contracte la bactérie, il devient immédiatement infectieux. Le temps de latence varie beaucoup selon les plantes hautes. Il peut durer longtemps. Les Brésiliens parlent d’une latence qui peut durer jusqu’à deux ans pour les orangers, mais en général, elle ne dure que quelques mois.
- Dans les Pouilles, la xylella ne touche que les oliviers. Est-il possible qu’en traversant la mer, elle mute pour toucher d’autres plantes, la vigne par exemple ?
- Elle n’a pas besoin de muter pour toucher d’autres plantes, mais elle peut, aussi, muter. Nous savons, depuis des années, que cette bactérie peut infecter plus de 300 plantes hautes. Xylella a différents génotypes et comporte au moins quatre différentes sous-espèces. Les 300 plantes sont sensibles à toutes les sous-espèces qui affectent, chacune, de nombreuses plantes hautes. Mais, c’est possible ! Dans les Pouilles, le problème touche l’olivier, mais, il est possible que si on introduit la bactérie en Corse ou dans n’importe quel autre endroit, la maladie peut toucher d’autres plantes. On ne peut pas l’exclure !
- Peut-elle toucher des plantes sauvages, comme le maquis corse qui regorge de Cicadelle ?
- Y compris des plantes sauvages ! Oui !
Propos recueillis par Nicole MARI "