29/11/2010
Les orgues de Corse à l'honneur sur France Musique mardi 30 novembre
(le petit orgue anonyme de Costa, début XIX° s.)
Mardi 30 novembre à 22 h 30 sur France Musique
l'émission ORGANO PLENO de Benjamin François fera découvrir, pour ceux qui ne le connait pas encore, le riche patrimoine des orgues de Corse.
Petit rappel ...
LES ORGUES HISTORIQUES DE CORSE
Un patrimoine insulaire pour l’Europe à restaurer et faire vivre ...
(avec l'orgue Pagnini 1796/Agati Tronci 1878 de Muro par exemple )
La Corse, décidément, peut nous surprendre: cette île si faiblement peuplée, trop souvent malmenée par les conflits extérieurs ou intérieurs, aurait pu ne laisser de son paysage culturel qu’une identité exsangue, morcelée. Or ce peuple de montagnards, bergers et notables confondus, a légué un riche patrimoine aux multiples facettes, qui témoigne en particulier de son sens inné de la musique : le chant (qu’il soit ou non polyphonique, religieux ou profane), mais aussi la musique instrumentale tiennent une part primordiale dans sa vie.
Parmi tous les instruments populaires en Corse, invités à toutes les fêtes, cialambele, pirule, cetere, violons, cornemuses, mandolines, accordéons, guitares … pour n’en citer que quelques uns, on est étonné de trouver sur l’île un tel engouement pour l’orgue, si admirablement représenté sur l’île . Patrimoine important que l’on trouve non seulement dans les villes – huit instruments à Bastia, six à Ajaccio - mais aussi, et cela est beaucoup plus surprenant, dans les villages de l’intérieur : on peut du reste penser que les organistes de village avaient la même relation instinctive et passionnelle avec leur orgue que les violoneux du village avec leur violon …
Aujourd’hui la Corse est riche d’une centaine d’orgues historiques dont l’histoire et la facture nous sont mieux connues grâce aux travaux de recherche de Renaissance de l’Orgue Corse et au remarquable ouvrage de Sébastien Rubellin : « L’orgue corse de 1557 à 1963 » (éditions Alain Piazzola).
L’Italie a définitivement, là aussi, marqué de son empreinte la Corse, et les orgues, dès leur apparition (au 16ème siècle, aujourd’hui disparus) seront de facture italienne, avec diverses influences de la Péninsule : toscane, ligure, lombarde, romaine… Le seul orgue du 17ème siècle en état de jouer avait été construit en 1619 pour la cathédrale Sainte Marie de Bastia et chante aujourd’hui depuis 1844 à Piedicroce . Au 18ème siècle, sur les 66 orgues recensés, 36 se trouvaient dans des couvents ! Le 19ème siècle connaîtra une véritable « épidémie » organistique née de l’émulation entre communautés et verra même la naissance d’un atelier de facture d’orgue « italo-corse » dans le village de Speloncato en Balagne avec la famille des Saladini… A cette époque, la Corse devenue française reste - sur beaucoup de plans - de culture italienne jusqu’à la fin du 19ème siècle et l’on continue, en les faisant évoluer au goût du jour, de construire des orgues italiens. Dans la Corse du Nord, plus prospère, la concentration et la qualité de ces petits orgues corses interpelle le visiteur venu parfois de très loin. Le Sud, bien que plus pauvre, offre cependant aussi quelques beaux instruments, dont l’orgue Cavaillé-Coll de la Cathédrale d’Ajaccio qui en fait une exception française remarquable.
Les orgues de Corse, dont une partie non négligeable a fait l’objet de « restaurations à l’identique » (le bon facteur d’orgue réutilisant le maximum de matériel d’origine et observant attentivement tous les paramètres archéologiques de l’instrument), protégées ou non au titre des Monuments Historiques, sont dans leur ensemble de taille modeste, à la mesure de l’église qui les abrite et de la bourse peu garnie des communautés concernées: un clavier unique de 45 ou 50 touches, avec la première octave courte, une coupure au milieu (au do ou, plus tardivement au fa), pour faire chanter sur le dessus un Cornetto, une Voce Umana, et plus tard les jeux d’orchestre, un « Ripieno » (plenum) à rangs décomposés très lumineux, servant admirablement la polyphonie, parfois un Nazardo, souvent une Flauto à l’octave, un petit pédalier rudimentaire, quelques accessoires (Rossignol, Tamburo)… Le tout souvent logé dans un buffet élégant et installé sur une étonnante tribune construite et décorée avec goût et créativité …
(Au fait, ce bien bel instrument, restauré par Jean-François MUNO en 1982, a fait l'objet d'un enregistrement par Marie Hélène Geispieler en 2005 .)
A propos de restauration ...
L’intérêt de ces instruments n’est plus à démontrer. Voilà un patrimoine générateur d’émotions et promoteur d’un enjeu économique et touristique durable tant pour les communautés qui en sont responsables que pour les personnes venues de l’extérieur rencontrer la Corse dans sa richesse humaine, naturelle et culturelle. L’effort de restauration des orgues historiques de l’île entrepris il y a plus de quarante ans ne doit pas faiblir, à condition de prendre garde de restituer tout le caractère historique et archéologique de chaque instrument et de s’entourer de toutes les précautions d’usage.
Qu’il soit ou non classé Monument Historique, l’orgue, lors des appels d’offre, doit impérativement faire l’objet d’une véritable mise en concurrence des compétences et le sérieux des études préalables devrait pouvoir garantir aux communautés qui s’engagent sur ces dossiers onéreux l’excellence du résultat : l’argent investi pour ces restaurations largement subventionnées par la CTC, est celui du citoyen qui est en droit d’en demander des comptes.
Michel FOUSSARD, alors chargé d’une mission financée par la Direction Régionale des Affaires Culturelles et la Collectivité Territoriale de Corse avait rédigé en 1997 une excellente étude :
« L’ISULA DI L’ORGANI », les orgues de Corse, Situation, enjeux, propositions »
Il y évoquait l’intérêt essentiel qu’il y aurait à doter la Corse d’un CONSEIL SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE chargé en particulier d’accompagner dans leurs démarches les municipalités désireuses de faire restaurer l’orgue de leur communauté. A ce propos, lorsque l’orgue bénéficie d’un classement, le technicien conseil chargé de l’étude préalable ( subventionnée) rédige un cahier des charges détaillé qui doit mettre la municipalité à l’abri des mauvaises surprises. En absence de classement, et la technicité particulière de l’orgue n’étant pas à la portée de tout un chacun, le regard averti de ce Conseil scientifique et technique en amont de la restauration garantirait le sérieux de l’opération. L’expérience nous apprend hélas qu’un orgue insuffisamment bien restauré ne tarde pas à connaître les incidents qui vont le rendre impropre à l’usage qu’on en attend ... accords difficiles ... claviers laborieux ... ripieno indécis ...
Un facteur d'orgue a récemment comparé son travail de remise en vie des orgues muets au baiser du Prince Charmant qui éveille la Belle au Bois Dormant de son long sommeil : jolie comparaison, en souhaitant pour la Belle que l'haleine du Prince soit bien fraiche, que pur soit son désir, et ... qu'il ait auparavant acquis une solide expérience amoureuse !
Il semble donc urgent d'aider en amont les élus responsables du patrimoine lorsqu'ils s'engagent, et avec quel courage! sur la voie de la restauration de leur orgue. L'opération une fois terminée, il sera beaucoup plus difficile après coup de revenir sur un travail insatisfaisant, en particulier lorsque le vent se dispersera pernicieusement entre table, registres et chapes du maître sommier et causera des désordres qui réclameront à nouveau une intervention lourde: devoir remettre le sommier sur l'établi n'est jamais une mince opération et les subventions retombent rarement deux fois dans la même escarcelle ...
***
Un autre exemple, le doyen des orgues de Corse:
L’ORGUE DE PIEDICROCE (CASTAGNICCIA).
à l'église Saint Pierre et Saint Paul.
Construit en 1619, c’est le doyen des orgues historiques de Corse.
Avant d’être installé en 1842 dans la magnifique église de PIEDICROCE, cet orgue était à la Cathédrale Sainte Marie de BASTIA. En 1619, le Maître Giogio SPINOLA, facteur d’orgue génois, construit un nouvel orgue pour la Cathédrale en remplacement d’un orgue plus ancien qui existait déjà en 1571.
En 1636, l’orgue de Spinola est déjà en mauvais état et la Magnifique Communauté de Bastia décide de confier la restauration de l’orgue à un facteur d’orgue romain , Messire Brutus VISCHEA, qui se trouve alors à Bastia. Après ces travaux, l’orgue semble donner pleinement satisfaction… jusqu’au jour où, en 1661, la cathédrale est frappée à plusieurs reprises par la foudre, entraînant un incendie dévastateur : « l’éclair venant du campanile plongea dans la voûte de l’église et passa dans l’orgue, qu’il mit sans dessus dessous ainsi que beaucoup de ses tuyaux ; il brûla l’ornementation de l’orgue, et la rompit en tout petits morceaux ; toutes les fenêtres furent ébranlées par cette grande secousse, et réduites en miettes ; ensuite, de l’orgue, l’éclair s’enfonça dans le sol. Les ornements du buffet furent détruits, et après une forte secousse qui brisa toutes les fenêtres du chœur, l’orgue s’écroula sur le sol ».*
Restauré peu de temps après par l’organier SANTALUCCIA, l’orgue continuera sa vie liturgique à Sainte Marie… jusqu’au moment où la Ville de Bastia décide de faire construire un nouvel orgue « au goût du jour », et commande aux frères SERRASSI un instrument prestigieux et beaucoup plus important pour sa Cathédrale. On confie alors, en 1842, à Anton Pietro SALADINI, célèbre facteur d’orgue originaire de Speloncato, le soin de restaurer l’ancien orgue de Sainte Marie de Bastia et de le transférer dans l’église Saint Pierre et Saint Paul de Piedicroce où il se trouve aujourd’hui.
Grâce à la restauration d’Alain SALS (1975/1985), le bel orgue de Piedicroce est aujourd’hui le seul instrument en état de marche conservant des éléments du 17ème siècle : façade, buffet, sommier, Principale, Voce umana, Nazardo …
*Cité par Sébastien Rubellin dans : « L’Orgue Corse, de 1557 à 1963 », édition A. Piazzola.
DESCRIPTION ET COMPOSITION
La caisse du buffet, en châtaignier, est fermée par deux volets de toiles peintes :ouverts ils montrent un élégant décor bleu et or du XVIIIe siècle, repeint par-dessus l’ancien décor du XVIIe siècle. Fermés, les volets, repeints au XIXe siècle, illustrent le Roi David et Sainte Cécile, les saints patrons de la musique.
On peut aujourd’hui admirer l’ordonnance esthétique de cette façade exemplaire, constituée de cinq plates-faces de 5-9-5-9-5 tuyaux en étain, dont les écussons sont en ogive. Deux ensembles d’ « organetti morti » (des tuyaux décoratifs et muets) finissent d’animer cette composition typique du XVIIème siècle. Lors de la restauration, en 1975, Alain SALS a restitué la majorité de la tuyauterie du XVIIème siècle, extrêmement fragile, et refait à l'identique les 98 tuyaux qui avaient disparu.
Le grand fronton au-dessus du buffet porte les lettres signalant la dédicace à la Vierge Marie : « A.M. », pour Ave Maria.
Le sommier à registres coulissants, est probablement celui du XVIIe siècle.
Le clavier, avec octave courte selon l’usage ancien, à l’origine de 45 notes, a été agrandi par SALADINI de 5 notes dans les aigus.
Depuis sa restauration (1975/1985) par Alain SALS, le doyen des orgues corses parle aujourd’hui pour les fêtes du village et lors des concerts.
COMPOSITION:
Principale - Ottava - Decima nona - Vigesima secunda - Vigesima sesta -
Cornetto Soprani (2 rangs) - Cornetto Bassi (2 rangs)
Nazardo - Flauto in ottava - Voce umana
jeu de bassi (16’ et 8’).
Tempérament mésotonique (avec 6 tierces justes).
(détail des frontons de touche: lors de son transfert à Piedicroce, Anton Pietro Saladini a augmenté l'étendue du clavier de cinq notes dans les aigus.)
La surabondance des décors baroques, fresques, stucs et marbres qui envahissent cette grande église baroque de saint Pierre et Saint Paul de Piedicroce, édifiée en 1691, manifeste assez l'ancienne richesse de ce village, aujourd'hui plus dépeuplé qu'alors. C'est ici que l'on peut admirer le doyen des orgues corses.
Campé sur sa légère tribune de bois à claires-voies ornée de trophées musicaux réhabillés au XIX ème siècle sans trop de ménagement, le rose saumon et le bleu caeruleum recouvrant les verts d'origine ce magnifique instrument est pourvu de deux grands volets de toile peinte. Madeleine ALLEGRINI, lors de leur restauration a constaté plusieurs strates de décor : les lauriers ocres et verts du XVII ème siècle ont cédé la place, sur les volets intérieurs, à des feuilles d’acanthe qui épanouissent depuis le XVIII ème siècle leurs arabesques dorées sur un fond bleu intense. La belle façade caractéristique de SPINOLA, avec son ordonnance en cinq plate faces et ses deux séries d’organetti morti (tuyaux ornementaux, non postés), conjuguée avec les rinceaux dorés des volets ouverts donne beaucoup de majesté au vieil orgue. Au siècle dernier, on a rajouté un fronton bleu et fleuri où trône le monogramme de la Vierge (AM). Fermés, les volets font apparaître Sainte Cécile et le Roi David (les saints patrons de la musique) déclamés à nouveau au XIXème siècle par un pinceau quelque peu emphatique. La théâtralité redondante de ce décor est alors renforcée par la présence de lourdes volutes végétales, repeintes à la même époque, enroulées de chaque côté du buffet.
Depuis son transfert en 1842, le vénérable instrument tient désormais compagnie à la foule des saints et des anges qui peuplent l’église paroissiale de Piedicroce.
Pour finir cette petite note sur la valorisation des orgues de Corse, je rappelle l'énorme travail commencé et continué depuis 40 ans par Renaissance de l'Orgue Corse et celui mené par l'asssociation Saladini de Speloncato avec ses parcours, depuis 12 ans, de "la Montagne des Orgues", qui fait découvrir, ce patrimoine à une moyenne de 500 personnes chaque année ...
voir le site:
www.montagne-des-orgues.com
08:08 Publié dans orgues historiques de Corse | Lien permanent | Commentaires (5) | Facebook |
Commentaires
Je regrette beaucoup de n'avoir pu écouter France-culture, étant absente.
Dois-je vous dire mon agréable surprise d'avoir à disposition ce remarquable
travail sur les orgues corses. Originaire de Corbara par mon père, je passe tous mes étés à NONZA où l'orgue est en "piteux état".
J'ai connaissance du beau travail qui s'effectue en Corse autour de l'orgue.
Nous sommes un groupe à travailler sur le patrimoine avec diverses expositions dans ce village et nous pensons souvent à notre orgue !!!
Merci à Elisabeth Pardon.
Mes salutations les meilleures.
Anne-Marie.
Écrit par : Anne-Marie PASSANI de LAJUDIE | 02/12/2010
Je regrette beaucoup de n'avoir pu écouter France-culture, étant absente.
Dois-je vous dire mon agréable surprise d'avoir à disposition ce remarquable
travail sur les orgues corses. Originaire de Corbara par mon père, je passe tous mes étés à NONZA où l'orgue est en "piteux état".
J'ai connaissance du beau travail qui s'effectue en Corse autour de l'orgue.
Nous sommes un groupe à travailler sur le patrimoine avec diverses expositions dans ce village et nous pensons souvent à notre orgue !!!
Merci à Elisabeth Pardon.
Mes salutations les meilleures.
Anne-Marie.
Écrit par : Anne-Marie PASSANI de LAJUDIE | 02/12/2010
Je regrette beaucoup de n'avoir pu écouter France-culture, étant absente.
Dois-je vous dire mon agréable surprise d'avoir à disposition ce remarquable
travail sur les orgues corses. Originaire de Corbara par mon père, je passe tous mes étés à NONZA où l'orgue est en "piteux état".
J'ai connaissance du beau travail qui s'effectue en Corse autour de l'orgue.
Nous sommes un groupe à travailler sur le patrimoine avec diverses expositions dans ce village et nous pensons souvent à notre orgue !!!
Merci à Elisabeth Pardon.
Mes salutations les meilleures.
Anne-Marie.
Écrit par : Anne-Marie PASSANI de LAJUDIE | 02/12/2010
Ajourd´huy je ai vu un livre tres interesant pour les amants des orgues:
L'ART DU FACTEUR D'ORGUES
(BEDOS DE CELLES, FRANÇOIS)
PARIS, L´IMPRIMERIE DE L.F. DELATOUR, 1766.
Format: 29,7x21 Cmts.; XXXI+676 Págs. + 137 Il.
C´est une magnifique edition, facsimile.
http://editorial.maxtor.es/84-9761-761-4
Écrit par : ALEJANDRO | 20/12/2010
bravissimo
Écrit par : bacci - pisa | 01/06/2013
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