03/11/2009
Grunwaldo GRAFINI en Balagne: un peintre mystérieux
A la mémoire de Grunwaldo Grafini
Grunwaldo GRAFINI à la Collégiale Santa Maria Assunta de Speluncatu
A Speluncatu, la tribune de l'orgue
(orgue historique de Giovanni CRUDELI, 1810).
Cette tribune en forme de proue de navire est l'oeuvre remarquable et remarquée du fameux ébéniste de Speluncatu, Anton Giuseppe SALADINI, datée de 1821.
Le décor peint de cette tribune a été réalisé la même année par un peintre mystérieux qui signe dans un cartouche en haut d'un pan du buffet:
GRUNWALDO GRAFINI
[...]
1821
Cet artiste de ce premier tiers du XIX °siècle fait ici une oeuvre originale, d'un charme naïf et vivant, avec des personnages, atlantes et angelots qui semblent sortir tout droit de quelque conte des Mille et mille nuits ...
Fermé, le volet de gauche évoque dans un décor quelque peu fantaisiste le Roi David (le patron de la musique, version Ancien Testament) improvise sur sa harpe dans le Temple devant la face du Seigneur: un angelot - genre Fée clochette- volète au-dessus du saint personnage, couronne de laurier à la main, tandis qu'un autre fait office de lutrin...
Complétant la scène, les musiciens du volet de droite l'accompagnent aux cymbales et autres cialambele sacrées. L'autel enguirlandé d'une profusion de roses et de lys embaume le Saint des Saint ...
A gauche le premier panneau de la tribune nous présente une sainte Cécile (notre sainte patronne de la musique, version Nouveau Testament): dans sa robe virginale premier empire, Cécile semble jouer le petit orgue Crudeli (1812) d'une chapelle privée de Speloncato... Là aussi, cueillies dans je ne sais quel jardin paradisiaque, guirlandes et corbeilles fleuries accompagnent de leurs effluves musicales l'heureux utilisateur de l'orgue: de Grunwaldo Grafini, j'ignore tout sinon qu'il aimait les fleurs.
Au centre de la rambarde de la tribune, trois panneaux rendent hommage à trois Saints prépondérants de la Collégiale Santa Maria Assunta de Speloncato: Saint Michel - le premier saint patron de cette église, à l'oeuvre dans son double rôle de peseur d'âmes et de pourfendeur du Démon; la Vierge Marie de l'Assomption - qui donne son titre à la Collégiale; et Saint Jean-Baptiste, qui reprend le titre de la pievanie de Tuani autrefois dévolu à Costa.
Les angelots au violoncelle et au violon nous rappellent que Speloncato avait coutume d'accompagner ses messes "au son des instruments" et que ce village a toujours donné de nombreux musiciens tant pour accompagner la sérénade que pour l'office divin... Je ne sais où logeait Grafini à cette date, je commence à l'imaginer installé dans l'une des maisons de notables et quelque part sur un meuble, prêt à servir, ce beau violon.
Sur le panneau au-dessus du clavier, ces Putti souriants faisant leurs offrandes devant un autel migniature: guirlande, épis de blé, fruits charnus...
... vestales dansantes, oiseaux du paradis, végétation exubérante, rinceaux, pétales ...
Motif central, au-dessus du clavier: créatures étranges et bonasses, urne ornée de têtes minuscules, instruments de musique, mille détails pour qui prend le temps de se promener dans l'imaginaire de Grunwaldo. Il s'est fait plaisir, a pris le temps, a rêvassé sur sa partition.
Notre ami Grafini n'est peut-être pas bien sûr de ses proportions anatomiques mais je le sens plutôt heureux de vivre, curieux et cela me plait! Alors quelle émotion inattendue de le rencontrer ailleurs...
Grunwaldo GRAFINI dans " a Salla Regina" du Palazzu à Monticello.
Cette demeure imposante, la maison Leonetti/Malaspina de Monticello accueille dans son salon du deuxième étage tout un décor monumental de Grafini ...
L'ange du médaillon central porte le blason de la famille MALASPINA: un lion dressé sur ses pattes arrières et tenant dans ses pattes avant une branche épineuse (Malaspina).
(le blason des Malaspina, dans une maison des Malaspina de Speloncato: merci, Edouard!)
La famille Malaspina rentre dans cette demeure lors du mariage en 1836 de Maria Vittoria Pietri, arrière petite-fille de la soeur de Pascal Paoli, avec Mucius-Jean Malaspina, de Speloncato - Maria Vittoria qui connait une fin tragique dans ces murs...
Vous pourrez retrouver l'histoire (parfois dramatique) de cette imposante demeure dans le chapitre intitulé: "Morti di Mala Morta", page 116,et " U Palazzu et ses personnages historiques", page 217, du passionnant ouvrage collectif publié chez Albiana:
" Vingt chapitres de l'histoire de Monticello."
Je remercie ici la famille Malaspina qui m'a permis d'admirer cette pièce étonnante, dite " a salla Regina" et son décor peint ... Isabelle DEMOUSTIER en avait un descriptif soigneux dans son Mémoire de diplôme d'Etudes Approfondies, soutenu à l'Université de Corse Pascal Paoli en 1997: "La peinture monumentale dans les demeures de notables balanins au XIXe siècle".
Je ne veux ici que vous faire partager mon plaisir :
" La pièce, de plan carré, est couverte d'une voûte d'arête bombée dont chaque angle est composé de double lunettes" (I. Demoustier)
Malheureusement, le décor peint a souffert de quelques repeints et d'évènements fâcheux, dont la foudre... Il reste tout de même un magnifique témoignage du patrimoine pictural et historique de la Corse, à sauvegarder!
"Sur chaque retombée de voûte est figuré un personnage. Il s'agit de quatre femmes debout sur un piédestal à l'exception de l'une d'entre elles. Leurs attributs nous indiquent clairement qu'il s'agit d'une allégorie des "Quatres Saisons" (I. Demoustier)
L'hiver
Un étrange personnage exotique vêtu à "l'asiatique", affublé d'un pantalon rayé - la rayure désignant "l'étoffe du diable", comme la désigne Michel Pastoureau dans son étude "L'étoffe du diable, une histoire des rayures et des tissus rayés", au Seuil) et en tous cas l'altérité, l'étranger par excellence -, ses petits pieds chaussés de noir, se chauffe mélancoliquement les mains au-dessus d'une sorte de brasero- autel qui ressemble étrangement à celui de mes putti ou de mes vestales de Speluncatu (voir ci-dessus) . J'entends en le regardant cette chanson de notre enfance, sortir tout droit d'une imagerie coloniale... :
"J'ai vu la Chine, je vous l'assure,
elle est couverte de p'tits chinois,
les femmes y portent des chaussures,
en forme de coquilles de noix ..."
Y aurait-il, dans cette famille, quelques voyageurs en terres lointaines?
L'arbre décharné met en scène froidure et solitude de la vieillesse tandis que sur les flammes souffle la bise mauvaise emportant au loin chaleur et fumée...
On voit que le fond peint d'origine, bleu ciel, était infiniment plus doux que le repeint gris-bleu qui recouvre l'ensemble de la voûte.
Le printemps
Mais voilà que dans la ronde des saisons renait le printemps: toute de vert vêtue, la jolie brunette aux cheveux dénoués se fait une parure d'une guirlande de fleurs fraichement cueillies dans le maquis : à ses pieds à peine chaussés de sandales légères, la corbeille déborde encore!
L'été
Dans sa jolie robe orangée, la belle tient serrée d'une main sa moisson de blés mûrs et de l'autre la faucille: que la saison nous soit favorable, que nos greniers regorgent de beaux grains et que nos femmes donnent du fruit!
L'automne
Voici venu le temps des vendanges : le soleil et la pluie ont réussi leurs noces divines , les grappes lourdes de raisins noirs rempliront de leur nectar les grosses barriques de nos caves. La belle ... ou Bacchus? enfourche le tonneau ventru et s'enivre en compagnie d'un petit personnage armé de flèches : évocation de la chasse ou cupidon?... vive le vin, au diable la décence! A dire vrai, je me demande ce que fabrique l'angelot qui semble chapitrer en l'air? Incitation à plus de tempérance? Serait-on devant un épisode façon Capitaine Haddock devant sa bouteille de whisky? La vérité est que Grunwaldo a dû tâter du bon vin des Malaspina et soupeser ces juteuses grappes de raisin dans leurs vignes ...
Décidément même si l'anatomie de ses personnages est souvent aléatoire Grunwaldo Grafini fait un excellent conteur!
Mis à part ces quatre personnages allégoriques, tout le reste du décor semble évoquer une relation avec l'histoire de quelques hommes illustres de cette maison. Il ne m'appartient ici d'en faire le commentaire - Isabelle Demoustier a fort bien évoqué et commenté cet ensemble dans son mémoire - mais je complète cette note sur Grafini par des images de quelques "tableaux" peints entre les huit arcs et les deux embrasures de fenêtre .
A gauche, en bord de mer, une petite cité protégée par une muraille : Ile Rousse, semble-t-il enceinte de sa première muraille construite en 1792. De beaux voiliers naviguent à l'horizon , toutes voiles dehors et pavillon au vent. Des militaires armés de baïllonnettes déambulent le long de champs cultivés en direction d'un village perché sur la colline: Monticello?
Une vue du vieux port de Bastia: derrière, la côte de Cap Corse, versant oriental avec au loin une toutr littorale. Au large émergent des îles : Elbe et Capraïa. A l'abri du port, des bateaux, d'autres naviguent en pleine mer. A droite, la citadelle et ses remparts.
On reconnait clairement sur la gauche de cette représentation approximative de Bastia, l'église Saint Jean-Baptiste orné de son premier campanile, érigé en 1813...
Paysage bucolique avec village, berger et son troupeau, joueur de flûte, personnages en conversation, femme à la terrasse d'une maison...
Paysage avec personnages en marche, forteresse, rivière et grotte; quelques détails:
détail de gauche
détail du centre avec une sorte de forteresse
Scène dans une grotte, détail de droite: je ne sais ce qui se joue là, mais il y a du pathos dans l'air, le personnage agenouillé semble implorer grâce, son crucifix à la main.
Paysage avec attelage et ville avec ses monuments, entourée de murailles.
Paysage maritime avec embarcadère et monuments à l'antique.
Paysage avec maison, cabriolet, cabane et personnages
Détail de gauche
Détail de droite : la cabane et ses personnages qui se chauffent au feu.
Dans l'embrasure d'une fenêtre, cette rencontre exotique entre "le bon sauvage" et l'européen, avec des tipis.
Dans une autre embrasure, cette femme donne la main à un petit enfant et semble vénérer ce monument en forme d'urne ...
Enfin, dans une dernière embrasure, cette sorte de pyramide funéraire portant couronne de laurier et ces initiales: A.L. Il pourrait s'agir de Giudicce Antone LEONETTI (mort en 1794), fils de Chiara PAOLI ( la soeur de Pascal PAOLI) et donc neveu de Pascal PAOLI. Chiara Paoli avait épouse Don Taddeo LEONETTI et cette maison fut donc sa propriété et sa résidence ...
Décidément ces peintures nous posent de nombreuses questions et il nous manque quelques clefs pour y répondre...
17:02 Publié dans décors monumentaux en Corse | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : grunwaldo grafini, patrimoine des peintures monumentales en corse, art populaire, blason malspina, peinture xixe siècle en corse | Facebook |
Commentaires
Bravo pour ce beau travail qui fait mieux connaître ces manifestations artistiques en Balagne.
Sur le plan historique, je dois signaler que le Palazzu Malaspina aurait été construit par la famille du colonel Simone Morazzani, chef de la garde pontificale, puis transmis aux Fabiani (famille du général-comte Simon Fabiani, mon ancêtre direct).
Giudicce Antonio Leonetti aurait reçu le "Palazzo" de sa femme Angela Felice Fabiani, "nièce préférée de Paoli", fille de Jean-Baptiste de Fabiani et de Nunzia Maria Malaspina (de Speloncato).
Je suis prêt à fournir d'autres précisions.
Écrit par : Henry ZIPPER d'ANGENSTEIN de FABIANI | 16/04/2012
Je vous applaudis pour votre exercice. c'est un vrai exercice d'écriture. Continuez .
Écrit par : MichelB | 13/08/2014
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