13/01/2008
à la rencontre des fresques de Sermanu...
A Sermanu ce lundi 7 janvier 2008 en compagnie d'Ewa (merci, Ewa!), sous un soleil radieux d’hiver. Matinée de lumière offerte entre deux grisailles ces temps-ci. Les petites routes étroites grimpent ferme dans cette région aujourd'hui souvent désertifiée de la Pieve di Boziu: il faut surveiller les panneaux, ne pas manquer les embranchements... La dernière fois que je suis passée ici, c'était en compagnie des amis de la Fagec et de Madame Moracchini Mazel, et la première fois, c'était avec mes parents, il y a plus de vingt cinq ans. Nostalgie sous-jacente, je ressens papa marchant alors d'un pas décidé avec son sac-à-dos chargé de quelques kilos de livres, dont les deux volumes: "Les Eglises romanes de Corse", de Geneviève Moracchini-Mazel, publiés en 1967 avec le CNRS...
La chapelle San Niculau di Sermanu (Pieve di Boziu) fait partie de la première tranche de restauration des chapelles à fresques du programme établi par la CTC d'après une étude effectuée il y a une dizaine d'années pour tenter de sauver ce patrimoine précieux de la Corse. Seront concernées également dans cette première intervention les chapelles de San Quilicu (Pieve di E Vallerustie), de Santa Cristina (E Valle di Campuloru), et de Santa Maria di e Neve (Pieve di Brandu). J'espère que les autres suivront sans trop tarder: de jour en jour je constate la dégradation à l'oeuvre à San Tumasgiu di Pastureccia, San Pantaleu di Gavignanu, San Michele di Castirla...
Depuis le village perché, la chapelle se gagne par un sentier pentu bordé de petites maisons et de paillers modestes, couverts de teghje, parfois remis en état: une gageure pour l'enterrement des défunts - aujourd'hui 4X4 oblige - une promesse de bonne santé pour les vivants qui visitent leurs morts. Le cimetière entoure de ses tombes quelque peu anarchiques la petite chapelle préromane (autour du VIIème siècle) de San Niculau... La grosse clef ouvre la vieille porte...
et toujours la même émotion dans la pénombre de l'abside...
Veillées par un hiératique Christ en Majesté, les fresques, datables du milieu du XVème siècle, malgré leurs lacunes et leur dégradation, dégagent une étonnante impression de vie: les personnages échangent dans une muette conversation, croisant regards et gestes dans une même humanité.
Comme de juste, Il bénit le peuple des fidèles de sa main droite et de sa gauche tient le traditionnel livre ouvert: "EGO SUM LUX MUNDI ET VIA VERITAS". La douceur des couleurs (même s'il y a eu par le passé des repeints excessifs qui devraient s'atténuer avec la prochaine restauration), l'équilibre de leur agencement donnent une grande plénitude à la composition. Ses pieds nus reposent délicatement sur l'herbe tendre du Paradis, émergeant des plis de sa robe pourpre parsemée de fleurs: le peuple de Dieu va nu pieds. Cela me rappelle notre ami Nunziu qui, enfant dans les montagnes du Ghjunsani, écrasait les bogues de châtaigne de ses pieds nus... La mandorle qui l'enveloppe comme dans un arc-en-ciel ocré le signale et le place au-dessus des vicissitudes humaines, en dehors du temps - sous ses pieds, en témoins de sa parole, la compagnie des apôtres dans leur incessant dialogue...
Un autre groupe attachant suspend le temps dans sa marche: Saint Christophe, le regard décidé et fixé sur la rive lointaine, transporte à travers un fleuve peuplé de poissons l'Enfant Jésus: fragilité extrême de l'Enfant minuscule qui nous regarde, la cape volant au vent comme une voile de navire et pesant de tout son poids du monde sur l'épaule de son géant passeur appuyé sur son bâton de pèlerin.
Sur le mur sud, l'on retrouve l'incontournable personnage de saint Michel Archange terrassant Satan et pesant les âmes: ici, l'on retrouve un écho fidèle du saint Michel peint dans la chapelle de la Trinité d'Aregno...
Autre représentation nécessaire de ces programmes de fresques: l'Annonciation peinte dans les écoinçons de l'arc triomphal de l'abside. Malheureusement le divin Messager, l'Archange Gabriel a disparu de l'écoinçon de gauche.
Dans celui de droite, les mains ouvertes en signe d'acceptation, la Vierge accueille l'Esprit Saint sous forme de colombe qui a déjà franchi les murs inviolables de la chambre close de tentures pourpres: comme toujours, le rouge de sa robe évoque le mystère du ventre maternel et l'humanité de la naissance de Jésus, et son manteau bleu confirme la place céleste de Marie.
Je ne peux quitter la chapelle de Sermanu sans évoquer son saint patron, le grand saint Nicolas, peint à une place de choix, sur le mur encadrant l'abside, sous la Vierge de l'Annonciation: mitre en tête, crosse à la main, pourpre du manteau, tout le désigne dans sa sereine intercession...
(A suivre et compléter dans l'album photo des fresques.)
Dans le cimetière, sur une tombe récente, l'évocation de la tradition du chant polyphonique, fermement ancrée à Sermanu: ces polyphonies constituent une partie importante de l'identité de Sermanu et elles ont largement contribué à la découverte des chants sacrés de la Corse et à la fierté légitime de son peuple montagnard.
Retour, enfin, par ces forts villages enracinés au-dessus du vide
( Santa Lucia di Mercurio, Tralonca...)
Elizabeth
Retrouvez le livre précieux de Joseph Orsolini:
"L'ART DE LA FRESQUE EN CORSE DE 1450 A 1520" édité ( et réédité!) par le Parc Naturel de la Corse
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