- C'est l'édition du 1700ème anniversaire de la naissance de Saint Martin de Tours, mais surtout de l'ouverture, le 4 juillet dernier à Tours, de l'itinéraire de la Via Sancti Martini qui traverse l'Europe sur 2800 kilomètres. A travers l'associu A Capella et U Centru culturale San Martinu Corsica, nous travaillons depuis 8 ans à la création de la partie corse de cet itinéraire. Ce festivale d'autumnu di a ruralità est la préfiguration des actions qui seront projetées dans l'expérimentation en Corse de « la bande verte et citoyenne » qui entoure l'itinéraire. Ces actions seront menées toute l'année sur l'ensemble des territoires de l'île, identifiés, après un travail d'expertise, comme porteurs de patrimoine martinien. Ce festival est original, c'est une sorte de laboratoire et l'une des manifestations les plus performantes produites, actuellement, sur l'Itinéraire culturel européen. L'idée est de valoriser et de redynamiser les territoires ruraux à travers la création d’A Via San Martinu.
- Quelles sont les nouveautés, cette année ?
- La première nouveauté, c'est, d'abord, la formidable dynamique qui se met en place autour du projet. Le festival couvre beaucoup plus de territoires avec une participation beaucoup plus importante des gens et des communes. Le projet d'itinéraire se structure de plus en plus avec l'extension de relais locaux et d'une offre qui provient des territoires eux-mêmes. Mon travail est de structurer ces offres sur tous les territoires. Ensuite, la durée du festival s'allonge : elle passe de dix à quinze jours, c'est dire son impact et son succès dans des territoires souvent oubliés en dehors des périodes estivales.
- Quels nouveaux lieux investissez-vous ?
- Nous intervenons, cette année, sur une quinzaine de communes en poursuivant notre percée vers le Sud. Nous sommes partis, il y a huit ans, de Patrimoniu pour progressivement rayonner dans la région de la Conca d'Oru, du Cap, du grand Bastia et du Golu. Cette année, nous investissons la Plaine Orientale, des villages de Piémont en Casinca et dans l'Oriente, tels que U Viscuvatu, Aleria, Canale di Verde et Linguizetta. De nombreuses communes possèdent en zone de Piémont des villages qui ont des correspondances en plaine. C'est le cas, par exemple, d’uViscuvatu, de Biguglia ou de Lucciana. La grande difficulté pour ces communes est de faire exister ces villages dans une interaction entre les territoires côtiers et les territoires de l'intérieur et de fixer la population dans la microrégion. Du côté du Cap Corse, nous ajoutons trois nouvelles communes : Meria, Barrettali et Morsiglia.
- Les activités nouvelles sont les nouveaux lieux que nous faisons découvrir. Nous travaillons à valoriser l'existant. Depuis quelques années, nous commençons à appréhender l'ampleur du patrimoine martinien en Corse. Nous avons identifié sur le territoire, grâce à un travail d’étude, des œuvres d'art remarquables évoquant San Martinu, des peintures, des lieux, des bâtiments... Ne serait-ce qu’à Bastia qui possède un patrimoine martinien unique en Europe ! Les sites d’Aleria et de Lucciana sont liés à l’évocation de la Rome antique et aux premiers temps de la christianisation. De nombreux villages recèlent de trésors datant du baroque. Pendant toute la durée du festival, des guides conférenciers, des spécialistes tels que des historiens, des géographes, des géologues, des anthropologues et des ethnologues, viendront balayer les champs de la connaissance, définir tel édifice, le replacer dans le temps et dans l’espace, et le mettre en miroir avec la Ligurie et la Toscane avec qui nous partageons une histoire commune depuis l’Antiquité.
- Le festival sera présent à Bastia pour la 3ème année consécutive, mais, cette fois-ci, de manière plus particulière. Laquelle ?
- Nous intervenons, cette année, dans le contexte de l’exposition Corsica Genovese qui est exceptionnelle. Les liens entre Gênes, Bastia et San Martinu sont nombreux. Un exemple, l’hôpital de Gênes s’appelle San Martino. Simon Boccanegra, le premier doge de Gênes, a son palazzo dans l’hôpital San Martino, il envoie son frère Giovanni comme premier gouverneur de la Corse. Giovanni habite Biguglia, qui est la capitale de la Corse génoise, avant la création de la ville génoise à Bastia. Gênes, c’est aussi la Riviera ligure où a séjourné San Martinu au 4ème siècle. Savone a envoyé à Ajaccio la Madone de la Miséricorde. Partout, dans ce contexte, on trouve des traces de San Martinu. C’est pour cela que nous faisons de nombreuses actions, de Centuri jusqu’à Biguglia dont le lien avec Bastia est important et s’affirme de plus en plus.
- La journée de Centuri est assez inédite. Pouvez-vous expliquer ?
- La nouveauté, cette année, est une journée avec le Comité Régional des pêches pour aborder la thématique de la navigation entre les îlots ligures, toscans et corses. Centuri, qui est situé en face de la Ligurie, était une porte d’entrée vers la Corse. Parler de la mer, c’est parler d’une histoire commune entre la Ligurie et la Corse qui partagent des techniques de pêche et des manières culturellement très proches de consommer et de cuisiner les poissons. Avec le Comité des pêches, qui a mis en place le Pescaturismu, c’est-à-dire la valorisation de la pêche côtière, ce sera, aussi, l’occasion d’évoquer, dans le cadre du développement de la Via San Martinu, les problématiques de la mer et de la pêche aujourd’hui. On retombe toujours sur san Martinu qui a séjourné trois ou quatre ans à partir de l’an 357 sur l’île Gallinaria près d’Albenga, qui ne sont qu’à quelques miles nautiques de Centuri. Toutes ces constantes historiques prouvent que les territoires étaient liés entre eux depuis 1700 ans. Nous proposons de le découvrir avec, également, dans la même journée, le Conservatoire du littoral et une conférence de l’historien Antoine-Marie Graziani.
- Une journée est prévue, pour la première fois, à U Viscuvatu. Qu’y a-t-il d’intéressant ?
- U Viscuvatu est le cadre important d’un autre contexte du patrimoine martinien. Celui, comme à Canale di Verdi, des Seigneurs Cortinchi, dont l’énorme fief s’étendait de la région d’Aleria jusqu’à Bastia et même à Patrimoniu. Ces seigneurs féodaux très puissants, venus de Cortone en Toscane, dominent la Corse du Moyen âge, commandent des œuvres d’art et se font élire le jour di a San Martinu, le 11 novembre, parce que San Martinu est une figure emblématique du monde chrétien et le saint choisi par Charlemagne. U Viscuvatu a été créée par un Cortinchi, Opizzo Pernice, et l’endroit s’appelle u Belfiuritu parce qu’U Viscuvatu domine une plaine fertile, la Casinca. On revient toujours à cette notion de prospérité agraire. Ces territoires avaient une grande production agraire et on se servait de l’image de San Martinu pour les sacraliser et les protéger. C’est pour cela que l’église d’U Viscuvatu s’appelle, comme l’église de Patrimoniu, San Martinu. Elle recèle des trésors martiniens : des tableaux, des statues, une statuaire lombarde exceptionnelle sur un tabernacle en marbre, mais aussi un bâti exceptionnel… U Viscuvatu était en lien avec a Canonica.
Propos recueillis par Nicole Mari.