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27/03/2011

La Lybie, résonnance avec le poète Mohammed al Faytouri

La "MARE NOSTRUM, la Méditerranée  aux mille et un destins entremêlés n'en finit pas de résonner au coeur de tous ceux qui la vivent depuis toujours ou qui l'ont un jour choisie, de quelque rive que l'on soit et quelque langue que l'on y parle. Méditerranée polyglotte où se disent dans une lumière éclatante "l'intime correspondance des cieux, de l'ombre effroyable des dieux et celle prégnante des morts, de la toute-puissance et noueuse humilité des mères, des guerres, de la résistance à la tyrannie dans les maquis et par les mots du poème, d'une maison bien-aimée conservée ou perdue, de l'extrême plaisir des sens que le soleil allume (...) (Eglal Errera: introduction à l'Anthologie des Poètes de la Méditerranée, Poésie/ Gallimard)


Tandis que la Corse s'apprête à célébrer selon l'usage la Semaine Sainte, dressant ses sepolcri, tressant bientôt ses palmes, répétant ses chants, le Perdonno, le Stabbat Mater, la Via Crucis, ses Lamentations, préparant ses processions ... voici quelques passages de ce poème de Mohammed al Faytouri ( né en 1930), sur l'autre rive, évoquant d'autres cortèges, d'autres souffrances, d'autres révoltes, d'autres mères orphelines de leurs enfants.

En résonnance avec les "évènements" actuels de Lybie, et d'une façon générale avec toutes les révoltes en cours.

Minéral 2.jpg

(Méditerranée minérale, du côté de la Scala)

 

 

"IL EST MORT DEMAIN

Il est mort

Aucune goutte de pluie ne s'est attristée

Aucun visage humain ne s'est assombri

La lune n'a pas survolé sa tombe de nuit

Aucun ver paresseux n'y a déployé son corps

Aucune pierre ne s'est fendue

Il est mort demain

cadavre sali

linceul oublié

tel un rêve ...

le peuple s'est réveillé

et a traversé le champ des roses au crépuscule

comme un ouragan

 

il est mort

dans son âme noircie incendiée un passé de sang et de gibets suspendus

des cris de révolte dans les prisons

visages douloureux et fendillés des vieilles

bras tordus dressés comme des faucilles

yeux où plonge l'ombre des potences

 

 

Carcheto CH CR marie.jpg

(Rencontre avec la Mère, Chemin de Croix de Carcheto)

 

ô mon fils

en quel lieu les soldats ont-ils emmené ton visage

pourquoi m'ont-ils privé de l'odeur de ta chemise?

mon fils si beau dans l'éclat de sa jeunesse

marchait sur les élans des coeurs

le geôlier a cadenassé la porte de sa grande prison

une chaîne a rampé

et le fouet a enveloppé la nuit de lamentations

sepolcru  Ficaja soldatesque blog.jpg

(la soldatesque du sepolcru à Ficaja)

et toi mon père

reviendras-tu avant l'hiver?

tu nous trouveras en pleurs

reviens-nous

ma mère mes soeurs et moi

nous bruissons de pleurs

(...)

 

sepolcro pleureuses.jpg

(compassion des femmes du sepolcru à Castiglione)

ils ont cogné de nuit à la porte et sont entrés

qui êtes-vous?

Que voulez-vous?

Que portez-vous?

Une fois son cadavre posé auprès du mur

J'ai scruté le visage des souvenirs

Et sèché mes pleurs avec les larmes des autres

 

demain le cortège de la faim passera par notre rue

verdissez les années de la disette

tombez ô pluie

noyez les champs de blé et de riz

noyez le fleuve

 

essuyez de votre main de cendre la tristesse des arbres

viendra un jour où les moissons seront à moi

à moi le ciel le monde le cours du ruisseau

quand prendra fin la famine de la terre

et  celle des humains"

(...)

Ce poème (accompagné de quelques images populaires de la Passion en Corse) fait donc partie de cette très belle Anthologie des Poètes de la Méditerranée  (  poètes contemporains),   chez Poésie Gallimard, préfacée par Yves Bonnefoy qui commence par ce tître: " Moins une mer que des rives" ... Un beau livre en bilingue, qui "donnera à lire et à entendre dix-sept langues telles qu'on les écrit ou qu'on les parle aujourd'hui", avec chaque fois le poème dans sa langue et son alphabet original ... Un enrichissement et une évidence pour tous ceux qui refusent d'être enfermés dans des frontières étroites.

Et encore ceci, du poète macédonien Vlada Urosevic:

 

" DEI OTIOSI

C'est le temps maintenant de la chute des dieux,

Dans les villes partout s'abattent les statues.

Quelque part une foule enragée en criant

Les abat, les traîne quelque part dans la nuit

Comme on le fait avec les morts en temps de peste.

Aucune statue ne va rester.

Si vous vous promenez, il faut y prendre garde,

Il pourrait bien en choir une sur votre tête.

L'histoire ressemble à un dépot d'ordures

Où viennent s'entasser des têtes en bronze.

On constate après coup

Qu'elles étaient creuses.

Ne nous berçons pas d'illusions.

Le ciel ne restera pas longtemps vide

Ni les places sans statues.

Il y a quelqu'un qui invente en silence déjà

Un usage nouveau pour d'anciens piédestaux."

 

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